one step behind - sujet libre

Cinq heures du mat’, il n’y a pas un chat dans les rues, et c’est justement ce que j’apprécie. Ce calme avant la tempête, comme une douce torpeur dans laquelle je plonge la tête la première. Je n’ai pas encore bu mon café, vient à peine de me lever, mais j’ai déjà chaussé mes baskets. Prêt pour aller courir. Me retrouver seul avec mes pensées, j’en ai le plus grand besoin. Je faisais souvent ça à New-York, un jogging matinal pour me vider l’esprit, c’était presque nécessaire avec la vie que je menais là-bas. Dès que le soleil se levait, je n’avais pas une minute à moi, toujours par mont et par vaux, au téléphone, en rendez-vous, en négociation de contrat, en déjeuner avec mes auteurs, en soirée mondaine…le répit, je ne connaissais pas vraiment. Pourtant, depuis que j’étais à Bowen, j’apprenais peu à peu une nouvelle vie, je me détachais, prenais un nouveau rythme. Malgré tout, courir dès le matin était devenu une habitude pour moi, presque un rituel. Je n’y coupais pas. Je courais depuis presque une heure déjà, je n’avais pas faibli, ne pensais presque plus. Il ne me fallut qu’une seconde d’inattention toutefois, au moment où je regardai ma montre connectée, pour ne pas voir la personne devant moi. Sans que je n’ai pu maitrisé ma course, ni encore moins m’arrêtai, je la heurté soudain de plein fouet, tombant avec elle dans ma foulée.

Le choc me sonna un instant, et je ne me vis pas tomber. Lorsque mon corps, lourd, s’affala sur le sol avec la personne que j’avais percuté, je ne réalisai pas tout de suite ce qui venait de se passer. Ma main amorti le choc, elle ne tarda pas à me lancer, j’allais sans doute écoper de quelques bleus et égratignure. Au moment où je commençais à reprendre peu à peu mes esprits, une main se tendit vers moi. L’individu que je venais de renverser dans ma course s’était relevé avant moi. Un garçon, dont je n’aurais su donner l’âge et qui faisait son sport, comme moi, me souriait. Visiblement, l’impact ne l’avait pas chamboulé. Je lâchai un petit rire, attrapai sa main et pris appui pour me relever.
— Je n’ai pas fait attention, moi non plus, avouai-je en rigolant, vous avez la tête dur, je suis complètement sonné.
Des étoiles, il était vrai, continuait de danser devant mes yeux. J’avais le tournis.

La chute m’avait un peu sonnée, et je ne devais vraiment pas avoir bonne mine au vu de l’inquiétude que je lisais dans la voix de l’homme que j’avais renversé en courant. Je maudissais ce moment d’inattention, prenant conscience que cela aurait pu être bien plus grave. J’aurais très bien pu me prendre un voiture, ou autre chose. Je devais à tout prix être plus vigilent lorsque que je courais.
— Ca va, je vous assure, dis-je tandis que je me frottais les yeux pour me remettre doucement de mes émotions.
Nerveusement, et amusé aussi un peu je dois l’avouer, je parti d’un petit rire.
— Je vais m’en remettre, promis-je en levant enfin les yeux vers le jeune homme, et vous, ça va ? Je ne dis pas non à un café ceci dit…vous croyez qu’il y en a un d’ouvert à cette heure-ci ?

L'homme me répondit en disant que ça allait, en se frottant les yeux. J'étais toujours un peu inquiet. J'espérai qu'il ne s'était pas cassé quelque chose. C'est alors que l'homme émit un petit rire me faisant sursauter. Je me demandai bien pourquoi il riait. Mais bon je n'allais pas lui poser la question, cela ne se faisait pas. Il continua en disant qu'il allait s'en remettre, en me regardant. Il me demanda ensuite si j'allais bien. J'hochai la tête
"Oui tout va bien pour moi. Alors je ne sais pas du tout s'il y a un café d'ouvert mais si vous voulez je peux vous inviter à en prendre un dans ma boutique, bien que l'on soit dimanche je peux ouvrir exceptionnellement jusqu'à 12h. Je créer des couteaux.

Je me sentais déjà un peu mieux, me remettant doucement du choc. J’avais sans doute besoin de manger un peu, je n’avais rien dans l’estomac et mon dernier repas remontait de la vieil, et à mon souvenir, il n’avait pas été très copieux. Je ne devais pas être loin d’une crise d’hypoglycémie, mais j’en avais vu d’autre. Quand l’homme proposa d’ouvrir sa boutique un dimanche, avec l’excuse d’aller boire un café, je reconnu le bourreau de travail, pour la bonne raison que j’en étais un sacré spécimen, moi aussi. Toujours sur mon téléphone à négocier des contrats pour mes auteurs.
— Coutelier ? relevai-je, ça doit être un métier passionnant ! Mais on va trouver quelque chose d’ouvert, je ne veux pas vous former à ouvrir votre boutique pour moi.

Je vis que l'homme allait beaucoup mieux. Même si je remarquai qu'il peinait à rester debout. Peut être à cause de la fatigue ou alors il avait peut être besoin de manger quelque chose. C'était surement ça. Le jeune homme qui devait avoir a peu près mon âge paraissait étonné de mon métier. Il me dit que le métier devait être passionnant. J'hochai la tête.

- En effet. On peut fabriquer tellement de couteaux différents dépendant les clients. Si vous le souhaitez je pourrai vous en créer un.

L'homme dont je ne connaissais pas encore son identité me dit qu'il ne voulait pas me déranger à ouvrir ma boutique un dimanche et qu'il souhaitait aller autre part. Cela ne me dérangeait vraiment pas mais soit, s'il voulait aller dans un bar je n'allai pas le faire changer d'avis et le retrouver tout gêné dans ma boutique. Je lui souris.

- Allons-y alors à la recherche d'un bar ouvert à cette heure-ci. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup d'ouverts. .

Mon père avait son propre couteau, celui qui ne passait pas au lave-vaisselle et qu’il fallait toujours mettre à droite de son assiette quand on mettait le couvert. Petit, ce couteau m’avait fasciné, au point que la proposition de l’homme me fit sourire.
— J’en serai ravi, dis-je, sans réfléchir plus longtemps, et à la réflexion, je veux bien que nous allions à votre boutique. Vous avez piqué ma curiosité, j’ai très envie de voir votre travail, et puis vous avez raison, on ne trouvera rien d’ouvert avant une heure, ou peut-être même deux.
Comme un gamin, j’anticipai la découverte de ces fameux couteaux, rêvant déjà au mien. Je n’avais aucune idée de la manière dont on façonnait une lame, mais j’étais curieux de nature. Le sourire accroché aux lèvres, je tendis finalement la main à l’homme devant moi.
— Au fait, je m’appelle Henri, et…on peut peut-être se tutoyer ?