Un kiwi, deux kiwis, trois kiwis ?

Aslander vit à Bowen avec Aisling depuis un petit moment maintenant. Je me demande pourquoi j’ai attendu jusqu’à maintenant pour le revoir. Sans doute pour laisser ma cible montrer d’abord clairement ses intentions. Je mets aussi en place mon grand projet visant à la faire tomber tout en faisant éclater la vérité au grand jour et pas seulement sur les épisodes les plus honteux de Lin mais aussi sur des activités les plus sombres et donc elle est contre toute attente la plus fière. Je me demande comment il va me recevoir. Ca fait trois ans que je le laisse mûrir mais quel but ? Je le classe dans mes rares "ex" parce qu’un coup d’un soir qui dure une semaine, ça n’est plus un coup d’un soir. C’est un coup d’une semaine, un de mes records de durée en "couple" ça. Donc, un beau matin d’été, je sonne à sa maison vu que sa grande sœur doit considérer que c’est aussi chez lui. Je sais qu’il est là et surtout, je sais qu’il y est seul. Pourquoi ? Parce que j’ai attendu que sa sœur aille à ses cours. On était plutôt copines, Aisling et moi il y a trois ans mais cette fille a des antennes, elle sait, elle sent quand une femme a couché avec son frère, aussi nos deux rencontres rapides ces trois dernières années ont été glaciales. Et encore, elle sait ce que je pense vraiment de Lin sinon ce serait pire ! Ah, je l’entends qui arrive. Ca va être une surprise ! Moi je vais faire comme si on s’était séparés il y a trois jours, ça devrait aussi être amusant du coup.

Lin avait confié Liam à Asl pour quelques jours, ce qui signifiait qu’il dormait à la maison. Au début, le petit garçon avait été intimidé par Ais mais le néo-zélandais avait le sentiment que sa sœur l’acceptait sans difficulté, ne reportant pas sur lui son hostilité sur sa mère. Il faut dire que le petit Liam était très sage et qu’il fallait même l’encourager à parler, à exprimer ses sentiments au début mais il semblait beaucoup plus épanoui avec eux et il s’entendait vraiment bien avec Sio qui semblait le considérer comme son meilleur ami et réciproquement. Par contre, Asl avait l’impression que Ais regardait le garçon bizarrement parfois avant de le regarder lui tout aussi étrangement, puis des fois il lui semblait entendre marmonner "il est toujours mieux ici qu’avec cette folle" mais son imagination lui jouait peut-être des tours.

Ce matin, Isa était allé commander du bois et Ais allait en cours. Asl apprenait les bases du déplacement martial à Sio mais vraiment pas à pas pour ainsi dire ! C’était un jeu éducatif avant tout, pas quelque chose de rigoureux comme Lin le faisait subir à sa progéniture, l’air de rien. Bien sur, Liam suivait sans problème mais il aidait amicalement et surtout spontanément la fillette. Ces petits avaient le cœur sur la main même s’il faudrait les préparer à affronter la cruauté parfois présente en ce monde mais chaque chose en son temps.

Puis on sonnait à la porte. Voyant que Asl allait s’éloigner, Liam demandait à ce qu’il le prenne dans ses bras en désignant la porte d’entrée et en disant "Sornette, papa." Il avait encore peur de rester seul dans cette maison aussi le jeune homme acceptait-il de bon cœur. Quant à "papa", contrairement à ce que disait son amie d’enfance, le petit ne disait ça que pour lui. C’était tout de même curieux. Peut-être parce qu’il le considérait comme un père spirituel, ou un père de cœur mais n’était pas un peu jeune pour appréhender ces notions ?

"On dit sonnette, Liam. Son-nette."

Il répondait alors "sownette" mais Partis ne s’était pas fait en un seul jour. Bowen non plus.

"C’est presque ça."

Ce disant, il allait ouvrir et ouvrait de grands yeux surpris en voyant Mei. Il était tellement étonné qu’il inclinait la tête sur le coté, ce que faisait aussi Liam mais lui certainement par pur mimétisme.

"Bonjour, Mei ?"

Comme s’il en doutait. Asl commençait vraiment très fort mais c’était à cause de la surprise, il ne s’y attendait vraiment pas.

Je ne suis pas venue "les mains vides", j’ai un cadeau pour la famille Callaghan. Quand Aslander ouvre, je tends ce qui ressemble à une boite de chocolats mais en fait c’est une boite de kiwis ! C’est le surnom qu’on donne aux néo-zélandais, je trouve ça mignon et en même temps c’est une des excuses pour venir dire bonjour à mon ami que je ne pourrais cependant pas qualifier de pote parce qu’on ne couche pas avec son pote ! Kaï est mon pote, pas Aslander !
"Salut Aslander, surp … Rise ..."
Mes yeux ne s’agrandissent pas, ma machoire ne "pend pas", les bras ne m’en "tombent" pas mais je demeure figée en regardant ce que le kiwi porte dans ses bras et qui me regarde en ayant incliné la tête de surprise exactement comme son père : Liam !
"Et … Que vois-je, mais c'est le petit Liam … Tu … Tu ..."
Je cherche à rassembler mes pensées, le regard comme bloqué sur le fils du jeune homme. J’ai l’impression que tout le sang s’est retiré de mon visage. Ce n’est pas possible, Lin lui aurait dit ? Il saurait tout ? Putain !
"Tu … Tu … Es au courant ?"
Je n’en reviens pas, je suis sciée comme dirait la branche. Je voulais lui faire une surprise et c’est certainement réussi mais c’est lui qui me fait une surprise encore plus grande, là !

Mei était donc devant Asl et aussi devant Liam du coup et elle tendait une … Boite ? Une boite décorée de … Kiwis ? Etrangement, Asl était alors beaucoup moins hostile qu’il l’aurait pensé. Dans son souvenir, il s’était toujours imaginé assez grincheux en s’imaginant le moment où la jeune femme daignerait enfin donner de ses nouvelles mais ça ne devait pas être dans sa nature. De surcroît, Mei avait l’air brusquement tellement pâle, comme si elle avait vu un fantôme et sa question ne voulait rien dire. Bien sur qu’il était au courant du retour de Lin sinon il ne s’occuperait pas de Liam, quelle question bizarre.

"Oui, je suis au courant en effet. Tu te sens bien, entre je t’en prie et merci pour le cadeau, je crois. Tu peux poser la boite là-bas. C’est quoi, des kiwis ? Sio est là aussi. Tu as manqué Ais de peu, c’est dommage."

Il conduisait Mei dans le salon. Sio regardait l’australienne avec curiosité. Elle connaissait le fils de Lin et la fille d’Ais mais n’avait pas du les voir plus de deux fois en trois ans, toujours plus que lui en somme. Pas rancunier pour deux sous, Asl disait alors les quatre mots qu’il ne fallait pas dire à la jeune femme :

"Fais comme chez toi."

Elle avait l’air un peu moins pâle mais semblait tout de même légèrement choquée. C’était bizarre ça aussi.

"Tu te sens bien ? Tu peux t’asseoir, il y a du café à la cuisine, il doit être encore chaud. Si Ais avait attendu qu’il soit moins brûlant quand elle en a pris dans son thermos, vous vous seriez au moins croisées."

Aslander ne m’a pas fait la bise et il porte Liam mais il n'aurait pas osé me serrer la pince. Je sens qu’il m’en veut encore un peu pour ces années de silence, il ignorait aussi que j’aurais de toute façon attendu que Aisling parte mais je focalise sur un sujet bien plu sensible. Il sait. Ce n’est pas possible, tout mon plan pour descendre Lin en flammes, pour créer la stupeur et l’indignation de ses proches et la joie de ses ennemis dont moi, tout vient de s’écrouler comme un château de cartes. Je pose machinalement ma veste sur le porte manteau à l’entrée et le suit dans le salon avec la grâce d’un zombie pas frais du tout. Il y a Siobhan, je lui fais un petit coucou machinalement, je m’en fiche des gosses, je n'ai pas la fibre maternelle, moi. D’ailleurs je n’ai pas dit bonjour à Liam, ça n’a rien à voir avec ma stupeur et Aslander ne s’en est pas rendu compte. J’aime les morveux et les pisseuses mais loin. Très loin de moi. Je suis choquée mais certaines de ses paroles font "tilt" dans mon esprit contrarié. Faire comme chez moi. Café.
"Ok pour le café mais c’est bien parce que tu insistes."
Ce sera le deuxième de la matinée alors ça va … Non, là je sens qu’il va m’en falloir plus pour me remettre alors je ramène carrément la cafetière et deux tasses sur un plateau. Et du sucre pour Aslander. Puis je pose le tout sur la table basse, je me laisse choir dans le fauteuil comme un sac à patates et invite négligemment le jeune homme à prendre place, toujours avec Liam dans ses bras. Je fais comme chez moi. Mais avant toute chose, je pose à Aslander une question qui me brûle les lèvres mais moins que d’autres :
"Alors tu sais mais … Depuis combien de temps ?"

Asl trouvait Mei vraiment bizarre et il commençait à se dire qu’il valait mieux en fait que Ais ne soit pas restée assez longtemps pour revoir son amie. Quelle mouche la piquait ? Pourquoi son regard semblait-il passer constamment et de toute évidence inconsciemment de Liam à lui ? Le néo-zélandais n’aimait pas ça, du coup il se servait une autre tasse de café, ce qui semblait un regard de reproche de Mei. Quel phénomène cette femme ! Elle était hardie, elle avait tout les culots. Asl l’avait désirée et peut-être un peu plus dès qu’il l’avait vue, alors que de son coté elle ne le calculait pas du tout. Bien sur, il ignorait à l’époque que c’était une feinte.

Aujourd'hui, il la regardait et il n’était plus attiré par elle mais il la considérait comme une amie. Bien sur, pas tout à fait une amie comme Lin. Il y avait cette différence entre une femme avec qui il avait couché et une autre non, les rapports en devenaient différents. Du coup, il ne la voyait pas tout à fait comme une amie, ni comme une ex, leur relation avait été trop court. Néanmoins, la première fois c’est toujours quelque chose de spécial. En principe, c’est l’homme qui fait défaut. Dans son souvenir pourtant, c’était plutôt Mei qui avait été médiocre la toute première nuit, quand elle avait insisté pour qu’ils gardent ces foutus masques de carnaval. Le contraste avec le reste de la semaine avait été pour le moins violent du coup. Encore un mystère. A ce moment de sa réflexion, Mei lui posait une question tout aussi absurde que la première. Se droguait-elle ? Non, ça n’était pas ça mais elle avait un comportement tellement bizarre !

"Depuis l’arrivée de Lin à Bowen."

Toujours dans ses bras, Liam réagissait alors au nom de Lin et il lui faisait un sourire adorable.

"Liam aime maman, Liam t’aime, papa."

Asl souriait mais il était gêné que le petit l’appelle ainsi alors il lui répondait avec le plus de tact possible :

"Tu es adorable Liam m ..."

Le téléphone portable vibrait alors, l’interrompant au moment où il allait rappeler au petit garçon qu’il était adorable mais que le jeune homme n’était pas son père. Il disait alors à son amie que ce serait bref et il consultait sa messagerie d’une main, tenant toujours Liam sur ses genoux et d’un bras.

Si Aslander fait mine de se resservir, je montre les dents, j’ai besoin d’une maxi dose de caféine pour tenir le coup. Ah, j’ai l’air fine avec mes kiwis, je lui ai envoyé un pétard mouillé et lui une bombe thermonucléaire !  Et la façon dont il me répond, ce calme olympien, cette légère dérision dans ses yeux. Il est encore plus calme et posé qu’avant. Par contre au lit, woa, le mec qui cache bien son jeu et il était novice à l’époque. Il a du faire quelques progrès en trois ans mais de toute façon je n’ai pas à me calmer puisque je me sens vidée par cette nouvelle terrible. D’une façon qui m’échappe, Lin a réussi à rendre son acte … Banal ! Ah la garce ! Le drogue-t-elle ? Non, elle devrait aussi droguer Aisling et cette dernière lui aurait fait un ravalement de façade à l’œil. La sœur d’Aisling est un véritable démon quand elle se met en colère. Elle l’ignore sans doute mais elle serait capable de prendre de front Bruce Lee et Chuck Norris au meilleur de leur forme, surtout au meilleur de son vivant pour le premier et d’en faire des scoubidous. Aisling, elle me fait peur parfois et si Lin avait eu un minimum de bon sens, elle aurait peur aussi. Même le petit Liam appelle déjà Aslander papa et ce dernier ne le contredit évidemment pas puis il consulte sa messagerie et je continue à vider la cafetière. C’est à ce moment-là que Siobhan s’approche de moi et demande à ce que je la prenne dans mes bras. Alors, ça, ça m’énerve, ces enfants rois qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils sont aimés. Je me prépare à la chasser d'un revers de la main comme on chasserait une mouche puis je me souviens dans quelles conditions la petite est née, je soupire et la prends par conséquent dans mes bras.
"C’est qu’elle pèse son poids la petite … Reine. Dis moi, tu aimes la reine des neiges ?"
Siobhan me répond qu’elle aime Elsa, je m’en doutais. Oui j’ose, je chantonne la fameuse chanson :
"Libérée, délivrée
Je ne mentirai plus jamais
Libérée, délivrée
C'est décidé, je m'en vais ..."
Siobhan tape dans ses mains, ravie mais je m’en tiens là parce que Aslander a levé les yeux de son téléphone et me regarde avec un drôle d’air. Liam n'a pas l'air de connaître. Ben quoi ? Je souris en regardant la fillette mais ça ne me donne pas la fibre maternelle pour autant alors je la remets dans son parc à jouets puis me rassois et me tourne vers mon "ex". Oui donc il sait depuis l’arrivée de Lin à Bowen. Ca me sidère tellement que je lui pose une deuxième question qui me brûle aussi les lèvres :
"Tu le sais depuis son arrivée à Bowen et tu l’as tout de suite bien pris ? Pas un seul pétage de plomb ?"
C’est carrément surréaliste !

Asl venait d’assister à une scène surréaliste et cette chanson avait tendance à lui sortir par les yeux tellement elle avait été rabâchée encore et encore à une époque. Néanmoins, le plus étrange était à venir. Le jeune homme levait un sourcil d’étonnement en entendant la journaliste lui demandait s’il l’avait bien pris ? Comment ça, pétage de plomb ? Elle se moquait de lui, ce n’était pas possible. Elle avait de la chance que les enfants soient là parce que là il aurait commencé à perdre son sang-froid. A quoi jouait-elle ? Trois ans sans nouvelles et elle débarquait en posant une question débile, puis une deuxième. Jamais deux sans trois ? Elle débarquait de quelle planète, de Mars ? Plutôt de Venus en fait. Elle avait repris des couleurs en tout cas, c’était déjà ça et heureusement qu’Asl avait trop fait de café ce matin parce que l’air de rien, elle avait tout englouti.

"Mei … Testerais-tu ma patience ? Parce que tu vas finir par en trouver les limites si tu continues dans ce sens. Bien sur que je l’ai bien pris. Ni pétage de plomb, ni fusible fondu. Reviens sur terre, Lin fait ce qu’elle veut et je lui avais même demandé alors franchement, tu abuses. A ma propre surprise, je suis content de te revoir alors que tu n’as pas donné la moindre nouvelle, que tu étais injoignable pendant ce temps alors que quand même quoi, voila quoi et je dirais même plus, parce que et puis c’est tout."

Clair comme du jus de chaussette.

Je ne comprends pas, il commence à perdre patience mais uniquement contre moi. Oh je vois, le pauvre petit chou s’était un peu attaché à moi. Que c’est mignon ! Ridicule mais mignon ! Mais ridicule. Du coup, il aurait été facilement manipulé par la princesse ? Ha la chacale. C’est injuste, toutes ces années à planifier posément ma vengeance et maintenant que le moment est presque venu, elle m’échappe entre mes doigts telle une anguille diabolique. Je soupire longuement et me décontracte enfin. Qu’y puis-je après tout si les jeux sont faits ? Rien ne va plus, la banque gagne. Autant être bonne perdante. Je ne féliciterai la gagnante ni en pensée ni en paroles mais elle a gagné. Lin a gagné. Finalement, il ne me reste aucune question, juste un commentaire et même un compliment pour Aslander, l’air de rien :
"Alors là, chapeau. Désolée d’avoir paru aussi lourde. Non, désolée d’avoir été aussi lourde mais c’est tellement incroyable, c’est même au-delà du réel. Une telle générosité, un tel sang-froid, une telle tolérance. Tu as encore plus mûri ces trois dernières années et quand j’y pense, ça ne devrait pas m’étonner mais à ce point, j’en suis sur le cul, quelque part, tu m’épates. Je peux te dire que si j’étais un mec, je serais furax si j’apprenais qu’on m’ait fait un bébé dans le dos ..."
Le regard d’Aslander change alors d’une façon qui me donne des sueurs froides. Oh oh, allo Houston, on a un problème.

Mei s’excusait à sa façon mais ça inquiétait tout de même Aslander qui écoutait ces louanges à son égard avec de plus en plus de méfiance puis la jeune femme concluait d’une façon qui commençait à lui faire comprendre ce qui ne tournait pas rond chez la brune et là, il lui vouait un regard noir. Elle-même comprenait ce changement en lui. Il lui parlait en détachant bien chaque syllabe :

"Mei, j’ai l’impression que nous ne parlons pas de la même chose. Un bébé dans le dos ? Ton regard n’a pas arreté de passer de Liam à moi … Dis-moi la vérité … Ou pas, je crois que j’ai compris."

Il commençait à comprendre et ce qu’il entrevoyait aurait été à peine digne du plus mauvais feuilleton TV à l’eau de rose. Ca ne pouvait pas être ça mais il le disait quand même à voix haute :

"Liam est mon fils et tu es sa véritable mère. Tu es tombée enceinte lors de notre escapade à Venise et tu as vendu ton enfant à Lin pour … Je ne sais, payer des dettes de jeu à la mafia russe ? Ou parce que tu n’aurais pas la fibre maternelle ?"

Mei allait-elle confirmer sa folle théorie ? Pourrait-il lui pardonner un acte aussi … Impardonnable ? Du coup la réponse était dans la question. Ce serait impardonnable.

Je prends enfin conscience d’avoir fait une énorme boulette à cause d’un gigantesque malentendu avec Aslander. Nous ne parlions pas du tout de la même chose, ça me saute aux yeux maintenant. Il ne sait pas, sinon il vivrait avec Lin et leur fils à leur propriété et ma "copine" serait venue me jeter son bonheur à la figure avec un plaisir non dissimulé. Il ne sait pas et je viens de commettre une erreur terrible qui va compromettre mon plan, ma vengeance. Et puis non parce qu’il n’a pas compris. Evidemment, ce n’est pas parce qu’il n’est pas futé qu’il n’a pas compris, c’est parce qu’il lui manque une information de taille et il ne pourra pas la deviner tout seul. Je me contrôle pour ne pas exploser de rire en écoutant ses paroles et je feins la tristesse, regardant mes chaussures avec "gêne".
"Liam avait besoin d’un traitement très cher, seul le mari de Lin pouvait le lui payer ..."
Puis je lève les yeux avec un sourire narquois.
"Non mais tu as fumé de l’ail. Faire un bébé dans le dos, ça signifie flouer. D’accord, le terme est peut-être un peu fort mais Lin t’a tout de même menti, elle avait prévu de venir à Bowen avant de  te parler de son voyage en Chine. D’ailleurs, elle est partie directement de Nouvelle Zélande en direction de l’Australie."
Avec quelle habileté j’ai réussi à rebondir en me souvenant de ce qui m’avait semblé un détail tout à l’heure. Il lui avait demandé … De venir à Bowen alors que Lin y allait le jour même ! Et oui Lin, il ne fallait pas tenter de pirater une pirate informatique, surtout aussi douée que moi ! Je suis curieuse de voir s’il va gober ça mais j’en doute maintenant.

Mei avait failli le mener en bateau avec cette histoire de maladie puis elle montrait bien qu’elle plaisantait. Quant à l’explication fumeuse qui suivait, il n’y croyait donc pas du tout. Il y avait aussi ce moment où elle avait dit "si j’étais un mec". Ca ne collait avec "ce n’est qu’une expression". C’est que le néo-zélandais commençait à analyser certains facteurs mieux qu'avant en vivant avec sa grande sœur. Il y avait autre chose qui l’intriguait mais sur le moment, il ne voyait pas quoi. Il finirait pas trouver. Asl disait donc à la jeune femme qu’il revenait et aller faire dormir un petit peu les enfants. Chacun dans son petit lit. Ils se fatiguaient encore vite à cet âge, puis il redescendait et ne trouvait personne dans le salon. Sur le moment, le jeune homme se disait qu’elle était peut-être partie mais sa veste reposait toujours sur le porte-manteau. Aux toilettes peut-être ? Il n’allait pas taper à la porte si c’était ça. La maison avait deux WC, un au rez-de-chaussée et un à l’étage, l’air de rien, c’était mieux quand pour une vie en famille. Asl regardait distraitement la boite de kiwis, laquelle contenait effectivement des kiwis. Sacrée Mei. Asl se rendait alors compte que la porte menant au garage était entrouverte, il aurait du y penser de suite, tout comme lui, la jeune femme avait une passion pour les motos.

"Tu as vu ma bécane à ce que je vois, c’est une ..."

Là, Mei terminait la phrase à sa place et vue son expression, c’était maintenant elle qui était contrariée. Il saurait bientôt pour quelle raison.

Hmmm, Aslander ne me croit pas, je ne sais pas ce qu’il ne croit pas dans ce que je viens de lui dire, peut-être un ou deux détails, ou peut-être qu’il rejette tout en bloc. Il va faire dormir les gosses, ça ce n’est pas bon signe ! J’en profite pour aller rapidement au petit coin puis je repère la porte menant au garage. Puisque je suis chez moi, j’y vais. Là, je vois une voiture assez pratique pour emmener la petite famille en virée et faire du surf. Ce véhicule n’est pas du bas de gamme, c’est suspect mais c’est sur la moto que je focalise. Je suis d’abord surprise, puis mécontente, très mécontente. Le rouge me monte au nez, les poings crispés et quasiment la bave aux lèvres, genre molosse enragé, genre Cujo juste avant qu’il bouffe les parties sensibles du mec. Aslander choisit ce moment pout débarquer.
"C’est une harley scorpion. Attends, je rectifie. C’est MA harley scorpion. Elle a été bloquée à la douane puis son entrée sur le territoire a été refusée parce qu’elle ne remplissait pas les normes anti-pollution. Je trouvais ça bizarre qu’une autre moto soit disponible de suite et qu’on me rembourse la différence de prix sur ongle. Et là, je trouve MA bécane dans TON garage ! Tu crois que je suis mécontente ? Je suis furax !"
Je tape du doigt sur sa poitrine avec mon regard des mauvais jours. Tout s’éclaire brusquement, ah la garce !
"Tu n’as pas les sous pour te payer ce truc, et un crédit avec ta solvabilité, aucune chance ! Non, c’est Lin, elle t’a offert la moto pour ton plaisir et la voiture pour t’occuper de Liam parce que tu as ce diplôme de petite enfance et parce que vous êtes amis, bien sur."
Avec un peu de chance, le jeune homme va en oublier ma boulette, sinon je passerai au plan B. Quant à Lin, elle ne perd rien pour attendre !

Mei lui expliquait la raison de son mécontentement. Là par contre, Asl la croyait. En Nouvelle zélande, il aurait nié en bloc mais son amie d’enfance avait une nouvelle attitude assez déroutante à Bowen. Elle était capable d’avoir fait ça pour lui faire plaisir. Il saisissait la jeune femme par les bras et la regardait amicalement.

"Respire. On échange nos motos si tu veux, je me doute que tu as fait un deuxième choix très bon aussi. Ca devrait régler ce problème mais revenons à nos moutons ..."

En fait, le néo-zélandais ne la lâchait pas et il mettait un peu de pression dans ses mains, regardant alors la jeune femme d'une façon moins amicale, un peu comme Ais quand elle s'appétait à régler ses comptes, en somme un regard qui ne donnait pas envie de rire.

"Si tu étais un mec, tu lui voudrais pour avoir menti sur ta véritable destination parce que tu lui en voudrais moins en étant une femme. A d'autres. Tu t'enfonces, Mei. Dans un moment, je vais mettre un nom sur la personne qui a diffamé Ais il n'y a pas si longtemps et ni toi ni moi n'aimerions en arriver là. Je t’écoute."

Aslander se doutait que même Mei ne pourrait pas accuser sa grande sœur d'avoir des pensées incestueuses mais il se méfiait de l'australienne. Il se doutait aussi qu’elle ne lui enverrait pas un coup de genou à l’entrejambe mais il valait mieux demeurer vigilant qu’avoir mal. Non, il n’y aurait pas de confrontation avec la jeune femme, non seulement qu’ils savaient se battre et qu’une seule attaque pouvait être létale mais aussi parce que la brune devait se douter qu’il ne la menaçait pas. Ca n’empêchait pas qu’il méritait pour le moins une explication. Le néo-zélandais voulait qu’elle soit sincère.

Je plisse les yeux quand Asl me propose un échange de bécanes. Il a l’air sérieux. Le sens moral, l’intégrité de ce type sont un exemple.
"C’est une harley night rod special. Ok, ça roule. Tu lui demanderas la différence ..."
Voilà qu’il m’agrippe. J’ai l’impression qu’il craint un coup bas mais loin de moi l’idée de mutiler l’étalon. Il devrait tout de même faire attention à ne pas donner de telles ouvertures ! Avec un regard malicieux, je glisse mes mains sous ses coudes et lui agrippe à mon tour les bras, passant juste après mes jambes autour de ses hanches. Je fais ainsi en sorte qu’il me porte sans pouvoir me lâcher.
"C’est malin, on est bloqués maintenant. Moi, diffamer ta sœur ? Jamais de la vie. Aisling est toujours mon amie, en ce qui me concerne. Cherche quelqu'un d’autre autour de toi, pas forcément une journaliste."
Je le regarde plus sérieusement et je soupire avant d’ajouter avant d’ajouter :
"Tant que tu seras dans le déni … Dis-moi, Aslander … Tu n’aurais pas le sentiment que le comportement de Lin est devenu inquiétant ces derniers temps ?"
Je me demande de quelle façon il va interpréter ça.