Avant la nuit

Aslander a proposé de me présenter sa sœur et son chéri, Isaiah. J'ai eu l'idée d'organiser un déjeuner au bord de la plage pour le lendemain et pour ça, on ira faire faire le marché au petit matin mais ce soir, c'est cinéma. Je ne sais pas quel film on va voir et ça m'est égal même si je choisirais volontiers un film qui fait peur, comme ça il me rassurera. Avant et après, on pourra discuter de culture cinéma, il y a tout plein de références que je peux utiliser pour lui faire comprendre que je tiens à lui mais sans le brusquer. Je sens que quelque chose le chiffonne dans sa vie et je ne sais pas ce que c'est. Je pense que sans ça, on serait déjà intimes mais je ne peux décemment pas lui braquer une lampe à la figure pour lui dire que j'aurais les moyens de le faire parler ! Ca ne se ferait bien sur pas. Pas "d'interrogatoire de police" donc mais ma plus jolie robe pour lui, mon plus joli sourire et mon écoute à toute épreuve. Il fait beau, nous sommes jeunes, la vie nous sourit !

*Haha, Ana toujours aussi ponctuelle, bravo moi*

On s'est donnés rendez-vous au petit cinéma de Bowen, un cinéma dit de quartier, rien à voir avec le "mégamachin" en périphérie qui a moins d'âme. Il y a aussi nettement moins de choix mais Aslander était lui aussi ravi d'y aller avec moi. Je traverse donc la rue en regardant s'il est à l'entrée du cinéma après avoir regardé à droite et à gauche sauf qu'une voiture arrive alors droit dessus dans un rugissement infernal. Madre de mia, ce chauffard va m'aplatir comme une crêpe !

Asl avait rendez-vous au cinéma avec Ana mais ce n'était pas tout à fait la même chose qu'avec Blue, c'était même totalement différent. Avec la rousse, il avait lié connaissance et s'était rendu compte très vite qu'ils n'avaient pas vraiment d'atomes croches, qu'ils seraient amis. Or il connaissait déjà plutôt bien la latine et il semblait évident qu'ils ne seraient pas de simples amis. Par contre, le néo-zélandais était encore affecté par la tentative de manipulation exercée contre lui par Lin, et Liam lui manquait toujours même s'il n'était au final pas son fils. Il y allait donc doucement avec l'actrice, peut-être trop doucement mais il devait être sur de ses sentiments pour elle avant, en bon demi-sexuel qu'il serait : Quelqu'un qui ne peut avoir des rapports qu'avec une personne pour qui il aurait des sentiments certains. Lui était hétérosexuel mais la demi-sexualité désignait aussi les homosexuels. Le jeune homme avait donc pris le chemin du cinéma de quartier et était arrivé à l'avance pour regarder les films à l'affiche. Il en était là quand il avait remarqué quelque chose par terre. Pensant que c'était un objet perdu par un passant, il s'était penché mais ça n'était rien de tel en fait. Il était alors dissimulé par une voiture stationné devant lui et quand il se redressait, c'était pour voir Ana près du trottoir mais elle ne le voyait pas. La jeune femme avait le regard d'un lapin pris dans les phares d'une voiture alors qu'un chauffard lui fonçait dessus justement. Alors qu'elle était figée, alors qu'elle n'avait plus ne serait-ce que le réflexe de s'écarter, il la saisissait par la taille et lui évitait un choc qui l'aurait au mieux grièvement blessée.

"Chauffard !"

Criait-il l'instant d'après au malade qui continuait sa route comme s'il avait le Diable aux trousses. Ah l'alcool au volant. Le nombre de baffes qui se perdaient !

"Ca va ? On va peut-être éviter de voir un film avec des courses poursuites."

Disait-il à la jeune femme en ayant l'air plus décontracté qu'il ne l'était après cet incident qui avait frôlé le drame.

On dit qu'on voit défiler sa vie devant l'imminence de sa mort mais mon esprit a l'air de n'avoir rien capté au film parce tout ce que je vois, c'est Aslander qui m'amène à lui. Je le regarde, il a une telle auto discipline, un tel sang-froid ! Et en plus il essaie de me réconforter avec de l'humour. Je me serre contre lui, toute contente de ce prétexte pour le peloter en toute discrétion. En toute discrétion j'ai dit !

"Mon héros !"

Ca va, il se rend bien compte que j'en pince pour lui, sinon je ne rencontrerais pas sa famille le lendemain. Pas toute sa famille, juste la partie la plus radicale de sa famille, sa sœur. Puis le chéri de sa sœur aussi. Il m'a très peu parlé d'eux pour éviter … Quoi ? Pour éviter les préjugés pardi. Comme si c'était mon genre. Pourvu que ce soit réciproque, c'est que ma vie sentimentale compte autant que ma carrière d'actrice pour moi, à quoi ça me servirait d'être célèbre si je devais finir en vieille fille entourée de cent un chats, ou dalmatiens ?

"Ca va, je ne vais pas en faire un drame, il y a eu plus de peur que … De peur. Oh, un film d'horreur !"

Dis-je avec un grand sourire pour mon sauveur avant de voir une affiche derrière nous. La momie II. Ca a l'air bien. Puis c'est avec le petit Tom comme je le surnomme.

"Ou tu as peut-être envie de voir un autre film ?"

Je regarde du coup les deux autres films à l'affiche mais il n'y a pas de film d'amour sinon j'aurais pu me la jouer "je me dévoue pour aller le voir mais c'est bien pour te faire plaisir". Moi, jouer tout le temps la comédie ? Non mais je suis une actrice. Chaque être humain est l'acteur de sa propre vie, moi aussi mais avec du talent. Modestie, non je ne connais pas.

"Tu es sure que ça va ?"

Elle était sure mais il s'en assurait pendant les dix minutes suivantes, ce qui allait compter pour la suite de la soirée. Aslander se trompait peut-être mais il avait le sentiment qu'Ana le touchait à la moindre occasion mais en fait il ne se trompait pas. La jeune femme était tactile par nature mais elle l'était nettement moins avec les autres personnes, le néo-zélandais s'en était parfaitement rendu compte. Ca n'était pas que ça le dérangeait, en fait ça ne le dérangeait pas, surtout venant d'une demoiselle aussi charmante qu'Ana mais il n'avait pas envie qu'on lui force la main. Il appréciait néanmoins le caractère entier, passionné de la latin même si elle lui aussi l'impression d'être tellement … Superficielle, c'était le mot. Superficielle. Toute en surface, se fiant tellement aux canons de beauté mais elle avait des qualités de cœur indéniables.

"Va pour le film d'horreur."

Ils arrivaient dans la salle au début de la projection du film. C'était dommage en soi, Asl aimant regarder les bandes annonces des autres films. Puis en partie du fait du manque de temps, ils avaient du faire l'impasse sur le soda et le pop-corn mais comme Ana lui aurait tout laissé et qu'il n'en aurait pris que pour le plaisir du partage, Le film en lui-même ne resterait pas dans les mémoires même s'il estimait que la prestation de l'actrice française était bien. Comme beaucoup de spectateurs à travers le monde, il se trompait sur la nationalité de Sofia Boutella qui était algérienne mais il l'ignorait. En tout cas, Ana avait passé toute la projection à serrer le bras du jeune homme, de toute évidence effrayée à la moindre scène un peu surnaturelle. A un moment donné, il s'était même penché sur elle  pour lui dire avec amusement que si elle avait peur là, il ne faudrait pas qu'elle voit des films qui feraient vraiment peur, comme "Ring", "The Descent", "The Thing", "Shining". Puis il s'était dit que ce serait sans doute froid de sa part de considérer la latine comme une amie alors qu'ils sentaient tous deux qu'ils étaient déjà bien plus que des amis et que dès le début de leurs retrouvailles à la plage, il n'en avait été de toute évidence nullement question. Il se taisait alors et l'embrassait sur le front, pensant alors qu'il montrerait ainsi à la jeune femme sa progression dans leur relation mais à son rythme, pensant que ça lui ferait plaisir.

On appelait ça donner de faux espoirs.

A force de s'assurer que j'allais bien, Aslander nous a fait manquer la séances de bandes annonces mais en même temps, je n'aime pas trop ça, puis on a aussi évité le piège à calories, les sodas et les pop corn. C'est vrai que ça aurait été plus convivial mais justement peut-être trop convivial. Aslander n'est pas un pote, c'est le père de mes enfants. C'est juste qu'il ne le sait pas encore. Puis je suis contente qu'il se soucie de moi de la sorte. Ses sentiments pour moi progressent dans le bon sens, bientôt il ne pourra plus se passer de moi et il comprendra alors ce que je ressens pour lui. Je fais semblant d'avoir peur mais le film n'est pas génial, on dirait que tout repose sur les effets spéciaux. Le petit Tom est à la ramasse et je me demande s'il n'a pas été doublé pendant toutes les scènes d'action du film, y compris quand il marche vite. Quant à l'actrice, bah, une momie sans bandelettes ça fait bizarre mais en même temps, je comprends qu'elle ait voulu qu'on la reconnaisse.

Alors vous voyez, sous les bandelettes, c'est moi.

Ca le ferait moyen, clair et net. La projection se passe bien, surtout qu'en fait ça sert mes intérêts que le film ne soit pas si fascinant que ça, ça devrait permettre à Aslander d'avoir un geste vers moi. Peut-être pas me déclarer tout de go sa flamme mais avoir une parole, au moins un geste. Un petit geste. Deux rangées en contre-bas, un couple s'embrasse d'une telle façon qu'ils me donnent l'impression de se brosser mutuellement les dents. Je crois qu'on appelle ça "french kiss". Je me demande alors si j'a déjà embrassé ainsi mais ça n'est pas une bonne idée de ressasser le passé d'autant qu'Aslander se penche alors sur moi. Je suis impressionnée, je ne bouge plus et mon cœur bat la chamade dans ma poitrine puis il m'embrasse sur le front et je me sens toute chose. Ca c'est un progrès indéniable dans notre relation ! Du coup je continue à faire semblant d'avoir peur parce que ça a l'air de fonctionner.

On ne change pas une recette qui marche.

Après le film, on sort en parlant de tout sauf du film. Je doute qu'on le revoit, même en blue-ray. Je serre le bras d'Aslander qui me le prête volontiers. Ca se réchauffe, ça se réchauffe mais je sens que ça n'est pas encore le moment de lui proposer "un dernier verre" même si techniquement, on n'en a pas bu de premier. Il me raccompagne chez moi en parfait gentleman et je lui souris sur le pas de la porte.

"C'était une soirée agréable, Aslander. Tu passes me prendre demain, tôt dans la matinée pour qu'on achète les produits les plus frais possibles au marché, puis qu'on aie le temps de préparer le déjeuner. Ta famille et toi allez adorer mes petits plats."

Il n'en doute pas, puis me caresse la joue, me sourit, se rapproche … Je me penche alors vers lui en pensant qu'il va m'embrasser sauf qu'il fait volte face et s'éloigne, me laissant en équilibre instable et je manque de peu de m'étaler avec la grâce d'une étoile de mer. Je l'impressionne tellement qu'il en a oublié de m'embrasser mais ça n'en rendra notre premier baiser que meilleur !

Aslander avait passé une bonne soirée avec Ana mais il était en même temps déstabilisé par la jeune femme. Elle en faisait beaucoup pour lui plaire et même beaucoup trop en fin de compte. Il avait de plus en plus l'impression que la latin jouait un rôle mais ce sentiment de défiance attendrait son apogée le lendemain pendant le déjeuner en famille. Pour l'heure, il était juste à l'état larvaire, à l'état embryonnaire. Il ne faisait pas encore le rapprochement avec Lin et quand ce serait le cas, l'effet serait dévastateur. Le néo-zélandais ne se rendait pas encore vraiment compte de l'effet qu'il donnait à la jeune femme et il en prendrait la réelle mesure après le coup bas qu'elle lui jouerait par amour mais alors un amour tordu et au final assez ressemblant à cette attirance maladive que Lin avait eu pour lui pendant des années. Par la suite, Aisling lui dirait qu'il choisissait mal ses femmes mais n'étaient-ce pas plutôt elles qui le choisissaient ?

"Moi aussi, j'ai passé une bonne soirée."

C'était la vérité en soi même si cette tension sexuelle à sens unique était bizarre. Il avait passé un bien meilleur moment avec Blue, ils étaient seulement amis et c'était plus détendu entre eux.

"Je passerai demain très tôt, promis. Je pense que ce sera une journée à marquer une pierre blanche, qu'on n'oubliera pas."

Aslander ne croyait pas si bien dire. Le lendemain, il allait montrer sa face obscure à Aisling et Isaiah, celle d'un connard et aucun des deux membres de sa famille ne lui en ferait la remarque parce qu'il était "le petit frère à sa grande sœur". Même si Ana n'était pas exempte de défauts, elle ne méritait pas le traitement qu'il allait lui réserver et d'une façon tellement abrupte. Il devait d'ailleurs ressentir que son propre comportement n'était pas habituel parce qu'il en oubliait de faire la bise à la latine.