A sky full of stars + Landon

La nuit lui appartenait à lui seul. Léo semblait être un homme qui avait besoin d’être entouré, d’amis, de bruit, de monde. Il passait volontiers ses soirées au bar avec des copains, ou à faire de grosses fêtes chez lui. Quand il ne travaillait pas chez lui on le trouvait plus souvent devant la machine à café ou bien dehors, une clope au bec à discuter avec des collègues plutôt que seul enfermé dans un bureau. Il avait besoin de contact, de parler, d’échange. Mais il n’avait pas toujours été comme ça. Petit garçon solitaire qui n’avait pas beaucoup d’amis, il avait passé des années à s’inventer un ami imaginaire, à noircir des cahiers d’histoires abracadabrantesques sorties droit de son imagination, à dessiner tout et rien ou encore à se perdre dans la nature pour se faire ses propres aventures. De ce petit garçon à l’enfance isolée et au caractère renfermé il restait pourtant beaucoup, des voyages en solitaire à l’autre bout du monde, des journées entières devant son Mac à traiter ses photos sans parler à personne, des nuits d’insomnie à fixer le plafond ou à s’enfuir de sa chambre pour mieux observer la nuit. Celui que l’on pensait sociable, philanthrope, bavard et même trop engageant parfois se cachait derrière ce côté volubile pour faire oublier qu’il était en vérité bien plus misanthrope que ce qu’on pensait. On n’effaçait pas des années de solitude en un claquement de doigts, avec quelques amis ou une fille dans ses bras, mais c’était difficile pour Léo de montrer aux autres ce côté de sa personnalité. Cette noirceur que peu soupçonnaient en lui, en règle générale il arrivait à plutôt bien donner le change et c’était tant mieux, il ne voulait pas qu'on s'inquiète pour lui. Ce soir il s’était échappé du lit qu’il partageait depuis quelques semaines déjà avec Blanche, la regardant se retourner dans son sommeil pour caler sa tête sur l’oreiller encore chaud qu’il laissait derrière lui. Il n’arrivait pas à dormir, ça lui arrivait souvent bien qu’elle n’en sache rien et que lui n’ait jamais creusé pour savoir quel en était la cause. Il se disait qu’il profitait de ses nuits sans sommeil pour s’adonner à sa passion, la contemplation des étoiles et finalement ça lui allait bien. Emerson s’habilla en silence dans le salon et attrapa avec lui son téléscope avant de fermer doucement la porte de sa maison. Il démarra la voiture et roula jusqu’à la falaise, les nuits australiennes et leur ciel clair étaient propices à l’observation du ciel et le meilleur endroit qu’il connaissait par ici c’était les hauteurs de la ville qui n’étaient pas polluées par les lumières artificielles. Il s’était installé tranquillement et depuis quelques minutes il alternait entre l'observation de ses propres yeux et celle avec sa longue vue. Le bruit d’une branche qui se cassait sous des pas le fit sursauter. Il se retourna pour voir la personne, mais dans la nuit noire il ne vit pas grand chose. Qui est là ? Les pas se rapprochaient de lui et soudain il prit peur, c'était irrationnel, est-ce qu’on pourrait lui vouloir du mal ? La nuit était propice à toutes les interprétations, même les plus folles. Il se leva alors, pour se donner une contenance et ses yeux habitués à l’obscurité remarquèrent une silhouette masculine et l’empreinte rougeoyante d’une cigarette qui se consumait sans un bruit.

Dormir était un mot que tu connaissais de moins en moins, parce que tes horaires irréguliers à l’hôpital t’empêchaient de trouver un quelconque rythme et que ta tête se laissait sans cesse embrouillée par trop de questions. T’avais cru un temps que t’assommer avec l’alcool te réussirait mais t’as jamais été ce genre d’hommes. T’as jamais réussi à te noyer dans l’alcool pour te sentir mieux, t’as toujours dégueulé avant de pouvoir être saoul et oublier ce qui te pourrissait l’esprit. Pourtant il y avait bien une solution, il y avait bien un reste de quelque chose dans ce coffre. A chaque fois que tu passais devant, tu te demandais si tout n’était pas plus facile comme avant, quand il te suffisait de te tirer une vulgaire ligne et de te l’enfiler comme tu t’enfilais des clopes à longueur de journée. Tu te demandais beaucoup de choses depuis des semaines, beaucoup trop pour quelqu’un qui désirait se foutre de tout, qui désirait rester en retrait, rester seul. Mais comme n’importe qui, tu t’es surestimé, t’as pensé que tes faiblesses finiraient par se figer dans un cœur de glace que tu souhaitais rendre imperméable à n’importe quoi, à n’importe qui. Mais la solitude te bouffe, elle est bien plus forte que toi et elle sait faire fondre ce qui enveloppe ton cœur. Assez pour qu’il se remette à battre et te fasse ressentir le besoin d’être entouré. Une sensation désagréable tant tes contacts avec les gens étaient devenus inexistants, ou presque. Pourtant il y avait bien une rencontre que tu avais faite dernièrement, du genre inattendue, impossible à envisager. Et malgré tout, cette personne, c’était presque ton voisin. Vous auriez pu vous croiser à de nombreuses reprises mais il avait fallu que vous tombiez l’un sur l’autre en pleine nuit, qu’il t’aveugle avec son appareil photo pour que tu lui adresses la parole. Et aussi surprenant que ça puisse paraître, vous aviez parlé face à ce qui se dressait au-dessus de vous, librement. Et ce soir, peut-être que c’est ce qui t’avait poussé à aller t’égarer dans les falaises en retrait de Bowen, à longer ces terres. Malgré l’obscurité, tes yeux avaient su s’y habituer depuis le temps que tu marchais, t’écartais certaines branches qui se dressaient devant toi, écrasant d’autres pour te frayer un chemin, t’arrêtant parfois pour tirer sur ta cigarette et apprécier le courant te caresser le visage. Mais quand une voix s’éleva et qu’une personne se dressa à quelques mètres, tu n’avais pas été surpris. En fait tu t’étais préparé à croiser sa route en marchant ici et quand tu emprisonnes la cigarette entre tes doigts, tu t’avances vers Léo dont tu avais reconnu la voix. Vu son intonation, il ne semblait pas aussi détendu qu’à l’accoutumée et sans te poser de questions, tu t’étais avancé jusqu’à pouvoir distinguer l’expression de son visage, retirant de tes lèvres cette cigarette pour lui sourire, presque amusé. «Vu cet air soucieux, ton pire cauchemar faut croire.» lances-tu simplement, passant à côté de lui avant d’observer les étoiles qui se dressaient au-dessus de vous. Un silence semblait s’installer, rien d’anormal tant Léo et toi sembliez être sur la même longueur d’ondes sur certaines choses. Le silence ne vous effrayait pas, ne vous mettait pas mal à l’aise, vous saviez le briser au bon moment, sans que l’autre n’en soit incommodé. «Je suis pas surpris qu’avec un ciel pareil, je te croise ici.» dis-tu en pivotant ton visage vers lui, la cigarette qui avait retrouvé sa place entre tes lèvres. «Ça te dérange si je me pose un moment?»

Il y avait ces amitiés improbables, presque impossibles, qui se tissaient de façon particulière. Léo en avait connu quelques unes, surtout au cours de ses voyages, il avait rencontré des hommes et des femmes passionnants et qu’il avait quitté le cœur lourd en se disant qu’il avait un ami quelque part, qu’à cet endroit là il n’était plus simplement l’étranger qui découvre un pays. Mais à Bowen c’était différent, il pensait y connaître tout le monde, il y avait ses amis d’enfances, ceux de toujours, qui l’avaient vu grandir, toujours la tête dans les étoiles, ceux qui se moquaient gentiment de ce garçon rêveur qu’il était resté. Néanmoins une nuit il avait été surpris par un homme qui avait capté toute la lumière de son appareil photo. Une nuit d’insomnie où il avait pris son boitier pour s’aventurer dans les rues sombres de cette ville qu’il connaissait par cœur. Il avait d’abord vu une ombre, puis la fumée d’une cigarette et il avait appuyé sur le déclencheur, le cliché était parfait, plein de mystère et d’histoires à imaginer, mais il était surtout volé à un parfait inconnu. Alors Emerson s’était approché de lui, quitte à le déranger, il ne voulait pas supprimer la photo mais il devait demander l’autorisation à cet homme de la garder, c’était la règle. Ce fut de cette façon que l’histoire avait commencé, une amitié totalement improbable qui ne prenait forme que dans l’obscurité. Il ne connaissait pas grand chose de Landon en vérité et finalement ça n’avait pas vraiment d’intérêt, étrangement ils s’entendaient mieux dans leurs silences, comme si chacun respectait les absences de l’autre. ils ne se parlaient pas tant que ça et c’était tant mieux, ils ne posaient que peu de questions et il n’en fallait pas plus. Léo ne connaissait que son prénom et son amour pour la cigarette, le reste était anecdotique. Ils n’étaient pas de ces amis qui s’appelaient ou qui se rejoignaient pour prendre un verre au pub, d’ailleurs étaient-ils vraiment amis, on ne pouvait pas réellement le dire. Ils ne se connaissaient pas en plein jour et pourtant ils avaient des connaissances communes, mais ça ils ne le savaient pas, ils n’en parlaient pas, tout simplement. Dans la nuit que seules les étoiles et la lune éclairaient, Léo pensait être seul ce soir mais c’était sans compter sur cette ombre qui s’avançait vers lui. Les branches qui craquèrent le mirent en alerte et il n’en fallu pas plus pour que son imagination s’emballe. La silhouette s’approchait encore et cette cigarette qui contrastait avec la nuit noire, puis ce sourire qu’il distingua dans la nuit et cette voix qui fit retomber la pression. Étrangement il n’était plus si surpris que ça de retrouver Landon par ici et le simple fait de savoir que ce n’était pas un malade qui voudrait le hacher menu lui fit plutôt du bien. Son air soucieux… ça se voyait tant que ça, même dans la pénombre, il était mal barré alors. Léo retrouva sa place auprès de son télescope, enfonçant ses mains dans ses poches et levant les yeux au ciel, il vit une étoile filante, la première de cette nuit. C’est plutôt l’absence de sommeil qui a guidé mes pas. Mais j’ai la chance que le ciel soit en ma faveur, faut croire qu’il y avait une raison pour que je n’arrive pas à fermer l’oeil. Si j’avais su j’aurais pris mon objectif. Il aurait pu faire de belles photos des astres cette nuit, quoi que parfois c’était bien de ne garder que des souvenirs éphémères. Il esquissa un sourire à la demande de Landon, cette place ne lui était pas réservée. Si tu m’offres une clope tu peux rester. Il ne disait jamais non à s’en griller une dans la pénombre, même s’il fumait bien moins que son camarade.