a wishing stone thrown hopeless to a mirage (harmonie)

Les vieilles habitudes. Les mauvais plis. Cette roue qui tournait, tournait, tournait, et cette fâcheuse impression de sans cesse retourner au point de départ. Woody avait goûté à la beauté des horizons une fois immobilisé tout en haut de la Grande roue, mais le cours des choses avaient repris et le voilà à nouveau tout en bas. Au fond du gouffre. Sans lumière, sans main tendue vers lui. Il soupira. Son souffle chaud et alcoolisé sembla interminable, jusqu’à ce qu’il s’arrête lui-même en se fermant la gueule d’une pinte de bière portée à ses lèvres. Il avait arrêté de compter. Il ne savait sans doute même plus compter. Pas à ce point, non, quand même, il venait à peine d’arriver, probablement. Il ne savait plus. Sans Freja il semblait même perdre la notion du temps. Et si les médicaments qu’il prenait pour la récente étude clinique qu’il avait jointe requéraient qu’il ne prenne pas d’alcool, Woody n’en avait que faire, à présent. C’était pour elle, rien que pour elle, qu’il l’avait fait. Même son propre intérêt dans la chose était diminué face à son espoir de lui offrir à elle un meilleur avenir. Alors si Freja n’était plus là, pour Woody, l’espoir était vain. Les efforts ne mèneraient nulle part. Pire, à sa propre perte. Lorsqu’il releva les yeux face à lui, il vit, à travers le miroir, la norvégienne. Elle était là, de l’autre côté du bar, tournée sur le côté mais belle et bien là. Surtout belle, même avec l’esprit embrumé, ça ne laissait aucun doute. Le trentenaire termina sa pinte de bière d’un trait, avant de se lever et de marcher jusqu’à elle. Elle était maintenant dos à lui. Il arriva à sa hauteur et posa une main dans le bas de son dos. « Hey, est-ce qu’on peut … » Elle s’était tournée pour lui faire face et bien vite, Woody réalisa qu’il ne s’agissait pas de Freja. C’était Harmonie. Pourquoi, bordel, se ressemblaient-elles autant ? « Oh. Harmonie. Je … je suis désolé, de loin, je t’ai prise pour Freja … » Il tituba, décontenancé par ce faux espoir. Sans doute était-ce mieux ainsi. Que lui aurait-il dit, à Freja ? Il n’y avait plus rien à dire.

Sortir au Hendrix était devenu une habitude. Seule ou accompagné, tu y allais de plus en plus. Ciàran occupait sans cesse tes pensées, et tu n’arrivais jamais à le chasser de ces dernières. Les seuls moment où tu pouvais ne pas penser à lui, c’était après quelques verres avec tes copines, ou bien seule. Les barmen étaient devenus tes meilleurs amis, et tu te voyais comme la plus grosse des alcooliques. Le malaise qui régnait dans ta vie sentimentale prenait place sur toute ta vie en général. Alors que ce soir tu étais accompagné de quelques amies à toi, on vient à ta rencontre. Etonnée en reconnaissant la voix de cet inconnu, tu écoutais ce que te disait cet homme, avant de détourner le regard. Woody. Surprise de le voir là, mais heureuse, tu souris. Il t’avait pris pour Freja, ta meilleure amie. Et ce n’était pas le premier à l’avoir fait. « On me le dit souvent » dis-tu en souriant. Il semblait être mal, un peu éméché. Tu posais ta main sur son épaule, lui offrant un regard bienveillant. « Woody, tu vas bien ? » demandas-tu à ton ami inquiète. Tu n’avais pas eu de ses nouvelles depuis un moment, et tu te doutais que sa vie avait été tumultueuse. Freja étant ta meilleure amie, tu avais eu des brides d’histoire de ce qu’il s’était passé entre eux. Mais sans jamais savoir le fond de tout ce qui se tramait entre eux. Ce soir, tu mettrais tes problèmes de côté, pour une fois, et tu essayerais d’être là pour quelqu’un d’autre que toi-même.

Harmonie afficha la même surprise que lui, et pourtant ce n’était pas elle qui avait l’impression d’avoir été coincé par un mirage, d’avoir été berné par une douce illusion. Il la regarda, faisant enfin toutes les distinctions possibles entre le visage de Freja et celui de sa meilleure amie, comme pour se convaincre de se ramener les deux pieds sur terre. Ce ne serait pas ce soir qu’il tenterait le tout pour le tout pour récupérer la femme qu’il aimait – et avec les quelques verres d’alcool ingérés, sans doute était-ce une bénédiction. Après avoir légèrement perdu pied, il sourit à la réplique de la jeune femme, puis hocha la tête. « J’imagine, ouais. » On aurait pu les appeler les jumelles et c’aurait été pareil, sauf que Freja avait déjà une véritable jumelle. Oh, comment il remerciait le ciel d’être tombé sur Harmonie ce soir, et non pas Sofia. Il avait au moins une chance de survivre, avec la danseuse. Cette dernière posa une main bienveillante sur l’épaule du trentenaire, visiblement inquiétée par son état. « Quoi j’ai pas l’air d’aller ? » Demanda-t-il à son amie de sa voix trop légère, faussement indigné, les traits de son visage bien plus affaissés qu’à l’habitude, bien plus amorphes. Il rit, mais ce rire s’évanouit bien vite alors qu’il porta une main à sa tête, ses doigts touchant doucement la cicatrice qui semblait encore, par moment, brûler contre sa peau. Cette putain de cicatrice qui était à l’origine de cette chute libre. Il ne s’agissait que de quelques jours de silence à peine et pourtant, il avait l’impression d’avoir tout perdu. Cette pause, Woody la percevait comme la rupture finale, et seule Freja lui ferait comprendre le contraire. Et pour le moment, il n’avait eu aucune nouvelle d’elle. « Non, ça va pas vraiment, Harmo … Ça va pas du tout même … » Il soupira, portant enfin son regard absent à elle. « T’as pas parlé à Freja ? » Autrement, elle aurait déjà été au courant de tout, et elle n’aurait pas pris la peine de lui demander ce qui se passait.

La surprise était double. Premièrement, tu ne t’attendais pas à voir Woody ici. Parce que tu l’avais rarement vu au Hendrix en même temps que toi. Et deuxièmement, parce qu’il semblait assez bien éméché. Tu l’étais un peu aussi de ton côté, comme tous les soirs que tu passais dans ce bar à essayer d’oublier ton travail et ton amant. Mais tu mettais tes idées et tes pensées de côté pour l’instant, ton ami n’avait pas besoin d’entendre tes déboires. Il est vrai qu’on vous confondait souvent, avec Freja. Comme si vous étiez des jumelles. Mais non, vous vous étiez juste bien trouvé, au fond. Des ressemblances physiques mais aussi psychiques. C’est pour ça que vous étiez aussi proches, vous deux. « Non, Woody, t’as pas l’air bien du tout » dis-tu d’une voix un peu plus sérieuse. Il semblait s’amuser de la situation. Peut-être voulait-il se voiler la face ? Woody ria, mais ce rire n’était que de courte durée et il se brisait dans le son de la musique qui résonnait dans le bar. Tu ne lui laissais pas le temps de plaisanter non plus. Alors tu te levais de ton tabouret, pour faire face à l’australien. Inquiète, tu arquais un sourcil, cherchant dans ses yeux ce qui pouvait bien se passer en ce moment. « Qu’est ce qui se passe ? Tu sais que tu peux me parler » répondis-tu d’une voix plus douce et plus légère. Même si tu étais la meilleure amie de Freja, il était aussi ton ami avant d’être son petit-ami. Tu ne savais pas vraiment ce qu’il se tramait entre eux, qu’est-ce qui pouvait être la cause du mal du brun. « On a parlé récemment, mais pas de vous. Qu’est-ce qu’il y a ? » demandas-tu le regard interrogateur vers lui.

Il ne le réalisait même plus, Woody, à quel point il avait l’air complètement paumé, avec ses yeux à moitié fermés, sa posture des plus lâches, sa voix vide. Il était en train de s’abandonner lui-même, comme il l’avait fait à maintes reprises dès que la pente semblait trop difficile à remonter. Il était passé maître dans l’art de l’abandon, Woody. Des autres et de soi. Alors quand Harmonie lui dit que non, il n’avait pas l’air bien du tout, il haussa les épaules. « Well. I guess that’s life. » La sienne, en tout cas. Mais il lui donna raison, à Harmonie. Bien vite, il capitula sur ses faux semblants, affirmant qu’il n’allait effectivement pas bien du tout. Quelques jours seulement de cette pause d’avec Freja, et le voilà qui retombait dans ce cercle vicieux de colère et de déchéance. Il n’avait aucune base, et aucun pilier, Woody. Il suffisait qu’on lui enlève celle qu’il aimait, et il s’écroulait plus bas que terre. Harmonie se leva alors de son tabouret, sondant son âme du regard et de son sourcil arqué. Woody la dévisagea, son manque d’équilibre le faisant tout légèrement tanguer. Quand la jeune femme lui apprit qu’elle avait parlé à Freja récemment, mais pas de lui, il eut l’impression qu’un camion venait de lui passer dessus. « Wow. Alors j’suis à ce point-là effacé de sa vie. Au point où j’ai même plus assez d’importance pour qu’elle t’en parle. » Après un léger rictus et un revers de main passé sur sa bouche, il ajouta un : « Fuck. » bien senti. Il se frotta les yeux d’une main, avant de soupirer et de regarder Harmonie à nouveau. « Elle m’a laissé. Enfin, elle appelle ça une pause, mais on sait aussi bien toi que moi ce que ça veut vraiment dire. » Il en avait fait, des pauses, Woody aussi, dans ses jeunes années. C’était la manière facile de laisser tomber quelqu’un, de laisser derrière ceux qu’on ne voulait plus. « Elle m’a si souvent répété qu’elle serait incapable de me laisser, que j’avais commencé à y croire, tu vois … » Alors il était tombé de haut, Woody, ce jour où tout ce qu’il avait voulu faire, c’était de leur gagner quelques années de plus de bonheur à l’état pur.

Tu avais laissé ta soirée de côté avec tes amies pour te concentrer sur ton ami qui ne semblait être pas bien du tout. Alors tu avais posé ton verre, tu avais posé tes affaires et tu t'étais avancé vers le jeune homme pour pouvoir parler avec lui. Tu posais une main sur son épaule, pour lui montrer que tu étais là pour l'épauler ce soir et qu'il n'était pas tout seul. « Racontes-moi, qu'est-ce qui a ? » demandas-tu à ton ami, légèrement inquiète. Tu n'avais pas eu des nouvelles de tes amis en ce moment, tu étais concentré sur tes problèmes personnels et sentimentaux. Quelle piètre amie tu faisais. Tu étais très égoïste pour le coup, et tu n'avais pas eu l'idée de te dire que tes amis non plus n'allait pas forcément bien. Ce soir, tu ferais tout pour rattraper ces moments là, où tu n'avais pas forcément été présente pour tes amis et tu voulais réparer cette erreur que tu avais faites. « Whoa, Woody, calme-toi. Freja ne m'en a pas parlé, mais je n'ai pas pris de ses nouvelles non plus. C'est pas à cause de toi, tranquille » dis-tu simplement en pressant ta main sur son épaule pour lui montrer que tu étais compatissante. Freja n'avait pas parlé avec toi de cette historie, mais tu n'avais pas pris des nouvelles des deux non plus. « Une pause ça peut dire plein de chose, tu sais. Ca peut aussi bien se finir, vois pas le coté mauvais des choses » dis-tu simplement en plantant ton regard dans celui de Woody. Tu voulais le calmer, le faire aller mieux. Et tu allais tout faire pour ne pas qu'il broie du noir. « Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'elle en arrive à cette décision ? Freja ne peut pas t'avoir lâché ça comme ça ! » demandas-tu à ton ami pour avoir plus d'informations sur le sujet.

Dès qu’il avait compris qu’Harmonie n’était pas au courant de ce qui s’était passé entre Freja et lui, il avait snap, comme si ça signifiait qu’il tombait dans l’oubli, qu’il n’avait plus aucune importance. Non seulement, Woody avait eu l’habitude d’être autrefois le centre de l’attention mais en plus, et surtout, il aurait voulu demeurer à tout jamais celui de Freja. Ça lui faisait donc mal de savoir qu’elle n’avait pas mis sa meilleure amie au courant, mais cette dernière lui assura que les deux jeunes femmes n’avaient pas pris de nouvelles l’une de l’autre, tout simplement. « J’croyais que vous vous disiez tout, elle et toi. J’comprends pas pourquoi elle t’aurait pas mise au courant … » Puis, un mélange d’alcool, de peine et de jalousie, Woody fronça les sourcils alors qu’une lueur de colère traversa son regard. « Elle a sans doute préféré courir jusque dans les bras de Landon, j’parie. » Harmonie ne voyait pas cette pause d’un œil aussi négatif que le trentenaire, au contraire, elle mentionna que ça pouvait même bien se finir. Se finir, oui, c’était l’impression qu’il avait par rapport à sa relation avec la norvégienne. Que c’était terminé. Mais ça n’avait rien de bien, à ses yeux. « C’est assez difficile d’y voir un bon côté quand on sait à quel point Freja et moi, ça se termine rarement comme on le voudrait. » Lâcha-t-il, avant qu’Harmonie ne le questionne davantage sur cette décision prise par sa meilleure amie. Woody soupira. « I was stupid, that’s what happened. Je l’ai déçue une fois de trop, j’l’ai laissée de côté pour une décision importante et elle ne me fait plus confiance … » Il passa une main sur ses yeux, puis sur son front, visiblement mal en point. « J’ai mal à la tête. J’dois sortir d’ici. » La musique, la chaleur, le mélange de l’alcool et de ses médicaments, c’était trop.

Il s’était passé un temps où tu n’avais pas pris de nouvelles de Freja, parce que toi-même, tu étais très chamboulé dans ta vie. Ta nouvelle relation avec Ciàran, ton travail au club, tes cours de danse avec Concho, et surtout le fait que tu venais d’apprendre que tu avais une famille du côté de ton père, ici à Bowen. « J’ai eu mon lot de soucis de mon côté, alors je n’ai pas été là pour elle. J’m’en veux pour ça, mais j’peux rien y faire. C’est pas que t’es pas important pour elle, c’est juste que j’pensais que tout allait bien… » dis-tu en baissant les yeux. Tu te sentais coupable de savoir que tu n’avais pas pu être là pour ta meilleure amie quand elle en avait surement le plus besoin. Mais ce soir, c’était de Woody dont tu devais t’inquiéter. « Dis pas ça, Woody… »dis-tu en soufflant lorsqu’il mentionna Landon. Tu savais le penchant qu’avait la norvégienne pour ce garçon mais tu savais que son amour pour l’australien pouvait battre vents et marées. Enfin, c’est ce que tu te disais, et c’est ce que tu espérais. Quand tu étais convaincu de quelque chose, il était difficile de te faire changer d’avis. « Parles-moi, bon sang ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » demandas-tu à ton ami, pour essayer de trouver une solution à son problème. Tu n’aimais pas voir tes amis dans le mal comme ça. Et il en faisait partie, alors tu n’allais pas le laisser tranquille. Lorsqu’il t’avoua qu’il avait mal à la tête et qu’il voulait partir, tu attrapais ton sac pour le suivre à l’extérieur. « J’te suis, j’te lâcherais pas, tu le sais ça ? » demandas-tu à l’australien avec un léger sourire.

La Terre tournait autour de Woody, si on se fiait aux raisonnements constamment égoïstes de l’homme. Si son monde cessait de tourner alors cela voulait nécessairement dire que tout le reste se figeait aussi. C’était du moins l’impression qu’il donnait alors qu’il reprochait presque à Harmonie de ne pas avoir été mise au courant de cette pause entre Freja et lui. Comme si le seul rôle d’Harmonie était d’être le tampon entre les deux amants maudits. Comme si elle n’avait que pour seule aspiration d’être celle à tendre l’oreille vers l’un ou vers l’autre. Woody fut quelque peu ramené à l’ordre lorsque la jeune femme lui avoua qu’elle avait eu son lot de soucis, de son côté, raison pour laquelle elle n’avait pu être là pour Freja. « Don’t worry about it. D’toute façon s’il fallait que tu saches en permanence où on en est, elle et moi, t’en aurais le vertige … » Ils étaient durs à suivre, Woody et Freja. Ils ne dansaient jamais sur le même pied, jamais sur le même rythme. Et surtout, il leur arrivait trop souvent d’aller valser dans les bras des autres, dès que leurs pas de deux devenaient trop complexes. D’où la mention de Landon dans cette conversation. « Pourquoi j’le dirais pas ? Au moins en le disant j’aurai l’air un peu moins con quand ce sera vrai. Parce que j’l’aurai au moins su depuis tout ce temps. » Il haussa les épaules, lâchement, à la question d’Harmonie qui tentait de soutirer davantage d’informations à la loque humaine qu’il devenait. « I fucked up … » Répéta-t-il, incapable d’aligner plus de mots que ceux-là pour le moment. C’est pourquoi il décida d’aller dehors, parce que la chaleur de l’intérieur l’étouffait. Harmonie affirma qu’elle le suivrait. Il esquissa à son tour un faible souvenir, avant de poser une main sur l’épaule de son amie, distraitement, faiblement, en guise de remerciement inavoué. Puis, il sortit du bar suivi de près par la danseuse qui s’assit aux côtés de l’homme, sur la bande de trottoir. Un instant de silence passa. « J’me suis inscrit pour un essai clinique. Une chirurgie au cerveau. Y’avait des risques et je lui ai rien dit. » Il inspira profondément, le haut-le-cœur paralysant son corps. « Et j’aurais pas dû boire avec tous ces médicaments … » Arriva-t-il à prévenir avant de se pencher entre ses deux jambes pour vomir sur le ciment de la rue.