concho ∇ j'appelle pas ça voler, j'appelle ça tomber avec panache

Ça vous est déjà arrivé d’essayer de vous trouver des excuses pour ne pas aller à quelque part ? Pour ne pas sortir de chez vous puisque vous préféreriez largement rester confortablement sur votre divan ? À moi, ça ne m’arrivait pourtant pas si souvent. Quelques fois, par-ci, par-là, quand je manquais de motivation pour un peu tout. Mais ces derniers temps, on aurait dit que j’évitais Zelda, à force d’inventer des histoires bidons qui faisaient en sorte que je ne pouvais la voir comme prévu. J’étais nul, j’en avais conscience, et c’est pour ça que cet après-midi j’avais décidé de ne pas jouer à ce jeu-là alors qu’elle ignorait qu’on y jouait. J’avais donc convenu que je me rendrais chez elle vers le milieu de la journée et qu’on passerait la soirée ensemble. Sauf que, comme un signe du destin, au même moment où je sortais de l’appartement, mon regard croisa celui d’Eirik, le frère de Freja. Ce n’était pas tant cet échange de regards qui changea la trajectoire de ma journée que la monumentale chute à vélo qui s’en suivit pour le blond. « Oh shit ! » Lançais-je avec surprise en le voyant s’écraser sur le trottoir sur toute la largeur de son corps, tête première. La poubelle de métal eut certainement moins mal que lui, même si elle roula jusqu’au milieu de la rue dans un brouhaha qui fit aboyer le chien des voisins. En fait, pour le coup, même si j’étais un grand fanatique des drôles de vidéo de gens qui se pètent la gueule, la situation n’avait rien de drôle parce que j’ignorais dans quel état il était. Et le génie ne portait pas de casque de protection ! Je descendis les marches rapidement, rejoignant le blond avec inquiétude. « Hé, Eirik, ça va ? Rien de cassé ? » Demandais-je en regardant tous ses membres, au cas où. Il avait l’air en un seul morceau, mais son visage et ses coudes étaient égratignés jusqu’au sang. Je grimaçai légèrement face aux dégâts, avant d’esquisser un léger sourire en voyant qu’il ne s’était pas plus gravement blessé. « J’fais généralement pas autant effet, pourtant. Les gens se contentent habituellement d'un seul coude, pas les deux. » Lâchais-je dans un doux rire.  

Signe que rien n’était cassé et que son crâne n’était pas ouvert sur le trottoir, Eirik avait réussi à se redresser tant bien que mal. Je pouvais retirer ma main droite de ma poche arrière de jeans, prête à en tirer mon téléphone portable pour composer le numéro d’urgence. Le norvégien figea ses grands yeux bleus dans les miens, regard que j’avais toujours trouvé tellement différent de ceux si foncés des jumelles Ivanova. « Ça pique un peu ? C’mon, entre ça ou un dragon qui te crache du feu à la gueule, il doit pas y avoir énormément de différence. » Je ris. En même temps, moi, je n’avais pas une grande résistance à la douleur. Je me coupais avec une feuille de papier et je grognais comme si on venait de me trancher le bras au complet avec une scie. Mais quand même, ça n’avait pas l’air d’être une petite balade dans les prés, son truc, à Eirik. Je l’aidai à se relever un peu plus, jusqu’à le remettre complètement sur pieds avec un petit élan. Je ris à mon tour un peu jaune à la réplique d’Eirik. Des cœurs, j’en brisais, sans même le vouloir. J’aurais préféré réellement égratigner des coudes, pour dire vrai, plutôt que de faire mal à ceux que j’aimais, et qui m’aimaient. « Et si j’te disais que j’arrive à faire les deux, comme un champion ? » Répondis-je du tac-au-tac, avec bien peu de fierté dans la voix pourtant, malgré le mince sourire sur mes lèvres. C’était plutôt un sourire triste, avec des sourcils légèrement haussés, comme un animal un peu perdu. « Au moins j’sais réparer quelques-unes de mes gaffes. Comme par exemple là, maintenant, tu m’suis et j’te nettoie un peu ça. Si tu te promènes dans les rues avec le visage en sang et plein de petites roches de trottoir, les gens vont croire à l’apocalypse des zombies. » Je lui fis signe de me suivre, avant de ramasser son vélo par terre et de le monter avec moi. Je le posai contre le mur en rentrant, dans le court couloir adjacent à la cuisine et qui débouchait sur le salon. « N’importe quoi, on n’a pas fait le ménage depuis qu’on a loué. J’parie que les filles ont fait plus de taches de sang sur nos divans et nos chaises que tu pourrais en faire là. » Dégueu. Mais un petit peu drôle aussi. Même si complètement faux. Je laissai Eirik dans la salle à manger le temps d’aller chercher le nécessaire dans la petite pharmacie de la salle de bain. En refermant la porte en miroir de la pharmacie, je remarquai que mon chandail était taché de quelques marques de sang. Je revins avec notre boîte de premiers soins, pointant les marques rouges sur le blanc de mon t-shirt. « Ok, finalement, je reconsidère ma réponse. Tu t’assois nulle part. » Je posai la boîte métallique rouge sur la table puis j’enlevai mon chandail, passant derrière le comptoir de la cuisine pour passer les taches sous le robinet.  

C’était assez flatteur, ce qu’il venait de me lâcher là, Eirik. Ça me soutira même un petit sourire bête, parce que c’était certainement le genre de compliment qui fait du bien, même quand tout autour semble s’assombrir, s’effondrer. Je continuai à sourire en le regardant un moment, avant de sortir de ma tête. « C’est gentil. » Avais-je tout simplement dit, parce que ça l’était, c’est tout. Je n’allais pas m’étendre à qualifier mon sourire. De toute façon, il y avait plus urgent que ça, à voir l’état du visage d’Eirik. Je n’hésitai d’ailleurs pas plus longtemps à lui ordonner – ou presque – de me suivre en haut, chez nous, pour lui nettoyer un peu toutes ces égratignures. Autrement, on risquait de le voir passer aux nouvelles comme étant le patient zéro de l’apocalypse. « C’est sûr, on est loin de The Walking Dead. Tu m’donnes pas le goût de vomir, si c’est ce que tu veux savoir. » Je ris légèrement, avant de l’aider à se relever et de monter son vélo jusqu’à l’étage. Il connaissait bien le chemin pour l’avoir fait à plusieurs reprises, pour visiter sa sœur. D’ailleurs, connaissant leur relation, tout ça, je me permis une petite blague qui incluait malheureusement Tahlia, du même coup. Mais personne ne m’entendait, d’ici, raconter ces balivernes. Bien sûr toutefois, le blond se ferait un plaisir de rapporter mes paroles à sa sœur ! « Et moi qui pensais que nous avions quelque chose de spécial, toi et moi … mais non, tu me trahis à la première occasion ! » Dis-je en grimaçant, l’air triste, joignant mes mains contre mon cœur. Mon petit théâtre se termina bien vite alors que je passai à la salle de bain pour récupérer la trousse de premiers soins, réalisant du même coup que j’étais complètement taché de sang, sur mon chandail blanc. J’allai porter la petite boîte sur la table avant de m’occuper de ça, faisant tremper le tissu dans le lavabo pour éviter que les dégâts soient irréparables. Eirik, l’air tout gêné tout d’un coup, s’excusa. Je relevai les yeux vers lui, de l’autre côté de la pièce. « T’inquiètes. C’est genre un vieux chandail acheté chez Big W. En rabais en plus. » Ce qui voulait dire que ce n’était pas une très grande perte. Mais je tenterais quand même de le sauver, pour le principe. Dès que je fermai l’eau du robinet, j’entendis quelques gémissements de plaisir provenait du couloir où se situaient autant les chambres de Tahlia que de Freja. Et je n’avais pas de doctorat en reconnaissance de cris de jouissance, alors je ne savais pas trop reconnaître qui c’était. Si ça se trouve, c’était Florian qui avait ramené une demoiselle, aussi. « Attends, j’t’ai même pas nettoyé toi. T’es pas venu jusqu’ici juste pour me voir nettoyer mon chandail. » Je lui fis signe de me suivre. « Ma chambre est de l’autre côté, on va les laisser finir en paix … et nous aussi du coup on sera en paix … d’esprit. » Je pris à nouveau la trousse de premiers soins, traversant l’appartement jusqu’à ma chambre. Je laissai Eirik rentrer avant de fermer la porte, coupant le bruit. « Aaah, ces colocs. Ils sont incontrôlables. » Je secouai la tête, un sourire au coin des lèvres.   

Même la porte fermée, on pouvait encore entendre quelques gémissements étouffés. Je soupirai en secouant la tête. Je me souvenais, à présent, pourquoi je ne restais jamais à l’appartement quand l’une des filles était en journée de congé ! Je connectai mon téléphone à mon petit haut-parleur bluetooth, et je lançai une playlist au hasard. Africa, de Toto, commença à jouer, donnant une bien meilleure ambiance que les bruits d’orgasme des deux autres, là-bas. Je me tournai à nouveau vers Eirik, balançant légèrement la tête au rythme de la musique. Le blond, lui, semblait ne pas trop savoir où se mettre. Il était aussi coincé juste parce qu’il avait peur de foutre son sang partout ? Je lui tirai une chaise de mon bureau, qui était dans un matériau que je pourrais aisément laver, si jamais. « Tiens, tu peux t’asseoir, c’est blood proof. » Je souris, avant de me diriger vers mon tiroir pour me sortir un chandail propre, que j’enfilai. « Bon te frotte pas trop à moi par contre cette fois. » Dis-je sur le ton de la plaisanterie, maintenant que j’avais un t-shirt qui avait un peu plus d’allure. Je m’assis sur le bout de mon lit, face à Eirik assis sur la chaise, et j’ouvris la trousse de premiers soins alors qu’il me parlait d’abandonner le vélo. Je ris. « Eh bien, si c’est pas la première fois que ça t’arrive, alors j’en dirais que c’est pas une mauvaise idée … » J’haussai les épaules. « Mais sinon, les accidents, ça arrive. Tant que tu portes un casque, les prochaines fois. » Ajoutais-sur d’un ton un peu moralisateur, lui lançant un regard plus sérieux. Je versai un peu de liquide désinfectant sur une petite lingette, et je tâchai de ne pas trop faire mal au frère de Freja alors que je nettoyais la plaie, enlevant les petites roches coincées ainsi que le sang. « Désolé. » M’excusais-je en grimaçant, le voyant lui-même grimacer de douleur. J’allais continuer à parler pour lui changer les idées, mais il me fit de lui-même la conversation, parlant de moi. Je souris quand il parla de mon organisme. Ma plus grande fierté. « Head Ahead, ouais ! C’est gratifiant, c’est sûr. Enfin, disons qu’au départ, j’ai eu un sacré coup de main … autrement, je suis pas certain que le centre aurait pu voir le jour. Je n’en parle pas souvent, mais … j’ai gagné à la loto. » Avouais-je, guettant la réaction d’Eirik. « Et comme j’viens d’une famille qui n’avait jamais eu grand-chose, j’savais pas quoi faire d’un aussi gros montant alors … j’ai décidé de l’utiliser pour venir en aide à des jeunes qui proviennent de milieux comme moi … » L’argent, ça pouvait aider, oui, mais l’entraide, l’écoute, le soutien, ça pouvait faire de bien plus grands miracles encore. « Sinon, ouais, je danse. À la base c’était que ça, des cours de danse pour permettre aux jeunes de s’exprimer, mais au fil du temps j’ai trouvé des gens prêts à s’impliquer dans d’autres types d’art. Alors … si t’as un talent particulier et un peu de temps à donner, t’es le bienvenu pour donner des ateliers, si tu veux. » Proposais-je, innocemment.   

Fallait pas me lancer sur le sujet de Head Ahead, j’étais inarrêtable. En même temps, c’était mon bébé, mon projet auquel j’avais donné naissance il y avait de cela quatre ans maintenant, alors forcément mes yeux s’illuminaient lorsqu’on me questionnait sur le sujet. Je tentai toutefois de ne pas trop m’étendre dans un monologue sur la question, parce qu’Eirik m’avait posé une simple question qui ne nécessitait qu’une simple réponse. Il avait au moins l’air d’avoir un réel intérêt pour mon organisme et mon art, ce qui ne pouvait que me faire plaisir. Alors, quand il me dit qu’il aurait bien aimé voir comment je dansais, je n’hésitai pas : « T’auras qu’à venir faire un tour ! Bon, quand ce sont les ados qui font leurs chorés c’est pas trop accessible aux autres, mais sinon, j’profite des locaux pour danser de temps en temps. Ah bah justement, tu dois connaître Harmonie, la genre de fausse jumelle de ta sœur ? Je danse avec elle, tu pourrais assister à une répétition, j’suis certain que ça ne la dérangerait pas. Et puis, un point de vue extérieur pour commenter nos chorés, ça peut être cool aussi. » Je m’emportais, il avait peut-être dit ça juste pour être poli et intéressé, Eirik. Là, il n’avait plus trop le choix de venir y assister, un de ces quatre. Je m’étais montré un peu insistant, à croire que je tenais à tout prix à sa présence. Et en plus j’en remettais avec ma proposition de lui ouvrir une place pour ses talents. Je ris à sa réponse. « C’est pas tant enseigner que partager … C’est toi qui vois, mais l’offre est là. Si t’as envie de faire des ateliers de photos ou d’écriture. Tu serais surpris de voir à quel point ces jeunes-là sont ouverts à découvrir et à explorer de nouvelles choses. C’est beau à voir. » Dis-je avec une pointe de fierté dans la voix. Je les avais vus évoluer, ces jeunes-là. Certains partaient, d’autres arrivaient, c’était le cycle de la vie. Je terminai finalement le pansement d’Eirik, et tapota tout autour – avec douceur – juste pour m’assurer que ça tiendrait bien. « Voilà, you’re good to go ! » Je souris, me tournant de côté afin de ranger ce que j’avais sorti de la trousse. « T’inquiète, du temps et des t-shirts, j’en ai. » Je souris. « Je t’aurais bien invité à rester un peu, prendre un verre et continuer à se parler un peu, mais j’me doute que les circonstances sont pas trop propices à ça. » Dis-je en référence à ce que nous avions entendu quelques minutes plus tôt.

Je sentais qu’Eirik avait un réel intérêt pour ma proposition, alors forcément, je me sentis flatté et surtout j’étais content d’avoir un potentiel public pour nos performances à Harmonie et moi. Freja aussi avait manifesté son intérêt à assister à l’une de nos répétitions. Comme quoi, les Ivanova avaient un petit quelque chose pour la danse, du goût quoi. Ils auraient même pu venir tous les deux ensemble, pourquoi pas. Ce serait peut-être moins gênant que de danser devant une seule personne. Je soulèverais l’idée plus tard, après avoir parlé à Harmonie bien sûr. « Non mais même si t’y connais rien j’suis sûr que tu pourrais remarquer certains trucs qui fonctionnent moins bien ou j’sais pas. Parfois, juste d’avoir l’œil, ça suffit. » Après tout, il y avait tellement de gens qui regardaient des spectacles de danse ou des shows télévisés de compétitions, sans pour autant être des professionnels. Les gens trouvaient généralement leur mot à dire quand même. Si Eirik le faisait tout en restant constructif, j’accueillerais volontiers son avis. « J’pourrais te montrer quelques mouvements de hip-hop, ouais, avec plaisir ! J’pourrais même te montrer à pop’n’lock, j’te jure tu fais ça dans un club et t’es la vedette de la soirée ! » Lançais-je en riant. J’avais déjà essayé, j’avais donc la preuve. Je m’aventurai ensuite dans d’autres propositions, décidément bien trop à l’aise avec Eirik, lui parlant de la possibilité qu’il vienne enseigner quelques trucs de photographie à mes jeunes. Ce n’était certainement pas moi qui leur apprendrait grand-chose, y’avait qu’à regarder mon Instagram pour constater que je n’avais aucun talent. « J’suis persuadé qu’ils adoreraient, ouais. Perso’, je suis emballé par l’idée, alors réfléchis-y, et tu m’tiendras au courant. » Dis-je avec un sourire. Les jeunes étaient tellement toujours excités quand une activité les sortant un peu de la danse était organisée. Bref, le pansement était maintenant terminé, et même si je me sentais un peu mal de chasser Eirik, je me disais que c’était peut-être pour le mieux avec ce qui se passait dans la chambre l’autre côté. « Oh, bonne chance pour ton oral alors ! » Répondis-je avec un sourire. Ah, l’école. Par chance je m’en étais sorti jeune, de ça. « C’est rien. Et ouais, je parle avec Harmo et je te tiens au courant ! Et toi réfléchis pour l’atelier de photo. » Réitérais-je en le regardant prendre son vélo. Je le raccompagnai jusqu’à la porte de l’appartement, avant de le saluer. Bon, maintenant, il fallait que je me rende chez Zelda, moi.