lightning & thunder

Je suis pas du genre à me prendre la tête ou à me friter pour un rien mais la semaine dernière, j'y ai été obligé. J'avais réussi à conclure avec une jolie petite brune, Malia. Juste après avoir consommé, j'ai voulu me rendre à la salle de bains et j'ai malencontreusement fait tomber un cadre. Ce dernier s'est pété sur le sol. Je me suis excusé et j'ai essayé de le remettre au mur mais elle n'a rien voulu savoir. Elle s'est emballée, j'ai répondu, on s'est gueulé dessus. Au final, je me suis tiré avant qu'elle ne commence à me balancer des affaires dans la gueule. Je crois que j'ai bien fait parce qu'on en était pas loin. Tout ça pour dire que j'ai choisi, ce soir, de poser mon cul en boîte de nuit avec un pote et sa copine. On est samedi soir, il est à peine minuit et c'est calme. C'est ce qui me permet de la repérer au comptoir, en train de se prendre un verre. Malia, en personne. Je peux pas m'empêcher de sourire en la voyant. C'est con parce que c'était bien parti entre nous. Il a fallu que l'alcool me punisse. L'alcool et ma maladresse légendaire.

« J'reviens. » lançais-je aux deux tourtereaux avant de lever mon cul du divan pour rejoindre le bar. J'ai soif et j'ai envie d'en savoir plus. Depuis le temps, elle doit être calmée. Je me faufile entre les piètres danseurs du soir. Je repère aucun accompagnant. La connaissant, je me doute qu'elle n'est pas venue seule. Je me méfie. Ça m'est déjà arrivé de faire ça et de tomber sur le mec de la fille en question. Son mec depuis plusieurs mois/années. L'angoisse à l'état pur. Je me pose à un mètre d'elle et j'intercepte la serveuse qui me passe devant. « Yo' ! T'aurais un p'tit whisky pour moi ? Comme d'hab', sans glace. » Les serveurs, je les connais tous et c'est réciproque. Je peux me permettre. Mon grain de voix semble sortir la brunette de son mutisme. Elle tourne la tête vers moi et j'en profite pour faire de même. Nos yeux se croisent et je souris, malgré moi. « À la recherche d'un mec plus adroit, c'est ça ? » Voilà ma déduction de sa présence ici. Un gros raccourci, certes. Mais je tente la carte de l'humour. Sur un malentendu, ça peut passer.

Je la connais pas assez pour prédire une réaction en particulier mais l'air qu'elle prend annonce déjà la couleur. Je crois qu'elle m'en veut encore. Pourtant, j'ai pas fait grand chose à part lui provoquer un orgasme et lui briser son cadre. Plus et moins, on m'a dit que ça faisait moins mais nous ne sommes pas en cours de mathématiques. Je comptais sur une redescente. Depuis le weekend dernier, j'ai l'impression que rien a changé. La serveuse me tend le verre de whisky et je lui réponds en lui filant un petit billet et un sourire. Mon attention se reporte ensuite sur Malia. J'ai commencé à jouer la carte de l'humour, j'aurais tort de ne pas continuer.

« Tu cherches la tranquillité dans une boîte de nuit ? Original. » Quand je la cherche, j'ai plutôt tendance à aller me balader dans un parc en pleine journée ou à zoner près d'une zone désaffectée la nuit. Il faut dire que j'ai pas vraiment l'habitude de chercher la tranquillité. C'est pas ma spécialité. « J'veux juste comprendre pourquoi tu m'en veux à c'point. Ça va, c'est qu'un cadre. Si tu cherchais un moyen d'me faire dégager, sache que j'comptais pas rester dormir... » La fierté masculine, à l'état pur. Je continue à lui parler alors qu'elle ne veut pas. Je sens que l'embrouille peut repartir à tout moment mais ça ne me freine pas. Après tout, j'ai rien de mieux à faire. Mon petit couple s'amuse bien sur le sofa et j'ai pas l'intention de revenir les déranger aussi vite.

Décidément, je vais finir par penser que j'ai profané la toile d'un célèbre peintre, que j'ai déclenché une affaire d'état. Son air méprisant me fait du mal. J'essaie de rester droit dans mes bottes. J'ai pas l'habitude des conflits. Je suis du genre à régler les problèmes par quelques sourires et diverses blagues. Ce coup-ci, ça ne fonctionnera pas. Elle est bien trop remontée. Si ses yeux balançaient des éclairs, je serais déjà foudroyé sur place. Sa répartie est cruelle. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je pourrais lui rentrer dedans mais je veux pas envenimer les choses. Pour que ça se règle, il faut que l'un de nous deux fasse le premier pas. Et j'ai l'impression qu'elle n'est pas décidée à le faire. Journée de la femme oblige, il va falloir que je me retrousse les manches et que je mette ma fierté de côté. Dur mais faisable.

« C'est pas mon intention. » Je viens en paix. J'agite le drapeau blanc, à ma manière. Ses dernières paroles sont claires et violentes. Je dois me casser. Sauf qu'ici, je suis un peu chez moi et j'ai pas envie de me tirer. Malia finit par se lever et me tourne le dos mais je suis un rapide. J'ai le temps de lui attraper le bras pour qu'elle reste avec moi. C'est dangereux mais je peux pas faire autrement. La laisser se tirer serait un aveu de faiblesse. « Je m'excuse, j'suis désolé, j'suis prêt à réparer ma connerie, ça te va ? » J'essaie de capter son regard mais c'est compliqué. Il est fuyant. Elle est remontée. « Assieds-toi Malia et parle-moi, s'te plait. Dis-moi au moins pourquoi tu m'en veux à c'point ! » N'ayant joué aucune fausse note avant d'avoir fait tomber le cadre, je suppose que l'intrigue par de là. « Elle était de qui c'te toile ? » Une réponse qui pourrait solutionner toutes les inconnues.

Je peux prendre sur moi et rester cool pendant plusieurs minutes. Lorsque le délai est expiré, je suis capable de péter un boulon à tout moment et ça, il faut me connaître pour le savoir. Je suis gentil, souriant, taquin mais quand on devient méchant avec moi, je peux mordre, jusqu'au sang. Malia n'est pas tendre. Je prends sur moi et je garde mon calme. J'essaie de débloquer la situation, de sortir de l'impasse. Elle part mais je la retiens et je lui pose la question. Pourquoi ? Pourquoi tant de haine alors que ça partait bien ? Si elle voulait juste se faire tirer, il fallait penser à me prévenir avant. Je suis pas du genre à tourner le dos quand j'ai fait ce que j'avais à faire. Je suis attachiant. Normalement. Avec elle, ça prend pas. Voilà qu'elle veut maintenant m'envoyer son verre dans la gueule. Là, ça devient méchant et les nerfs se crispent. « Vas-y, essaie ! » Je devrais pas la provoquer mais c'est plus fort que moi. J'ai fait une connerie mais j'ai pas non plus tué ses parents. C'est rien, putain. Je comprends pas et ça me rend encore plus aigri.

J'apprends que la toile vient de son frère mais entre temps, je me reprends quelques remarques désagréables dans la gueule. Elle parvient à se défaire de mon étreinte. Elle a de la chance que je sois bien élevé, que je ne m'en prenne pas aux femmes. Un autre n'aurait peut-être pas eu ma retenue. « Non, j'suis pas content, putain. D'où tu m'parles comme ça ? T'as cru que j'étais un clébard ? » Je suis censé la laisser tranquille. J'ai eu ma réponse mais ça m'en dit pas plus. Son frère, ok. S'il est si habile de ses mains, il pourra lui en refaire une. Sinon, elle me demande de lui repayer un cadre et on en parle plus. En soi, la toile n'a rien eu. « Tu m'en veux, t'sais même pas pourquoi. T'sais quoi ? Va t'faire foutre Malia ! Toi et ta toile de merde ! » Là, sans le savoir, je viens de dépasser les bornes. Mais je peux pas contrôler mes nerfs. Le verre, je risque de me le ramasser dans le nez. Au mieux. Au pire, ce sera une table ou un coup de pied dans les couilles.

Je lève le sourcil. Celui qui sous-entend qu'il lui manque une paire de couilles entre les jambes pour me jeter son verre à la figure. Je veux bien être sympa mais y a des limites. Me faire un tel flan pour un cadre qui s'est décroché de son mur, ça pue l'embrouille à plein nez. J'aimerais qu'elle me parle, qu'elle m'explique mais au lieu de ça, elle se braque. Pire, elle prend la mouche. Je fais le malin jusqu'à ce qu'elle active le gong. Une claque magistrale qui retentit à plusieurs mètres à la ronde. Les gens se retournent, s'arrêtent et observent. Je m'en suis mangé une belle. Une qui laisse des traces. Par fierté, je me frotte pas la joue. Je la vois qui se lève et qui se barre. Bon choix. Le truc, c'est qu'elle arrive à retourner la situation en quelques mots. Je l'écoute et je tombe de haut. Son défunt frère. C'était à moi de faire la victime mais je me retrouve dans le rôle du bourreau. J'ai souillé ce souvenir-là. Je viens de m'en prendre une mais je suis presque enclin à culpabiliser. Le con. Je la regarde partir. Elle sort carrément de la boîte. Prendre l'air est un bon choix. J'ai pas le temps de réfléchir. Je profite de l'élan et je la suis, à plusieurs secondes d'intervalle. Je la retrouve là, dehors. J'en profite pour m'en allumer une et je m'approche. Je peux plus vraiment lui en vouloir. « C'est pas en gardant ça pour toi que ça ira mieux. Je t'ai dit que j'étais désolé, merde. Tu devrais en parler Malia. J'suis pas qu'un connard sans cœur. » Je maîtrise pas vraiment ce qui sort de ma bouche. Je parle sans calculer ce que je dis. « J'vais t'retrouver le même cadre. » Il n'aura peut-être pas la même saveur mais le plus important, c'est la toile qui siège à l'intérieur.

En peu de temps, on se retrouve tous les deux en dehors du nightclub. J'en oublie ce que j'étais venu chercher ici. Me foutre la tronche à l'envers et ne pas penser au lendemain. Malia occupe mes pensées. J'ai pas l'habitude de me brouiller avec les filles. Les mecs, oui. J'ai ma fierté et mon caractère. Ils ne sont pas toujours acceptés. Ce qu'elle m'a dit m'a fait réagir. Il ne s'agit pas que d'une toile. Il s'agit d'un tableau réalisé par son frère qui a trouvé la mort. Je m'en veux de ne pas avoir fait le rapprochement même si je sais que ça m'était impossible. Je lui en veux aussi de ne pas me l'avoir dit plus tôt. Est-ce que je peux le lui dire ? Non. Je veux pas rajouter de l'huile sur le feu. On s'était bien amusé avant de finir chez elle. Ça me fait chier que ça se finisse comme ça. Avec son joint à la main pour calmer ses nerfs, elle me fait sourire. Son mauvais caractère est à l'honneur. « C'est faux. Tu m'as pas encore dit que t'étais désolée de t'être emportée aussi violemment... parce que j'étais pas censé savoir tout ça. » De mon point de vue, je méritais pas tout ce qu'elle m'a dit. Je lui propose de lui trouver et racheter un cadre similaire mais ça ne semble pas faire mouche. Elle me repousse avec son doigt et je sens l'herbe qui vient me chatouiller les narines. Elle me fait sourire, encore. Je peux pas me résoudre à la snober. « Tu m'fais tirer ? » lui demandais-je en désignant le joint qu'elle tient entre ses doigts. Je suis pas un gros fumeur mais en soirée, je ne me prive pas. « Je t'achèterai un sachet avec le cadre, c'est mieux ou pas ? » Je cherche à la faire réagir, à la faire sourire. Je ne veux pas que ma présence soit une plaie pour elle. Si on enlève un geste maladroit, je n'ai rien fait de mal.

Pas commode la petiote. Dans mes souvenirs, elle était beaucoup plus docile avec un coup dans le nez. Maintenant que je sais pour son frère, tout s'éclaire. Je me sens plus léger et je dois pas être le seul. C'est ce que je me dis mais ce que je vois ne me rassure pas. Toujours braquée, elle lâche pas le morceau et continue à me menacer. Sa main pourrait revenir claquer ma joue. Ça ne me dérange pas. Après tout, je commence à y prendre goût. C'est pas comme si elle avait ma force. « Pas grave, je ferai sans. » Sans ses excuses. De toute manière, j'ai pas vraiment le choix. « On va pas r'faire le match. J'pouvais pas deviner d'où il venait ce tableau ! » Outre le coup de maladresse, c'est vrai que je n'ai jamais lâché le morceau. Pourquoi ? Parce que je commence à la cerner et son caractère me plait bien. J'aime le feu, les flammes et les explosions. C'est mon truc. J'aime aussi vivre dangereusement. « Allez, file-moi ça ! » Je finis par récupérer le joint et tirer quelques barres dessus. C'est agréable. Ce petit goût de verdure me plait toujours autant. On dit que ça adoucit les mœurs. Réponse dans quelques minutes. « J'comprends mais j'lâcherai pas le morceau. Si tu veux pas que j'achète n'importe quoi, t'as qu'à venir avec moi et tu l'choisiras, toi. Après ça, tu seras libre de n'plus voir ma gueule. » Tenace ? Non, téméraire et masochiste.