No time for losers !

J'adore les défis et je kiffe les compétitions. Je pouvais clairement pas passer à côté d'un tel évènement. Une course d'obstacles, en duo, sur la plage. Quoi de mieux pour se mettre bien ? C'est avec un short par-dessus un collant sombre et avec deux traces de cirage sur chaque joue que je me présente au départ. Les équipes sont tirées au sort. Je me retrouve avec un certain Jeff. Jeff, australien. Ça me fait tilt, j'en connais un. Un pompier qui m'avait sauvé les miches lors d'une course en Californie, y a de ça plusieurs années. Venant du même pays, on avait sympathisé mais nous n'avions pas eu la chance de nous recroiser. Quand je le vois, y a plus aucun doute sur la personne. C'est bien lui et ça me fait plaisir. Un grand sourire se pose sur mon visage quand je vois sa tête et que je viens lui claquer la main avec une belle dose de force et un soupçon de virilité. Il me provoque, il me cherche. Il veut me transcender mais il doit savoir que je n'ai pas besoin de ça pour tout donner. Je suis un sportif, un compétiteur. Je fume trop mais avec tout ce que j'avale comme effort, ça ne me fait rien. Pas encore.

« Hogan, t'sais à qui tu parles là ? » À un champion, à un mec qui ne lâchera jamais rien jusqu'à la ligne d'arrivée. À un mort de faim, à une machine de guerre. La tension retombe quand il m'avoue avoir fait son resto. Ça me fait rire. Pourquoi ? Parce que j'ai fait bien pire et je compte bien lui dire. « C'est tout ? J'suis rentré à 4h c'matin mais ça va pas m'empêcher de les humilier un par un ! Et toi non plus ! » Un pompier, je pouvais pas rêver meilleur partenaire. Je le regarde dans les yeux et je lui fous ma main dans le dos afin d'avancer vers la ligne de départ. Le coup de feu retentira dans cinq minutes. Le temps pour nous de nous placer et de refaire un peu le monde en attendant que tout le monde soit prêt. « Une femme, j'ai bien entendu ? T'es marié ? » Il a mon âge. Et quand je vois où j'en suis dans ma vie sentimentale, ça me surprend toujours d'entendre ce mot sortir de la bouche d'un mec.

Jeff, je l'ai connu dans l'exercice de ses fonctions. C'est lui qui m'a foutu dans le brancard quand je me suis cassé la jambe sur un mauvais saut. En fait, je me suis surtout fait pousser en l'air par un concurrent et ça, c'est monnaie courante dans toutes les courses aux États-Unis. Une mentalité assez spéciale. Très individualiste. Bref. On avait sympathisé dans le fourgon qui m'a mené jusqu'à l'hôpital. J'ai su très vite qu'il était australien, comme moi. Sauf que, j'étais shooté. Je me souviens de sa gueule, de son prénom mais pas de tout non plus. Je me souviens pas vraiment de quoi on avait parlé. On s'était revu quelques jours plus tard. Il était venu prendre des nouvelles. Là, je m'en souviens très bien. Un bon mec, bon vivant. Le retrouver ici est un plaisir surtout que je n'ai aucun doute sur nos futures performances. Mon hygiène de vie est merdique mais j'ai toujours été sportif et lui, en tant que pompier, je me doute qu'il s'entretient. La carcasse ne ment jamais. Il n'y a que le voir. « J'suis jeune dans ma tête, c'est tout. » Sauf que, arrivé à un certain âge, ça ne suffit plus. Les blessures arrivent plus vite. Je sens que mes jambes sont lourdes et que le manque de sommeil n'y est pas pour rien. Au niveau de l'alcool, j'ai réussi à me limiter. J'attends que la course se lance pour me faire une idée précise de mon état de fatigue. Au pire, y a Jeff qui peut compenser. Son restaurant ne pèse pas lourd à côté de la soirée que j'ai passé. De la forme, il doit bien en avoir pour deux. En attendant, je fais illusion. Et je pose des questions. « Moi qui te voyait comme un vrai pompier, un coureur de jupons... j'suis déçu ! » Le savoir bientôt marié me fait encore percuter sur mon statut à moi. Éternel célibataire qui se nourrit de relations d'un soir. J'ai bientôt trente ans et j'en suis encore là. « T'inquiète, j'prendrai pas le risque ! » De la casser en deux et de devoir me confronter à sa copine qui risque de venir me tirer les oreilles. « C'est un tyran, c'est ça ? Tu te tires une balle dans le pied, poulet ! » Un petit surnom affectueux. On se connait pas beaucoup mais on sait tous les deux que ça matche entre nous. Même état d'esprit. Je peux me le permettre mais alors qu'on refait le monde, les équipes commencent à se mettre en place. « Bon, t'es prêt ? J'suis pas venu là pour trier les lentilles... » Je lui tape sur l'épaule pour qu'on avance et qu'on se mette en place. Le coup de feu ne devrait plus tarder à retentir. Au loin, j'aperçois le premier obstacle sur le sable encore frais de la plage. Il n'attend que moi, que nous.