the end of an era (tahlia)

Je pense pouvoir dire que cette année avait été bien merdique, et que je ne pouvais qu’avoir hâte qu’elle tire à sa fin – même si, dans les faits, celle à venir ne serait que la continuité de cette dernière. Je n’en étais même pas au bout de ma peine, parce que je m’apprêtais à apprendre que tout ce que j’avais toujours connu au #17 était sur le point de s’effondrer. Perry, Florian, Tahlia et Freja, ils étaient mes piliers. Peu importe ce qui se passait dans ma vie, je savais que je pouvais compter sur eux, que je revenais à eux à tous les soirs et qu’à partir de là, tout irait bien. Mais Freja m’avait déjà annoncé son départ de la colocation et je m’apprêtais à apprendre celui de Tahlia. Je n’avais même pas besoin de connaître cette information pour être déjà débiné. Zelda avait accouché il y a quelques jours de cela, suite à un déni de grossesse, ce qui faisait de moi un papa pour la deuxième fois. Pourtant, je n’avais jamais eu le bonheur de connaître les joies de la grossesse. Ça m’avait été volé à deux reprises. Trente ans, papa d’une fille et d’un garçon, de deux mères différentes, toutes deux mes ex. Beau portrait de famille. Je soupirai en rentrant dans l’appartement, les cernes creusées et les pas lents. Je trouvai Tahlia au salon, qui semblait m’attendre, et je me rappelai dans un flash que nous avions prévu parler, elle et moi, ce matin. Bien plus tôt ce matin. « Oh, merde, Tahlia, je suis désolé, je suis en retard, j’ai complètement oublié … » Je passai ma main sur mon front que je frottai doucement, avant de la rejoindre au salon. « Je me fais un café et j’arrive. Et on parle de tout … de tout. Je t’en fais un ? » Demandais-je, avant de m’éclipser dans la cuisine. Je revins à elle et prit une gorgée de mon café tout en m’installant sur le canapé, à ses côtés. « Bon … J’sais même pas par où commencer. Mais on a évité de revenir sur ce qui s’est passé trop longtemps, et promis j’suis pas en retard parce que je voulais m’en tirer une autre fois. Il faut qu’on parle. » De nous deux, de Freja, et de son départ, même si je ne le savais pas encore.

Son bol de céréales en main, dans lequel elle avait ajouté un pot de yaourt nature, Tahlia revint dans la cuisine, estimant que son petit grignotage était bien trop fade. A vrai dire, elle avait aperçu, dans le réfrigérateur, ce fromage bien coulant et dont l'odeur vous rappelait le vrai terroir. Elle se trouvait donc là à couper des petits morceaux de fromage qu'elle ajoutait dans son bol de céréales, comme si cette mixture était parfaitement normale. En plus des nausées matinales, la brune subissait une arrivée en force des envies de femme enceinte, plus étranges les unes que les autres. Elle qui aimait le fromage, sans plus, se trouvait à l'associer avec tout et n'importe quoi. Et depuis qu'elle avait vu l'image d'une poutine sur internet, elle voulait tanner Florian pour qu'il lui en fasse une avant son départ. Mais pour l'instant, elle se contenterait de ce bol de céréales qu'elle posa sur son ventre rond, installée sur le canapé. Elle alluma la télé sans vraiment la regarder. Tahlia attendait Concho. Ils avaient prévu de se parler, ce soir, eux qui s'évitaient depuis trop de jours maintenant. Son amitié avec Freja volait doucement en éclats, elle ne voulait pas que la même chose se produise avec son autre colocataire. Quand la porte s'ouvrit, Tahlia tourna la tête et aperçut Concho. Il sembla se rappeler de leur conversation quand il la vit dans le salon et se confondit en excuses. « Hey, ce n'est pas grave. » Tahlia l'observait avec insistance. Il ne semblait pas vraiment dans son assiette. Elle le connaissait suffisamment pour que cela lui saute aux yeux. Elle secoua négativement la tête quand il lui proposa de lui faire un café, le laissant s'éclipser quelques minutes pour qu'il aille chercher sa boisson chaude. Quand il revint près d'elle et qu'il s'installa sur le canapé, Tahlia se positionna de façon à être tournée vers lui. Il lui expliqua alors qu'il n'avait pas essayer de filer. « Je sais... » murmura-t-elle doucement. Elle déglutit toutefois difficilement quand il annonça ce 'il faut qu'on parle'. C'était le genre de phrases qui lui avait fait perdre Carter, puis Freja. « Oui, ça a trop duré. » répondit-elle en baissant brièvement le regard. D'ordinaire, elle aurait vite crevé l'abcès. Mais avec tout ce qui lui arrivait en ce moment, elle n'avait pas envie d'entendre dire qu'elle n'était qu'un regret, une erreur de parcours. Elle posa son bol sur la table et reporta son regard sur Concho. Concho, dont les cernes et les traits tirés, ressortaient davantage sous la douce lumière du luminaire. Avant de se lancer dans cette conversation qui s'annonçait difficile, elle demanda, avec douceur : « Tu es sûr que ça va, Concho ? » Il avait peut-être eu une discussion avec Freja. Oui, Tahlia était loin d'imaginer ce qui le malmenait, en réalité.

Après avoir bu une gorgée de mon café largement nécessaire, je le reposai sur la table du salon, oubliant encore une fois d’y mettre un sous-verre. Les cernes ne seraient plus que sous mes yeux. Ça n’avait plus d’importance, bientôt, il n’y aurait plus de femmes ici pour nous ramener à l’ordre. Tahlia se positionna alors face à moi, me démontrant toute son ouverture face à cette conversation trop longtemps repoussée. J’en fis de même, me justifiant d’abord pour ce retard qui n’était pas une excuse pour me défiler. Mais avant que nous ne plongions dans le vif du sujet, Tahlia me regarda, soucieuse, et me demanda si ça allait. Je levai les sourcils, secouant la tête en tournant les yeux vers la fenêtre du salon. « Hum, ces derniers jours ont été … plutôt difficiles. » Avouais-je en hochant finalement la tête, d’un geste lent, qui concordait avec tout le reste de mon corps en apesanteur. Je regardai ma colocataire à nouveau. « Mais je suis pas prêt à en parler … peut-être tout à l’heure. Je préfère qu’on se concentre sur nous, avant. » Parce que si cette conversation avec Tahlia, je l’avais redoutée de peur de la perdre elle aussi, elle me semblait tout d’un coup moins pénible quand je pensais à tous les problèmes qui m’attendaient lorsque je sortirais à nouveau du 17. Cela n’enlevait toutefois pas ma crainte de voir mon amitié avec Tahlia s’effriter jusqu’à en disparaître. Je commençai donc, nerveusement : « Je suis désolé de pas t’avoir dit ce qui se passait entre Freja et moi, à ce moment-là. J’aurais dû, c’était pas fair. Ça aurait probablement changé pas mal de trucs pour toi. » Dis-je, honteux. En même temps, Freja et moi avions voulu garder notre relation secrète, alors qui étais-je pour décider de briser cette entente et surtout envers notre colocataire ? Ça avait été une situation particulière, dans un contexte particulier, et je n’avais pas su comment réagir. Le reste avait dégringolé. « Mais je veux que tu saches que pour moi, ça aurait rien changé. Ça a peut-être pas été notre moment le plus glorieux, de prendre ça, mais j’en avais besoin, et j’avais besoin d’être avec toi. » J’haussai les épaules. « Freja pense que j’ai couché avec vous deux juste pour ne plus être le seul de la coloc’ à ne pas pouvoir dire que j’ai couché avec une ou l’autre. J’espère que tu sais que c’est pas vrai, que c’est pas ça. » Et sans doute Freja ne le pensait-elle pas vraiment, sans doute était-ce la colère, mais peu importe. Ça m’avait attristé qu’elle me le reproche.

Quand Concho avait fini par rentrer dans l'appartement, Tahlia avait senti une certaine appréhension l'envahir. Elle ne supporterait pas de perdre encore une personne de son entourage proche. Le manque de Carter et Freja était déjà bien difficile à gérer et elle ne savait pas comment elle réagirait si son amitié avec Concho en prenait aussi un coup. Toutefois, cette appréhension se mua en inquiétude quand elle vit la mine affreuse de son colocataire. C'était bien la première fois qu'elle le voyait si abattu. Après lui avoir demandé si ça allait, Concho dévia le regard, en admettant que les derniers jours avaient été difficiles. Tahlia fronça les sourcils en attendant les explications. Des explications qui viendront peut-être plus tard. Concho n'était pas prêt pour en parler. Rien de tel pour la rendre encore plus soucieuse. Mais elle respectait son choix. « Je comprends... Tu sais que je suis là si tu as besoin d'être écouté. » Elle n'était pas Freja, certes, mais elle savait aussi faire preuve d'écoute. Son colocataire tenait toutefois à lancer leur fameuse conversation. Il rebondit rapidement sur ce qu'il s'était passé, sur la relation cachée avec Freja pour laquelle il s'excusa de n'avoir rien dit. « Freja m'a dit que vous vouliez garder ça pour vous... » souffla-t-elle d'abord. « Mais ça aurait peut-être été différent, oui. J'aurais peut-être mis des barrières là où... » … tu aurais dû les mettre, toi faillit-elle répliquer. Mais c'était petit de lui mettre l'entière faute dessus, surtout en se basant sur des suppositions. Elle ne savait pas de quoi était faite la relation entre ses deux colocataires. Et on ne pourrait jamais savoir ce qu'il se serait passé si Tahlia avait été mise au courant. « Laisse tomber... de toute manière, ça aurait fini par exploser entre Freja et moi. » conclut-elle en soupirant. Autant faire en sorte que cela n'explose pas avec Concho. Le jeune homme continua sur sa lancée et lui affirma que, pour lui, ça n'aurait rien changé. Il ne semblait pas regretter ce qu'il s'était passé. Il disait avoir eu besoin de ça, besoin d'être avec elle. Tahlia ne pouvait pas le contredire parce qu'elle pensait la même chose. « Moi aussi j'avais besoin de ça, malgré les conséquences que ça a pu avoir... » admit-elle dans un murmure. L'ecstasy, elle s'en fichait... elle avait fait bien pire après. Mais ce soir-là, pendant ces deux petites heures, elle s'était sentie vivante. Elle ne s'était pas sentie seule. Il avait balayé les soucis du quotidien, la tristesse et ce sentiment d'être invisible qui l'étouffait de plus en plus. Quand il termina avec les mots de Freja, la brune fronça les sourcils, observant silencieusement son colocataire. Pas un seul instant, elle s'était dit que c'était un défi que Concho s'était donné.  Aurait-elle dû ? Elle secoua la tête et répondit : « Je te crois. On va juste dire que le timing n'était pas bon. » Concho les avait toujours respecté. C'était juste un enchaînement de situations inattendues qui avait fini par dépasser le jeune homme. « Du coup, tu as pu parler avec Freja de tout ça ? » ça, c'était du Tahlia tout crachée. Elle savait qu'elle était le dindon de la farce dans cette histoire. Mais elle espérait que leur dérapage ne ruine pas ce que ses deux colocataires étaient en train de construire doucement.

J’hochai la tête. Je savais que Tahlia était là. Elle l’avait toujours été, comme tout le monde au 17. Raison pour laquelle je serais anéanti de savoir que cette colocation prenait fin, encore plus que ce que j’imaginais. « Je sais, oui. Merci Tahl’. J’en aurai besoin, c’est juste que là, je saurais même pas par où commencer … » Avouais-je. Par le début ? Le début, je ne le connaissais pas moi-même. Tout s’était passé tellement vite, sans queue ni tête, je ne comprenais pas encore totalement comme c’était possible. Ce que je comprenais un peu mieux, désormais, après avoir parlé avec Freja la nuit de son arrestation, c’était la réaction de cette dernière et ce que ma nuit avec Tahlia avait pu entraîner. Si on pouvait parler d’une nuit, bien sûr. Il s’agissait plus d’une heure nocturne sur un bureau d’une pièce inconnue. « Là où j’ai pas su en mettre. Je sais. » Si elle n’était pas prête à me mettre tout le blâme dessus, moi je l’étais. Parce que la seule chose qui n’était pas correcte dans ce que nous avions fait, c’était ma relation avec Freja qui se trouvait un peu entre nous deux. Et comme je n’avais pas mis Tahlia au courant au préalable, elle n’avait absolument rien à se reprocher. « Peut-être, mais c’était la goutte qui a fait déborder le vase alors que t’as rien fait … » Je marquai une pause. « Qu’est-ce qu’il s’est passé, entre Freja et toi, pour que ça dérape à ce point ? » Elle le disait elle-même, il n’y avait pas que moi. Je n’étais toutefois pas vraiment au courant de leurs histoires, Freja ayant toujours préféré me laisser en dehors de tout ça, pour le bien de la colocation sans doute. « Non, le timing n’était pas bon, c’est clair. » Maintenant, c’était clair. Ça ne l’avait pas été au moment des événements. En même temps, rien n’était vraiment clair à ce moment-là, surtout pas mon esprit. « Ouais, on s’est parlés … J’sais pas trop c’est quoi la conclusion, tout ce que je sais c’est que j’ai l’impression que c’est à cause de moi qu’elle déménage … Enfin, j’sais bien qu’elle se serait acheté une maison tôt ou tard mais … j’ai le feeling que c’est ma faute si c’est maintenant, que je l’ai poussée à partir, en étant aussi con. » Je soupirai. « Elle me manquera, ici. » Et elle ne serait pas la seule, malheureusement.  

La brune posa sur Concho un regard plein de douceur, alors qu'elle hocha légèrement la tête : « Tu sais où me trouver quand tu sauras par quoi commencer... » Même si l'inquiétude était bien là, vivace, elle ne comptait pas lui tirer les vers du nez. Elle voyait bien qu'il était perdu, qu'il allait avoir besoin de longues heures pour atterrir, prendre le recul qui lui permettra d'y voir plus clair. A ce moment-là, il n'aura qu'à l'appeler, taper à la porte de sa chambre ou s'installer à ses côtés sur le canapé pour en parler. Elle serait là, Tahlia. Peu importe l'heure. Peu importe l'endroit où elle se trouverait. Peu importe l'issue de cette conversation qu'ils avaient tant retardé. Même si Tahlia avait pris un revers dans toute cette histoire, elle ne pouvait pas en vouloir pleinement à Concho. Raison pour laquelle elle laissa sa phrase en suspens. Une phrase que son colocataire termina toutefois. « On est tous les deux fautifs. » Lui pour avoir dissimuler la vérité. Elle pour l'avoir laissé prendre cette merde. D'ailleurs, à ce propos... « Mais j'ai quand même une question, Concho. Pourquoi tu étais là ce soir-là ? Si tu n'étais pas bien, pourquoi tu n'es pas retourné vers Freja ? » Pourquoi avait-il passé la soirée avec Tahlia, du coup ? Pourquoi s'étaient-ils embrassés ? Pourquoi avoir couché avec elle, alors qu'il avait tellement mieux à quelques pas d'ici ? C'était bien quelque chose que Tahl' ne comprenait pas et qui lui donnait presque l'impression de n'être qu'un passe temps.... Au fond, Tahlia l'avait sa réponse. Il était complètement défoncé. Sans drogue, il ne l'aurait même pas touchée. Sans drogue, il n'y aurait pas eu tous ces problèmes. C'était cette drogue qui avait aussi mis Freja dans une colère folle, en plus de la jalousie qui malmenait la norvégienne. Et qui faisait que Tahlia comme Concho avaient leur part de culpabilité dans l'histoire. Qui apportait un coup dur à l'amitié entre les deux brunes. Cela faisait bien trop longtemps que Freja et Tahlia avançaient sur un fil, telles deux funambules. Cela faisait longtemps qu'elles tentaient de reconstruire leur amitié, de passer outre les mots blessants et les trahisons. Jusqu'à la goutte de trop... Quand Concho lui demanda ce qu'il s'était passé entre Freja et elle, la brune dévia le regard afin de masquer ses émotions. « Des histoires de mecs et de jalousie... » Oh oui Tahlia avait tant jalousé Freja, en se comparant souvent à elle, en enviant cette importance qu'elle avait dans la vie des autres. Et puis les hommes s'étaient interférés dans leur histoire : Arthur, Nash, Landon et Concho. Tant de futilités qui avaient fragilisé une bien belle amitié. Et un timing inadapté qui avait apporté le dernier coup. Inutile d'en dire plus, cela ne ferait que remuer le couteau dans la plaie. Tahlia fut toutefois soulagée d'apprendre que Concho et Freja s'étaient parlés. La norvégienne avait tenu la promesse qu'elle avait pu faire à Tahlia. Elle fronça cependant les sourcils quand Concho se remit la faute dessus, notamment sur le déménagement de Freja. « Elle est partie parce qu'elle a eu un coup de cœur pour sa maison. Ne te mets pas ça dans la tête... » S'il n'y avait pas eu ce coup de cœur, peut-être serait-elle passée au dessus des derniers conflits. Ça, ils ne pourront jamais le savoir. « Freja avait aussi besoin de partir sur quelque chose de nouveau. Le 17 n'est pas éternel. » Ils vieillissaient, devenaient des adultes accomplis, avec des projets plein la tête. Et bientôt, le 17 ne sera plus qu'un beau souvenir qui les remplira de nostalgie. « Elle me manquera aussi... » conclut-elle en regardant Concho. Tahlia inspira un bon coup, avant d'ajouter : « D'ailleurs, puisqu'on est dans le thème et puisque ça ne sert à rien de garder ça pour moi plus longtemps... il faut que je t'annonce que je m'en vais aussi. » La brune esquissa un léger sourire avant de reprendre : « J'ai trouvé un petit studio à deux pas d'ici, en attendant de trouver un appartement plus grand. Avec le bébé, je me voyais mal rester ici, à vous submerger de couches et de biberons... »

À nouveau, j’opinai. Je me laisserais au moins cette première dure conversation pour essayer de mettre de l’ordre dans tout le reste après. Ce qu’il s’était passé entre Tahlia et moi, et entre Freja et moi, ça prenait énormément de place dans ces pensées alambiquées qui m’habitaient depuis plusieurs semaines. Si je pouvais au moins m’aérer l’esprit de ces tourments-là, peut-être que j’arriverais à y voir un peu plus clair pour le résidu. Peut-être. Je me lançai donc à pieds joints dans cette discussion tant attendue, prenant tout le blâme alors que la brunette ne me laissait pas jouer ce rôle. Je soupirai, n’argumentant pas, haussant seulement les épaules à sa question. « Elle m’a demandé la même chose. J’me souviens même pas ce que je lui ai répondu. » Dis-je dans un rire vain, passant ensuite la paume de ma main sur ma bouche, puis sur ma mâchoire, avant de laisser retomber mon bras sur mes jambes, mollement. « J’avais besoin de sortir, de voir du monde, j’avais besoin d’être entouré. Don’t get me wrong, être avec Freja ça m’aide, ça m’aide énormément et le temps que je passe avec elle c’est comme … un arrêt dans le temps, une pause dans cette vie de fou. Mais ce soir-là j’avais besoin d’essayer autre chose, j’avais envie de m’éclater. Et t’as été là. T’étais là et tu t’es joins à ce dont j’avais besoin. » Expliquais-je sans savoir si ce serait suffisant. Je ne pouvais juste pas constamment courir me réfugier dans les bras de Freja, aussi douce cette idée pouvait être. La norvégienne ne pouvait pas devenir ma porte de sortie à tous mes problèmes. Si ça avait le cas, le jour où je l’aurais perdue, je me serais perdu moi-même sans savoir où fuir. Du discours de Tahlia, je comprenais qu’elle aussi avait perdu Freja, mais peut-être depuis plus longtemps encore que ce que j’aurais cru. À ça, elle me répondit que des histoires de mecs et de jalousie les avaient conduites jusqu’au bord du gouffre. Gouffre dans lequel j’avais poussé leur amitié, en quelque sorte. « Qu’est-ce que vous faites de bros before hoes ? Enfin … sisters before misters. » Demandais-je à la légère, avant de me renfrogner. C’était sorti tout seul. « Désolé. » Le mal était fait, de toute façon. Je ne pouvais qu’espérer qu’elles soient en mesure de recoller les morceaux. Que je puisse en faire de même avec Tahlia, et éventuellement avec Freja. Ce serait plus difficile, maintenant qu’elle déménageait et que m’éviter serait facilité. Je soupirai quand Tahlia affirma que le 17 n’était pas éternel. « C’est si naïf de ma part d’y avoir cru ? » Pouvoir rester éternellement un gamin, ce rêve s’était révélé un échec. J’étais le père raté de deux enfants non planifiés. En entendant la profonde inspiration de ma colocataire, je relevai les yeux vers elle, et attendit patiemment alors qu’elle m’assenait le coup de grâce. Son propre départ. Mes yeux se remplirent de larmes alors que je la regardais, pétrifié. « T’es pas sérieuse ? » Demandais-je égoïstement. « Tahl’ … Not you too … » Ma voix se brisa tout légèrement. « Y’aurait toujours eu de la place pour toi et le bébé … » Après tout, Perry avait eu Penny et Siobhan par moments, ici-même au 17. Mais Tahlia n’était plus à convaincre, sa décision était prise, et mon cœur se brisa juste un peu plus encore.

Décidément, Freja et Tahlia étaient bien plus identiques qu'elles ne le pensaient. Toutes les deux avaient posé la même question à Concho. Et Tahlia ne savait pas ce que Freja avait pensé de la réponse du jeune homme, mais Tahlia n'était pas totalement convaincue par celle qu'il lui donna. Il avait envie de s'éclater. Ne se rendait-il pas compte qu'il avait la femme parfaite à ses côtés pour s'éclater, justement ? Freja ne demandait qu'à croquer la vie à pleines dents. Elle aurait pu être la meilleure alliée pour sortir Concho de son quotidien, de cette torpeur qui l'étouffait. Mais il avait opté pour la drogue et Tahlia, qui était une vraie pomme empoisonnée. La jeune femme était partagée par la culpabilité et le souvenir d'un moment qui avait été agréable. Elle comprenait tellement Concho. Elle avait aussi eu cette envie de s'éclater, d'essayer autre chose, d'être entourée. Mais elle, elle n'avait personne chez qui se réfugier. « J'espère juste que ce besoin de s'éclater ne va pas tout gâcher... » finit-elle par répondre, en soupirant. Il le disait lui-même, passer du temps avec Freja, c'était un arrêt dans le temps. Perdre cela à cause d'une pilule d'ecstasy et une partie de jambes en l'air, ce serait cher payé. De toute façon, la brune n'avait plus les cartes en main. Elle avait déjà perdu Freja. Autant limiter la casse avec Concho. Elle arqua un sourcil quand il parla du sisters before misters. « On l'avait... mais ça n'a pas suffi. » Tout ça parce que Concho n'était pas sur cette putain de liste. Tout ça parce que Tahlia a empiété une fois de plus dans l'univers de Freja. La fois de trop. La goutte d'eau qui avait accéléré le départ de Freja, même si cela leur pendait au nez depuis un moment. Cela faisait longtemps qu'elle parlait de prendre son envol. Un coup de cœur plus tard et voilà la jeune norvégienne qui partait sans regret. C'était la fin des belles années au 17. Elle esquissa un léger sourire quand Concho demanda si c'était si naïf d'avoir cru à un 17 éternel. « Non, j'y ai cru aussi. » C'était utopique, évidemment. Mais il y avait aussi du positif dans ces départs, car cela signifiait qu'ils étaient prêts à avancer, à évoluer. Tout comme Tahlia s'apprêtait à avancer de son côté.Finalement, l'annonce se fit facilement. Le sujet s'y prêtait. Et à vrai dire elle avait un timing serré. Elle ne pouvait pas se laisser aller à l'hésitation. Le bébé serait vite là. Elle n'avait pas d'autres choix que de s'en aller. Elle s'était faite à l'idée. En revanche, elle ne s'attendait pas à une telle réaction de Concho. A la fois touchée, à la fois attristée, elle répondit doucement : « Tu sais comme moi que ce n'est pas la place d'un bébé... » Pour Perry, Penny et Siobhan, c'était différent, il y avait eu Tahlia et Freja pour apporter la touche féminine dans la cohabitation. « Imagine qu'on décide de faire une soirée, je serai la lourde de service qui dira chut toutes les cinq secondes parce que le bébé dormira. » ajouta-t-elle, en tentant un trait d'humour. « Et puis honnêtement, j'ai besoin d'avancer. D'évoluer. » C'était cela qui était le plus effrayant à vrai dire. Ça, et la solitude. « J'espère que vous me laisserez toujours une petite place sur le canapé, si des fois, je me sens trop seule. » termina-t-elle, avec un léger sourire, le regard ému.

Je me passai une main dans les cheveux, puis dans cette barbe mal rasée, parce que je n’avais pas vraiment pris le temps, ces derniers jours, de prendre soin de moi. « J’espère aussi … Elle m’a dit qu’elle avait besoin de temps. Je lui ai dit que je l’attendrais. » J’haussai finalement les épaules. « Mais j’sais même pas après quoi j’attends. Après tout, Freja et moi, on n’a jamais été ensemble, et peut-être qu’on ne le sera jamais, alors … j’sais pas. J’sais pas si je devrais pas plutôt profiter du fait d’avoir merdé pour passer à autre chose. » Mais je n’en avais absolument pas envie. Mine de rien, ces sentiments que j’avais développé au fil des semaines pour Freja, ils prenaient de plus en plus de place. Je l’ignorais peut-être encore, trop habité par le stress, la tristesse, l’incompréhension de tout ce qui se passait actuellement dans ma vie, mais Freja, je l’aimais. D’une toute autre manière maintenant. Je fus par la suite surpris que si Tahlia et Freja étaient à la dérive, c’était pour des histoires de mecs et de jalousie. Et pas que par rapport à moi, donc. Je trouvais dommage que des hommes puissent s’immiscer ainsi dans l’amitié des deux femmes. Je me senti doublement con d’en faire partie. « J’espère qu’elle prendra du temps pour penser à vous deux, aussi. Et qu’elle passera au-dessus. T’as rien à te reprocher dans ce qu’on a fait. » Mais pour le reste de leurs histoires, je n’étais pas au courant, et sans doute était-ce mieux ainsi. Je n’avais pas envie de savoir pour quels mecs Freja devenait jalouse au point de tirer un trait sur une amitié aussi forte que celle avec Tahlia. Mais il fallait tirer un trait sur à peu près tout, à un moment ou à un autre de notre vie, et cette fois c’était sur le 17 qu’il fallait en tirer un. Non seulement la norvégienne était partie, mais maintenant, j’allais devoir me faire à l’idée que Tahlia aussi avait décidé de lever les voiles. « On aurait fait avec, si c’était pour que tu puisses rester … » Mais elle avait raison, au fond, Tahlia. Ça n’aurait plus été pareil, au 17, avec un bébé. Mais ça ne serait plus jamais pareil sans elle de toute façon. La brunette ajouta qu’elle avait besoin d’avancer, d’évoluer. Pendant ce temps, moi, je faisais du surplace. « Je comprends … T’es plus à la même place dans ta vie, je sais bien. » Admis-je, la mine basse. « Bien sûr que t’auras toujours une petite place sur le canapé. » Je soupirai, et puisque l’heure des confidences et des bébés était là, je pris mon courage à deux mains. « J’sais que ça te fera pas changer d’avis mais juste pour que tu saches que t’auras toujours ta place ici, même avec ton bébé … eh bien … ce ne serait pas le seul nouveau-né à parfois dormir ici, de toute façon … » Et comme je parlais de nouveau-né, elle comprendrait que je ne parlais pas de Maxwell.  

Tahlia posa un regard ému sur Concho alors que ce dernier se confiait sur sa relation avec Freja. Elle sentait qu'elle n'était pas une passade comme une autre. Elle sentait que la norvégienne avait pris une place plus importante dans son quotidien, après tant d'années à n'être que de simples amis. Ce qui faisait davantage culpabiliser Tahlia, qui s'en voulait d'avoir mis à mal un tel lien. J’sais pas si je devrais pas plutôt profiter du fait d’avoir merdé pour passer à autre chose. Voilà des mots qui n'étaient pas inconnus pour Tahlia. Voilà des mots qu'elle s'était répété maintes et maintes fois après avoir trompé Carter. Et parce qu'elle savait très bien ce que cela engendrait, elle se permit de répondre : « Ce n'est pas aussi simple. » Elle regarda Concho et esquissa un léger sourire. « Tu tiens trop à elle pour passer simplement à autre chose. » Cela se voyait, se ressentait même. Concho se rattachait Freja, comme si elle était sa source de lumière, son antidote. Ce qui n'était pas étonnant quand on connaissait la norvégienne. Cette femme était solaire, elle parvenait à sortir n'importe qui d'une pénombre bien trop conséquente. C'était le genre de personnes qu'il fallait garder dans son entourage. Et c'était ce constat qui rendait l'amitié perdue entre Tahlia et Freja encore plus difficile à vivre. Elle secoua la tête face aux mots de Concho, répondant simplement : « Je ne sais pas si ça sera vraiment possible. J'ai vraiment senti que c'était la goutte de trop. » Même si officiellement, elle n'avait rien à se reprocher, comme le disait Concho, Tahlia n'arrivait pas à se départir de cette culpabilité qui lui collait à la peau. Elle enchaînait les erreurs. Inconsciemment, certes, mais le mal était fait. Et c'était peut-être cette goutte de trop qui la poussait vers un tout autre changement. La fin du 17 pour Tahlia. Dire qu'à l'origine, cette colocation ne devait qu'être temporaire pour elle. A l'époque, elle ne savait pas à quel point cela lui ferait mal de dire au revoir à cet appartement qui les avait vu grandir, évoluer, s'aimer, se détester, se retrouver. Elle était arrivée ici, policière, célibataire endurcie et brute de décoffrage. Elle repartait d'ici, future maman, en pleine transition professionnelle et le cœur plein d'amour pour ces gens qui avaient partagé sa vie. Elle eut un sourire plein de tendresse quand Concho essaya de la dissuader, en lui disant qu'ils se seraient arrangé avec le bébé. « Concho... » dit-elle, pour lui faire comprendre que c'était impossible. Mais il savait. Il savait que ce n'était plus sa place. Qu'elle n'était plus à la même place dans sa vie, comme il le disait. « Je n'ai plus le droit d'être à la même place. Il faut que je pense à ce bébé, avant tout. » Sa fille allait déjà grandir dans deux foyers, chez maman, chez papa. Inutile de complexifier l'équation avec les colocataires au milieu. Tahlia esquissa un sourire quand il accepta néanmoins de laisser une petite place sur son canapé. « Je viendrai les jours où la petite sera chez Carter alors. » dit-elle en blaguant. Mais elle en serait capable, pour ne pas affronter cette solitude qui lui faisait tellement peur. Toutefois, les derniers mots de Concho interpellèrent Tahlia, qui fronça les sourcils. De quoi parlait-il ? « Un nouveau-né ? Quel nouveau-né ? » Interloquée, la brune reprit alors : « Freja est enceinte ? » Dans son esprit, c'était Freja, dans le sens où elle était la dernière à avoir partagé le lit de son colocataire. C'était sans savoir que le terrible déni de grossesse avait frappé chez une autre femme et que le nouveau-né était déjà de ce monde...

Quand Tahlia m’affirma, avec une assurance qui respirait le vécu, que ce n’était pas aussi simple, je lui demandai : « Et pourquoi pas ? », ce à quoi elle me répondit que je tenais trop à Freja pour simplement passer à autre chose. « Ça crève autant les yeux, hein ? » Admis-je avec un faible sourire. Je me rendais compte que Freja et moi, ce n’était plus juste une relation-pansement, ce n’était pas juste une manière de nous égarer ensemble le temps de quelques heures. Elle avait pris une toute autre place dans ma vie et je ne savais pas forcément comment faire de l’ordre dans ces sentiments-là. Mais j’espérais que nous serions en mesure, tous les trois, de réorganiser nos pensées et de reprendre le dessus, parce que ça me tuait de savoir que l’amitié de Freja et de Tahlia ne tenait plus que par un fil, menaçant dangereusement de se couper pour toujours. Je ne pouvais pas imaginer ça pour elles, surtout pas si j’avais été la goutte de trop. « Ouais mais tu connais Frej’, parfois elle réagit fortement mais après quand ça se calme y’a souvent moyen de s’expliquer … » Elle avait du caractère, la norvégienne, et souvent les disputes pouvaient être explosives. Mais je savais aussi qu’elle était une personne juste et qu’elle prenait le temps de peser le pour et le contre de chaque situation, après coup. En tout cas, je souhaitais qu’elle soit comme ça avec Tahlia, et qu’elle réalise que le fautif c’était uniquement moi. Même si cela signifiait qu’elle ne me pardonnerait peut-être pas, à moi. Nous en étions de toute façon tous à de nouveaux endroits dans notre vie, j’avais cette triste impression que tout s’apprêtait à changer d’un coup. Tahlia me le confirma en annonçant son départ de la colocation, elle aussi. J’avais beau tenter de lui faire comprendre qu’elle aurait toujours sa place ici, avec son bébé, son idée était faite. Au fond, je comprenais ce besoin d’indépendance dans cette nouvelle vie qui l’attendait. J’aurais sans doute dû avoir ce même déclic. « T’as raison. Tu fais bien de penser au bébé … C’est inévitable, quand on devient parent. » Je n’avais juste pas eu les chemins traditionnels vers la paternité, ce qui expliquait peut-être que je ne me comportais pas encore comme un père digne de ce nom. Même si j’aurais tellement voulu être un bon papa. D’ailleurs, j’ouvris la porte à cette confidence-là, auprès de mon amie. « Non, non ! Pas Freja. » M’exclamais-je, alarmé. S’il fallait que Freja tombe enceinte. « C’est Zelda. Enfin … elle a accouché, y’a quelques jours. Elle-même n’avait aucune idée qu’elle était enceinte … Je pensais pas que ça pouvait arriver jusqu’à l’accouchement lui-même … » Dis-je tristement. « Du coup j’suis papa pour la deuxième fois cette année ! Surprise ! » Lâchais-je en levant les bras à la hauteur de mes épaules.

"Oui, ça crève les yeux." affirma-t-elle en souriant. Et maintenant, ça crevait les yeux des deux côtés, celui de Concho, celui de Freja. Il y avait quelque chose de fort, de beau entre eux. Et elle espérait sincèrement que tout revienne à la normale, parce que l'un et l'autre méritaient d'être heureux. Tahlia, quant à elle, n'était pas certaine de faire partie du joli projet de vie de la norvégienne. Cette dispute était de trop et c'était difficile à vivre, encore plus à cet instant où Tahlia vivait sa grossesse. Le soutien de Freja lui manquait terriblement. Pourtant Concho avait l'espoir que la situation s'arrange, évoquant le fort caractère de la brune, sur l'instant présent, et sa capacité à écouter, à essayer de comprendre, une fois que les choses se calmaient. "Tu as peut-être raison. On verra bien..." En attendant, Freja n'était pas là et Tahlia n'avait pas la moindre idée de la manière dont elle pouvait arranger leur relation. De toute façon, elle avait d'autres choses auxquelles penser, d'autres choses sur lesquelles elle devait ramener son attention. Ce prochain déménagement, notamment. Elle avait fini par l'annoncer à Concho, qui tenta malgré tout de la faire changer d'avis, en lui affirmant qu'elle avait sa place ici, avec son bébé. Mais Tahlia n'avait pas le choix. Elle n'avait pas le droit d'imposer sa nouvelle vie à ses colocataires. Elle devait penser à elle, à ses nouvelles responsabilités, à ce petit bébé qui allait devenir sa priorité. Petit à petit, il sembla comprendre les arguments de Tahlia. Il finit même par lui dire que c'était inévitable de penser à son bébé quand on devenait parent. "C'est ça." dit-elle en souriant, avant de reprendre avec un ton plus léger, afin d'alléger l'atmosphère : "Il faut croire que c'est ce qu'on appelle mûrir." Dommage qu'il ait fallu attendre d'être enceinte pour mûrir d'un seul coup.En tout cas, ces premières confidences sur la maternité semblèrent ouvrir une porte sur la paternité de Concho. Alors qu'il parla de nouveau-né, tentant de lui faire passer subtilement un message, la brune se trompa complètement en évoquant une éventuelle grossesse de Freja. Concho l'assura que ce n'était pas Freja dont il était question... mais il y avait bien une histoire de femme enceinte et de naissance impromptue ! Tahlia écarquilla les yeux, sous le coup de la surprise, quand il annonça la grossesse de Zelda. Ou plutôt son déni de grossesse. "Elle a eu un déni total ?" demanda-t-elle, de manière rhétorique. Tahlia avait vécu elle-même un déni de grossesse, mais elle avait eu la chance qu'il soit partiel. Et cela avait déjà été un grand choc. Alors, elle n'imaginait même pas la réaction de l'ex de Concho. "Comment va-t-elle ? Et le bébé ?" Toujours aussi abasourdie, Tahlia posa son regard sur son colocataire quand il annonça qu'il était papa pour la deuxième fois, cette année. "Oh..." dit-elle d'abord, toujours sonnée. Et comme elle l'avait demandé pour Zelda quelques secondes auparavant, elle le fit aussi pour Concho : "Et toi, comment le vis-tu ?" Les félicitations viendront après. Elle voulait d'abord prendre soin de son colocataire et savoir comment il allait dans toute cette histoire. On pensait souvent à la maman, mais ici, il y avait le papa qui avait tout autant son importance. Un papa qui enchaînait deux paternités surprises, ce qui changeait toute la donne...

Je me contentai de sourire, à la fois rêveur et confus, quand Tahlia m’affirma que ça crevait les yeux, que je tenais à ce point à Freja. Et nous qui avions choisi de vivre cette relation dans le plus grand des secrets … si on continuait à développer cette ambiguïté sans la révéler au grand jour, elle se révélerait d’elle-même. J’avais toujours été un bien piètre acteur, d’ailleurs. Quand j’essayais de mentir, ça finissait toujours en véritable fiasco et j’en ressortais comme l’idiot de service. Tous mes mensonges auprès de Zelda avaient d’ailleurs fait en sorte que j’allais sans doute remporter la palme d’or de l’imbécile de Bowen. J’espérais seulement que mes ravages n’allaient pas s’étendre aussi loin que la relation de Tahlia et Freja, ou du moins que ce ne serait qu’à court terme. Je les connaissais, toutes les deux, et je ne pouvais pas m’imaginer que ce soit la fin pour elles. Pour cette colocation, peut-être. Mais pas pour leur amitié. Nos amitiés. Je souris quand Tahlia parla de mûrir. Je n’avais pas l’impression que c’était tout à fait mon cas, même qu’avec les années, j’avais l’impression de plutôt régresser. « Qui aurait cru, hein, qu’un jour tu deviendrais vraiment adulte ? » La narguais-je. Nous avions fait les quatre cents coups, dans cette coloc’. Nous avions souvent été qualifiés d’éternels enfants. Même Perry, qui avait été papa bien plus tôt, avait gardé cette douce folie qui le faisait paraître tout sauf adulte. Alors peut-être que Tahlia n’avait pas mûrie tout d’un seul coup, elle non plus. Tout comme je n’avais pas mûri d’un seul coup après l’arrivée de Maxwell dans ma vie, et maintenant de Lara. Il faudrait tout de même que je prenne un jour toutes mes responsabilités, une bonne fois pour toute. Et que je cesse de penser que mes actions pouvaient demeurer sans conséquences. « Ouais, un déni total, c’est ça. » Dis-je en hochant la tête alors que le concept m’était encore un peu incompréhensible malgré toutes les tentatives d’explications des professionnels de la santé. Ça me semblait irréel. « Elles vont bien, toutes les deux. Zelda est fatiguée, elle est encore en colère contre moi, aussi … Mais elle me laisse être là, et j’peux que la remercier pour ça. » Certes, elle avait du mal à s’adapter à cette vie de mère totalement inattendue, mais je trouvais qu’elle gérait bien mieux que d’autres l’auraient pu. Dans les circonstances, on pouvait dire qu’elle faisait preuve d’une résilience sans borne. Tahlia me demanda alors, à moi, comment je le vivais. Je soupirai. « J’sais pas trop. J’aime déjà Lara, tu sais bien comment c’est, t’as même pas encore vu la binette de ton bébé et je suis persuadé que tu l’aimes déjà toi aussi … » Dis-je en posant mon regard sur le ventre de la brunette, un sourire aux lèvres. « Mais j’peux pas m’empêcher de penser à quel point j’ai vraiment merdé, dans ma vie, tu vois. J’rêvais d’offrir à mes enfants une enfance plus normale que la mienne, j’rêvais d’avoir la stabilité que ma mère a jamais eu. J’voulais la petite famille parfaite. Et parce que j’ai fait tellement d’erreurs que j’n’arrive même plus à les compter, voilà que je me retrouve avec deux gamins auxquels je n’étais pas préparé, et deux ex qui me détestent … » Je marquai une pause, pesant tout le poids de mes paroles. « Beau portrait de famille, pas vrai ? » Et je savais que Tahlia pourrait me comprendre là-dessus, au moins un peu, vue sa relation avec le père de son enfant à naître.

Quand Concho et Freja avaient maintenu leur relation secrète, Tahlia n'y avait vu que du feu. Mais finalement cette soirée entre Concho et Tahlia avait mis le doigt sur un fait indéniable : Concho et Freja tenaient l'un à l'autre. Tahlia avait vu la colère et la déception dans les yeux de Freja. Aujourd'hui, elle voyait le regard rêveur de Concho quand il parlait de Freja. C'était beau à voir. Et cela lui donnait l'espoir que son colocataire recolle les morceaux avec la norvégienne. Pas certaine que Tahlia parvienne à recoller les morceaux avec Freja, quant à elle. Cette distance entre les deux femmes, puis la grossesse de Tahlia la poussaient désormais à quitter le 17, à mettre fin à de belles années de colocation. Il était temps de mûrir. Elle se mit à rire face à la taquinerie de Concho, répondant doucement : « Sûrement pas moi. Ça me plaisait d'être une grande enfant. » En réalité, même si elle avait fait les 400 coups ici, Tahlia avait mûri depuis longtemps. Cette grossesse lui permettait simplement de penser à elle et à ce bébé qui grandissait lentement dans son ventre. D'ailleurs, en parlant de bébé, Concho lui fit un énorme aveu. Zelda avait fait un déni total. Elle avait eu une petite fille. La fille de Concho. D'abord abasourdie, Tahlia refit rapidement du Tahlia en lui lançant une avalanche de questions, à laquelle son ami répondit patiemment. La brune fronça toutefois les sourcils quand Concho parla de la colère de Zelda et de la gratitude qu'il avait envers elle, parce qu'elle le laissait être présent. « C'est normal qu'elle te laisse là, Concho. Qu'elle soit en colère envers toi, qu'elle en vienne à te détester ou que sais-je encore, il y a une chose contre laquelle elle ne peut rien faire : tu es le père de sa fille. Tu as toute la légitimité d'être là. » Elle ne comprenait pas ces mères qui gardaient l'emprise sur leur enfant. Un enfant, ça se faisait à deux. A moins que le père soit un gros con, il avait le droit d'être présent pour l'enfant. Il ne fallait pas laisser les rancoeurs conjugales affecter le lien entre un père et son bébé. Tahlia demanda alors comment il vivait la situation. Il avait l'air complètement perdu, ce qui était parfaitement compréhensible. Mais la brune esquissa un sourire quand il évoqua l'amour qu'il portait à sa fille, qui s'appelait Lara. « Lara ? C'est un joli prénom. » souffla-t-elle d'abord. « Mais oui, je te comprends. Il faut croire que ces petits bouts arrivent à éveiller le meilleur de nous. » Mais pour Concho, ce n'était pas suffisant à effacer la totalité de ses doutes. Il était arrivé à un stade où il se rendait compte que sa vie était bien loin de ce qu'il avait idéalisé. « Entre les rêves et la réalité, il y a tout un monde. » dit-elle d'abord. « Ce n'est peut-être pas le portrait de famille parfait, certes, mais c'est le tien. Ces enfants ne sont peut-être pas arrivés au moment idéal – si tant est qu'il existe un moment idéal - mais ils sont là. Ça ne sert plus à rien de compter les erreurs, elles sont faites, tu ne pourras pas revenir dessus. Maintenant, il faut que tu ailles de l'avant, que tu parles avec Ally et Zelda, que vous mettiez les choses à plat pour repartir sur de bonnes bases. C'est dur de se dire que ses enfants ne verront peut-être jamais ses parents ensembles, mais ce n'est pas pour autant qu'ils seront malheureux. Vous avez juste à être présents et à les aimer comme ils le méritent. Les problèmes de couple, ça doit passer au second plan... » Tahlia savait de quoi elle parlait puisqu'elle passait par là. Elle avait eu énormément de mal à se dire que sa fille n'aura jamais ses deux parents ensembles, puis elle avait fini par comprendre que ce n'était pas un drame. Carter serait là, quoiqu'il advienne. Tahlia serait là, quoiqu'il advienne. Cela ne changera rien à l'amour qu'ils porteront à leur fille. Avec un sourire plein de douceur, elle reprit : « Tu seras un super papa, Concho. J'en suis certaine. » Même s'il avait fait des erreurs, il n'en restait pas moins une personne formidable, avec des valeurs qu'il transmettra à ses enfants. Il suffisait de voir comment il agissait avec les jeunes de Head Ahead . Il restait néanmoins une question qui intriguait Tahlia. « Tu l'as dit à Ally ? Pour Zelda et Lara... » Connaissant Ally, cela risquait de faire des étincelles. Tahlia était d'ailleurs bien loin de savoir, à l'heure actuelle, qu'elle allait, elle aussi, faire face aux étincelles de la rousse incendiaire...

À moi aussi, ça me plaisait, qu’on soit de grands enfants. Tout ce qui se passait dans ma vie actuellement ne me donnait d’ailleurs guère avant de grandir davantage. Pour le moment, la vraie vie d’adulte ne m’avait amené que le chaos. J’avais tellement ragé à propos de mon adolescence, et avec raison d’ailleurs, mais on m’avait toujours dit que plus grand plus rien de tout cela n’aurait d’importance, que je m’en sortirais. Je m’en étais sorti, oui, mais seulement pour mieux replonger dans un tout autre cercle vicieux destructeur. Le cercle vicieux des relations amoureuses vouées à l’échec et des enfants qui apparaissent sans prévenir. Il fallait que j’en sorte, de ce cercle, et que j’arrive à garder la tête hors de l’eau tout en étant un père responsable. Ce n’était pas gagné d’avance. « J’espère qu’on aura la chance de refaire semblant d’en être, à l’occasion. » Dis-je avec un sourire, me remémorant tous ces jeux débiles que nous avions faits, que ce soit à l’époque avec Perry ou celle avec Florian. Mais ce serait plus difficile, maintenant. Tahlia allait avoir un nouveau-né, j’avais moi-même un bébé, en plus d’un petit gars de bientôt quatre ans. Ma soon-to-be ex-colocataire sembla surprise que je sois autant redevable à Zelda qu’elle me laisse être auprès de notre fille. « Y’aurait fallu qu’Ally entende ton discours, y’a quelques années. Parce qu’elle m’a pas donné l’impression que c’était quelque chose contre laquelle elle ne pouvait rien faire. J’ai pas été le père de Max avant cette année. Alors j’peux juste être soulagé que Zelda réagisse différemment. » En plus, Zelda avait bien plus de raisons qu’Ally de me détester, de vouloir me rayer de sa vie. Ally, elle était juste disparue du jour au lendemain, sans que nous puissions mettre quoi que ce soit au clair entre nous. Encore à ce jour, j’ignorais ce qu’il s’était réellement passé pour qu’elle parte. J’hochai la tête avec un sourire pour le compliment sur le prénom. « C’est Zelda qui a choisi. En l’honneur de la très badass Lara Croft. » Rien de surprenant venant de Zelda. Je ris, avant de reprendre une moue attristée face à cette vie déconstruite par rapport aux rêves que je lui avais imaginée. J’écoutai le discours de mon amie avec attention et émotion, même que les larmes me montèrent tranquillement aux yeux, et je les essuyai du revers de la main, gêné. Je souris quand elle me dit que je serais un super papa. « Merci. » Dis-je, reprenant un peu le contrôle sur moi. « Vous y êtes arrivés, Carter et toi ? À repartir sur de bonnes bases, pour votre enfant ? À mettre vos problèmes au second plan ? » Demandais-je, à la fois pour savoir comment elle se portait à travers tout ça, à la fois pour savoir comment ils avaient fait. Puis, après ses confidences, un court silence s’installa avant que Tahlia ne me demande si j’avais parlé à Ally de Zelda et Lara. Je secouai la tête. « Non, pas encore … Le timing est vraiment merdique, la prochaine fois que je la vois c’est pour Noël avec Max, et je sais que j’arriverai pas à mentir toute la soirée … De toute façon, y’aura jamais vraiment de bon moment pour lui dire ça. » Et encore, je sous-estimais la réaction qu’elle aurait face à cette annonce.