Rencontre au café [Bonnie Williams]

Je me lève toujours de bonne heure même quand je viens de passer pratiquement à rédiger un article urgent comme cette nuit. Aider un pote journaleux fait partie de mon devoir sacré et puis je dormirai plus tôt ce soir. Ce matin, j'ai rendez-vous assez tôt pour une interview avec une personne qui souffre d'une phobie rare : La trypophobie. En synthèse, la peur des trous si j'ai bien capté. Une part de moi a très envie d'y aller comme ça, pas douchée, pas maquillée et de me camoufler sous du parfum. Les mauvaises langues anglophones disent que c'est une technique française pour ne pas aller au bain, moi je dis que c'est de la jalousie ! J'ai connu un française qui savait fort bien utiliser sa langue et après on dit que les français sont nuls en langues vivantes ! Donc j'aurais pu m'assoupir l'autre en faisant semblant de l'écouter mais ma part professionnelle est majoritaire, c'est celle du travail bien fait ! Je me douche, je mange et je me maquille juste assez pour dissimuler mes cernes. Peintures de guerre ! Me voilà prête au combat !

J'arrive au café de la plage avec un peu d'avance, c'est mon style à moi. Je gare ma moto et commande un café. Accoudé à une petite table en terrasse, je sens la fraicheur matinale sur ma peau mais ça ne suffit pas à me réveiller. J'envoie un SMS à la femme que je dois interviewer, Bonnie Williams, lui disant que je suis arrivée et qu'elle me repérera sans problème, une chinoise qui pionce, puis je m'assoupis au doux son du ressac. Je rêve d'une belle blonde douée en langues vivantes.

Un bâillement, un étirement. A peine réveillée et cette journée qui débutait.  Je me levais péniblement de mon lit, ah ce lit ! Avec le courant d'air qui entrait dans ma chambre, je serais bien restée blottie paisiblement dans mes couvertures. Mais il fallait bien se lever, et puis, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Machinalement, je pris mon portable qui se trouvait sur ma table de nuit, et je pus constater qu'il était plus tard que ce que je pensais, étant donné que j'avais reçu ce sms d'une jeune femme, une journaliste. Elle désirait en savoir plus sur la trypophobie. J'en souffrais, mais je n'étais pas une experte en la matière. J'appréhendais ce rendez-vous; et si je me foirais complètement ? Et si je passais dans du hors sujet ? Surtout qu'en tant que journaliste, elle en ferait sans doute un article. Lors de la prise de rendez-vous, j'avais insisté sur un point: l'anonymat. Je n'avais pas envie de voir mon nom dans des journaux. Je lui avais dis mon nom, mais s'il venait à apparaître sans mon accord, je prendrais clairement des mesures. Pour l'instant, je lui faisais confiance, je supposais qu'elle était au courant des risques judiciaires qu'elle encourait si elle brisait l'anonymat.

Bref, ce SMS était un signal, en deux temps trois mouvements, je sautais de mon lit pour courir vers la salle de bain. Une douche rapide, et hop je sortis entourée d'une serviette, bien que j'étais seule chez moi. Je n'avais cependant pas le temps de prendre un petit déjeuner. Une fois suffisamment séchée et habillée, j'attrapais ma veste, dans laquelle je fourrais mon téléphone, je pris mes clés de maison au vol et sortis en quatrième vitesse. J'avais de la chance: je n'eus pas à attendre après le bus, je dus même courir pour le rattraper, le chauffeur était fort heureusement bien sympathique, et il m'attendit. Le chemin sembla une éternité, je répondis alors au sms en m'excusant du retard, et en disant que j'arrivais bientôt. Le rendez-vous devait avoir lieu dans un bar près de la plage, et lorsque j'eus trouvé le bar en question, mon regard se porta vers la terrasse. Ci et là, des gens profitaient du beau temps, je reconnus rapidement mon interlocutrice, et je m'approchais donc d'elle.

- Bonjour, je suis Bonnie Williams, vous devez être la journaliste qui veut m'interviewer à propos de la trypophobie c'est bien ça ?

J'étais arrivée les cheveux au vent, j'étais déjà assez en retard, je n'avais pas pris le temps de les attacher.

Une douce voix féminine me réveille. J'ouvre les yeux et je regarde la jeune femme qui vient de me parler. Pendant quelques instants, je crois que je rêve mais non, la beauté de mes songes était moins belle. Je me sens réveillée totalement en un instant et lui souris, un sourire à mi-chemin entre le professionnalisme et la séduction. Les deux à la fois en la circonstance ! Je rajuste ma veste en cuir puis lisse mon jean en me levant et en lui serrant la main. Pas fort, pas mollement, de la poignée de main de compétition.
"Vous êtes Bonnie Williams, enchantée, je suis Mei Li Lilov, désolée, heures sup' mais ça va maintenant ! Prenez place, j'ai commandé un café … Et il m'en apporte deux, woa, ils sont intuitifs ici. Merci, vous aurez un bon pourboire."
Le serveur repart avec un grand sourire et un "une charmante femme comme vous ne pouvait pas être seule". Charmant mais pas mon genre. J'espère qu'elle aime le café bien noir sinon on rappellera le serveur. Je trempe mes lèvres dans le liquide brun en regardant la belle blonde. J'ai évité de la tutoyer pour ne pas la mettre mal à l'aise, je suis censée recueillir son témoignage, pas la draguer mais je me connais, si elle est aussi attirée par les femmes, je vais forcément la draguer.
"Ne vous inquiétez pas pour l'anonymat, il sera respecté puisque tel est votre désir."
Je parle toujours mieux pendant le boulot. Je lui tapote la main en disant ça, pour la rassurer, puis la faisant glisser quelques délicieux instants de plus. Sa peau est douce, ça ne m'étonne pas.
"Votre témoignage sur votre phobie sera précieux. Quand avez-vous commencé à en souffrir ? Est-ce lié à un événement particulier ? Vous n'êtes pas obligée de le détailler si ça réveille de mauvaises souvenirs."Je suis prête à prendre des notes sur mon calepin, j'écris vite et bien, j'ai une jolie écriture alors j'en profite. Puis je suis à l'abri d'un éventuel effacement vocal.

Après m'être présentée, mon interlocutrice en fit de même. Mei Li Lilov. Un nom un peu compliqué, mais qui n'aime pas un peu de complication dans sa vie ? Dans la foulée, elle s'excusa à cause de ses heures sup et m'invita à m'asseoir, ce que je fis. Aussitôt, un serveur arriva avec deux cafés, visiblement avait-elle déjà tout prévu. Un cadre sympathique, pour discuter d'un sujet qui l'était un peu moins. Bon, c'était une journaliste, je m'attendais donc à être bombardée de questions.

- Je veux bien vous croire. Et pour ce qui est de l'anonymat, ce n'est pas contre vous, c'est juste que ce n'est pas un sujet qui peut me rendre fière, loin de là.

Je posais mon sac près de moi, à portée de main, on ne savait jamais qui pouvait passer par là, d'autant que j'étais connaisseuse du fait, piquer un sac à main de cette façon, je l'avais déjà fait. Mais cet attrait pour le vol ne serait pas exprimé dans cette interview. Les sourires et les contacts physiques de Mei pouvaient sembler... Disons qu'elle semblait vouloir me séduire, légèrement. Je n'avais pas l'habitude, ou du moins remarquais-je rarement ce genre de choses. Il faut dire que, niveau romantique on fait bien mieux que moi. Alors que nous commençâmes toutes deux à boire notre café, les questions arrivèrent.

- En fait, je ne sais pas trop comment c'est arrivé. J'ai cette sensation étrange quand je vois plein de petits trous rassemblés. Je ne sais pas c'est un peu comme une sensation de dégoût. Il peut m'arriver d'avoir envie de vomir. Pourtant, quand je vois ce genre d'image, je reste fixée dessus, au mépris de ma phobie.

Je fouillais dans ma poche et en sortis mon portefeuille. J'avais bien l'intention de ne pas la laisser payer la note toute seule. Je posais donc mon portefeuille sur la table en même temps que je parlais. On pouvait voir quelques billets dépasser de celui-ci. Cependant, parler de ma phobie m'avait un peu déstabilisée. Je me levais alors.

- Excusez moi, je reviens, vous savez,, quand faut y aller, faut y aller...

Je n'étais pas rentrée dans les détails mais je savais que la journaliste comprendrait. Immédiatement, je pris le chemin des toilettes. Problème... J'avais oublié mon portefeuille sur la table, mais je ne pouvais pas revenir tout de suite. J'espérais donc que la journaliste soit quelqu'un d'honnête, d'autant qu'il n'y avait pas seulement quelques billets, mais aussi ma carte bancaire... Je me rendis aussi compte que j'avais laissé mon sac au pied de ma chaise, quelle andouille faisais-je... Finalement, je sortis des toilettes et pris la direction de la table où l'interview avait commencé, en espérant retrouver tout ce que j'y avais laissé, et aussi continuer cette discussion, même si on déviait du sujet, de ce que j'avais vu, la jeune femme n'était pas de mauvaise compagnie.

Bonnie commence à parler. Je sens que ce sujet la rend mal à l'aise. Elle m'explique ses sensations, ni quand ça aurait commencé dans sa vie, et encore moins une éventuelle raison qu'elle ignore certainement. Son petit coté vulnérable me fait "fondre" mais je n'en montre rien. Pro jusqu'aux bouts des ongles ! Je hoche la tête quand elle va au petit coin. Cette jeune femme est vraiment perturbée, elle a laissé ses affaires en plan. Il n'y a guère de monde à cette heure-ci mais je surveille tout ça pendant son absence, les laissant en place au millimètre près. Mes affaires à moi sont très soigneusement rangées entre mes seins, si on y touchait, je le sentirais ! Sauf le maquillage mais j'en ai très peu dans les poches. Je prends toujours le minimum vital. Si j'ai besoin, j'achète. Je sirote donc mon café en me demandant comment je vais pouvoir la faire parler sans la brusquer. J'imagine des scenarii tout en demeurant vigilante.

"Tu vas parler, oui !"
Lampe braquée sur le visage de la suspecte.
Sans brusquer, j'ai dit.
"Dis-nous tout ou je refroidis ton chat, il aura plein de trous !"
Magnum 44 braqué sur la tête du matou.
Sans menacer de mort !
"Alors, heureuse ?"
Confidences sur l'oreiller.
Pas mal celle-là mais peut-être un peu tôt.

Je la vois qui revient.
"J'ai veillé sur vos affaires. Je vois que parler de cette phobie vous perturbe, je n'en aurai donc plus pour très longtemps. Pouvez-vous me dire dans quelle mesure cette phobie nuit à vos rapports avec autrui ? Dans le travail, la vie quotidienne. Les rapports intimes ? C'est mon boulot d'être curieuse mais je le suis peut-être trop. Ne répondez pas si ça vous gêne."
Ca ne la changerait pas trop, elle est déjà passée à coté de mes premières questions mais je pense vraiment que ça lui coûte d'en parler. Sa présence ici est donc déjà un sacré effort de sa part.

Il ne fallut que le temps que j'aille aux toilettes pour que je me rende compte que j'avais laissé mes affaires à porter d'une inconnue. Quoique... Je connaissais son identité, si elle avait l'idée de me piquer quelque chose j'avais déjà un suspect pour porter plainte. Cependant, je me disais aussi qu'elle ne le ferait pas. De toute façon, on ne me vole pas mes affaires, c'est moi qui vole celles des autres, mais ça c'est particulier, une autre histoire. Je savais que j'avais laissé mon portefeuille sur la table. Si elle avait été à ma place, nul doute que j'aurais fouillé dedans et peut-être empoché quelques billets. C'était comme ça moi, peut-on me traiter de voleuse, si je ne prends que ce qui me tend les bras ? Je n'irais pas faire les poches de quelqu'un évidemment, je n'étais pas assez agile pour ça, enfin bref ! Me voici sortie des toilettes et je repris la direction de notre table commune. A mon arrivé, Mei me rassura en me disant qu'elle avait veillé sur mes affaires, alors que je m'asseyais sur ma chaise. Elle poursuivit alors avec ses questions, mais précisa que je n'étais pas obligée d'y répondre si ça me gênait. Je marquais alors une hésitation.

- Ce n'est pas embêtant en soit, je ne vois pas des tas de petits trous tous les jours, mais quand j'allais à l'école, certains s'amusaient à se "piquer" avec des stylos ou des crayons, ça laissait des marques semblables à ces fameux petits trous, j'étais obligée de détourner le regard, bien que parfois il puisse m'arriver de fixer ce genre d'images. Vous connaissez l'expression je pense, pour vaincre ses phobies, il faut les affronter. Alors j'essaye, de temps à autres, mais c'est dur.

Je soupirai un bon coup, en parler, ce n'était pas dérangeant, c'était les images qui me perturbaient, la vision de ces multiples petits trous qui étaient parfaitement placés les uns près des autres. Je bus une gorgée de mon café, je l'avais presque oublié celui-ci. Je reposais ensuite la tasse.

- Et aucun problème concernant les choses intimes, généralement il n'y a pas de succession de petits trous dans ce genre de moments !

Je ne pus réprimer un léger rire, pas moqueur non, mais une petite touche d'humour quand le sujet était troublant faisait du bien.

Bonnie me rejoint donc dans un charmant déhanchement naturel. Elle me confie ses mésaventures à l'école, je prends des notes et fronce les sourcils, à la fois mécontente et pas vraiment surprise par la bêtise humaine.
"Les gosses peuvent être tellement cruels, ça me donne encore plus envie de ne pas en avoir. Je complète l'expression, c'est de moi : Pour vaincre ses phobies, il faut les affronter mais pas toute seule."
Je ris aussi quand elle a ce trait d'humour. Son rire me donne des frissons et ce n'est pas de la peur !
"C'est bien de le prendre comme ça. Du coup, mon ajout à l'expression me fait rebondir sur mes dernières questions, quelle transition n'est-ce pas. Etes-vous en couple ? Si oui, comment votre mari, ou votre petit copain, ou votre petite copine vit-il votre phobie ? Si non, c'était surtout l'avis de votre moitié qui importait puisque vous avez déjà répondu pour vous précédemment, et avec cette charmante touche d'humour."
J'attends sa réponse avec un air très professionnel, le crayon dressé, prête à coucher ses paroles sur mon calepin. Bonnie a un très beau regard donc c'est un peu moins dur pour moi de ne pas m'attarder sur le reste de sa superbe personne. Un peu moins dur. Il fait beau, les oiseaux volent dans le ciel en me cassant les oreilles et je me dis que ce serait vraiment dur de quitter mon lit le matin si je le partageais avec une blonde aussi mignonne. Mais restons professionnelle ! Ca ne m'empêche évidemment pas de tâter le terrain et si Bonnie est réceptive, de flirter pas vraiment innocemment après l'interview.

Une petite touche d'humour, puis retour aux affaires. Je pris une nouvelle gorgée du café que le serveur avait gentiment apporté un peu plus tôt, et je racontais un peu mes mésaventures à Mei. J'ignorais pourquoi je me confiais à elle de cette façon. Me mettait-elle en confiance ? Ou avais-je simplement l'intuition que, contrairement à certains journalistes, elle ne diffuserait pas les moments qui puissent pourtant contenir des détails croustillants. J'acquiesçai par rapport à mes soucis à l'école, mais maintenant je savais qu'il fallait que je prenne mon courage à demain et que j'affronte mes peurs. Une araignée sur des petits trous... Rien que la pensée me fit frissonner.  Je secouais la tête négativement lorsqu'elle en vint à mon statut marital.

- Je n'ai personne dans ma vie. Et pour le peu de femmes avec qui je suis sortie, la plupart ignoraient mes phobies.

Maintenant qu'on en venait à ce sujet, ça me rappelait que je n'avais jamais vraiment eu quoi que ce soit de sérieux. Qu'importe, si l'amour devait me tomber dessus, il le ferait, mais je n'avais pas encore rencontré la personne qui ferait chavirer mon coeur.

- Le seul avis extérieur que je puisse vous donner est celui de mes parents. Ils voyaient ça comme une maladie pure et simple, comme certaines manies telles que la cleptomanie. Ils pensaient que ça passerait.

Je gardais un petit sourire rassurant, je ne voulais pas qu'elle pense qu'aborder le sujet de mes parents était un sujet sensible, non, ils étaient bien encore vivants tous les deux, donc je n'avais aucun problème à en parler. Je pris la tasse de café entre mes doigts, puis avalai le reste de mon café. La tasse était vide, mais je ne quittais pas la table, j'étais intriguée.

- Et voilà ! Vous connaissez une certaine part de moi... Et si vous me parliez un peu de vous ?

Je voulais mettre un terme à l'interview, mais pas à la rencontre. Je lui avais révélé quelques bribes de ma personnalité, maintenant j'étais curieuse de connaître la sienne.

Je l'écoute mais ne note pas. Par contre je garde en mémoire, j'ai une bonne mémoire. Bonnie n'a pas de complexe à avouer qu'elle est sortie avec des femmes, ou c'est moi qui la met en confiance. Dans son cas, elle a raison, je ne mettrai rien dans mon article qui la gênerait. D'ailleurs, elle le lira avant … Je peux donc assurer que la belle blonde est très réceptive et ça me ravit, par contre je me renfrogne quand elle me parle de ses parents. S'ils voient sa phobie comme une maladie, c'est qu'ils sont au moins un tout petit peu toxiques, voire davantage mais je ne peux pas balancer ça tout de go. Oh, je l'ai déjà fait mais j'ai mes têtes ! Je lève ensuite un sourcil intrigué. Cleptomanie ? C'est peut-être lié. J'ai l'impression qu'elle a au moins une autre phobie.
"Je ne crois pas que la phobie soit une maladie, ni le besoin irrépressible de parfois piquer des trucs. On prendrait un cacheton et ça passerait ? Foutaises."
Je commence à me lâcher coté vocabulaire, ça sent la fin de l'interview. Je me mordille la lèvre inférieure quand elle me demande de parler un peu de moi. Il faut dire que je lui ai plutôt tendue la perche et sa démarche me ravit.
"On a fini l'interview, merci pour m'avoir accordé votre témoignage. Je ne sais pas si je placerai quelques mots sur vos parents. Je ne fais pas lire mes articles avant leur sortie mais je le ferai pour vous. Si quelque chose ne va pas, je le changerai. Me connaître mieux ..."
Avec un sourire malicieux, je me lève, saisis ma chaise et la place juste à coté d'elle avant de m'asseoir à nouveau, faisant ainsi frôler nos genoux.
"Je peux parler un peu de moi mais on se tutoie. Tu me le dis si ça te gêne. Alors, que dire ..."
Je passe une main dans mes cheveux pour improviser une petite "autobiographie" dans ma tête et je me lance en plongeant mon regard dans celui de Bonnie :
"Tu sais déjà que je suis journaleuse. Je n'ai pas de phobie, quoique, peut-être la phobie des cons mais non, je ne sortirais plus de chez moi ! C'est plutôt une allergie du coup. Je sais distribuer des pains si on nous embête, mes proches et moi. J'ai perdu mes deux parents trop tôt et maintenant que j'y pense, j'ai un peu la phobie des institutions, des traditions, toute cette hypocrisie, ces mesquineries. Je suis comme qui dirait une rebelle. Si j'approfondis, on en a pour des plombes. Envie d'approfondir ?"
Je pose cette question en posant doucement une main sur sa cuisse, sans la quitter des yeux. Elle me met le feu où je pense alors c'est mieux si c'est réciproque !

Mei semblait attentive à ce que je lui racontais, sans écrire. C'était comme si elle avait un clavier dans sa tête et qu'elle était en train de tout mettre sur Word. Je n'étais clairement pas timide concernant mon homosexualité, j'avais toujours pensé qu'il ne fallait pas avoir honte de ce que l'on était, que ceux qui rejettent les gens pour leurs choix, leurs origines ou autres aillent se faire voir. Et elle semblait partager mon point de vue. Par rapport aux phobies déjà, elle rejeta le fait qu'il s'agisse d'une maladie, pas même pour la cleptomanie. Peut-être avait-elle raison, peut-être que quand on vole quelque chose, c'est pour une bonne raison. Elle m'informa ensuite que l'interview était terminée, et me remercia. Peu importe pour mes parents, mais elle disait que contrairement à ses habitudes, elle me laisserait lire son article avant de publier. Pourquoi faisait-elle ça, alors qu'elle ne le faisait pas pour les autres ? Elle tenta alors un rapprochement, nos genoux se frôlèrent alors, je ne m'écartais pas. Elle préfère que l'on se tutoie ? Pas de problèmes. Avant que je ne puisse répondre, elle commença son résumé sur elle-même. A mon tour d'écouter. Silencieusement.  Elle me parla, entre autre, de ses parents perdus trop tôt, et de ces quelques "phobies". Une rebelle en somme, ce qui me fit sourire, elle posa une main sur ma cuisse et mon sourire se transforma en rictus amusé, je posais alors ma main sur la sienne sans la retirer cependant, cette proximité était... Pesante, je ne savais pas trop comment réagir, mais si on regardait bien, on pourrait me voir rougir.

- Une rebelle hein ? Je peux pas dire que je sois un modèle d'obéissance non plus !

Je ne contestais pas cette proximité, au contraire.

- Tu n'es pas très prudente ! Et si j'étais une pickpocket ? Je pourrais en profiter...

Evidemment, je n'avais pas l'intention de lui piquer quoi que ce soit. Mais j'aimais bien l'idée de la faire mijoter, la taquiner. J'avais bien envie de voir si, à mes paroles, elle vérifierait ou non ses poches.

Bonnie accepte le tutoiement, je trouve ça plus intime et j'aime sa spontanéité. Elle m'écoute, retenant le mot rebelle. Pas un modèle d'obéissance non plus ? Voilà qu'elle ne m'attire pas uniquement pour un plan cul, ça c'est inédit pour moi, c'est comme un scoop mais pas en version journalistique. Elle pose sa main sur la mienne et je vois ses joues rosir un peu, c'est mignon comme tout. Je me demande quel goût à sa douce peau. Taquine, elle me dit alors que je ne suis pas très prudente, et si elle était une pickpocket ? Ca me fait rire mais pas méchamment.
"Pas touche à mon téléphone hein, sinon il y a mes papier et ma carte de crédit et tu sais où ils sont ? Je pourrais te le murmurer à l'oreille mais je ne voudrais pas te choquer même si tu es encore plus mignonne quand tu rougis."
J'appuie mes paroles d'un clin d’œil et vient le moment de régler les cafés.
"Tu paies les cafés et je t'invite à dîner ce soir ?"
En faisant ça, j'évite de lui montrer trop vite où je planque ma carte d'identité, mon permis de conduire et mes cartes de crédit, et je lui donne un rencard, l'air de rien ! J'ai une journée de folie aujourd'hui mais après ça ira mieux, surtout si je fais en sorte d'avoir un peu de répit !

Mei rit également à ma blague qui gardait pourtant une part de vérité: Une autre personne aurait pu profiter de ce moment de proximité, mais je n'étais pas une pickpocket, je ne prenais que ce que je voyais traîner sur une table. Si quelqu'un oublie son téléphone par exemple, hop il est à moi ! Certains diront que c'est vicieux, lâche, mais je n'ai que faire de ce que les gens pensent. Bref, ma main sur la sienne, elle me proposa que je paie les cafés et qu'elle m'invite au resto ce soir. Cette fois, j'étais perplexe. Je n'était pas certaine que ce soit une bonne idée, peut-être cherchait-elle à m'arnaquer, à me faire payer le café pour ensuite me mettre un vent au soir ? Il fallait étudier toutes les options avant de prendre une décision. Finalement, je me décidai, et je le regretterai peut-être, mais bon...

- On fait comme ça.

Je pris mon portefeuille puis posais quelques billets au milieu de la table, pour payer le service, puis je me levais en lâchant un dernier sourire, puis en tendant un billet à la journaliste. Je savais qu'elle était déjà payée, mais je voulais la remercier pour son honnêteté et le fait qu'elle respecte mon anonymat.

- Tiens, en guise de remerciement. Ca m'a fait plaisir de parler, même si tu n'es pas psychologue. C'est justement parce que tu n'es pas psychologue que je te paye le temps que je t'ai pris. Tu n'étais pas obligée de m'écouter jusqu'à la fin mais tu l'as fait. On se revoit ce soir !

Agrippant mon sac à main, je lui fis un dernier signe accompagné d'un sourire, puis je pris le chemin de chez moi. Au soir, je retrouverais donc cette femme. Quelques heures après, je me rendis compte de quelque chose: il me manquait mon portefeuille ! Mei m'avait tellement déboussolée que j'en avais oublié mon portefeuille. J'espérais juste qu'elle l'avait gardé et qu'elle me le rendrait, parce qu'il y avait pas mal de choses dedans, mais elle était honnête, je savais qu'elle me le rendrais. Bref, je me jetais dans mon canapé dans un soupir et allumais la télé, en attendant le soir...

Deal. Je ne fais pas ça pour économiser un café mais pour revoir Bonnie le soir-même. Elle me laisse un billet, la symbolique ne m'échappe pas. Je ne suis pas fétichiste mais ce billet, je ne compte pas le dépenser. La voilà partie et quelque chose me manque alors. Elle. Elle me manque. C'est absurde mais je le ressens comme ça. En tout cas, elle, quelque chose va aussi lui manquer. Son portefeuille. C'est peut-être moi qui la perturbe ! Je lui envoie un SMS pour lui dire que j'ai ses affaires et lui donne rendez-vous à l'hôtel où je crèche actuellement.

Je passe ensuite une journée hyper active, que ce soit sur le terrain ou à la rédaction et je pense que Bonnie a elle aussi un travail qui l'occupe toute la journée. On en parlera sans doute ce soir. Si tout va bien, on ne fera pas que parler mais il vaut mieux que je ne pense pas à ça ! J'aime mon boulot mais la journée passe plus lentement qu'à l'accoutumée. Ca c'est parce que j'ai hâte d'être au soir, le temps est sadique !

Vient enfin le soir. Je rentre à la bourre à ma suite. "Je ne paie pas" alors je m'offre des suites présidentielles, avec un accès privé par ascenseur et une terrasse qui a une vue imprenable sur Bowen, au dernier étage. Le portier me signale alors l'arrivée de Bonnie et je lui réponds de la laisser monter, l'ascenseur menant directement dans la suite que j'occupe. Je laisse un mot rapide sur le lit, taille A3 pour qu'elle le voit bien avec écrit dessus "Je me prépare rapido, fais comme chez moi !", je me désape dans la salle de bains et je bondis sous la douche. La jeune femme va trouver un endroit bien rangé, son portefeuille sur le grand lit avec le mot et aucune affaire précieuse qui "traînerait". Par contre, il y a des tas de petites boites, au moins une vingtaine. Comme des écrins à bijoux. Sur la table basse, sur le comptoir, sur une étagère, sur une petite commode … Elle ne le sait pas mais je les ai nommées "les tentations". Si elle en ouvrait une ou si elle le prenait carrément, ça déclencherait une sonnerie stridente que j'entendrais même sous la douche ! Pour la faire taire, une seule solution, la fracasser et ça ne serait pas discret. Ben quoi, c'est une forme de thérapie !

J'étais vraiment perturbé. Après avoir donné ce billet à Mei, j'avais totalement oublié que j'avais posé mon portefeuille sur la table. Ca m'apprendra tiens ! Mains dans les poches, je quittais donc ce bar où elle m'avait interviewée sur la trypophobie dont j'étais la victime. Je marchais, pensive, et je ne pouvais pas m'empêcher de penser à la démarche de Mei. Elle me draguait, ça, ça ne faisait aucun doute, mais dans quel but ? Voulait-elle simplement un coup d'un soir ? Quoi qu'il en soit, celle-ci m'envoya un message m'informant qu'elle avait mes affaires, elle y avait joint l'adresse de l'hôtel où elle créchait, ainsi que le numéro de la chambre. L'hôtel n'était pas sur mon trajet, je lui répondis alors que je viendrais ce soir, comme prévu.

Une fois chez moi, je m'adonnais à mon activité favorite: la télévision. Enfin, favorite peut-être pas, mais pour être franche je n'avais que ça. Je ne savais pas où m'orienter pour le travail, A 24 ans, j'étais toujours une glandeuse professionnelle. Ca devrait payer, ce genre de métier, c'est utile: ça laisse de la place dans les autres emplois. Longuement, je zappais, zappais et zappais encore, les programmes proposés étaient d'un ennui ! Et puis, j'attendais également l'heure de partir. Je décidais finalement d'aller prendre une douche. Après ceci, il fallait que je me choisisse une tenue. Ne roulant pas sur l'or, je n'allais pas me présenter à l'hôtel de Mei habillée comme Angelina Jolie. Je n'avais pas beaucoup de choix à vrai dire, je me contentai d'un haut simple, d'un jean et d'une veste. C'était pas moche, c'était bien là l'essentiel. Mes cheveux, je les laissais détachés, et je pris le chemin du fameux hôtel.

Sur le chemin, je m'entraînais intérieurement, afin d'être prête. Et si Mei était finalement déçue de mon apparence ? Qu'importe, je ne la voyais pas du genre à juger les gens selon leur façon de s'habiller, chacun fait avec ses moyens. En passant près de terrasses de cafés, je jetais de temps à autres des regards sur les tables, peut-être s'y trouvait-il un objet abandonné. Rien du chemin, la pêche n'avait pas été bonne, mais me voici finalement à l'entrée de l'hôtel de Mei. Le portier me laissa finalement entrer, et je pris l'ascenseur menant à la suite de Mei. Finalement, j'arrivais devant la porte, et je toquais pour prévenir de ma présence. J'entendais la douche, sans doute n'était elle pas encore prête. Je marquai une hésitation, si j'entrais comme ça, elle pourrait prendre ça comme une intrusion, mais si je n'osais pas entrer, elle pourrait ne jamais savoir que je suis derrière cette porte, je pris donc une décision, et entrai dans la suite.

- Eh bien, ça a l'air de bien payer, journaliste !

Mon regard se portait aux alentours, mais se porta rapidement sur le lit, où mon portefeuille se trouvait, ainsi qu'un mot. Je mis le morceau de papier ainsi que le portefeuille dans ma poche, puis je commençais à explorer les lieux. Tiens, des boîtes ? Nombreuses, ce qui attira ma curiosité. J'en pris une entre mes mains et me préparai à l'ouvrir quand une sonnerie stridente retentit. Je la balançais alors au sol en fronçant les sourcils, ça, je n'avais pas apprécié.

- D'accord, je vois le genre !

Je tournais alors le dos, prête à partir. C'était clairement un piège pour voir si j'étais vraiment cleptomane, mais cette sonnerie à en déchirer les tympans, c'était la chose de trop. Elle aurait pu simplement disposer des boîtes vides. Je commençais alors à avancer vers la sortie...

Je ne me lave pas la tête donc ça va très vite sous la douche. J'entends donc Bonnie me dire que visiblement, ça paie, journaliste ! Ca me fait sourire et je m'habille, j'enfile un ensemble en cuir mais résolument féminin. Pantalon moulant, débardeur et petite veste. Une sonnerie résonne alors et j'entends Bonnie râler. Elle va partir, c'est trop bête. Pas le temps de me maquiller, je sors immédiatement.
"Salut toi ! Je voulais voir si tu étais aussi curieuse que moi, si ça n'avait pas sonné, je ne l'aurais pas su mais ça n'aurait pas du être aussi fort. Je teste moi aussi ! Il n'y a pas de raison !"
Tout en disant ça, je prends deux boites et les approche de mes oreilles. Le son est vraiment beaucoup plus fort que je pensais et je viens de m'en prendre deux dans les tympans qui sifflent très fort en réaction ! Sous la double agression sonore, je lâche les boites qui se cassent en deux en touchant le sol et me tiens les oreilles bourdonnantes. Je vacille, je titube, mon sens de l'équilibre touché.
"Houlala, ça pique !"
Je dois m'asseoir avant que mes jambes me lâchent mais c'est trop tard, je commence à tomber quand un "mur" stoppe ma chute. Depuis quand il y a un mur là ? Et puis je me serais fait mal si c'était un mur. Non, ce n'est pas un mur, c'est Bonnie, elle m'a empêché de m'écrouler. Quelques instants plus tard, je me retrouve assise au bord du lit et ça commence à aller mieux.
"Merci. Je ne voulais pas te vexer."
Ca ressemble à une excuse mais je ne suis pas très douée pour ça. Puis je lui souris avec malice.
"Tu sais que la curiosité est la base de mon taff !"
Je ne l'ai pas testée pour sa cleptomanie sinon j'aurais laissé un téléphone et je l'aurais ensuite fait sonner dans sa poche. J'espère qu'elle n'est plus vexée mais je suis comme ça, j'ai tendance à chahuter.