Nuit nocturne... Ou pas [PV]

Je m'appelle Nelligan Malinowski. Je suis un grand romantique. Je suis féministe à ma façon. Je respecte les femmes. Je suis contre l'objectivation de la femme. Voilà ce que je ne cessais de me répéter depuis quinze minutes alors que je me trouvais à l'arrière de la voiture qui nous conduisait jusqu'à la boîte de nuit de Bowen. En vingt-huit années d'existence, toutes passées dans cette même ville, je n'avais jamais mis les pieds dans cet endroit. Je trouvais l'idée peu alléchante. Des hommes saliver devant des femmes, cela me semblait tellement animal. Sauvage. Je n'aimais pas du tout le concept de payer pour regarder des femmes danser quasiment à poil. D'autant plus qu'un bon nombre de ces femmes le faisaient parce qu'elles avaient besoin du revenu et qu'elles n'avaient pas eu la chance de tomber sur un métier plus valorisant. Je vous l'accorde, certaines femmes le faisaient pour le plaisir, pour elles-mêmes et par choix, mais pas toutes. Le "pas toutes" me dérangeait. Je ne pouvais cependant rien dire, rien faire ; c'était l'enterrement de vie de garçon d'un de mes amis d'enfance, un ami depuis la petite école, alors lui faire faux bond rien que pour son choix de soirée n'était pas une possibilité. Au pire, je ne ferais que consommer des boissons sans participer au reste. Bref, j'entrai dans la boîte de nuit en même temps que les autres et je soupirai lorsqu'ils choisirent les places de choix : directement en face de la scène. Ils pouvaient même s'accouder à celles-ci, et ne se privèrent pas pour le faire d'ailleurs. L'annonceur annonça la thématique de la prochaine danse, un truc genre Sensuelle Égypte ou une connerie du genre. Les danseuses arrivèrent toutes déguisées d'or et de paillettes. Évidemment, je n'étais pas non plus prude et rabat-joie, alors je regardai les femmes et la danse. Et mon coeur s'arrêta quand ... « Amélia ????? » Son regard croisa le mien. Je n'arrivais plus à bouger. J'avais les yeux grands ouverts et la gueule à terre.

Je ne savais pas si je devais regarder ou non. Je voulais me cacher les yeux afin de ne jamais conserver cette image de ma soeur - et pourtant il était déjà trop tard. Mais je ne voulais pas non plus me voiler le regard sachant que tous les autres hommes autour de moi, y compris mes amis, avaient une telle vue sur ma soeur. Ma soeur. Mon sang. Ma famille. Je m'attendais à tout, sauf à ça, ce soir. L'alcool déjà dans mon système à cause des shooters que l'on s'était enfilés avant de quitter la maison du témoin semblait m'embrouiller l'esprit encore plus maintenant que j'étais dans cette situation indésirable. Amélia me regardait, visiblement elle était autant décontenancée que moi par cette rencontre des plus surprenantes. Un de mes bons potes, un peu bourré, siffla ma soeur et lui cria qu'ils se verraient après. J'haussai les sourcils et, sans perdre un instant, je me levai de mon tabouret et j'empoignai mon ami par le collet de sa chemise, le pointant du doigt à un centimètre de son visage. « C'est pas ta chérie et tu la verras certainement pas après, Adam. C'EST MA SOEUR PUTAIN. » Lui dis-je. Mon ami s'excusa, disait qu'il ne savait pas, qu'il fallait que je me calme. Je le lâchai alors que la chanson se termina. Tout le monde applaudissait, et je tournai la tête vers ma soeur qui repartait vers l'arrière-scène. Sans même jeter un regard à mes amis, je me dirigeai vers les loges. Un gardien de sécurité me bloqua le passage. « J'veux pas agresser une de vos danseuses, c'est bon, c'est ma soeur. Je veux juste lui parler. » Il m'empêcha de passer. Je soupirai. Je n'étais pas violent ni bagarreur, alors je ne savais franchement plus quoi faire. « Vingt dollars, ça me permettra de passer ? » Dis-je en brandissant un billet devant son visage. Il secoua la tête. Je roulai les yeux. « AMÉLIA !!!! » Criais-je, espérant que ce serait assez fort pour qu'elle m'entende de l'autre côté de la porte et ce, malgré la musique.  

Aucun signe de ma soeur, même après mes nombreuses tentatives de crier son nom. J'allais rebrousser chemin et dire à mes potes que je me barrais quand j'entendis la voix de ma soeur parler au gardien de sécurité. Je me retournai alors vivement, et me rapprochai d'elle. Le garde me regarda, la regarda elle puis moi encore. Je roulai les yeux. « Quoi, c'est si difficile à croire ? » Lâchais-je en regardant l'homme, voyant bien qu'il doutait de notre lien de parenté. Certes, ma soeur avait hérité de tout le sex-appeal dans la famille, mais nous avions quand même quelques ressemblances. De toute façon, je me fichais bien de lui, j'avais un autre problème en tête présentement. Amélia m'attrapa par le bras et me tira vers sa loge. Un tas de femmes en petites tenues nous croisèrent. Je n'avais même pas la tête à les regarder. Ma soeur ferma la porte et croisa les bras devant elle, refermant par le fait même son gilet - heureusement, parce que je ne voulais pas la voir vêtue comme ça une seconde de plus. « Moi qu'est-ce que je fais là ??? C'est plutôt toi qui devrais répondre à cette question-là !!! » Amélia prit alors une cigarette, devant mes yeux horrifiés et grands ouverts. « Et depuis quand tu fumes ?? » M'exclamais-je en attrapant sa cigarette et en l'écrasant au sol, me fichant bien que nous n'étions pas à l'extérieur. « Mais qui es-tu ?? » Je ne reconnaissais absolument pas ma soeur, ma douce petite soeur inoffensive.  

Devant ma colère, ma surprise et ma déception, ma petite soeur restait de marbre. Comme si mon indignation ne l'atteignait même pas un tout petit peu. Elle était indifférente, totalement, à ce que je ressentais présentement. Cela me faisait encore plus de mal que la raison-même pour laquelle j'étais en colère et déçu d'elle. Parce que du plus loin que je me souvienne, Amélia avait toujours pris en considération mon opinion, elle avait souvent pris exemple sur moi, et en tant que grand frère je prenais ce rôle très au sérieux. Ce soir, la Amélia que j'avais devant moi se foutait de ce que je pouvais bien ressentir. Elle fumait sa cigarette comme si la scène qui se déroulait devant nos yeux était d'une platitude absolue. « Eh ben arrête avant qu'il ne soit trop tard, c'est une mauvaise habitude à prendre. » Conclus-je en ce qui concernait la cigarette. Nous avions toujours été contre la cigarette. C'était dans les valeurs de la famille. Je ne comprenais pas cette soudaine rébellion. C'est pour cela que je demandai à Amélia qui elle était, puisque clairement, elle n'était pas la soeur que je connaissais. Elle s'assit sur son tabouret en s'exclamant plutôt le contraire. Je secouai la tête. « Non, ma soeur n'est pas aussi nonchalante ... Et surtout, ma soeur se respecte bien plus que ça !! » Je me tirai finalement une chaise, prenant une grande inspiration. Je me rapprochai de ma soeur en roulant sur les roulettes, posant mes mains sur ses mains. « Cocotte, qu'est-ce qu'il se passe ? Comment ça se fait que tu te sois ramassée ici ? » Peut-être avais-je loupé un épisode dans la vie de ma soeur. Peut-être avait-elle des problèmes que j'ignorais. Je devais l'écouter. L'aider.  

Face à mes réprimandes, Amélia demeura de glace. Je savais bien que les sermons d'un frère n'étaient pas toujours bien reçus dans une fratrie, mais je pensais qu'à l'âge que nous avions respectivement, nous étions assez matures pour dialoguer. Ma soeur agissait comme un enfant, muette, je-m'en-foutiste. Je n'aimais pas du tout cela. J'avais toujours été très proche de ma soeur et là, pourtant, j'avais l'impression qu'un fossé s'était creusé entre nous. Amélia me confia qu'il s'agissait du seul endroit où elle avait pu se trouver un travail. Je levai les bras en l'air, exaspéré. « Mais tu n'as demandé d'aide à personne, Amé ! J'ai des contacts, tu sais, j'aurais pu t'aider à te trouver un petit boulot !! » J'aurais même été jusqu'à demander à Tara un coup de pouce, si elle avait besoin d'une caissière à sa pâtisserie ou un truc dans le genre. Peut-être moins payant que danseuse, mais certainement plus dignifiant. Je m'approchai de ma soeur et lui demanda ce qui se passait pour qu'elle en soit rendue là, autant dans son travail que dans l'attitude qu'elle arborait devant moi. « Alors ce job-là est plus important que notre relation pour toi ? » Crachais-je en me reculant d'un coup, fronçant les sourcils. Je n'aurais jamais cessé d'adresser la parole à ma soeur peu importe le métier qu'elle choisissait, mais le fait qu'elle le relève en s'en fichant me brisait le coeur.

Alors que je venais carrément de dire à ma soeur que je pouvais l'aider à trouver un autre emploi que celui-là, elle leva les yeux au ciel. Son attitude me mettait hors de moi. Je ne comprenais pas comment et surtout quand elle était devenue aussi grossière et nonchalante. Je suivis sa cigarette du regard alors qu'elle l'écrasait dans le cendrier. Amélia croisa de nouveau les bras et me regarda directement dans les yeux, d'un regard qui me figea le sang. « Je peux t'aider à le payer, oui, si t'es vraiment dans une mauvaise situation. » Bon, j'étais moi-même dans une mauvaise situation, mais ça visiblement Amélia s'en foutait. Depuis que j'avais perdu mon boulot comme testeur de jeux vidéo, je m'étais ramassé dans une boutique, au salaire minimum. Pas de quoi pouvoir payer plus que mon propre loyer. Mais pour aider ma soeur, j'étais prêt à tout.

Je reprochai à Amélia d'agir comme si ce boulot était plus important à ses yeux que notre relation, vu comment elle réagissait et ce qu'elle disait qui me fendait le coeur. Elle commença alors à me crier après, me reprochant à son tour de lui demander de choisir. « Non ! Pas du tout ! J'peux t'obliger à rien ! Mais que tu dises que le fait qu'on ne s'adressera peut-être plus la parole après ça ne changera rien, honnêtement, et bien ça me dégoûte de t'entendre dire ça. » J'avalai difficilement ma salive, puis continuai tout de suite : « Et ne va pas croire que je vais cesser de te parler pour ça. T'es ma soeur, Amélia. Je vais toujours t'aimer. Mais ça me brise le coeur de te voir agir comme ça envers moi ... j'te reconnais pas ... » Et je savais que le fait de dire que je ne la reconnaissais pas n'allait que la mettre davantage en colère, mais je ne savais plus comment lui parler. Elle réagissait mal, peu importe ce que je disais.

Mes yeux s'ouvrirent encore plus grands - si seulement était-ce possible - quand ma soeur s'alluma une seconde cigarette, le tout en moins de quoi, cinq minutes ? Je n'arrivais même pas à comprendre comment ses poumons pouvaient survivre à une journée à ce rythme-là. Ma soeur devait être sous un stress énorme pour fumer de la sorte. Je m'inquiétais grandement pour elle. Si seulement elle pouvait comprendre que je me faisais du souci pour elle, plutôt que de croire que je la grondais. Quand je proposai de l'aider, Amélia me ridiculisa en riant d'un rire méchant. Je fronçai les sourcils, reculant sur ma chaise. « Peut-être. Mais pour toi j'serais prêt à me trouver un second boulot juste pour pouvoir t'aider un peu ... » Quoique, maintenant que je voyais comment elle me traitait, je n'étais plus certain de vouloir l'aider. Plus la conversation avançait, plus Amélia me repoussait cruellement, et la colère ne faisait que monter davantage en moi. Cette soirée était vraiment merdique.

Quelqu'un cogna à la porte, mettant une pause à cette altercation. Son styliste lui lança une robe, parlant ensuite d'une danse privée. Mon poil s'hérissa sur mon corps. Je fermai les poings. Mais je ne dis rien. Je lançai un regard noir au styliste alors qu'il refermait la porte, puis je fermai les yeux pour me calmer avant de me retourner de nouveau vers Amélia qui, de toute façon, me demanda de me retourner. Elle ignora totalement ce que je venais de dire par rapport à nous deux. Alors je me tournai, en silence, tentant de comprendre où était passée ma petite soeur. J'entendis la jeune femme sortir de ses vêtements pour rentrer dans les nouveaux. Quand elle reparla, je jetai un rapide coup d'oeil pour réaliser qu'elle se trouvait face à son miroir et que je pouvais me retourner - mais ça, elle ne me le dirait pas. Je l'écoutai répondre à ce que j'avais dit par rapport au fait que je ne cesserais jamais de lui parler. Sa réponse m'acheva. « De quoi tu parles, Amélia ? On se voit au minimum une fois par semaine chez les parents, à tous les dimanche soirs, et je t'invite souvent à luncher avec moi la semaine, et quand ça arrive pas c'est parce que TU as un empêchement. » Tellement d'émotions traversaient présentement mon corps. J'avais envie de crier, de pleurer, de l'assassiner même parfois. Elle s'alluma une troisième cigarette. « Tu te rends compte que ça fait trois cigarettes que tu fumes en dix minutes ? » Non, parce que, j'avais vraiment l'impression qu'Amélia ne réalisait pas du tout ce qui était en train de se passer présentement. Puis, soudainement, je pensai comprendre. Mes traits se détendirent. « Amé ... est-ce que ... est-ce que tu ... prends-tu de la drogue ? » Cela expliquerait ses nouvelles dépendances, son nouveau job pour payer ses dettes, son caractère de merde, etc.