Yoyo Waltz ~ Jake

  Récemment j’ai tendu l’oreille un peu aux alentours et ai remarqué qu’une pâtisserie de la ville connaissait quelques remous.  Je me suis dit pourquoi pas essayer de mener ma petite enquête, même si je ne suis pas vraiment en charge de ce genre de sujets, en tant que journaliste c’est mon devoir d’essayer d’en apprendre plus et informer les gens, et qui sait, si j’arrive à bien tourner les phrases peut –être que je me ferai remarquer et qu’on me donnera plus de responsabilités à l’avenir. S’occuper des évènements c’est sympa deux minutes, mais je ne compte pas passer ma vie à faire cela. J’ai donc pris le taureau par les cornes et ai cherché le nom du nouveau….. Propriétaire ? La situation n’était pas encore très claire pour moi, mais j’allais pouvoir éclaircir la situation en parlant à ce Jake Rockhold.

  L’homme que j’ai eu au téléphone semblait d’accord pour m’accorder un peu de son temps, sauf que j’arrivais avec presque rien. J’avais essayé de fouiller dans les archives du journal des mentions de cette pâtisserie Imogen, mais les seuls articles que j’ai pu trouver étaient des mentions brèves de l’ouverture d’une boutique, puis une deuxième et une troisième, il n’y a pas eu d’évènements particuliers ou de scandales les concernant. J’ai regardé sur internet les critiques, elles étaient quasiment toutes positives, les gâteaux recevaient l’admiration des clients, les seuls quelques points négatifs étaient sur certains employés qui n’étaient peut-être pas toujours très accueillant. En somme rien qui sorte de l’ordinaire.

  J’avais pris rendez-vous en milieu d’après-midi, je me suis dit que la préparation des gâteaux étaient finies dans les cuisines depuis la matinée et maintenant le principal était seulement la vente, mais en milieu de semaine, les après-midis étaient tranquilles j’espère. Je ne voudrais pas non plus trop empiéter sur son travail, d’autant que je ne suis pas sûr que son temps ne soit pas gaspillé. En chemin je regarde mes notes, les quelques questions que j’avais préparé, en espérant que tout se passe bien.

  J’entre dans la boutique et je vois devant moi un étalage de pâtisserie qui semblent toutes plus appétissantes les unes que les autres. Je n’ai jamais été un grand fan du sucre mais rien que la présentation me donne l’eau à la bouche. Je m’approche de la demoiselle qui est à la caisse et lui demande : «  Bonjour, j’ai rendez-vous avec Jake Rockhold ? C’est pour une interview » Même mon ton n’est pas encore très assuré, mais la demoiselle semble ne pas trop y prêter attention et me dit de patienter pendant qu’elle s’en va vers l’arrière-boutique. En attendant je regarde de plus près les gâteaux, s’il y a une chose, c’est qu’ils ont du choix et je comprends mieux les commentaires positifs que j’ai pu lire sur Internet.

Quelques moments plus tard, un homme sort de l’arrière boutique et s’avance vers moi. J’ai du mal calibrer l’heure du rendez-vous car sur lui je vois de la farine qui forme des nuages blancs sur ses habits. Moi qui pensais qu’ils ne faisaient plus de gâteaux dans l’après-midi, j’ai dû me tromper. Alors qu’il tend sa main pour me saluer, je réponds en disant «  Enchanté Jake, je suis Lucian Riegel. » Je serre sa main, sa poigne est encore humide mais je ne dis rien, après tout la mienne doit être aussi humide à cause du temps mais aussi de la tension qui monte au fond de moi. Il me dévisage de haut en bas et ça ne fait qu’accentuer mon stress, premier papier que j’écris de mon initiative, je ne dois pas gâcher cette opportunité. J’essaye de relaxer la tension qui s’est installée dans mes muscles et je souris à Jake lorsqu’il pointe vers une table dans la boutique où je pourrai mener l’interview. «  Merci, j’espère ne pas vous déranger, ou du moins vous retarder dans votre travail, j’espère que cela pourra être rapide. »

  On s’assoit à la table et je commence à sortir mon calepin où j’ai pris mes notes, ainsi qu’un stylo pour pouvoir noter toutes les informations importantes que Jake pourrait me donner. Lors de notre appel téléphonique je n’avais pas vraiment spécifié pourquoi je faisais cet article, j’étais resté un peu flou sur le sujet du papier, principalement parce que je n’en étais pas sur moi-même. Et là maintenant je ne suis toujours pas certain, je crains que cela sera défini par ce que je pourrai tirer de Jake. «  J’aurai voulu en apprendre un peu plus sur Imogen, vous êtes la pâtisserie qui est la mieux notée par ses clients, et vous possédez 3 boutiques ! ». Sans plus attendre, je lui pose les questions de base à propos de la chaine, les dates d’ouvertures de chaque magasin, la fréquentation, leurs produits phares, la fréquence des nouveautés…. Tout ça histoire de déblayer un peu le sujet et selon ses réponses je poserai des questions un peu plus précises. Mais je pose tout de même une autre question histoire de diriger l’interview : « Je suis un peu curieux, comment est-ce-qu’un jeune homme comme vous a trouvé les fonds pour ouvrir autant de boutiques a si peu d’intervalle ? »

Je me sens un peu comme une fraude quand il me dit gentiment qu’il a du temps à m’accorder. Le pire c’est surtout qu’il semble content que je m’intéresse à lui. Il s’attend à ce que je fasse seulement un article sur sa boutique, une sorte de publicité ? Quand j’y pense, si je n’arrive à rien tirer de lui c’est ce qui va arriver, mais j’avoue que j’aurai voulu tirer au clair cette histoire, les rumeurs n’étant seulement que des… rumeurs. Mon cœur se serre un peu, les journalistes doivent bien sur informer la population, mais sans non plus duper les personnes interrogées. En tout cas lui poser les questions habituelles me permettent de me changer un peu les esprits et surtout de retrouver mon calme. Je prends en notes toutes les informations qu’il me donne, peu importe l’article que j’écrirai, elles se révèleront surement utiles.

  Cependant il semble un peu perdu lorsque je lui pose ma dernière question sur les boutiques et leur acquisition. Il m’explique qu’il les a récupérées par son ancienne collaboratrice, j’avais donc mal compris l’histoire quand j’en ai entendu parler. « Ah je m’excuse, j’avais mal compris. Que s’est-il passé avec votre ancienne collaboratrice si ce n’est pas trop indiscret ? » Mais il balaye ma bévue en rigolant sur le fait qu’il n’est pas assez riche pour acheter deux boutiques. Donc elle les lui a cédées, mais je me demande dans quelles circonstances elle l’a fait. Je voudrais lui demander quelle type de compensation il a du donner, ou si elle est un membre de la famille et lui aurait cédé gracieusement ? Mais l’interview vient juste de commencer depuis quelques minutes, je pourrais peut être éclaircir tout cela un peu plus tard. J’essaye d’abord de déblayer un maximum d’informations sur le sujet avant de trop rentrer dans le vif de ce qui m’intéresse. «  Comment s’est passé la reprise des autres boutiques ? Passer de gérer une boutique à 3 ca a dû être difficile. Comment avez réussi cela, est –ce que ce changement de commandement  a eu une influence sur la gestion des boutiques? » Je pense déjà à l’article de secours que je pourrais écrire, la recette du succès d’un jeune homme qui a pris son courage à deux mains et a pris la tête de trois boutiques de pâtisserie en ville ! Non, je peux sûrement faire mieux, je dois juste le travailler au corps. Je comprends enfin la frustration de beaucoup de journaliste, et surtout pourquoi ils aiment autant leur métier, nous sommes des enquêteurs.

Je prends quelques notes quand il me parle de son ancienne collaboratrice, mais ce ne sont que des notes vagues « problèmes personnels », cela peut englober tellement de choses et je fronce les sourcils.  Je comprends qu’il ne veuille pas être celui qui déballe la vie privée de son amie à un journaliste, mais il me faut quelque chose. Et pour cela il va falloir que j’insiste un peu. J’espère ne pas me mettre Jake à dos, mais après tout, le métier de journaliste n’est pas toujours tout rose, pour avoir la vérité il faut en payer le prix parfois. J’espère juste que ça ne va pas être le cas avec Jake et que je pourrais avoir ce que je cherche sans embuches. Je réfléchis à comment m’y prendre et réponds à Jake lentement : «  Je comprends bien que ce n’est pas à vous de me révéler ces informations, mais sans rien de votre part, je n’aurai d’autre choix que d’écouter les rumeurs. » Je réfléchis comment formuler la suite sans sembler essayer de l’intimider. Je le regarde droit dans les yeux et essaye de l’implorer par mon regard. « Et comme vous l’avez dit, elles sont parfois fausses. Donc je ne vous demande pas de me cracher le morceau complètement, car cela pourrait vous mettre dans une situation délicate avec votre ancienne collaboratrice, mais juste peut être m’aiguiller dans la bonne direction ? » J’appréhende un peu comment il va me répondre, si il va me mettre dehors ou au contraire comprendre ma situation et me donner « quelque chose ».

Il répond aux autres questions suivantes sans problèmes, il semble même y prendre du plaisir. De toute évidence il a les épaules pour supporter ces épreuves, et une bonne connaissance de son équipe. Je n’ai pas entendu qu’il y ait eu de gros problèmes depuis la reprise des boutiques, et sur ce point je suis plutôt enclin à le croire. Je vais tout de même demander autour de moi, des clients réguliers, si ils ont remarqué des bouleversements au niveau des ventes. Et pourquoi pas discuter avec quelques-uns de ses employés également. Je continue en lui demandant : «  Est ce que vous avez prévu de faire des changements au niveau des boutiques ? Peut-être une nouvelle ligne de conduite, ou de nouvelles perspectives, en bref est-ce que vous avez une nouvelle vision pour le futur de Imogen ? ». Après tout, qui dit nouvelle direction, dit nouvelles idées. Je suppose qu’avant il ne pouvait pas faire tout ce qu’il voulait, ou du moins que dans sa boutique. Mais maintenant il les possède toutes et peut enfin appliquer les changements qu’il veut.

Je sens que Jake semble un peu mal à l’aise lorsque je demande plus de détails sur son ancienne partenaire. Mon cœur loupe un battement et je retient mon souffle en attendant qu’il reprenne la parole. Je guette chacun de ses mimiques en espérant qu’il ne le prenne pas mal, ce serait dommage que je me fasse mon premier ennemi dans cette ville alors que je me trouve dans un endroit si joli. Finalement il réponds en restant tout de même assez dans les généralités, mais c’est suffisant pour me permettre de me faire une idée sur la situation. Qu’elle soit en train de passer par un divorce tout en étant malade, je me doute qu’elle n’ait pas les idées à s’occuper de son commerce. Bon de toute évidence c’est beaucoup moins sensationnel que ce que j’imaginais, c’est même plutôt triste ce qui est arrivé ici. Je me sens même un peu gêné d’avoir essayé de chercher la merde.  «  Je suis désolé d’entendre ça, j’espère que ses problèmes s’arrangeront. » Je fais une note dans la marge, a priori même en creusant encore plus je ne trouverai que des détails sordides. Je l’écoute m’expliquer ce qu’il envisage de faire des boutiques. «  Non je comprends que trop de changements peuvent déstabiliser la clientèle. J’ignorais que vous êtes spécialisé en chocolaterie ! ». Je regarde mes notes, j’ai commencé à avoir pas mal d’informations, il me faudra encore quelques questions pour que j’ai assez pour finir l’interview. «  Je pense qu’on en a encore pour quelques minutes, je n’ai plus beaucoup de questions à poser ».Il m’offre de prendre quelque chose à boire et j’accepte avec plaisir : «  Un verre d’eau m’ira ! ». J’ai à peine répondu qu’il me propose aussi de manger un de ses desserts. J’hésite quelques secondes, je suppose que ce n’est pas rare que le journaliste se voit offrir ce genre de faveurs, d’autant plus quand il doit faire un article sur la boutique. Je regarde la vitrine et les rangées de dessert alignées, après tout, ce ne peut faire de mal à personne que je prenne une part. «  Merci, j’accepte avec plaisir ! » Je me lève et m’approche des desserts pour regarder les différents types de pâtisseries qui s’offrent à moi, mais devant le choix aussi grand je n’arrive pas à me décider. «  Vous connaissez mieux vos gâteaux que moi, qu’est-ce que vous me conseillez quand il fait un temps aussi chaud aujourd’hui ? »