paradise circus ▽ livio

paradise circus

Eve terminait deux ou trois arrangements sur un costume, perfectionniste, déterminée à terminer toutes ses tâches avant de partir. Il était déjà tard, même si le show n'était pas encore terminé. Mais n'étant pas ici en tant qu'artiste, mais bien en tant que petites mains derrière les coulisses, la jeunette n'était pas obligée de rester jusqu'à la fermeture. Parfois, elle le faisait, quand elle voulait admirer les personnes de la scène, des étoiles plein les yeux. Néanmoins, avec son sommeil de marmotte, elle rentrait souvent tôt, à son grand regret. Elle aurait aimé faire partie de ces gens qui savent tenir jusqu'au bout de la nuit. Sauf qu'elle, c'était un vrai bébé. Les dernières finitions faites, Eve se leva, tendant le costume de danseuse du ventre devant elle, fière de son œuvre. Satisfaite et tout sourire, elle pendit la pièce sur un cintre et alla l'accrocher à la porte de la loge de l'artiste. Elle aussi, elle aurait aimé que tous les regards se tournent vers elle. Qu'on l'admire et qu'on la désire. Mais c'était pas pour ça qu'elle était là, et de toute manière, elle aurait jamais pu être sélectionnée pour un tel job. Après un long bâillement, Eve alla récupérer ses affaires dans l'atelier, son téléphone affichant vingt-deux heures trente. Ouais, il était largement le temps de rentrer. Elle réajusta les bretelles de sa salopette, cousue et customisée par ses soins, empoigna le sac cabas fait main lui aussi et y plongea quelques chutes de tissu qu'elle pourrait réutiliser plus tard, avant de sortir discrètement par les côtés de la salle. Elle se retourna tout de même, le temps d'une minute ou deux, pour admirer la trapéziste à l’œuvre sur scène, magnifique dans son costume à volants légers couleur bleu nuit, agrémenté de paillettes argentées et de jolis sequins discrets, mais qui contribuaient à la féerie de la performance.

Le cabaret Delirium était, semblait-il, une étape obligatoire pour toute personne qui passait à Bowen. Alors, sur les conseils de connaissances qu'il avait rencontré, Livio s'était empressé de prendre un billet pour le show du soir. Il en avait eu le souffle coupé, tant le spectacle était beau. Tout était réuni pour en mettre pleins les yeux : la qualité des artistes, la mise en scène, les musiques choisies. Et pour Livio, qui travaillait dans le monde fermé du stylisme, les costumes faits main avaient attiré son regard. A vrai dire, il avait une idée en tête, un projet sur lequel il travaillait depuis des semaines et qui se concrétisait de jour en jour : il souhaitait amener sa marque en Australie. Son équipe, qu'il formait doucement, voyait même plus grand, en évoquant l'idée d'ouvrir une collection pour femmes. Pour cela, Livio savait qu'il allait devoir s'entourer des meilleurs, ne connaissant rien à la mode féminine, mais il avait une condition : que les vêtements soient produits dans le pays où la marque s'installait. Il aimait travailler avec le local, échanger avec des professionnels pour avoir de nouvelles idées, des avis qui lui permettraient d'avancer. C'était donc dans cette optique-là qu'il demanda à voir la couturière du cabaret, après le spectacle. On l'informa qu'elle était déjà partie mais qu'elle sera présente, le jour d'après, pendant le show. Le lendemain, donc, Livio était là. Il retrouva la personne qui l'avait informé, la veille, et qui lui permit de rentrer dans les coulisses. Il s'avança doucement, ne faisant pas de bruit quand il passa à proximité du spectacle, où une jeune femme s'était arrêtée pour observer le show. Dans un murmure, Livio souffla : « C'est beau, n'est-ce pas ? On dirait un moment suspendu dans le temps... » Il esquissa un sourire à la jeune femme qui se retourna vers lui. Autant en profiter. « Bonsoir... » commença-t-il d'abord, avant d'enchaîner rapidement pour ne pas qu'elle le prenne pour un intrus qui s'était faufilé, là où il ne fallait pas. « Je suppose que vous travaillez là, alors vous allez peut-être pouvoir m'aider... Je suis à la recherche de la responsable des costumes. Savez-vous où je pourrais la trouver ? »

Captivée par le show qui se déroulait sur scène et dont elle ne pouvait se détacher, durant ces quelques dernières minutes magiques, Eve sursauta quand une voix s’éleva près d’elle. Pourtant, l’homme n’avait fait que chuchoter, mais il était facile de surprendre la couturière. Combien de fois n’avait-elle pas manqué de se transpercer le doigt quand quelqu’un débarquait dans la pièce pendant qu’elle travaillait sur un costume. La jeune fille hocha la tête en silence avec un petit sourire, se demandant qui était ce garçon en coulisses qu’elle n’avait jamais vu dans l’équipe. C’était peut-être un nouveau. Si c’était le cas, il allait falloir qu’elle travaille avec des œillères pour ne pas être troublée par son physique avantageux, qu’elle pouvait voir même dans la demi-pénombre. Son interlocuteur ne tarda pas à se présenter, laissant Eve totalement perplexe. C’était elle qu’il cherchait ? Cet homme beau comme un dieu ? Redescends sur terre meuf, arrête de perdre ta langue chaque fois que quelqu’un t’aborde, t’as l’air d’une gourde. « Euh… C’est moi. » répondit Eve à mi-voix, se demandant ce qu’il pouvait bien vouloir d’elle, et toujours stupéfaite. Il allait rapidement regretter d’avoir voulu trouver la fameuse responsable des costumes, en réalisant qu’il se retrouvait avec une pauvre cruche dont les neurones semblaient ne se connecter qu’une fois sur deux. « Je… Je peux vous aider ? » reprit la blonde après s’être éclairci la voix, tentant tant bien que mal d’avoir l’air sérieuse et fiable.

Il était facile de se laisser emporter par le spectacle qui se déroulait devant un public subjugué. Alors quand il vit la jeune femme sursauter, ne s'attendant sûrement pas à voir quelqu'un en coulisses, Livio esquissa un léger sourire. « Désolé, je ne voulais pas vous faire peur. » Mais maintenant qu'il avait croisé quelqu'un, peut-être allait-elle pouvoir l'aider. Alors, quand il demanda où se trouvait la responsable des costumes, la jeune femme sembla étonnée. Et pour cause, elle était la responsable des costumes ! « Parfait, c'est vous que je voulais voir ! » dit-il avec un large sourire, sûrement amusé en voyant bien qu'elle se demandait pourquoi il débarquait ici pour la voir. « On m'a dit que je pourrais vous trouver ici, aujourd'hui. Mais peut-être aurais-je dû appeler pour prendre rendez-vous... Excusez-moi, j'ai plutôt tendance à m'emballer. » ajouta-t-il, en se rendant compte qu'il n'avait peut-être pas usé de la meilleure manière. Il était passionné, il fallait le pardonner. Mais maintenant qu'il était là et qu'elle lui demandait en quoi elle pouvait l'aider, le jeune homme se lança. « Je me présente tout d'abord, je m'appelle Livio Manzoni. Je suis le propriétaire d'une marque de vêtements qui, pour l'instant, fonctionne essentiellement en Italie. Mais j'ai un projet bien en tête, qui est notamment d'importer la marque en Australie. » Il donnait les grandes lignes afin de la rassurer et prouver qu'il était plutôt solide, professionnellement parlant. « J'ai eu l'occasion de voir le spectacle, il y a quelques jours. Et pour être honnête avec vous, j'ai été subjugué par la qualité des costumes. C'est vraiment du très beau travail. » la complimenta-t-il, avec sincérité. « Mais avant de vous exposer ce que j'ai en tête, peut-être pourrions-nous aller dans un endroit plus propice à la conversation ? » Ils étaient quand même à proximité de la scène de spectacle, et même s'il y avait la musique qui couvrait le tout, il craignait d'occasionner un quelconque dérangement.

Il ne se serait sans doute pas excusé s’il avait su combien il était facile de faire sursauter la blonde. C’en était même énervant, à la fin, qu’elle se braque comme une biche dans les bois qui entend une branche craquer. C’était exactement ce qu’elle était, une biche peureuse qui voulait s’enfuir au moindre prétexte. Les relations humaines ne fonctionnaient malheureusement pas comme ça. Eve haussa les sourcils, réellement surprise et même un peu flattée, même si elle n’aurait pas osé l’avouer. C’était bel et bien elle qu’il cherchait. Elle faillit même rire quand il s’excusa en mentionnant qu’il aurait sans doute dû prendre rendez-vous. Personne ne prenait rendez-vous avez elle, elle n’avait certainement pas ce statut. « Oh, non non, aucun problème. Je ne prends pas de rendez-vous, enfin je veux dire, c’est inutile, on vient juste me trouver quand on a besoin de moi. » chuchota-t-elle avec un sourire timide, tentant au mieux de s’expliquer sans balbutier. Si on voulait la voir, on débarquait généralement simplement dans sa loge sans prévenir, et elle trouvait ça plutôt normal. C’était pas comme si elle était directrice d’une grande maison de couture avec trois secrétaires pour répondre à sa place. Elle était douée dans son art, mais pas à ce point. Le jeune homme se présenta, lui et son projet, laissant Eve encore plus sidérée. Elle, elle n’était que les petites mains derrière un spectacle bien plus important que sa personne, qui aurait très bien pu tourner sans elle. Rien à voir avec la personnalité qu’elle semblait avoir devant elle. « C’est vraiment très gentil, je suis flattée… Oh, et je m’appelle Eve, Eve Buckley. » Ouah, ça faisait bizarre de donner jusqu’à son nom de famille pour se présenter. Il avait l’air si professionnel, si accompli, respirant l’assurance, tout ce qu’elle n’était pas. Et il aimait ses costumes. Oh mon dieu. Elle en aurait fait une danse de la joie. « Ah oui, euh, bien sûr. » marmonna la blonde quand Livio proposa d’aller dans un endroit plus propice, au lieu de rester dans les coulisses. Il s’attendait peut-être à un beau bureau bien rangé, et tout ce qu’elle avait à lui proposer, c’était son atelier en bordel. Elle le guida jusqu’à la porte de la loge, terriblement embarrassée par l’aspect si peu professionnel de son endroit de travail. « Euh… Désolée pour le désordre, ce n’est pas très vendeur… » fit-elle avec gêne en le laissant passer devant elle, dans cette pièce disposant de quatre malheureuses chaises, deux tables, et des pans de tissu, fil et toutes sortes d’accessoires qui traînaient un peu partout. Elle dégagea une des tables à la va-vite, laissant Livio s’installer. Elle n’avait aucune idée du comportement à adopter, tentant de faire bonne figure comme elle le pouvait, les joues en feu et le cœur battant la chamade. S’il avait une quelconque offre à lui faire, il allait très certainement l’abandonner rapidement et prendre ses jambes à son cou. Elle l’aurait fait, à sa place.

En venant ici, ce n'était pas Livio, l'italien un peu trop fêtard qui se présentait, mais bel et bien le businessman, le professionnel accompli. Il chérissait tellement sa marque – seule chose qu'il réussissait dans sa vie – qu'il tenait à faire les choses correctement. En Italie, on l'avait souvent critiqué, lui, le candidat de télé-réalité, plus connu pour ses frasques télévisuelles que pour ses compétences professionnelles. Mais petit à petit, il s'était fait sa place, montrant qu'il en avait dans le cerveau et qu'il était paré à affronter ce monde de requins qu'était l'univers de la mode. Et aujourd'hui, c'était une fierté de se dire qu'il avait les moyens financiers pour amener son bébé en Australie. Il ne manquait qu'une équipe, une équipe à la hauteur de celle qu'il avait en Italie. Alors, c'était évident qu'il vienne fourrer son nez ici et qu'il cherche à connaître cette jeune couturière. Une jeune couturière qui n'était, visiblement, pas habituée à ce genre d'entretien. On ne prenait pas rendez-vous avec elle, avoua-t-elle. « Il y a un début à tout. » s'amusa-t-il à répondre. Il avait l'oeil, Livio, et le nez pour flairer le potentiel. Et il était certain que cette jeune femme pouvait faire des merveilles... si elle prenait un peu plus confiance en elle. « Enchanté, Eve. » dit-il quand elle se présenta, utilisant son prénom pour alléger l'atmosphère qui semblait sûrement trop professionnelle. Une déformation propre à Livio, dirons-nous. Il dévoila les raisons de sa présence et il vit la fierté sur le visage de la couturière quand il avoua aimer ses costumes, le travail et la minutie qu'il y avait derrière tout cela. Mais avant d'en dire davantage, il lui demanda s'il n'y avait pas un lieu plus propice à la conversation. Il la suivit alors dans son atelier, dans son antre de couturière qui débordait de croquis, de tissus de toutes sortes, de sequins et autres babioles nécessaires. Il se mit à rire quand elle s'excusa du désordre. « Oh non, ne vous inquiétez pas. Ça doit être universel. Mon équipe de couturiers à Florence avait exactement le même désordre. » répondit-il pour la rassurer. « Je pars du principe qu'un atelier trop bien rangé bride la création. » Autant Livio était ultra maniaque concernant ses propres tâches, ses magasins et ses bureaux, autant il laissait un bordel monstre dans les ateliers de ses équipes.Il s'installa là où elle l'invita à le faire, attendant qu'elle prenne place à son tour. Sourire aux lèvres, décontracté, il reprit la parole : « Comme je vous l'ai dit, j'envisage d'implanter ma marque de vêtements en Australie, et plus particulièrement à Bowen. » Il était finalement en train de tomber sous le charme de cette ville. « J'ai la volonté de travailler avec les entreprises locales. C'est vraiment l'éthique de la marque et c'est quelque chose que je souhaite garder précieusement. » Il avait des valeurs pour lesquelles il s'était battu, alors qu'on l'avait poussé à faire du Made in China. « Je vais être honnête avec vous. J'ai tout à construire. J'ai une nouvelle équipe à créer et pour cela, je recherche des personnes volontaires, motivées, passionnées par ce qu'elles font. J'ai besoin de professionnels. C'est là que vous pouvez intervenir, avec votre savoir-faire, votre créativité et la finesse de votre travail. » Il jeta un œil aux costumes en cours de création et un nouveau sourire apparut sur ses lèvres. « Je ne compte pas vous arracher à ce cabaret, je ne suis pas du genre-là. Mais je voulais voir avec vous si cela vous intéresserait, à votre échelle, de participer à l'implantation de la marque ? »

À deux doigts de croire que tout cela n’était qu’un produit de son imagination, ou bien un rêve particulièrement réaliste, Eve entraîna le jeune homme à l’aspect si propre sur lui dans son atelier. Un début à tout, certainement, mais elle ne comptait pas la prise de rendez-vous avec sa petite personne insignifiante dans ce tout. La blondinette esquissa un petit sourire timide quand il se dit enchanté, puis l’entraîna dans la pièce désordonnée qui lui servait d’atelier, au bout du couloir, marchant sans se presser en pensant déjà au bordel monstre que Livio ne manquerait pas de remarquer. Elle s’excusa d’ailleurs, embarrassée, une fois qu’ils pénétrèrent dans sa loge. À la grande surprise de Eve, son interlocuteur la rassura subtilement en mentionnant ses couturiers – assurément beaucoup plus qualifiés qu’elle, opérant à un niveau bien supérieur – étaient tout aussi bordéliques. Elle le remercia d’un regard, pour ces paroles gracieuses. Et la phrase suivante lui arracha un réel sourire, qui marquait à quel point elle était d’accord avec la philosophie de Livio. C’était joliment dit. Une fois installés à la table que la costumière avait rapidement dégagée, le beau jeune homme en vint à ce qu’il voulait lui dire exactement. Il semblait tellement détendu, comme s’ils se connaissaient, c’était une attitude qu’Eve n’avait jamais réussi à adopter. Elle avait toujours l’impression qu’elle allait dire ou faire une connerie, que ses propos n’avaient aucun intérêt. La blonde ne faisait que hocher la tête aux paroles de l’italien, admirative de son parcours, peinant à croire qu’il voulait lui parler à elle, au vu de la renommée de sa marque. Elle en avait même oublié de chercher où il voulait en venir, tellement elle était fascinée par ce qu’il racontait sur son entreprise. Et lorsqu’enfin, elle remit un pied dans la réalité en prenant conscience qu’il était en train de lui proposer de faire partie de son équipe, proposition toujours enrobée de compliments sur son travail, la bouche de la jeune fille s’ouvrit, stupéfaite. Déjà, qu’il lui fasse une telle offre, ça dépassait ses rêves les plus fous. Et qu’en plus de ça, cette offre comprenne qu’elle continue à travailler au cabaret, ça relevait de l’impossible. Eve se força à refermer rapidement la bouche, ce manque de professionnalisme et de sérieux était réellement honteux, et elle sentit le sang lui monter aux joues. « Et bien je… Waw. » balbutia-t-elle avant de se racler la gorge, peinant à réaliser qu’on parlait bien d’elle ici, que c’était bien de sa vie qu’il s’agissait. « Cela m’intéresse vraiment énormément, je veux dire, je suis surprise, je ne le mérite pas, il y a d’autres couturiers bien plus talentueux que moi… » commença-t-elle avant de se rabrouer mentalement pour son manque d’assurance. De nouveau, tu sais comment te vendre, Eve, super. On t’offre une occasion en or sur un plateau et t’arrives encore à diminuer tes chances. « Ce serait un honneur de participer à votre projet. » finit-elle par dire avec un peu plus d’aplomb, après deux profondes inspirations pour se calmer. Intérieurement, elle avait l’impression que ses entrailles dansaient la samba de bonheur.

La jeune femme était totalement prise au dépourvu. On voyait bien qu'elle se demandait ce qui lui arrivait, pourquoi il s'adressait à elle. On sentait son manque d'assurance à des kilomètres à la ronde, ce qui dénotait pleinement avec l'assurance indéniable de Livio. Mais il ne fallait pas croire, quelques années auparavant, il était pareil qu'elle. Il se sous-estimait, il cachait ses compétences derrière sa timidité, sa réserve. Quand on lui parlait, il balbutiait et ses joues s'enflammaient. S'il pouvait faire un retour en arrière et dire à cet adolescent de 15 ans de tenir le coup, de garder l'espoir en l'avenir, il le ferait. Livio était l'exemple même du vilain petit canard qui était devenu un beau cygne. Certes, il avait encore de nombreux défauts, parfois, son manque de confiance ressurgissait mais il se rappelait ce qu'il avait construit et il réapprenait à être fier de lui. C'était ce message qu'il véhiculait avec sa marque, en donnant leur chance à des personnes comme Eve, qui faisaient leur travail dans leur coin sans faire de remous. Alors qu'il présenta son projet, celui d'implanter sa marque en Australie, d'ouvrir une boutique, un atelier et qu'elle comprit qu'il voulait l'associer à ce projet, il vit très vite la stupéfaction sur le visage de la jolie blondinette. Sa bouche ouverte en témoignait, ce qui fit d'ailleurs sourire Livio. Au moins, on ne pouvait pas dire qu'elle dissimulait ses émotions ! Néanmoins, un dernier point était à clarifier avant qu'elle ne donne une quelconque réponse. Il n'était pas là pour l'arracher au cabaret. Elle faisait des merveilles ici. Il voulait juste qu'elle fasse quelques merveilles pour sa marque, qu'elle apporte sa patte. Posant ses yeux bleus sur elle, il se tut après cette dernière proposition, lui laissant ainsi le loisir d'accepter ou de refuser. Il comprendrait qu'elle veuille rester exclusive au cabaret. Livio se dira qu'il était arrivé un peu trop tard. Mais quand elle commença à lui dire que le projet l'intéressait, il se détendit quelque peu. Même si cela ne se voyait pas, Livio était stressé. C'était culotté de monter un projet de la sorte dans une ville comme Bowen, et non pas dans une grande ville. Il fallait que cela intéresse, que cela attire le regard pour donner une légitimité à son projet. Mais il y croyait. Il y croyait dur comme fer. Surtout que cela engendrait aussi sa venue ici, en Australie. Il était prêt à laisser son Italie natale, à laisser la gestion de la boutique italienne à son associé. Ce n'était donc pas un projet à la légère. Entendre que c'était intéressant faisait donc beaucoup de bien. Toutefois, son sourire s'élargit encore quand elle se sous-estima, s'effaçant au profit de personnes plus talentueuses. "C'est votre travail qui m'intéresse. Je ne demande pas des tas de diplômes, de l'expérience sans fin. Je veux juste du sang neuf, de la nouveauté. Et mettre en avant le travail des futurs talents." Il savait qu'elle était toute jeune, que ses années d'expérience se comptaient sur les doigts d'une main. Mais s'il pouvait l'aider à se perfectionner, à gagner de l'expérience, à gagner en assurance, cela rendrait le projet encore plus beau. Son sourire se fit plus touché quand elle lui souffla qu'elle serait heureuse de participer à son projet. "Fantastico !" s'exclama-t-il, dans sa langue natale qui lui échappait parfois quand il était heureux. "Je vous demanderai votre mail pour que je puisse vous envoyer plus d'informations sur la marque, les premières esquisses du projet. Pour parler du contrat aussi." Un point non négligeable, évidemment. S'appuyant sur le dossier de la chaise, Livio reposa son regard sur Eve, un sourire se faisant malicieux alors qu'il demanda : "Vous aimez les défis, Mademoiselle Buckley ?"

Des futurs talents. Ces paroles résonnaient à l’intérieur de la jeunette. C’était donc comme ça qu’il la voyait, comme ça que quelqu’un pouvait la voir, sincèrement ? Elle n’en revenait pas. Eve aimait ce qu’elle créait, les pièces de vêtement qui naissaient de ses petites mains. Elle aimait les porter, elle aimait s’emporter dans ses idées parfois un peu folles et décalées qu’elle pouvait offrir au cabaret, parce que c’était l’endroit pour. L’idée de mettre ses inspirations au service d’une vraie marque, portée par quelqu’un avec l’élégance de Livio, la laissait béate. Elle n’aurait jamais cru que sa signature éveillerait l’intérêt de quelqu’un comme lui, avec une gamme qui n’avait aucun rapport avec le spectacle ou sa petite personne. Pour le coup, elle était totalement submergée par ses émotions, peinant à croire que ce qui lui arrivait n’était pas un rêve. Et les paroles de l’italien la touchaient en plein cœur, là où le peu de confiance qu’elle avait en ses capacités se terrait, et préparant le terrain pour que celle-ci puisse grandir, peut-être. Il voulait qu’elle travaille pour lui, pas quelqu’un d’autre. Il était venu lui demander à elle, comme si elle avait été une quelconque personnalité reconnue dans le domaine de la mode. Alors qu’elle, c’était juste Eve, sans fioritures ni courbettes. Sans rien de spécial. Le jeune homme semblait pourtant avoir repéré quelque chose en elle. Cette simple approche suffit à éveiller quelque chose chez la jeune fille. L’espoir de ne pas être, finalement, qu’une personne invisible et quelconque, qui ne faisait qu’un travail de surface, négligeable et sans intérêt. Quelqu’un qui pouvait être utile, sans plus. L’australienne mit quelques secondes à pouvoir mettre des mots plus cohérents sur son avis. Fallait vraiment qu’elle arrête de bégayer comme une idiote si elle voulait être prise au sérieux. Mais les traits du jeune homme, s’illuminant de joie, ne purent que faire naître un sourire infiniment heureux et reconnaissant sur les lèvres de la blonde. « Oh, euh, je peux vous écrire mes coordonnées tout de suite. » fit-elle en prenant soin de ne pas se lever d’un bond, comme fut sa première impulsion, alors qu’elle se mettait à chercher frénétiquement un bout de papier, récupérant un Bic entre deux bouts de tissus. Elle écrivit rapidement son mail, son numéro de téléphone et son adresse, se demandant si Livio serait interloqué ou même changerait d’avis en voyant le numéro d’un emplacement au port. « Et bien je… Oui. » répondit-elle après une hésitation à la question de l’italien. En fait, la réponse était non, Eve ne se sentait jamais de taille pour relever un défi. Mais il l’avait inspirée. Il lui avait donné confiance, comme peu de gens en avaient été capables. Et surtout, elle voulait faire bonne figure, elle ne se serait pas vue répondre par la négative. D’un coup, elle se sentit à l’aise dans la peau d’une personne qui avait de l’assurance, même si ce n’était qu’un rêve. « Je ne sais pas comment vous dire à quel point j’apprécie la chance que vous voulez me donner. » ajouta-t-elle avec un sourire qui se voulait moins timide et plus convaincant.

Elle semblait ahurie, complètement ahurie qu'une personne comme Livio vienne ici, la voir, elle, pour travailler avec lui. Il décelait réellement son manque de confiance et c'était quelque chose qui le réjouissait. Parce que lui aussi, il avait été comme ça. Parce que lui aussi, on l'avait pris sous une aile, afin d'apprendre à assumer ce qu'il était, ce qu'il faisait. Afin d'accepter qu'il avait, lui aussi, des compétences. C'était ce qu'il voyait chez Eve. Il y avait un savoir-faire, une minutie que son œil professionnel avait très vite décelé. Et il comptait lui donner champ libre pour qu'elle grandisse au sein de son métier, qu'elle développe son art et sa créativité. Elle était prête à le suivre, lui et ses délires, lui et ses projets plein la tête, lui et son ambition. Cela fonctionnait en Italie. Il rêvait d'un succès en Australie. Alors qu'il lui dit qu'il la recontacterait pour prendre ses coordonnées, il sourit, amusé, en la voyant chercher parmi son bazar afin de lui donner son adresse, son mail et son téléphone, sur un bout de papier. Ça aussi, il aimait. Il aimait la simplicité et non pas les chichis, à coup de mails remplis de 'Cordialement', 'Bien à vous' et tutti quanti. Quand elle lui tendit le papier, le jeune homme lui adressa un sourire : « Merci. » Puis son regard bleu se posa sur le papier, se faisant un peu surpris. « Vous habitez au port ? » demanda-t-il, avec curiosité. C'était peut-être indiscret comme question, mais c'était Livio. Il n'avait aucun filtre, aucun tact, il se fichait de demander ce qui ne devait pas se demander. Il n'était pas un dirigeant comme les autres, loin de là. Aussi, ce fut avec amusement qu'il finit par lui demander si elle aimait les défis. La réponse de la jeune femme le fit sourire. Elle disait 'oui' avec les lèvres mais disait 'non' avec les yeux. Et face à sa dernière phrase, il reposa son regard sur elle, ne quittant pas ce sourire. « Inutile de me le dire. Surprenez-moi, plutôt. » Il avait son idée en tête et très vite, il la dévoila : « Si je vous donne trois semaines, tout le tissu que vous souhaitez. Vous pensez être capable de créer une robe. Une robe qui pourrait être l'une des pièces maîtresses de la collection ? »