collecting pictures from the flood that wrecked our home ▽ brooke

Dans ta tête, le chaos. T'as pas douze-millions de questions à lui poser, c'est plutôt les scénarios qui se bousculent. Comment l'intégrer à ta vie, comment vivre une vie de famille ? Tu connais pas, tu sais pas comment ça fonctionne. La seule famille que t'aies eue, c'est Aelya et Theo, et même eux, tu les tortures de ta personne déchirée, dépitée. Eve dit ne pas attendre de toi, et pourtant, si. T'as l'impression qu'elle cherche à se justifier pour éviter tes colères, ou éviter que tu le repousses. Si, vraiment, elle ne s'attendait à rien de toi, elle serait pas là. Elle serait pas venue à Bowen pour prendre contact. Elle aurait fait sa vie, après avoir appris ton existence. Mais c'est pas le cas. C'est pas mal, mais faut pas chercher à mentir. Tu te permets de sourire sarcastiquement à son commentaire. « D'abord, faut savoir que les mensonges ça me pue au nez », lâches-tu en la regardant se dépiter. « T'attends quelque chose de moi. C'est peut-être pas la lune, mais c'est quand même ça. T'as eu le besoin de v'nir jusqu'à moi, de briser le silence c'était pas pour rien. » Il n'y a pas d'animosité dans ta voix, pas de colère. Mais le ton est ferme, faudra que tu apprennes à t'adoucir pour elle, pauvre jeune femme qui tremblera chaque fois si jamais t'arrivais pas à changer ton ton. Tu regardes l'heure à son commentaire, ri franchement te rendant compte que ton mode de vie est vraiment pas celui de la bonde. « C'est pas que tu m'embêtes, c'est juste que c'est pas une bonne journée. » Fallait aussi rappeler que t'es en rupture amoureuse, que t'as la tête qui va exploser et le coeur en morceaux, que t'es de mauvaise compagnie naturellement et encore plus maintenant que Sacha et toi c'est terminé. Mais tu piles sur ton orgueil. « Tu m'laisses ton numéro ? », lui demandes-tu. « J't'appellerai, quand ça sera calmé un peu dans le chaos de ma tête. Ça te va ? »

Les joues en feu, à nouveau, Eve baissa la tête, incapable de se justifier. Devant la remarque de la belle rousse, elle n’aurait même pas su se justifier. Elle avait raison, en soi. Et Eve ne savait comment défendre sa position, qui au final était celle d’une petite fille perdue quémandant désespérément de l’affection. Comment montrer à Brooke qu’elle n’était pas seulement un petit chaton manquant de se noyer, comme le racontait son image ? C’était clair qu’elle envoyait pas du lourd, avec son regard presque constamment en train d’observer ses pieds et ses joues plus rouges que remplies de taches de rousseur. Forcément qu’on la prenait pour un animal blessé qui avait besoin d’aide. Difficile de voir la force et le courage d’une créature aussi pitoyable. Pourtant ça lui en avait demandé, du courage, de venir jusqu’ici, de laisser son seul foyer derrière elle, aussi merdique soit-il. Ça lui en avait demandé, de la force et de la résilience, de survivre à la toxicité de sa génitrice et de son environnement, toutes ces années. De se prendre en main, de se débrouiller toute seule et sans soutien, et de quand même poursuivre ses rêves, dans la mesure du possible. Mais elle ne pouvait blâmer son aînée de ne voir en elle qu’une pauvre gamine en quête d’amour. « Oui, je comprends. Enfin non, je dis pas que je sais ce que tu vis, mais… Bref, je vais te laisser tranquille. » bredouilla la couturière, se foutant la quinzième gifle mentale de la soirée. Au moins, elle avait dit qu’elle ne l’embêtait pas vraiment, et Brooke ne semblait pas du genre à tenir des propos par politesse. Le regard clair de la jeunette se remplit d’étoiles quand l’artiste aérienne lui demanda son numéro. Un immense sourire, impossible à réprimer, éclaira son visage qui perdit toute trace d’embarras. « Oui, c’est parfait. C’est génial. » Elle s’était exprimée avec retenue, même si on sentait l’enthousiasme et le soulagement dans sa voix. Mais dans sa tête, elle trépignait sur place, et chantait des remerciements à tout l’univers. Elle aurait bien pris sa demi-sœur dans ses bras, mais l’idée même était à tuer dans l’œuf. Eve dicta son numéro, contenant son excitation au possible, avant de prendre congé avec un sourire encore un peu timide, mais plein d’espoir, et de refermer doucement la porte derrière elle. Dans le couloir, elle s’autorisa un cri de joie exprimé dans un chuchotement, sautillant joyeusement en sortant du cabaret.

End.