we own the night (ella)

« My loneliness is killing me, I must confess I still believe when I'm not with you I lose my mind, give me a sign, hit me baby one more time » étaient-ils en train s’époumoner. Au fil de la soirée, les choix de musique relevaient davantage du guilty pleasure et les voix se faisaient moins juste. Mais ce n’est pas grave, les quelques personnes présentes dans la salle n’ont plus autant d’exigences après quelques verres d’alcool dans les veines. Les gens deviennent plus conciliants et si ça ne leur convient pas, ils peuvent toujours partir. Accompagné de sa fidèle acolyte, Carlisle ne pensait plus aux autres, qu’à leur chanson, leur moment de gloire qui les rendraient sans doute célèbres. S’il est assez carré, perfectionniste et sain dans sa vie quotidienne, les choses dérapent allègrement lors de soirées karaoké ou blind test. Un autre homme se révèle, bien plus libre et plus imprévisible. Pour ne rien aider, il a bu quelques verres, s’emportant dans l’euphorie du moment, son haleine est un mélange de bière et de cocktails qu’il a découvert au fil que la soirée avançait. Tandis qu’il donne le meilleur de lui même sur scène, il se tourne vers Ella qui chante avec lui, lors voix imparfaites s’unissant pour l’amour du karaoké et des chansons populaires. Tous les deux amis depuis de nombreuses années, il n’était pas rare de les voir fourrés ensemble à ce genre de soirées. Lorsque la chanson se termina, le jeune homme descendit de la scène pour laisser sa place au suivant. Il attrapa un verre d’eau posé sur sa table, toujours prévoyant et bu l’entièreté avec une rapidité déconcertante. Le souffle toujours court de leur performance artistique, il se tourne vers elle pour lui dire « Un jour on devrait sortir un album de reprises, ça aurait un succès fou ! » Il n’était pas sérieux mais cette idée le fit rire, sans doute aidé par l’alcool qu’il n’était pas habitué à boire.

« My loneliness is killing me, AAAAND I  I must confess I still believe... STILL BELIEVE when I'm not with you I lose my mind, give me a sign, hit me baby one more time » Plus la soirée passait et plus leurs choix se portaient sur ces chansons coupables qu'ils ne chantaient qu'en fin de soirée, ou sous la douche. Ces chansons coupables où les choeurs trouvaient toute leur importance. Et Ella les valorisait, ces choeurs, vu l'énergie (et la voix) qu'elle mettait dans ces petites phrases qui apportaient la touche finale à l'interprétation. Certes, l'interprétation était à revoir, mais ni Carlisle, ni elle semblaient en tenir rigueur. Ils ne comptaient même plus le nombre de karaokés qu'ils avaient pu faire ensemble et les nombreuses faussetés qu'il y avait pu avoir durant leur vaine carrière musicale. Il était son duo, son binôme parfait pour cela. Ajoutez à cela quelques cocktails ingurgités et toute trace éventuelle de honte disparaissait. Noah dormait chez un copain ce soir, Ella en avait donc profité pour ne pas se limiter. Ce soir, elle n'était pas une mère, mais juste une femme qui prenait du temps pour soi. Enfin ! Carlisle, aussi, avait forcé sur la boisson ce soir et c'était étonnant venant de sa part, lui qui insistant tant sur son mode de vie sain. Mais les deux amis s'étaient laissés porter par la joie et la bonne humeur environnantes. Descendant de scène, elle suivit son ami et but une gorgée de mojito pour éponger sa soif. En entendant Carlisle, elle étouffa un rire, avant de porter un regard sur lui : « J'accepterai de poser ma belle voix de diva à une seule et unique condition. Que tu me laisses sortir LA note de All by myself, de Céline Dion. Ok ? » Tout le monde la connaissait cette note, ce fameux « Anymore » qui tenait dans la durée et montait dans les aigus. La note qu'elle foirait, évidemment. « Mais si tu me laisses faire ça, il faudra que tu baisses le prix de l'album de 50%. Au moins ! » ajouta-t-elle en riant.

Les gens qui étaient montés après eux sur scène et qui commençaient à chanter n’étaient clairement pas plus sobres qu’eux et ne chantaient certainement pas mieux. S’il avait été sobre, Carlisle se serait sans doute demandé comment font les patrons pour supporter ce vacarme tous les soirs et également les voisins, qui même avec une bonne isolation, doivent entendre des gens chanter de manière abominable des chansons tout à fait insupportable au bout d’un moment. La réponse d’Ella à sa proposition le fit à nouveau rire. Même si à ce stade, un rien le fait rire et le rend joyeux, ce qui dessine de petites pommettes sur ses joues. « Adjugé vendu, ça rentre en prod ! » annonça-t-il sachant que le projet ne verrait jamais le jour car demain il l’aura soit oublié soit sera conscient que c’est une idée tout à fait stupide. « Nan j’suis sûr que tu peux très bien le faire, c’est juste que là, fin, on a déjà fait mieux niveau chant tous les deux. » Et sur ce il décida de commander un nouveau verre : mauvaise idée. Mais il y a des soirs comme ça où la raison le quitte et où il redevient un jeune homme inconscient comme s’il avait à nouveau vingt ans. Pourtant il a appris que de faire les choses sans réfléchir et sans faire attention ça ne mène à rien de bien. Ce soir il semble reproduire les erreurs qu’il s’est promis de ne plus refaire, comme trop boire par exemple. Après avoir bu un shot d’alcool et en avoir proposé un à son amie, il décide qu’il est temps de s’occuper un peu. « Hey, y’a de la musique, on n’a qu’à danser. » propose-t-il en attrapant la main de la jeune femme pour l’emmener dans un endroit un peu plus dégagée et propice à la danse.

Sortir des idées complètement saugrenues était probablement le signal indiquant qu'il fallait arrêter l'alcool pour cette soirée. Mais cette idée ne traversait pas l'esprit d'Ella, qui répondait sans hésitation au délire de son ami. Alors quand il accepta son marché et qu'il parla de prod, la jeune femme hocha vigoureusement la tête : « Compte sur moi ! » Heureusement qu'ils ne vivaient pas dans une mégalopole, où il serait tout à fait possible de trouver un studio ouvert à cette heure-là. Leur compte en banque aurait probablement grimacé face aux envies de célébrité des deux camarades. L'écoutant avec attention, elle se mit à rire quand il lui affirma qu'ils avaient fait bien mieux, niveau chant. « Pas faux ! Il faut vraiment que l'on arrête de boire, si on veut garder notre voix. » Mais elle termina à peine sa phrase que son ami était déjà en train de commander un verre. Elle le regarda en arquant un sourcil, avant qu'un sourire taquin ne vint se dessiner sur ses lèvres. Foutu pour foutu, disait-on ! Délaissant les cocktails et optant pour les shots, Ella reprit : « Je vais avoir du mal à retrouver le chemin de ma maison, si on s'attaque à ça. » Mais ce n'était pas une raison pour qu'elle refuse cette Tequila Paf qui lui faisait de l'oeil. Une fois les verres avalés, Carlisle se releva et attrapa la main de la brune, l'entraînant dans un coin plus dégagé afin qu'ils puissent danser. « Je ne dis jamais non à une danse. » En tant qu'ancienne danseuse, la jeune femme ne pouvait pas refuser. Les rythmes endiablés les poussèrent à se déhancher, tourner, esquisser quelques pas, sous les rires et les sourires. Mais quand une personne monta sur scène pour chanter une nouvelle chanson, Ella comprit, dès les premières notes, que cela allait être une mélodie plus douce, plus lente. Le regard complice, la jeune femme se rapprocha de lui et passa ses bras autour de son cou. L'alcool désinhibait totalement, si bien que la distance entre leurs deux corps était moindre. Les lèvres près de son oreille, la brune souffla : « Je n'ai pas envie que cette soirée se termine... »

Il était déjà trop tard quand Ella proposa d’arrêter de boire, il avait déjà commandé des shots. De toute façon ils avaient déjà trop bus pour avoir une voix qui n’éclate pas les tympans des gens sobres. Carlisle haussa les épaules, plus vraiment conscient de toute ses actions, se laissant seulement porter par la soirée. Quand il lâche prise il le fait vraiment, même s’il n’en est pas vraiment conscient. Il s’en rendra sûrement compte le lendemain matin quand la lumière fera exploser sa tête et qu’il n’aura comme seule envie de rester sous la couette jusqu’à ce que ça aille mieux. Mais il faudra bien qu’il se lève, pour assurer le service du soir et aller se réapprovisionner chez ses fournisseurs qui vont sans doute remarquer qu’il a bien fait la fête. Comme il ne sort pas beaucoup et surtout ne boit jamais autant, quand il le fait, ça se remarque directement pour les gens qui le connaissent un minimum. « J’te raccompagnerai. » dit-il comme si lui allait facilement retrouver le chemin et que ça règlerait le problème. Elle lui suivit pour aller danser et il se déhanchèrent sur une musique tout aussi guilty pleasure que la leur. C’était cette heure où les gens se lâchaient en en ayant plus rien à faire, comme eux. L’ambiance changea quand une autre personne monta sur scène pour interpréter une musique plus lente et mélancoliquement mais pas de manière plus juste que les précédents. Pour coller au rythme, les deux amis se rapprochèrent, Carlisle passant ses bras autour de la taille d’Ella. Alors qu’elle lui glissait quelques mots à l’oreille il esquissa un sourire avant de lui répondre. « Moi non plus. » Il sentait que quelque chose avait changé et qu’ils n’étaient plus juste deux amis ayant trop bu et dansant innocemment. Il sentit qu’avec cette proximité il avait envie de plus mais même avec de l’alcool il n’osait rien faire si ce n’est se rapprocher un petit plus d’elle.

Ella avait sobrement évoqué l'idée d'arrêter de boire, mais cela relevait davantage de la plaisanterie plutôt que d'une réelle prise de conscience. Ils n'avaient pas à prendre la voiture et personne ne les attendait à la maison dans le but de les réprimander. Le seul risque qu'ils encouraient était une belle gueule de bois, le lendemain. Carlisle allait, par ailleurs, bien déguster demain, au travail. Il était celui qui devait se lever le plus tôt, puisque la jeune femme ne prenait son service au bar qu'en fin de journée. Elle aura le temps de décuver et de compatir pour à son ami qui, lui, ne pouvait déroger à ses responsabilités de propriétaire de restaurant. Elle qui rêvait d'avoir son propre magasin se disait finalement qu'il était bon d'être une simple employée. Quand les shots arrivèrent, elle plaisanta sur le fait qu'elle allait avoir du mal à retrouver le chemin de sa maison. Elle esquissa un sourire aux paroles de son ami. « J'espère bien ! » Elle ne craignait pas de rentrer seule. Mais elle mourrait d'envie de voir Carlisle galérer autant qu'elle pour retrouver justement la direction de leurs foyers. Alors que la musique retentissait de nouveau, les deux amis rejoignirent la pseudo piste de danse pour se défouler. Mais très vite, la mélodie se fit plus lente. Sûrement un gars qui espérait emballer sa conquête d'un soir, grâce à sa voix de ténor éméché ! Mais cela suffisait pour que la jeune femme se rapproche de Carlisle, se laissant accueillir dans ses bras. Leurs corps suivant le rythme, Ella resserra son emprise autour de son cou, sa tête près de la sienne, ses lèvres lui murmurant cette envie de ne pas voir cette soirée se terminer. Lui aussi semblait partager cette idée. « Ne me lâche pas alors... » Elle était trop bien, là, déconnectée de la réalité et de son statut de mère débordée. Ce n'était sûrement pas une bonne idée, mais à cet instant, elle s'en contrefichait. Seules les mains de Carlisle sur sa taille comptaient, alors qu'il se rapprocha encore un peu d'elle. Sa tête enfouie dans son cou, Ella apprécia davantage le parfum du jeune homme. Elle avait toujours aimé son parfum. Mais ce soir, il l'envoûtait. Lui faisait perdre pied.  Reculant légèrement la tête, elle plongea son regard dans le sien, ses yeux soutenant ces yeux marrons dans lesquels elle lisait tant. Son visage était si près qu'elle pouvait presque sentir le souffle de Carlisle sur sa peau. Alors que le ténor termina sa chanson, Ella ne s'éloigna pas pour autant. C'était la dernière chanson de la soirée karaoké. Mais comme elle l'avait dit, elle ne voulait pas que ce soit le terme de leur soirée. « Tu as dit que tu me raccompagnerais, non ? » Elle était nulle pour arriver à ses fins, maladroite comme tout, mais cela sonnait clairement comme une invitation.

Il n’y avait que cette musique chantée par un homme bourré pour lui rappeler dans quel monde il était. Carlisle semblait oublier tout le reste. Bien plus que les gens autour, c’est toute sa vie qu’il oubliait, ses principes bien forgés, sa vie rangée et ordonnée. Ce soir il mettait un coup de pied dans la fourmilière en s’autorisant plus de verres que de raison et en dansant avec Ella. Ce n’est pas dans ses habitudes tout ça, loin de là. Le karaoké a réveillé en lui quelque chose d’enterré depuis longtemps en dessous de sa vie bien organisée et saine. Son regard plongea dans celui de la jeune femme. Il était tout prêt d’elle mais aucun des deux ne voulaient franchir la ligne rouge, le point de non retour. Non, il ne pouvait pas céder. Revoir Effy qui lui disait qu’il n’y était pour rien dans sa tentative de suicide l’avait bien plus chamboulé qu’il ne se le faisait croire. Voilà des années qu’il n’a plus dansé avec quelqu’un de cette manière, qu’il n’a plus rien fait et qu’il a gardé ses distances. Mais à quoi bon au final si le prétexte à tout ça n’existe plus ? Il n’a plus de raison de se mettre cette barrière dans sa vie sentimentale. Pourtant il a du mal à s’en détacher, il a changé, son nouveau lui n’a jamais connu quoi que ce soit d’un point de vu amoureux ou même sexuel. Tout ça semble si loin, il se demande s’il n’a même pas oublié comment tout ça fonctionne. Finalement leurs souffles s’éloignèrent quand la musique se termina, tout comme la soirée dans le bar. Pourtant il n’avait pas envie d’en rester là, sentant que même en ayant trop bu il ne dormirait pas de la nuit en pensant à tout ce qui aurait bien pu se passer, à tout ce qu’il aurait bien pu faire. « Oui. » dit-il en hochant la tête, un peu perdu par la tournure que prenaient les événements. Il lui attrapa la main pour traverser la foule et retrouver un peu d’air frais dehors. Il regarda dans les deux directions qui s’offraient à lui. « C’est par là non ? » demanda-t-il en hésitant, montrant d’un signe de la main la direction qu’il voulait prendre. L’avantage d’être dehors c’est qu’il y avait moins de monde autour d’eux et que Carlisle pouvait un peu reprendre ses esprits, même si avec la quantité d’alcool circulant dans son sang, c’était bien plus dur que d’habitude.