dans un autre temps, nous aurions été heureux, carlisle.

Lorsque tu avais reçu l'invitation il y a quelques semaines de ça, tu n'avais pas eu le courage de t'y rendre. Carlisle était un ami de longue date maintenant, tu l'avais rencontré ailleurs avec Fleur, et pendant de longues soirées, il vous parlait de son projet, son restaurant à lui. Tu étais content d'apprendre que son projet avait atteint son but. Mais tu ne te sentais pas pour autant d'y aller. Trop occupé à faire le mort. Puis les semaines étaient passées et tu avais réussi à établir des projets. A court terme, mais c'était déjà un grand pas pour toi. Tu te donnais des petits défis, pour reprendre goût à la vie. Fleur serait heureuse de te voir faire, elle voulait que tu sois heureux. Tu l'avais été, pendant un court temps mais c'était ça qui avait de l'importance. Il ne fallait pas laisser la douleur t'envahir et te paralyser comme tu avais pu le faire. Alors ce soir, tu avais pris une réservation pour une personne, tu allais enfin découvrir le restaurant de ton ami. Une fois sur place, tu t'annonçais à la personne qui te jetais un regard étrange. Tu ne saurais dire si c'était de la tristesse ou de la pitié, tu te contentais juste de l'ignorer. Tu en profitais juste pour demander si le patron était dans le coin et surtout disponible, tu n'aurais pas voulu le déranger en plein coup de feu. Tu savais ce que c'était de travailler dans la restauration.  Elle te le désigna du doigt et tu filais vers lui. « Cet endroit est fabuleux, tu as fait du beau travail, félicitations. » ajoutais-tu avec un grand sourire avant de le saluer. Tu jetais un nouveau coup d'oeil dans tous les coins de la pièce avant de le reporter sur lui, curieux d'en apprendre plus. « Alors qui y-a-t'il de bon au menu ce soir ? » demandais-tu avec un léger sourire sur le visage. Même si te retrouver là ce soir te donnait un peu le cafard, tu ne voulais pas laisser ces sentiments négatifs empiéter sur le reste.

Le jeune homme jette toujours un coup d’œil aux réservations, pour voir le nombre de tables qu’il aura à servir mais aussi pour voir si une de ses connaissances ne s’y trouve pas. Il est toujours heureux quand un de ses amis vient pour tester le restaurant ou pour renouveler l’expérience, parfois en amenant d’autres amis à lui. En parcourant la liste il aperçu le nom de Maxwell, cela le fit sourire. Carlisle savait bien que depuis la mort de Fleur il n’était plus le même. Lui aussi ça l’avait touché mais Fleur n’était pas la personne avec qui il partageait sa vie, alors que Maxwell si. Il se doute bien que ce n’est pas facile pour lui de venir. Il les avait rencontré tous les deux alors qu’il était encore en train de retaper l’autre monde, leur parlant sans cesse de son projet, de son ouverture prochaine. Il avait promis de les inviter, il l’a fait mais Fleur a eu son cancer et n’a jamais pu venir. Même s’il avait été là pour son ami, Carlisle comprenait qu’il devait faire son deuil et que pendant un moment il vivrait différemment et ne serait plus que l’ombre de lui-même. Il préfère lui laisser de l’espace pour faire son deuil plutôt que de le pousser à aller mieux tout de suite.
Ce soir-là le restaurant était rempli correctement pour un soir de semaine et les conversations fusaient déjà. Derrière les fourneaux, dans la cuisine en partie ouverte sur la salle, le jeune homme jetait des regards réguliers vers la porte d’entrée et la salle tandis qu’il préparait les repas des clients. Il vit arriver Maxwell qui se dirigea vers lui suite aux explications de sa serveuse. Il le félicita pour son travail et Carlisle lâcha un sourire reconnaissant. Après qu’il en ait fait des caisses sur son projet, le jeune homme aurait pu être déçu de voir à quoi cela ressemblait au final. « Merci. » dit-il avant qu’on ne lui demande le menu du soir. « Tout est noté là. » Il indiqua une ardoise posée sur le mur. Comme la carte change presque tous les jours, il préfère ne rien imprimer pour éviter de gâcher du papier et de l’énergie. Il a donc préféré écrire les menus sur de grosses ardoises. En tout et pour tout il y a quatre entrées, quatre plats et quatre desserts. Parmi ceux-ci, un menu vegan et un végétarien. Il y a deux formules, une abordable et une un peu plus onéreuse mais avec des aliments un peu plus chers aussi. Il veut pouvoir satisfaire tout le monde, petite bourses comme les autres. « Si tu veux le conseil du chef, je te propose le gaspacho de légumes de saison à la mangue, les nouilles de légumes et leur sauce aux crustacés et pour le dessert la pavlova revisitée. » Il lui dit cela qu’à titre d’indication mais il est libre de prendre ce que bon lui semble.

Tu jetais un nouveau regard à l'intérieur de la salle, tu trouvais que ça dégageait une espèce de sérénité. Ou alors c'est parce que tu étais enfin en paix avec toi-même et que tu pouvais apprécier la vie comme elle venait. Tu ne saurais vraiment dire, quoiqu'il en soit, tu étais vraiment content d'être là ce soir et encore plus de pouvoir échanger quelques mots avec ton ami avant qu'il ne soit trop occupé à gérer les lieux. « On s'y sent presque comme chez soi, vraiment je suis bluffé. » Tu pourrais sûrement le répéter toute la soirée mais tu aimais sincèrement ce qu'il avait fait de l'endroit. Tu aimais tout, de la couleur du plafond jusqu'au choix des verres. Et on peut dire qu'en général tu te fous un peu de savoir à quoi va ressembler ton verre, le plus important étant le contenu que le contenant. Tu jetais un coup d'oeil à la carte qu'il te montrait du doigt, découvrant ainsi les quatre entrées, puis les quatre plats et enfin les desserts. Rien qu'au nom, tu avais envie de saliver. « Tout m'a l'air si bon, j'aurais presque envie de tout commander. » Mais tu ne le ferais pas, pour deux raisons. Financièrement tu ne pouvais pas te le permettre, tout seul ça serait une vraie folie mais surtout, tu ne pourrais pas être capable de tout finir et s'il y avait une chose que tu avais en horreur c'était le gaspillage. Il fallait être raisonnable dans la vie et si tu ne goûtais pas à certains plats aujourd'hui, tu le ferais une autre fois. Ils reviendraient sûrement sur la carte un jour, tu n'avais pas de doute pour ça. « Si c'est le chef qui le dit alors je crois bien que je vais suivre ses suggestions. » Il était le mieux placé pour savoir ce qu'il y avait de meilleur dans ce qu'il cuisinait. Et pas forcément en te proposant de prendre le menu le plus cher, c'était bien ça un grand chef. Savoir ce qu'aimaient les autres pour pouvoir leur offrir ce qu'ils voulaient ou s'en approcher le plus en tout cas.

L’avis de son ami comptait beaucoup pour Carlisle. Il lui avait tellement parlé de son projet, de ses idées, de ce qu’il voulait faire. Il avait eu un peu peur qu’après il ait été déçu du résultat et qu’il soit moins beau que ce que Carlisle lui avait fait espérer. Mais il semblait content, il faut croire que cela ressemblait bien à ce qu’il avait en tête. Le jeune homme était plutôt fier de son restaurant. Il faut dire qu’il avait bossé chaque petit détail pour que tout soit parfait et qu’il n’ait aucun regret. « Merci » répondit-il simplement aux compliments de Maxwell. La carte semblait lui convenir aussi bien que l’ambiance. A l’autre monde il n’y a pas de grands menus avec une dizaine de plats qui défilent et où on a du mal à tous les finir. Non, il y a tout au plus un menu entrée plat dessert mais ça s’arrête là. Il n’a pas envie de pousser les gens à la surconsommation et au gaspillage, c’est important pour lui. S’il y a des restes à la fin du service il en fait don à une association ou aux gens dans le besoin. C’est important pour lui d’offrir plus que de la nourriture aux gens, il veut aussi les faire réfléchir sur leur mode de consommation et de vie.
Finalement Maxwell se laissa tenter par les recommandations du jeune cuisinier. « C’est noté ! » dit-il en notant sa commande à la suite des autres. Carlisle repassa derrière les fourneaux, son ami non loin de lui à la table se trouvant à côté de la cuisine ouverte sur la salle. Il reprit la confection des repas pour les autres clients avant de revenir à Maxwell pour discuter un peu. Lorsqu’il s’agit de cuisine le jeune homme est très concentré pour ne louper aucun détail mais il arrive également à maintenir une conversation. Cela lui a demandé du temps mais lorsqu’on travaille dans un restaurant étoilé parisien il faut être attentif à tout. « Comment vas-tu ? » demanda-t-il en relevant un instant la tête. Cela fait un petit moment qu’ils n’ont pas pris de nouvelles alors il espère que son ami va mieux que la dernière fois, même s’il comprend bien que perdre la personne qu’on aime, surtout de cette manière, n’est pas facile.

Lorsqu'il s'agissait de nourriture, on ne pouvait pas dire que tu faisais la fine bouche. Enfants, vos repas n'étaient pas toujours très variés mais votre mère faisait de votre mieux pour que vous puissiez goûter différents aliments, en fonction des saisons surtout mais aussi pour vous apprendre à aimer la cuisine. Et puis la bonne cuisine, parce que mine de rien, votre mère était une cuisinière hors-paire. Tu n'avais pas son don pour la cuisine, mais tu savais l'apprécier. Et puis si tu suivais une recette, tu t'en sortait toujours pas trop mal. Fleur aurait même pu en témoigner. Cette pensée te fit sourire, quelque chose qui ne t'arrivait pas assez selon toi. Alors quand elle était là, tu tendais la main pour la saisir. « Disons que je me laisse moins abattre ! » La question était à prévoir et tu t'étais préparé à simplement sourire, sans en dire beaucoup plus. Tu avais envie de profiter de ta soirée sans trop te prendre la tête. Peut-être une fois que tu aurais fini de dîner, pour l'instant tu voulais garder cet instant de simplicité. Tu en profitais alors pour reprendre rapidement la parole. « Ça cartonne comme ça depuis l'ouverture où il y a des jours plus creux que d'autres ? » Tu n'avais pas vraiment la moindre idée de comment fonctionne la restauration et tout ce qui implique de gérer un tel business, mais tu étais un grand curieux et comme toujours, tu avais envie d'en savoir plus. C'est comme ça que tu avais pu entendre parler pendant longtemps de son rêve qui était enfin devenu réalité. Pour toi la salle te semblait bien remplie mais peut-être que pour lui, ça ne serait pas suffisant, qu'il pourrait en manquer trois-quatre ou alors une dizaine pour ne pas perdre de l'argent.

Carlisle se disait bien que vu la situation de son ami, soit les gens lui demandaient toutes les cinq minutes comment il va de peur que son état n’empire ou bien qu’ils n’osent rien dire et ne posent jamais la question. Mais le jeune homme n’est pas du genre à y aller par quatre chemins, il peut même se montrer trop franc parfois. Heureusement son ami ne prend pas la mouche et lui répondit de manière évasive, ce à quoi le jeune cuisinier répondit par un hochement de tête. Il n’avait pas besoin d’en savoir plus, d’autant que Maxwell n’avait pas l’air de vouloir en dire bien plus, ce qu’il comprend. Il sait combien cela peut être plaisant d’oublier le temps de quelques instants des souvenirs douloureux. Même si ça peut être utile d’en parler, ça l’est aussi de laisser les choses passer et penser à autre chose. La discussion repartit rapidement sur le restaurant et plus particulièrement sur la fréquentation de celui-ci. De nos jours grâce aux sites de voyage et de notation en ligne, il est facile de faire et défaire la réputation d’un restaurant. Heureusement, jusqu’à présent Carlisle bénéficie de remarques plutôt élogieuses et grimpe vite dans le classement des restaurants de Bowen (qui ne sont pas bien nombreux, il faut bien l’avouer). « Globalement ça va plutôt bien mais bon y’a toujours des jours creux. J’suis plutôt content, les clients partent satisfaits en général. » Bien sûr il y a toujours deux trois personnes qui ne peuvent pas s’empêcher de tout critiquer et qui ne seront jamais contents, mais le jeune homme ne se laisse pas abattre par ce genre de remarques. Il profite d’ailleurs de la discussion pour préparer les plats des clients car il ne peut pas se permettre de les faire attendre. Il en profite également pour faire l’entrée de son ami. Comme c’est un homme très organisé, il sait parfaitement dans quel ordre faire chaque chose pour servir le plus rapidement chaque personne. Une partie est faite en avance, tout en conservant au maximum la fraicheur des aliments. Bien vite l’entrée arrive sur le comptoir. « Et voilà ton gaspacho ! » annonce-t-il tout souriant.