A la conquête des cieux - Selma Rosenbach

Selma n’a jamais été une grande sportive, elle n’a jamais pratiqué le sport de manière conventionnelle. Pour garder la forme, son métier de serveuse par moment l’aidait, ainsi que les soirées endiablées passées à danser. Et puis rapidement, lorsqu’elle commença à réellement fonder une famille, puis une autre, puis une autre, le poids de la maternité commença à peser. Elle sortait moins qu’elle ne le voulait, faisait des gâteaux pour faire plaisir à ses enfants. Rapidement elle avait voulu reprendre sa liberté, pouvoir retourner faire la fête comme bon lui semblait alors à chaque fois elle avait quitté son mari, sa famille, pour finalement retomber dans les bras d’un autre homme un peu plus tard. Toujours est-il qu’elle n’a jamais été faire de jogging à part peut-être une ou deux fois dans sa vie, pas de sport collectif à part dans son enfance, qui commence à dater maintenant. Alors quand elle a ajouté à sa liste : monter en haut du point le plus haut de Bowen, elle était hésitante sur le fait d’y arriver. Pourtant elle voulait réussir ce défi, réussir à faire une randonnée, même si elle est vieille, même si elle est malade, même si elle n’est pas sportive. La vieille dame s’est donc un peu entraînée avant de se lancer dans l’ascension, la dernière semaine, elle a fait de longues balade tous les jours. Même si ce n’est pas équivalent à la montée, l’idée est quand même là. Pour le jour j, elle décida de laisser de côté ses fidèles talons qui ne la quittent plus depuis des années, pour des chaussures de marche un peu plus appropriées. Elle a bien pensé à faire la montée en talons, elle qui en porte qu’importe les circonstances, mais finalement elle s’est résignée à être rationnelle, mettre des talons pour de la randonnée ce n’est pas une bonne idée. Selma a également pris un sac avec une bouteille d’eau, quelques petites choses à grignoter et c’est à peu près tout. Elle n’est pas trop du genre à emmener plein de choses avec elle, en général elle avise sur le moment et se débrouille avec ce qu’elle a, ça ne lui fait pas peur. Elle marche donc jusqu’au bas de la montée. Il y a peu de monde à cette heure et heureusement, elle voulait un peu éviter la foule mais tout de même se trouver quelqu’un avec qui monter. Elle n’eut pas besoin d’aller vers quelqu’un puisqu’une jeune femme vint lui parler, lui demandant si elle avait besoin d’aide. « Bonjour ! Non, pour l’instant ça va. Je ne sais pas si je dirais toujours la même chose au milieu de la montée mais on verra bien. Tu montes avec moi ? » demanda-t-elle en espérant avoir trouvée sa partenaire de marche.

La jeune femme accepte de monter avec Selma. Elle ira sans doute moins vite que si elle avait monté seule mais elle aurait aussi très bien pu refuser l’offre, elle ne l’aurait pas forcée à monter avec elle. Même si elle veut faire tous ses objectifs avec quelqu’un, elle aurait pu monter seule et finalement partager la vue en haut avec quelqu’un d’autre. L’inconnue l’informe que le chemin est assez familial, pas vraiment le genre de choses destiné aux meilleurs randonneurs, mais elle se renseigne tout de même pour savoir si le vieille dame va tenir le coup. « J’ai fait un peu de marche ces derniers jours pour m’habituer, ça devrait aller. » La rassure-t-elle avec un sourire. Elle se renseigne ensuite pour savoir si elle n’a pas des soucis de santé qui pourraient l’empêcher de faire la montée. « Le cœur va bien ! » répond-elle seulement. Elle n’a pas envie que quelqu’un lui fasse la leçon en lui disant qu’elle ne devrait pas faire la montée vu son état. Son cardio n’est pas mort, le reste de son corps commence doucement à dépérir mais pour l’instant elle ne ressent pas encore trop les effets de la maladie. Elle prend des médicaments pour ignorer les douleurs qu’elle peut avoir parfois. Elle préfère mourir en haut de cette montée plutôt que de rester en bas. Mais elle peut comprendre que l’inconnue ne veuille pas forcément prendre le risque de voir quelqu’un faire un malaise devant ses yeux. Elle lui pose encore une question, afin de savoir si elle a bien de quoi boire vu la chaleur. « Oui, j’ai ce qu’il faut. Tout va bien ! » la rassure-t-elle une fois de plus car elle semble en avoir besoin. La jeune femme se présente ensuite et s’excuse de poser un peu trop de questions sur la montée. « Je suis Selma. » répond-elle avant qu’Emrys ne lui en dise un peu plus sur la montée qui les attend et ne lui demande si elle souhaite toujours monter ensemble. « Je pense que ça sera un peu plus d’une heure et demi pour moi je veux toujours bien qu’on monte ensemble. » Elle se dirigea donc vers l’entrée du sentier et commença à enchaîner les pas. « J’ai déjà montée des pentes plus rudes mais j’avais un peu moins d’années à mon actif. »

La jeune femme lui demanda si en parlant de montées plus dure, elle pensait à certaines en particulier avant de se lancer dans son histoire d’étudiante au Portugal. « J’ai fait un bout du sentier des Appalaches et quasiment tout le Pacific Crest Trail mais je n’avais pas le même âge qu’aujourd’hui. » répondit-elle en se souvenant de sa jeunesse où il lui arrivait de partir en randonnée sur un coup de tête. Selma n’aime pas rester au même endroit, être stable. Elle est libre et dès qu’elle se sent piégée quelque part, elle fuit. Enfin plus maintenant, elle va finir sa vie à Bowen. Mais du coup, le voyage fait parti de sa raison d’être. Elle n’a pas fait de tour du monde mais elle a tout de même visitée pas mal de pays et s’est baladée dans de nombreux paysages. Elle a bien fait un saut en Espagne à un moment mais elle n’a pas eu l’occasion d’aller jusqu’au Portugal. Les souvenirs apportés par Emrys de Lisbonne font voyager la vieille dame qui met dans un coin de sa tête cette destination. Si elle a prévu de mourir à Bowen, elle pense encore bouger un peu avant sa mort, notamment en visitant sept pays en sept jours, un projet bien ambitieux. Les deux femmes continuent leur chemin, Selma reprenant son souffle avant de répondre à la question de sa camarade de marche. Elle profite de ce moment pour regarder également autour d’elle le paysage, l’Australie lui est encore étrangère pour l’instant. Seattle, là où elle a vécu ces dernières années, n’a pas vraiment un climat semblable à Bowen. Même si elle a connu la Californie et la Floride, ce n’est pas la même chaleur, ni les mêmes plantes. « Oui, je suis arrivée à Bowen il n’y a pas longtemps. Avant j’étais au États-Unis mais j’ai passé mon enfance en Angleterre et entre temps je suis aussi passée par l’Allemagne, l’Espagne, le Chili, le Mexique, l’Indonésie. Enfin entre autres. » Cela à de quoi faire rêver mais en voyant le paysage qu’elle a autour d’elle, Selma se dit qu’elle aurait pu venir ici plus tôt car elle n’aura pas le temps de pleinement profiter de tout ce que l’Australie a à lui offrir.

A voir l’enthousiasme de sa comparse pour ses aventures, Selma lâche un sourire, toujours contente de pouvoir partager ses histoires et de faire un peu rêver les autres. Vivre toutes ces aventures à un prix. Celui de ne jamais se poser, de ne pas avoir d’attaches, ne pas vraiment avoir d’amis proches, de fonder une famille pour ensuite partir à la conquête de nouveaux paysages en laissant derrière soit le début de quelque chose. Emrys lui expliqua tout ce que Bowen avait à lui offrir tel le parfait guide touristique ce qui fit rire la vieille dame. Elle n’avait pas besoin qu’on lui vende la ville, elle ne comptait pas repartir. En tout cas elle était bien contente qu’elle fasse la conversation car Selma n’avait pas autant de souffle qu’elle pour parler. La jeune femme lui demanda ce qui l’avait amené ici. Après tout ce n’est pas une grande ville et elle est un peu éloignée des grands sites touristiques australiens. « Mon petit-fils habite ici. Je voulais le rencontrer. » Elle ne précisa pas qu’elle n’a pas qu’un seul petit-fils, que si elle ne l’a jamais rencontré c’est parce qu’elle a plus ou moins abandonné son père. Non ça elle le garde pour elle, elle ne laisse voir que les bons côtés de sa personnalité et évite les mauvais. Qui ne le fait pas ? Les deux jeunes femmes continuèrent à marcher, Selma tentant de garder le rythme, Emrys restant bienveillante et n’allant pas trop rapidement. La vieille dame appréciait sa compagnie qui rendait la montée bien plus agréable que si elle l’avait parcouru seule. A un moment, elles se retrouvèrent face à un croisement. Deux chemins partaient vers le haut, un plus entretenu et l’autre plus...exotique. Elles devaient faire un choix. « J’aurais bien dit celui de droite pour l’aventure mais celui de gauche m’a l’air plus recommandé vu ma situation. Ne tentons pas le diable. » choisit-elle même si son esprit aventurier lui disait de prendre celui de droite. « Mais on peut prendre celui de droite si tu veux. » Elle s’y ferait bien, surtout s’il y a des passages difficiles et qu’Emrys l’aide.

La vieille dame n’est pas bien sûre que son petit-fils soit réellement heureux d’avoir une grand-mère comme elle. Il aurait sans doute été plus heureux d’avoir une grand-mère avec un esprit maternel plus développé et qui n’était pas le genre à abandonner ses enfants pour vivre de nouvelles aventures de femme célibataire sans attache. Même s’il a fini par l’accepter, par lui parler, le premier contact n’a pas été simple. Il lui en voulait car à cause d’elle, son père n’avait pas été un père et il s’était retrouvé seul et sans famille. Elle se demandait s’il en était de même pour ses autres petits-enfants. Sans doute pas, eux au moins avait leur grand-père ou du moins, ils l’ont eu à un moment. Et concernant la forme, Selma fait de son mieux pour paraître en forme, avec la vie devant elle mais elle sait qu’elle puise dans ses dernières forces pour mener à bien ses projets. Pour l’instant une montée comme celle-ci est encore accessible, mais bientôt ça ne sera plus le cas. Petit à petit elle pourra faire de moins en moins de choses et la douleur s’installera, seuls les médicaments pouvant l’atténuer. Elle répondit donc seulement à la remarque de la jeune femme par un sourire. Elles choisirent finalement de prendre le chemin de gauche lorsqu’elles arrivèrent à une intersection. « Je pense qu’en allant toujours vers le bas nous finirons bien par retrouver la plage. » expliqua Selma. Encore fallait-il qu’elles arrivent en haut. La chaleur montait à mesure que le temps avançait. La végétation devenait moins dense également, laissant davantage d’espaces non-couverts. « Oui, le matin est réellement le meilleur moment. » approuva la vieille dame. Heureusement qu’elle n’avait pas décidé de faire sa montée l’après-midi, elle aurait bien pu faire une insolation. Elles continuèrent à monter, arrivant finalement à un point plus plat du trajet où se trouvait un point de vue avec jumelles et banc. Emrys proposa une pause, bienvenue pour la vieille dame. Elle gardait le rythme mais elle sentait bien qu’elle n’avait plus sa forme d’antan.« Ça ne me fera pas de mal. » répondit-elle en allant s’asseoir sur le banc. Elle sortit sa bouteille d’eau et bu plusieurs gorgées bien méritées. Elle admira la vue, qui valait définitivement le détour et elles n’étaient même pas arrivées en haut. « Je ne sais pas du tout s’il y en a par ici mais nous sommes peut-être un peu loin dans tous les cas. » dit-elle à propos des dauphins. Même sans dauphins, le paysage était beau avec les bateaux, les arbres et tout le reste. Selma se leva pour aller regarder dans les jumelles s’il y avait des choses intéressantes. Elle laissa ensuite Emrys regarder à son tour, profitant du reste de la pause pour reprendre des forces, avalant un gâteau qu’elle avait prit avec elle.

Selma pensait à tous ces endroits qu’elle n’avait fait qu’paercevoir sans jamais vraiment les visiter, ces villes où elle n’avait été que de passage. Les mots d’Emrys l’atteignait en plein cœur, elle qui n’a jamais vraiment pris la peine de s’attarder quelque part, préférant toujours découvrir un nouvel endroit. Elle est bien restée plusieurs années au même endroit, le temps de fonder une famille avant de la délaisser, mais au final, elle ne connaissait vraiment aucun de ces endroits. La vieille dame n’a jamais vraiment eu de chez elle, c’était partout et nulle part en même temps. Elle n’a jamais eu un refuge où elle pouvait se retrouver avec elle-même. Cette vie lui a plu, elle a été heureuse de partir quand bon lui semblait, où elle voulait, pour vivre de nouvelles aventures, une nouvelle vie. Parfois elle se demande ce qu’aurait été sa vie si elle n’avait pas sans cesse bougé, si elle avait pris le temps de pleinement découvrir un lieu et les personnes qui y vivent. Elle aurait pu trouver un mari auquel elle s’attache réellement plutôt que de s’attarder sur le premier bel homme venu sans vraiment l’aimer. Cette montée n’est pas seulement une marche physique à travers les arbres, c’est également un cheminement et un regard en arrière sur sa vie et ses décisions. « Oui, j’aurais dû le faire plus souvent. » répondit-elle, prenant ensuite le temps de se reposer un peu et de s’hydrater. Après quelques minutes de pause, à profiter du soleil et du paysage dépaysant pour Selma, elle qui a passé pas mal de temps aux Etats-Unis, Emrys proposa de repartir pour enfin atteindre le sommet. La vieille dame se laissa guider car la jeune femme qui semblait savoir ce qu’elle faisait. Elle lui expliqua, en regardant le plan, que plus de la moitié du chemin avait déjà été faite mais que le reste serait plus dur. Selma hocha la tête, elle se sentait bien et n’avait pas peur d’une montée un peu plus rude. « Ça ira ! » dit-elle pour rassurer sa camarade de marche. Les deux femmes continuèrent à marcher sur le chemin, en direction de la montée. « C’est toujours intéressant de rencontrer de nouvelles personnes et de pouvoir partager des anecdotes avec elles. » Selma est du genre très sociable. Même si elle a déjà fait plusieurs randonnées seule et qu’elle a toujours voyagé seule, elle a toujours aussi été vers les inconnus, à toujours voulu partager ses expériences et ses aventures avec d’autres, découvrir de nouvelles cultures également. Elles continuèrent à marcher, à présent elles pouvaient apercevoir le sommet qui leur offrirait sûrement une vue impressionnante qui ne leur ferait pas regretter la montée.