we don't have to dance • ft. landon

Un sourire béat aux lèvres, je répondais au dernier sms que m’avait envoyé Azriel, avant de ranger finalement mon téléphone histoire de ne pas passer pour une geek finie alors que j’étais venue passer une soirée tranquille au Elm Street. Je fréquentai l’endroit depuis des années, en bonne bowenienne que j’étais. J’aimais son ambiance décontractée et sans chichi. Je m’y sentais bien, y connaissais du monde, et si je lui avais fait quelques infidélité depuis qu’Azriel bossait au Hendrix, je prenais toujours grand plaisir à y passer du temps. Comme ce soir. Je n’étais pas rentrée chez moi aujourd’hui, après mes cours au lycée, n’avais pas touché un pinceau non plus. Fait assez rare pour être souligné. L’art, la création était pour moi comme un drogue, et j’avais souvent du mal à envisager une journée sans. Malgré tout, je n’avais pas eu envie de sortir mes couleurs aujourd’hui. L’exposition à laquelle je devais bientôt participer, approchait à grand pas, et cette perspective, je crois, me stressait un peu. J’avais besoin de prendre un peu de recule, de penser à autre chose. Un cosmopolitan allait m’aider dans l’affaire, c’était mon cocktail préféré depuis toujours, en grand fan de Sex and the city, il ne pouvait en être autrement. J’en commandais donc un au bar, remerciait le barmaid d’un sourire puis trempai mes lèvres dans le liquide rose pour déguster ma première gorgée. Venir seule au bar était rarement anodin, cela renvoyait au contraire un message assez clair : je suis libre et dispo. J’en avais conscience, j’en jouais d’ailleurs peut-être un peu. Je ne venais pas là nécessairement dans l’optique de ramener un homme chez moi, ce soir, mais l’idée ne me déplaisait pas non plus. Je préférais ne pas faire de plan sur la comète, laisser les choses venir comme à mon habitude. Cela m’offrait aussi la possibilité d’observer les gens autour de moi, ce que j’avais rarement l’opportunité de faire lorsque j’étais accompagnée, bien sûr. Des yeux, je parcourus la salle, m’arrêtant sur quelques clients du bar en jouant à deviner quel métier ils faisaient, ce qu’ils aimaient dans la vie et leur état d’esprit du moment. Cela m’aidait à développer mon imagination et m’entrainait à capter des détails que peu de gens remarquai, ce qui, en tant qu’artiste, était très enrichissant. Je m’arrêtai alors sur un jeune homme, accoudé au bar, un verre presque vide posé devant lui. Son regard, comme le mien, était perdu dans la foule. Je me demandai bien à quoi il pouvait penser. Jouait-il, comme moi, à inventer une vie à ceux qui tombait dans son champ de vision ? Il avait l’air bien sérieux, presque trop. Un peu taciturne aussi peut-être. S’il n’avait pas cligné de cils, j’aurais presque pu l’assimiler à une statue de cire. C’était fascinant. Qui était-il, quelle était son histoire ? Ma curiosité piquée, je me penchais soudain vers le barmaid et lui demandai d’aller resservir cet homme de ma part. Quand je croisai enfin les iris bleus de l’inconnu, visiblement surpris de mon intiative, je levai mon cocktail vers lui, offrant mon plus beau sourire.
— Vous aviez l’air d’avoir besoin d’un remontant, dis-je avec malice.

C’était pas ton univers, pas l’endroit dans lequel tu aurais réellement voulu passer ta soirée. Même ce verre que tu venais de terminer n’avait pas réussi à te libérer, à te faire voir les choses un peu différemment. Depuis que t’avais débarqué, t’avais pas quitté le bar, accoudé à laisser passer ton regard d’une personne à une autre, à les voir s’échanger des sourires pendant que tu étais incapable d’en afficher un sur tes lèvres. C’était difficile de faire face à ce que tu fuyais, difficile de soutenir le regard d’une femme en sachant que si elle venait à s’approcher de toi, votre conversation ne se résumerait qu’à peu de choses. Au final, tu ne savais pas vraiment ce que tu cherchais ce soir, tu ne sais même pas si tu cherchais vraiment quelque chose en fin de compte et il était là peut-être ton problème; tu changeais tes habitudes tête baissée, sans même savoir pourquoi. Tes doigts faisant glisser le verre sur le bar, t’avais senti quelqu’un venir te l’arracher, t’obligeant à te retourner vers le barmaid qui le remplissait à nouveau, pointant du doigt une brune non loin de toi. Sur le coup tu ne réagis pas, t’avais oublié que c’était de cette façon que l’on attirait l’intention des gens, que ce n’était pas un regard qui ferait venir quelqu’un à toi, mais bien un verre. Mais sur le coup tu ne bouges pas, il faut que cette femme se mette à te sourire en levant son verre pour qu’enfin tu te redresses légèrement, l’entendant s’adresser à toi. Tu plisses légèrement les yeux, comme si tu cherchais à comprendre, comme si tu tentais de cerner ce sourire que ses lèvres venaient de dessiner. Attrapant la consommation qu’on venait de t’offrir, tu l’emportes avec toi pour réduire la distance qu’il y avait entre vous, te retrouvant aux côtés de cette brune, le regard posé sur le sien alors que tes lèvres s’abstenaient du moindre sourire… pour l’instant. «Et vous, vous aviez désespérement besoin que l’on vous tienne compagnie pour jeter votre dévolu sur moi?» demandes-tu en esquissant ce qui semblait être un sourire, tendant ton verre vers le sien. «J’espère que vous allez pas regretter votre choix, je suis pas la personne la plus sociable qui soit. Mais je peux essayer de faire un effort, après tout vous m’avez offert un verre, je vous dois bien ça, non?» que tu conclues en portant le verre à tes lèvres, le déposant par la suite sur le bar pour glisser ton regard sur cette parfaite inconnue dont le sourire semblait presque indélébile. Car il y avait une différence entre elle et toi, c’est qu’elle savait sourire et le faisait aussi bien avec ses lèvres qu’avec ses yeux, peut-être était-ce pour cette raison que tu la regardais sans trop de difficulté, peut-être même que t’arrivais à en apprécier l’échange… peut-être.

Les mystères me fascinaient. J’aimais quand rien n’était tangible, qu’il fallait voir au delà des apparences. Je me souvenais qu’en rencontrant Azriel, par exemple, j’avais adoré déceler sous son image de skateur adulescent, toute la complexité de sa personnalité. J’aimais percer la coquille pour découvrir le trésor qui s’y cachait. Chez le garçon du bar, j’entrevoyais une carapace, épaisse et portée à l’instar d’un bouclier contre le Monde. Cela m’intriguait. Non que je ne veuille nécessairement le mettre à nu, ou du moins pas dans l’immédiat, mais j’étais passionnée par l’être humain et son immense diversité, et dès que j’entrevoyais une personnalité particulière, je devais en savoir plus. Piquée de curiosité, je n’avais pu résister à l’envie d’offrir un verre au jeune homme. Et puis, il fallait admettre qu’il n’était pas désagréable à regarder. De belle stature, plutôt grand, élancé. Des muscles dessinés se devinaient sous ses vêtements et que dire de son regard perçant. Ces yeux là pouvaient faire l’amour avec un seul regard, je n’avais pas de mal à y croire. Il existait des gens, doué de cette sensualité inné qu’il était difficile de décrire. L’homme du bar en faisait partie. C’était comme si la chaleur enveloppante d’un feu se dégageait de lui sans qu’il n’y puisse rien ; c’était complètement naturel. Et n’importe quel papillon avait envie de s’y cramer les ailes. Je fus étonnée, toutefois, qu’il pense ne pas être de bonne compagnie. Quel image avait-il donc de lui-même ? Avais-je simplement affaire à un taciturne ? Quel bonheur que ces garçons qui avaient peine à se livrer de prime abord, leur secret une fois révélés, n’en étais que plus savoureux.
— Je ne veux pas que vous vous sentiez obligé, dis-je sans me départir de mon sourire, je ne suis pas du genre à imposer des contraintes.
Je bus moi aussi une gorgée de ma boisson, sans détacher mon attention de l’homme. La vodka, même mêlée au citron et à la canneberge, me brûla légèrement la gorge. C’était agréable.
— Mais je dois quand même avouer que votre compagnie me ferait plaisir. Que faites-vous, seul, au bar. Vous attendiez quelqu’un ?

Et si ce soir, tu avais cherché à sortir de ta zone de confort, à te retrouver sans aucun repère et livré à toi-même? Depuis des semaines, tu errais dans cette maison bien trop grande pour toi. Tu t’enfermais dans une solitude qui prenait sans cesse le dessus. Une solitude que tu avais su vaincre grâce à… ou plutôt avec Freja, quand elle était encore présente. Quand elle avait ce même besoin que toi d’oublier, de s’évader, de ne pas être jugée. Mais il a suffi d’une soirée pour tout faire basculer, de t’attaquer à celui qu’il ne fallait pas pour que cette bulle qui vous tenait à l’abri de tout n’éclate et vous éloigne à cause de tensions qui n’avaient jamais existé auparavant. T’as jamais su la retrouver, t’as même jamais essayé parce que le confort qu’elle avait su t’offrir s’était volatilisé en même temps qu’elle, et ta confiance avec.
Seulement ce soir, il y avait chez cette inconnue quelque chose d’apaisant, tu ne savais pas si c’était le naturel de son sourire ou cette lueur dans son regard mais à mesure qu’elle parlait, tu sentais ton corps se relâcher, mais pas suffisamment pour trouver les bons mots, pour lancer cette conversation de la bonne façon.  «Peu importe que vous en imposiez ou non, vous n’obtiendriez rien de ma part.» lâches-tu maladroitement. C’est instinctif, c’est ce besoin de fermer la porte à la moindre ouverture qui prend sans cesse le dessus et c’est pour ça que tu descends ton verre d’une traite. Pourtant elle continue de te regarder, elle garde son sourire, son attitude ne change pas, elle t’accorde toujours la même attention et t’en baisses les yeux quelques instants, tes sourcils qui se froncent légèrement. Sa voix t’oblige néanmoins à relever ton regard, faisant alors face à ton parfait opposé: elle dégageait quelque chose qui te gagnait peu à peu et ça se voyait à ce sourire qui se dessinait discrètement dans le coin de tes lèvres.
«Non pas du tout, j’attendais personne. En fait, je sais même pas pourquoi je suis venu ici. Peut-être pour trouver des repères?» demandes-tu indirectement en haussant les sourcils, les lèvres légèrement pincées, comme si tu remarquais seulement maintenant que tu t’étais égaré sans raison dans ce bar. «A moins que ce soit là que je suis censé dire que c’était pour me faire accoster par une parfaite inconnue?» ajoutes-tu en haussant les épaules, un sourire naissant encore un peu plus sur tes lèvres tandis que tu fixais ses pupilles. «Une inconnue qui ne s’est pas présentée d’ailleurs.» Et tout en faisant signe au barman de te remettre un verre, tu t’accoudes au bar, retrouvant l’attention de la jeune femme.

Spoiler:

Une porte close, c’était l’image que me revoyait l’homme du bar. Une porte, oui mais pas nécessairement infranchissable, j’avais le sentiment qu’il me suffisait de creuser un peu pour entrevoir la clef. Heureusement, la persévérance faisait partie de mon caractère. De prime abord, le jeune homme me rembarra, assez sèchement d’ailleurs, mais je ne pus m’empêcher de laisser échappée un petit rire, complètement décontenancée mais amusée à la fois. Ca n’allait pas être simple…Une chance que j’aimais les challenges et que je n’étais pas du genre à m’avouer vaincu à la première difficulté. Mon objectif ? Lui soutirer un sourire, sincère bien sûr, pas calculé. Un sourire du cœur. Et à constater le frémissement, à peine perceptible, au coin de ses lèvres, je n’étais pas loin du but. Et puis il se mit à me parler, à s’ouvrir un peu. Un tout petit peu, mais je sus m’en contenter.
— En général, on trouve plutôt des piliers au bar, mais pas sûr qu’on puisse s’en servir de repère…
Je pouffai, et me pinçai l’arrête du nez en rigolant.
— Pardon, elle était nulle.
J’étais persuadée qu’on venait rarement au bar sans raison, et au contraire pour rechercher une certaine compagnie. Ceux qui disaient ne venir que pour l’alcool se mentaient à eux-même, selon moi. Boire était plus facile et moins cher chez soi.
Ca n’était là que mon opinion. Un sourire fendit mon visage lorsque l’homme chercha à connaître mon prénom, signe que ma présence ne l’importunait pas plus que cela finalement.
— Je m’appelle Lys, répondis-je, voilà, maintenant, je ne suis plus une inconnue. Mon tort est réparé.
J’essayai d’enrober mes sourires de toute la douceur dont j’étais capable pour tenter de mettre le jeune homme à l’aise. J’espère sincèrement qu’il perceverait la bienveillance de mes intentions.
— Et toi ?

Spoiler: