Le but, s'il vous plait? [dt. Nevaeh]

Un contact. Une entrevue au sujet de l'hôtel de mes jeunes. Il est vrai que sur le moment je n'ai pas vraiment compris l'intérêt. Elle non plus peut-être, sa voix au téléphone semblait désintéressée et surtout blasée. Un rendez-vous dans mon bureau. Je l'accueille à bras ouverts comme je le ferais avec n'importe qui. "Un petit verre ou vous ne buvez pas durant les heures de travail?" lui demandais-je poliment en me prenant un petit soda dans mon petit frigo miniature. Quel pléonasme. Je viens m'installer sur ma chaise tout en la regardant. Je n'ai rien à me reprocher au final et mon business ne regarde personne si ce n'est mes dealers, Morgan et moi. Et quelques autres, des collègues du même secteur. "Du coup une nouvelle sur l'hôtel? Je dois vous avouer que ça va être très court." continuais-je sur un petit rire franc, regard jovial avant de jeter un petit coup de menton vers sa feuille. "Peut-être vous êtes-vous déjà renseignée et avez quelques questions. Je vous écoute." anticipais-je.

Retour à Bowen. Abandon de son poste au New York Weekly Journal. Reprise d'un poste bien moins alléchant au journal local de la ville qui n'avait rien à voir avec sa vie de reporteur connue d'avant. C'était le prix à payer pour retrouver sa famille, pour revenir s'installer à Bowen, c'était d'accepter de couvrir des nouvelles qui n'avaient pas autant de challenge, pas autant d'intrigue que celles qui se déversaient de sa vie New Yorkaise. Bowen et New York, c'était tout l'opposé. Nevaeh pouvait se contenter chanceuse, on l'avait repris tout de même sans trop de problèmes, même si les patrons avaient peur qu'elle leur demande une augmentation de salaire exorbitante, en vue de celui qu'elle avait jadis. L'argent, ce n'était pas ce qui lui importait. Et s'ils savaient, bien qu'elle travaillait à New York pour l'un des journaux les plus lus au monde, son salaire n'était pas aussi alléchant qu'on le laissait croire. Ils l'avaient repris, sans même la remettre aux horoscopes, poste qu'elle avait autrefois pourvu au journal de Bowen. On l'avait remis sur le terrain, à couvrir les petites et grandes nouvelles des environs. À peine de retour au boulot, on lui avait assigné un dossier à couvrir, un hôtel rescapé en centre d'hébergement pour les jeunes dans le besoin. On parlait d'un sauveur, d'un saint pour tous les jeunes au passé et au présent amochés. Le propriétaire des lieux, un pasteur, que l'on racontait, selon les recherches que la brune avait faites au préalablement, lui avait donné rendez-vous à l'église, dans son bureau. Cillian l'accueillit, bras ouverts, lui proposant un verre au passage, ce qu'elle refusa. « Ce ne serait pas vraiment éthique de ma part. » Et, d'un côté, elle trouvait la scène bien cocasse, un pasteur dans le bureau de son église qui lui proposait un verre. Peut-être ne parlait-il pas d'alcool, elle l'espérait du moins. « Merci d'avoir accepté de m'accorder quelques minutes de votre temps », c'était-elle efforcée de dire avec le plus d'entrain possible. Ce n'était pas que l'hôtel ne semblait pas une bonne nouvelle à couvrir. Au fond, elle l'était sans doute. C'était surtout que Nevaeh s'était attendue à plus. Mais, en réalité, à Bowen, plus ça n'existait pas vraiment. Et c'était de ce genre de nouvelles qu'il fallait qu'elle se contente. « Pour un sauveur des jeunes, je ne vous trouve pas très vendeur de votre projet. », lança-t-elle alors qu'il décrétait que leur rencontre serait courte. Elle aurait cru qu'il aurait eu beaucoup à lui dire, s'il était aussi fier qu'il pouvait le laisser croire, de tout ce qu'il avait bâti pour les jeunes. « Effectivement, j'ai des questions, mais j'aimerais surtout vous entendre parler de vos motivations à ouvrir ce genre de centre d'aide ? C'est comme ça que l'on peut le qualifier, cet hôtel ? »

On se fait d'la politesse mais on sait bien l'un comme l'autre qu'on n'a pas réellement envie de causer de ce sujet qui pourrait rapidement l'ennuyer. J'hausse les endosses, penche légèrement mon caisson sur le côté avant de me décider à répliquer. "C'est juste que je le fais anonymement en quelques sortes. Si cet endroit était connu de tous, avec tous les enfants qui pourraient peut-être avoir besoin d'un toit, je ne suis pas sûr de pouvoir héberger une grande partie de la population en un seul bâtiment." commençais-je à lui expliquer, me mettant à l'aise dans mon fauteuil. "En général, tout se fait par le bouche à oreille. Je rencontre les jeunes qui ont entendu parler de l'endroit et leur offre l'hospitalité durant un temps, celui qu'ils ont besoin." Un soupir, je porte mes mirettes sur elle, légèrement inquiet. "Si vous pouviez éviter de parler clairement de tout ça pour votre journal, ça m'arrangerait. Vous pourriez vous en inspirer si cela vous inspire un minimum mais sans avoir le besoin de me citer, comme un lieu qui serait à Bowen et que les gens pourraient peut-être chercher d'eux même." Je baisse la garde quelques secondes. "Je n'ai pas envie aussi que les jeunes qui y sont soient vus ensuite comme des bêtes de foire, du style "Les enfants que Monsieur Hawke garde" ou ce genre de conneries qui pourraient les mettre mal à l'aise. Je ne suis pas là pour gagner quoi que ce soit sur leur dos, c'est aussi pour ça que j'ai demandé à ne pas être payé pour cette discussion." lui expliquais-je sur un ton doux avant d'arriver finalement à sa principale question; qu'est-ce qui m'a motivé à ouvrir ce "centre"? "Je dirais que mes motivations sont juste bienveillantes; beaucoup de jeunes ne parviennent pas à aller au bout de leurs rêves à cause de soucis financier ou de logement. J'ai juste voulu leur donner l'opportunité d'aller jusqu'au bout. Certains cherchaient du travail, je leur en ai donné avec la restauration de l'Eglise, le temps de se faire un peu d'argent avant qu'ils ne déploient leurs ailes vers une autre atmosphère qui les intéresserait d'avantage, pour d'autres, le temps de développer ce qu'ils peuvent avoir en tête avant de déposer peut-être un brevet ou pour d'autres, juste l'occasion d'être logés et nourris tout en poursuivant ses études. Chacun en soi à sa propre raison et je suis juste là à garder un oeil sur eux s'ils ont besoin d'aide, s'ils ont des questions et s'ils veulent des avis extérieurs à leur projet." Un soupir, accompagné d'un petit sourire presque timide. En soi, le but de cet hôtel est juste comme un lieu de pèlerinage, un endroit où ils pourraient se retrouver avant de tracer leur route sans jamais même se retourner. "Je ne sais pas si j'ai répondu comme il le fallait à votre question." m'inquiétais-je. J'espère juste au fond de moi, que malgré les informations données, elle saura qualifier l'endroit comme un écrivain né le ferait.

C'est seulement qu'elle n'a plus l'habitude de traiter de sujets comme ça, Nevaeh. Au début de sa carrière, elle en avait l'habitude. Puis, elle est montée en flèche. Et elle a fait sa chronique de voyage qui l'a poussé à aller partout à travers le monde pour finalement dégoter un poste dans un des journaux les plus réputés du monde, le New York Weekly Journal, rien de moins. Alors, lui demander de venir couvrir un genre d'hôtel pour jeunes contrevenants, non, ça ne lui paraissait pas alléchant. Ça n'enlevait rien au propriétaire, ni à la mission, c'était même remarquable, excepté si un truc louche s'y cachait, mais ce n'était simplement pas dans la palette de nouvelles à couvrir de la belle brune. En même temps, à quoi s'attendait-elle, Nevaeh, en revenant au bercail ? Bowen n'avait pas grandi dans son absence, elle ne s'était pas transformée en une seconde Big Apple. Il lui fallait donc accepter que sa vie se résumait à ça, maintenant. Elle avait donc accepté son sort, pris rendez-vous avec ce pasteur qui avait accepté de lui parler de son projet spéciale et elle s'y était rendu, tentant le moins possible de laisser paraître son ennuie. Mais quand elle lui lança qu'il n'était pas très vendeur pour un homme fier de son projet, monsieur Mccarthy rétorqua qu'il ne voulait pas vraiment que son nom circule. « Alors pourquoi avoir accepté l'entrevue ? », demanda Nevaeh avec toutes les raisons du monde. Il savait bien qu'elle allait vouloir prendre des photos, mentionner l'endroit ou du moins l'entourage. « C'est juste que ce n'est pas très commun, je dois avouer. Les gens sont plutôt fiers de ce genre de chose. J'ai comme l'impression que vous voulez garder tout ça caché de tous.. Je me trompe ? » Peut-être que ça cachait un truc. Ou peut-être pas. Elle était sans doute aveuglée par les histoires à tirer les cheveux qu'elle avait l'habitude de couvrir. Alors, elle lança la première question, toute simple, comment tout ça avait commencé Et la réponse de monsieur Mccarthy, elle, ne fut pas toute simple. Par chance, le microphone avait été activé, ce qui facilitait la prise de notes. « Comment faites-vous pour financer le projet ? », demanda ensuite Nevaeh. « Si tout est anonyme, tout est secret... », argumenta la brune, trouvant tout ça un peu louche.

Je tente de parler d'une manière la plus claire possible, omettant bien entendu certains détails mais révélant les choses les plus importantes quant à cet hôtel. Pourquoi avoir accepté? Même mézigue, je ne sais pas. Histoire de voir des gens peut-être. Une trogne légèrement hésitante avant de soupirer. "Si ça peut vous inspirer pour vos histoires." J'hausse les arêtes avant de la laisser continuer avec son questionnaire probablement tout fait. "Je sais bien mais si trop de monde est au courant, je ne pourrais pas avoir assez de places pour tous les loger; c'est ce que je vous expliquais." lui répondis-je avant que je ne la laisse prendre des notes. Comment je fais pour financer? De la manière la plus légale du monde, je n'ai pas à battre pour lui répondre. "Mes parents étant morts, j'ai récupéré leur fortune que j'ai faite capitaliser. Voilà d'où viennent le financement." Sa remarque me laisse cependant de marbre mais je prends le temps d'y rétorquer. "Pas vraiment en soi. L'anonymat n'est là que pour protéger ces jeunes ou pour ne pas avoir les projecteurs sur soi. C'est comme un renseignement anonyme à la police durant une enquête ou encore un don anonyme. On le fait pour les gens, pas pour la gratitude qu'on peut récupérer derrière." Je ne sais pas ce qu'elle pourrait poser encore mais je pense avoir fait une erreur en acceptant ce genre de rendez-vous. J'ai beau ne rien laisser paraître, je commence légèrement à perdre patience, ayant en plus de ça l'impression de tourner en rond. "Vous écrivez des nouvelles en temps normal, ça ne peut être que bénéfique pour vous ce genre d'entrevue. Est-ce que au moins ça vous intéresse réellement?" m'inquiétais-je. J'ai eu le temps de me mettre au parfum sur son compte, lisant parfois les articles qu'elle mettait les baveux.

Ce qu'il disait fait du sens. Mais clochait à la fois. Il avait raison, pour les lits, les places. Seulement, ça ne pouvait être que ça. À New York, elle avait visité des refuges pour itinérants, des maisons pour femmes violentées dans le cadre de certains reportages. Elle savait comment ces organismes fonctionnaient, souvent avec des adresses cachées ou des places limitées. Seulement, ce n'était pas quelque chose qui les empêchait de parler d'eux, de laisser leur organisme se faire connaître. Ils en avaient besoin, de la visibilité, pour s'assurer d'avoir de la clientèle. Et quand les lits étaient tous occupés, ils redirigeaient les gens vers des ressources similaires. Ne pouvait-il pas faire cela, monsieur McCarthy ? Ne pouvait-il pas tout simplement référer ailleurs plutôt que de feindre des raisons qui ne faisaient pas de sens à la brune. Il parla ensuite du financement, de ses parents qui lui avaient légué de l'argent, suffisamment pour financer l'hôtel. Plausible. « Je vois », décréta-t-elle sans ajouter quoi que ce soit. C'était réaliste, elle n'était toujours pas convaincue, mais c'était tout de même une possibilité envisageable. Monsieur le pasteur compara ensuite son anonymat aux sources policières, ce qui fit rire Nevaeh. Elle connaissait bien le travail des sources policières. « Attends, ce n'est pas du tout la même chose », s'opposa-t-elle. « Ces personnes n'ont pas le choix de garder le silence, sous peine de mettre leur vie en danger. Alors oui, elles le font pour aider et sauver d'autres personnes, d'accord, mais la raison de leur silence reste leur propre sécurité personnelle. » Elle posa un regard interrogateur sur l'homme. « À moins que vous ayez peur pour votre sécurité ? » C'était la seule explication. Et, pour Nevaeh, il était clair que si c'était le cas, il cachait un truc. Pourtant, il s'interrogea plutôt sur le réel intérêt de la journaliste quant à sa nouvelle. « Au départ, je dois dire que non. Avec toute transparence. » Elle jouait la carte de l'honnêteté, à savoir si ça pouvait fonctionner avec monsieur le pasteur. « Mais plus nous discutons, plus je sens qu'il y a des choses non-dites dans cette histoire. Appelez-moi sensationnaliste, mais je pense qu'il y a plus que ce que vous tentez de me faire croire. » Et ça ressemblait bien plus aux nouvelles qu'elle avait eu l'habitude de couvrir à New York. « Je peux écrire toutes les conneries que vous voulez monsieur McCarthy. Mais je veux davantage savoir la vraie histoire. »

Je tente de m'expliquer, partant finalement dans un rire franc en entendant celui de la journaliste mais n'en perds pas moins lorsqu'elle reprend son sérieux. "Je n'ai absolument pas peur." Un soufflement de nez. "Je n'ai pas vraiment de raison de craindre pour ma peau à vrai dire." J'hausse les épaules avant de lui poser à mon tour une ou deux questions, la laissant s'exprimer à mon sujet. Elle en veut plus et jamais ô grand jamais je ne parlerai d'un point qui fait que je veux la sécurité de ces enfants. Cependant, je sais que je peux continuer à baragouiner, lui raconter des détails vrais et vérifiables à 100%. "Disons que... J'ai beau avoir confiance en l'humain, je reste tout de même sur mes gardes. Ce que j'ai à cacher est simplement une salle où sont déposés des lingots d'or que j'ai fait échanger à la banque pour de l'argent et cela m'embêterait qu'on s'aventure dans l'hôtel sans faire parti de la famille pour cette raison." Je fais une petite moue, légèrement contrarié en racontant ceci, détail dont personne n'est au courant. "Lorsque les gens savent ce que certains peuvent avoir, on peut toujours s'attendre au pire. Je ne veux pas que ça prenne trop d'ampleur à cause de ça..." Je baisse le regard en soupirant, presque en ayant honte de parler comme ça de l'être humain mais cette nature sauvage qu'il y a dans chacun de nous, je ne peux la contrôler ni même la disuader. "J'espère que vous comprendrez du coup pourquoi je veux vraiment garder mon anonymat. Je suis réputé pour être bon et parfois naïf mais peu de personnes connaisse ce côté paranoïaque que j'ai depuis maintenant quelques années..." Un sourire pincé, je plonge mes yeux bleus dans les siens.

Elle ne lui faisait pas confiance. Elle sentait bien qu'il y a quelque chose, mais qu'elle n'aurait pas toute la vérité en lui posant des questions. Peut-être faudra-t-elle qu'elle investigue ailleurs, qu'elle pose des questions au voisinage, qu'elle retrace des jeunes qui habitent cet hôtel pour voir si l'un d'eux ne pourrait pas lui glisser un mot sur la vérité qui semble si horrible qu'elle doit être cachée. Si monsieur McCarthy croyait pouvoir berner Nevaeh aussi facilement, en parlant de lingot et de pièce secrète, en croyant que ça lui ferait déroger du noyau de ses questionnements, il avait tort, bien trop tort. Il y avait bien plus qui se cachait derrière tout ça, sans même que la brune puisse le savoir encore. «Mon père, ne croyez-vous dont pas que tous sont bons ? », demanda-t-elle en prêchant les croyances de l'église et de la bonté que ce genre d'impliqués avaient naturellement. N'était-i pas catholique de croire en la bonté et la bienveillance des gens, tous individus confondus, malgré les erreurs, malgré les mauvais choix ? Pour un pasteur, il semblait avoir des opinions bien arrêtées. «Toute cette histoire me semble un peu tirée par les cheveux, monsieur McCarthy », avoua Nevaeh en pinçant les lèvres. «Ne le prenez pas mal, mais j'ai l'impression que vous n'êtes pas tout à fait prêt à raconter votre histoire, la vraie, à qui que ce soit. » Elle soupira, lui tendant une carte où son nom et son numéro de téléphone y était inscrit. «Tenez, si jamais vous changez d'avis, vous pourrez m'appeler. » Elle se leva. «Merci de votre hospitalité, monsieur. »

Un regard attristé à sa réponse, je baisse la tête. "Je crois surtout qu'il y a du mauvais en chacun de nous et qu'il est plus présent en d'autres." lui confiais-je. Elle continuer à me question, je lui raconte une part de vérité en tachant de bien garder ce qui me ferait défaut pour moi et il semblerait qu'elle ait compris. J'attrape sa carte, la lis rapidement avant qu'elle ne se lève et que je l'accompagne jusqu'à la porte. "Je suis navré Madame Rutkowski." Navré, mes couilles. Je lui ouvre la lourde pour la laisser passer pour qu'elle déguerpisse loin de cet endroit. "Je tâcherai d'y réfléchir cependant. Prenez soin de vous." ajoutais-je avant de refermer derrière elle. Je joue avec la carte en me rapprochant de mon burelingue, soufflant un bon coup avant de la déchirer et de la foutre à la poubelle. Il semblerait que j'ai une autre personne à qui me méfier maintenant. Il ne manquait plus que ça, une greluche prête à tout pour pouvoir écrire un article dans l'canard.

FIN.