your angels and demons are testing how low you'll go (conja)

Pour faire changement des balades dans les rues commerçantes ou sur le bord de la plage, lorsque Freja me proposa d’aller marcher un peu dehors, je proposai d’aller faire quelques sentiers dans la forêt en bordure de Bowen. Malgré l’arrivée imminente de la saison hivernale, le soleil se faisait plutôt fort aujourd’hui en raison de l’absence de nuages. Les feuilles des arbres allaient donc nous faire un peu d’ombre et nous accorder un peu de répit. Je nous conduisis donc jusqu’à la lisière de la forêt, à l’entrée des sentiers. J’avais déjà le sourire aux lèvres en contournant la voiture pour rejoindre Freja devant, tendant la main pour attraper la sienne, plongeant l’autre dans la poche de mon short. J’inspirai une grande bouffée d’air frais. « T’as raison, cette balade était une bonne idée. » Je la regardai, espiègle. « J’t’entends déjà dire que t’as toujours des bonnes idées » Je ris, remarquant toutefois un certain trouble dans les airs de Freja. Je fronçai tout légèrement les sourcils, continuant à marcher en la regardant. « Ça va, toi ? T’as été silencieuse, tout le trajet. » Ce qui ne nous ressemblait pas forcément, nous qui trouvions toujours quelque chose à nous dire. Ma relation avec Freja était tellement facile. Après Zelda, je m’étais dit que les relations qui débutent par l’amitié ne sont pas forcément les plus faciles, mais avec Freja je me rendais compte que ça nous simplifiait vraiment tout. Peut-être parce qu’en plus d’avoir longtemps été amis, nous avions aussi été colocataires. En vivant vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec quelqu’un, on peut dire qu’il n’y a vraiment plus de surprises. Quand même, il y en avait eu quelques-unes pour Freja, avec mes ex, mes enfants sortis de nulle part, le retour de ma grand-mère … elle s’était embarquée dans mes histoires familiales sans avoir demandé quoi que ce soit, et pourtant, elle restait debout à mes côtés et m’aidait à travers ça. Moi aussi, je comptais rester auprès d’elle à travers ses tempêtes. C’était ça, l’amour. Alors, rien de ce qui pouvait présentement la tracasser ne me faisait peur.

S'il y a bien quelque chose que tu aimes, dans ta relation amoureuse avec Concho, c'est vraiment cette simplicité qui émane naturellement. Même si vous n'êtes pas à l'abri de petites prises de tête de temps en temps, vous parvenez toujours à régler les choses en discutant, en vous apaisant mutuellement. Pourtant, aujourd'hui, tu as beaucoup de mal à mettre des mots sur ce que tu ressens, à exprimer clairement à l'Australien tout ce que tu as sur le coeur. « Arrête de m'ôter les mots de la bouche comme ça. » Dis-tu en souriant faiblement après avoir attrapé la main de Concho, prête à commencer cette balade qui, tu l'espères, te permettra d'évacuer toutes tes tensions. D'ailleurs, puisqu'il te connait par coeur, il sent bien que quelque chose ne va pas et comme toujours, il est prêt à l'entendre, à t'écouter. C'est vraiment plaisant d'être dans une relation où la discussion est si facile ou en tout cas, en règle générale. Tu tournes rapidement la tête vers lui avant de reporter ton regard sur la végétation qui vous entoure. Le lieu est si agréable et reposant qu'en d'autres circonstances, tu profiterais vraiment de cette balade aux côtés de ton petit-ami. Mais là, avec ce qui te pèse sur le coeur, tu es juste incapable de faire abstraction de tes doutes et de tes craintes. « J'avais rendez-vous hier à l'hôpital pour avoir les résultats des tests que j'ai faits... tu sais, par rapport à la gonorrhée. » Dis-tu en soupirant, sentant ton coeur battre la chamade par peur de dire ces trois petits mots qui hantent toutes tes nuits à présent : je suis stérile. « J'ai été testée positive à l'infection et les résultats ne sont pas bons. » Ajoutes-tu en repoussant l'échéance pour l'instant, l'émotion transparaissant clairement dans ta voix.

Elle sourit faiblement à ma blague qui, pourtant, avait tapé dans le mille. C’est cette preuve de plus de la tristesse dans le regard de Freja qui me convaincu que quelque chose clochait. Cette balade avait beau être un moment qui se voulait paisible, cela ne m’empêchait pas d’être inquiet et de vouloir ouvrir la conversation sur n’importe quel sujet pouvant traverser la norvégienne. Elle pouvait tout me dire, j’espérais qu’elle le savait, ça. Elle me regarda un bref instant, avant que ses yeux ne retournent détailler la nature tout autour de nous. Moi, je ne la quittai pas du regard, sans pour autant me montrer insistant. Lorsqu’elle me parla de son rendez-vous à l’hôpital en lien avec l’infection transmise sexuellement que je lui avais moi-même refilé, mon cœur se serra. Pour moi, cet incident avait été difficile surtout lors de l’annonce, mais comme Freja avait somme toute bien réagi, je ne m’étais plus trop inquiété. Ce n’était pas une infection vraiment dangereuse, de ce que j’en savais du moins. « Oh … Ok. Et ? » Ça ne prenait pas des études supérieures pour savoir que Freja avait dû être testée positive, si elle avait cet air d’enterrement. Si les résultats avaient été négatifs, cette discussion aurait été bien plus légère. Là, c’était d’un coup vraiment lourd. Elle me confirma que c’était positif et ajouta en plus que les résultats n’étaient pas très bons. Je fronçai les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux dire ? Normalement ça devrait être le même traitement que moi, non ? Ça n’a pas pris de temps que j’ai été débarrassé d’ça. » Dis-je comme pour la rassurer. Peut-être le médecin ne lui avait-il pas expliqué correctement les implications de la gonorrhée ou de son traitement. Pourtant, elle m’avait bien vu prendre les médicaments et savait de quoi il en retournait. « Ils ont trouvé quelque chose de plus en te testant ? » Demandais-je, ne comprenant pas que tout ça pouvait être lié à la cochonnerie que je lui avais donnée.

Et ? Et cette merde t'ôte l'un des plus grands rêves de ta vie, celui de fonder une famille, rien qu'à toi, que tu pourras aimer comme tu n'as jamais aimé personne. Et cette merde remet en questions tellement de choses, à commencer par ton couple avec Concho. Comment pourrait-il vouloir rester avec toi après ça ? Certes, il a déjà deux enfants mais tu sais pertinemment qu'il veut fonder sa propre famille, lui aussi. Une famille qu'il aura choisie de fonder, au moment où il l'aura décidé et avec la personne idéale pour ça. Cela aurait peut-être pu être toi, un jour, si cette infection n'était pas venue se mettre sur votre route. « C'est pas le traitement le problème, je dois le prendre pour faire partir l'infection mais... y'a eu des complications. » Tu n'es plus certaine de ce que t'a dit la gynécologue mais la seule chose dont tu te souviens à peu près c'est que les risques de complications sont plus élevés chez la femme que chez l'homme. « C'est pas quelque chose de plus qu'ils ont trouvé. Mais quelque chose causé par l'infection. » Dis-tu en t'arrêtant de marcher pour soupirer un bon coup et te tourner vers Conchobáhr par la même occasion. Il n'y a pas cinquante façons d'annoncer cela, autant arracher le pansement d'un bon coup comme on dit. Au moins, tu parviens à contrôler davantage tes émotions qu'hier à l'hôpital où tu étais une vraie épave. « Ils m'ont annoncé que j'étais stérile. » Ta voix se brise alors que tu prononces ce dernier mot et tu es obligée de te retourner pour ne pas totalement craquer en voyant l'expression de Concho. Tu ne veux pas lire de la déception, ni de la tristesse, dans son regard. Tu ne supporterais pas de le rendre malheureux parce que tu as un utérus et un corps défectueux. Tu ne supporterais pas de briser ses rêves en plus des tiens.

Lorsque Freja me parla de complications, je lui demandai s’ils avaient trouvé quelque chose de plus en lui faisant passer les tests de dépistage. Peut-être le médecin avait-il prélevé et analysé des sécrétions de son col de l’utérus, et que de mauvaises nouvelles avaient été annoncées par rapport à des résultats qu’elle ne cherchait même pas à obtenir. À cette idée, mon cœur se serra, mais je n’étais pas au bout de ma peine. La norvégienne me répondit que ce n’était pas quelque chose de plus, mais bien quelque chose causé par la gonorrhée. Elle s’arrêta de marcher, j’en fis de même, gardant sa main dans la mienne comme pour lui donner la force, le courage, de continuer. « J’comprends pas. » Dis-je d’abord, parce que je n’avais pas davantage fait de recherches sur cette infection quand j’avais vu que quelques pilules suffisaient à faire passer le mal. Je m’étais dit que ce serait comme ça pour tous ceux que je risquais d’avoir infecté, aussi. Je me sentais con. J’aurais dû savoir que ça ne pouvait pas être aussi facile que ça. Rien ne l’était jamais. Freja m’annonça alors qu’à cause de la gonorrhée, elle était devenue stérile. Je pense qu’à ce moment précis, mon cœur lâcha, mon esprit quitta ma tête, je flottais autour de nous mais je n’arrivais pas à reconnecter à la réalité. Je fixai Freja, mon visage se décomposant face à elle. Incapable sans doute de soutenir cette vue, la norvégienne se tourna dos à moi, me ramenant un peu plus à la réalité. J’avais rendu Freja stérile. Par ma faute, elle ne pourrait jamais avoir d’enfants. « Oh my god … » Murmurais-je. « Freja. » Ma voix se cassa à son tour. Je me rapprochai d’elle mais n’osai pas la prendre dans mes bras, n’osai pas la toucher davantage qu’en l’effleurant du bout de mes doigts posé sur le côté de son corps. Je me sentais horrible. « Je suis tellement désolé. » Tout était ma faute. « I fucking hate myself right now. » Si j’avais pu revenir en arrière, pour n’importe quel prix, je l’aurais fait.

Toi non plus tu ne comprends pas mais ce sont des interrogations différentes de celles de Concho qui tournent dans ta tête. Tu ne comprends pas pourquoi la vie s'acharne autant sur toi en ce moment et surtout, pourquoi elle t'ôte l'un de tes plus grands rêves. Des tas de femmes ne veulent pas d'enfants ou ne méritent même pas d'en avoir et pourtant sont tout à fait capables d'en faire. Mais toi, alors que tu désires réellement fonder ta propre famille, tu en es tout simplement incapable. Depuis que la nouvelle est tombée tu te sens tellement triste mais surtout en colère face à tant d'injustices. Et puisque tu es déjà trop tourmentée à l'intérieur, tu ne parviens pas à soutenir le regard de Concho quand tu lui annonces la nouvelle. Après lui avoir tourné le dos, tu fermes les yeux et tentes de te concentrer sur ta respiration pour ne pas ouvrir les vannes, pour ne pas être traversée par la tristesse comme hier. Mais c'est compliqué et davantage encore en sentant ses doigts sur ta peau. Tu voudrais qu'il te prenne dans ses bras, qu'il te rassure et te console mais il ne fait rien de tout ça. Sans doute encore sous le choc de la nouvelle. Néanmoins, son comportement te pousse à croire qu'il s'éloigne déjà en prenant conscience qu'il ne pourra jamais fonder une famille avec toi. Même si ce n'est pas du tout d'actualité entre vous, tu sais que c'est dans ses projets. Et c'était dans les tiens également. « Ce n'est pas complètement ta faute... C'est aussi la mienne. Si je n'avais pas une malformation de l'utérus, je n'aurais probablement pas eu cette complication. » Sauf que si tu as une malformation de l'utérus, tu n'es en rien responsable. Mais depuis ta fausse couche, tu n'arrives pas à t'ôter cette culpabilité. « Mes chances de tomber enceinte étaient déjà faibles alors j'imagine que... ça ne change pas grand chose. » Dis-tu pour tenter de consoler Concho, pour lui ôter cette culpabilité qui le ronge déjà. Pourtant, dans le fond, ça change tout. Avant, il restait un peu d'espoir aujourd'hui, il n'y a plus que le néant et la douleur. Finalement, tu te retournes vers lui, levant les yeux vers les siens. « J'suis désolée. » Murmures-tu.

Nous n’avions aucune chance, Freja et moi. La vie s’acharnait sur nous, d’abord chacun séparément, et maintenant en tant que couple. Pourquoi essayait-elle à ce point de nous séparer l’un et l’autre ? N’avions-nous pas droit, une bonne fois pour toute, au bonheur que nous pensions avoir trouvé ensemble ? Si dans la dernière année j’avais trouvé réconfort dans les bras de la norvégienne quand tout le reste perdait son sens, aujourd’hui j’hésitais à la toucher, parce que cette fois j’étais la source de ce non-sens qui s’abattait sur nous. Mon cœur criait de la prendre dans mes bras, de chasser la douleur en apaisant les maux, mais ma tête me rappelait que j’étais à l’origine de la stérilité de Freja. Si elle n’avait pas eu cette ITS, elle aurait encore une chance. Une chance de fonder une famille avec moi. Une chance de devenir mère, ce que je savais être son rêve. Je déglutis, posant le bout de mes doigts sur sa peau. Pas à pas, pour qu’elle ne déguerpisse dans un torrent de larmes. La brunette m’affirma alors que ce n’était pas complètement ma faute, que sa malformation de l’utérus jouait un rôle là-dedans. Et que c’était donc aussi sa faute. Je fronçai les sourcils. « Freja, tu n’as pas choisi d’avoir une malformation de l’utérus. » Enfin, je posai mes mains plus fermement contre elle et approcha mon visage de son cou. « Que je ne t’entende plus me dire que c’est aussi ta faute. Je comprends ce que tu veux dire par là, mais c’est non. C’est pas toi. » Dis-je en secouant doucement la tête. Je soupirai quand elle me dit que ça ne changeait sans doute pas grand-chose, de toute façon. « Je sais que tu t’accrochais quand même à l’espoir qu’il te restait. Et je suis désolé de t’avoir enlevé ce qu’il en restait … » Je baissai les yeux, les larmes me montant aux yeux, la culpabilité au cœur. Elle se tourna vers moi et s’excusa en un murmure. Je relevai la tête vers elle, confus. « Pourquoi tu t’excuses ? Je … c’est moi qui devrai m’excuser … encore et encore … » De lui avoir tout enlevé, pour une stupide bêtise d’irresponsable.

« Toi non plus tu n'as pas choisi d'avoir cette merde et encore moins de me la refiler. » Aucun de vous d'eux n'a choisi une telle issue. Ce n'est pas du tout ce que vous aviez imaginé vivre ensemble. Jusqu'à il y a peu encore, votre relation était belle, simple et authentique. Mais aujourd'hui, tant d'obstacles se sont mis sur votre route comme si quelqu'un là-haut ne voulait pas vous voir ensemble. La simplicité des derniers mois a laissé place à tellement d'embûches que ça devient compliqué de voir le positif là-dedans. Et même si Concho affirme que ce n'est pas ta faute et qu'il ne veut plus t'entendre dire cela, tu ne peux pas t'empêcher de le penser pour autant. Finalement, tu en viens à croire que tu n'es tout simplement pas faite pour être mère et que c'est peut-être mieux comme ça. Mais Concho, contrairement à toi, mérite de construire sa propre famille et ça, tu ne pourras jamais le lui apporter. « Arrête de culpabiliser, je ne t'en veux pas du tout. » Dis-tu en voyant ses yeux s'embuer alors qu'il baisse la tête. Tu ne peux pas lui en vouloir pour quelque chose qu'il a causé involontairement. En plus, tu n'oses imaginer à quel point il s'en veut déjà alors ce n'est pas nécessaire d'en rajouter. « Parce que Concho... je m'en veux. Même si on en était pas encore là toi et moi, est-ce que tu réalises que je ne pourrai jamais te donner d'enfants ? » Tu ne sais même pas jusqu'où ira votre relation mais avec cet obstacle de plus sur votre route, tu comprendrais si Concho préférait s'arrêter là et te quitter. « Je sais que tu aimes profondément Maxwell et Lara mais je sais aussi que ce n'est pas comme ça que tu pensais fonder une famille. Et avec moi, tu ne pourras rien envisager du tout alors si tu désires qu'on s'arrête là, tous les deux, je le comprendrais. » Rien que de prononcer ces mots, tu sens ton coeur se contracter tellement ça fait mal. Maintenant que tu partages ta vie avec Concho, tu ne serais probablement plus capable de le voir autrement si ça venait à se terminer entre vous. Et le perdre définitivement, ce n'est vraiment pas envisageable à tes yeux mais tu feras toujours passer son bonheur avant le tien.

C’est vrai, je n’avais pas volontairement ou consciemment choisi d’attraper cette merde et de la refiler à Freja et peut-être à d’autres. Mais c’était quand même le résultat de mon insouciance. Si j’avais été plus prudent dans mes activités sexuelles, rien de tout cela ne serait arrivé. Alors au bout du compte, même si ce n’était pas un choix conscient, c’était quand même mes décisions stupides qui étaient à l’origine du problème. C’était donc ma faute. Aucunement celle de Freja. « Non, bien sûr que non … » Répondis-je toutefois. Je ne voyais pas pourquoi j’en rajouterais encore, on n’allait pas s’obstiner sur mes erreurs quand la conséquence était bien plus grave à entendre. Je n’aiderais en rien Freja si je continuais à la contredire, alors je préférai lui concéder que jamais, jamais je n’aurais choisi de lui refiler une ITS. Si j’avais pu retourner en arrière … Ça m’écoeurait de ne pouvoir rien faire pour changer la situation. La norvégienne m’assura qu’elle ne m’en voulait pas du tout et ça me fit plus mal encore. Pourquoi ne m’en voulait-elle pas ? Je ne méritais que ça. Je ne méritais pas qu’elle soit aussi compréhensive à mon égard. « Je ne t’en voudrais pas si tu m’en voulais. Ce serait juste normal. » Lui assurais-je, au cas où elle cachait son réel ressentiment. Je ne voulais pas qu’il y ait des non-dits qui pourraient exploser un jour. Puis, Freja tenta de me faire comprendre pourquoi elle s’excusait à son tour. Elle s’excusait de ne pas pouvoir me donner d’enfants, de ne pas pouvoir fonder une famille avec moi. Je soupirai, continuant à l’écouter, et je fronçai les sourcils quand elle me dit qu’elle comprendrait si je voulais qu’on s’arrête là. « Non. » Dis-je en secouant la tête. « Est-ce que je me suis imaginé avoir des enfants avec toi, dans la dernière année ? Oui. Bien sûr que oui. Parce que ça va si bien entre nous que je me suis surpris à voir encore plus loin. Mais ce qui était le plus important dans l’équation ce n’était pas les enfants, Freja, c’était toi. C’était toi qui était la variable la plus significative dans ces plans d’avenir. » Je posai mes mains sur ses bras, la rapprochant à nouveau de moi. « C’est vrai, j’imaginais pas avoir une famille éclatée comme celle que j’ai actuellement. Et je pense que tu ne t’imaginais pas être une belle-mère non plus. Mais t’es quand même restée avec moi, même si j’aurais compris que ce n’était pas dans tes plans. Les plans, ça se change. Par amour. » Répondis-je en la regardant dans les yeux.

Ce serait probablement une réaction légitime et logique que d'en vouloir à Concho mais tu t'en sens juste incapable. Tu n'as pas la force de lui rajouter encore plus de peine à son chagrin. Il faut dire que tu n'as déjà plus de forces pour gérer ta propre tristesse alors la sienne, encore moins. « J'arrive pas à t'en vouloir parce que je sais que tu t'en veux déjà bien assez. » Dis-tu en haussant les épaules. Woody a exprimé la même idée que Concho, pas plus tard qu'hier, celle qui veut que tu laisses parler ta colère comme tu peux le faire habituellement. Mais là, tu es juste lasse de te battre. Tu n'en peux juste plus. Alors, plutôt que de répliquer avec force, tu te laisses aller dans les tourbillons de la vie. Tu es obligée d'accepter cette fatalité. Tu ne peux pas aller contre elle puisqu'il n'existe aucun remède à la stérilité. Alors oui, certaines femmes stériles parviennent parfois à tomber enceintes mais avec ta chance, tu ne feras pas partie de ce pourcentage. « Et si je ne suis plus moi après tout ça ? » Demandes-tu en relevant doucement les yeux vers Concho. « J'sais pas comment me relever de cette épreuve. » Tu as encaissé bien des choses dans ta vie mais ça, c'est l'épreuve de trop. Celle qui est destinée à t'achever. « Mais là c'est plus qu'un plan, Concho. On parle de quelque chose qui aura des répercussions sur toute ta vie. Je ne veux pas que tu restes avec moi parce que tu t'en veux de m'avoir refilé ça. » Ce serait pire que tout. Tu veux qu'il soit honnête avec toi mais surtout avec lui-même. S'il ne se sent pas prêt à assumer une telle nouvelle, tu préfères qu'il te le dise maintenant que lorsque vous aurez d'autres projets d'avenir tous les deux. Mais pour envisager de nouveaux projets, il faut que vous puissiez vous relever d'une telle épreuve et ce n'est pas donné à tous les couples. D'autant plus que votre couple a été fragilisé par bien des choses ces derniers temps.

J’hochai la tête. Il était vrai que je m’en voulais déjà énormément, mais on aurait dit que ça me faisait encore plus culpabiliser que Freja se montre à ce point clémente à mon égard. Je n’ajoutai cependant rien de plus à ce propos, je n’allais quand même pas chercher à ce qu’elle m’en veuille. Je caressai son bras, doucement, lui assurant que pour moi ça ne changeait rien, que mes plans avec elle n’étaient pas changés par cette nouvelle, aussi mauvaise et triste soit-elle. C’était difficile à accepter, mais moins difficile que de m’imaginer continuer sans Freja. « Tu seras toujours toi, Freja … Même si ça te change un peu, tu seras toujours toi … » Dis-je, même si ça ne ferait peut-être pas de sens pour elle. Je ne pouvais pas imaginer que la norvégienne serait transformée au point que je ne la reconnaisse plus. Et même si c’était le cas, je ne pouvais actuellement pas m’imaginer ne plus l’aimer. « En te donnant le temps … On se relèvera ensemble. On s’est toujours relevés, pas vrai ? Parce qu’on a toujours pu compter l’un sur l’autre. Et c’est encore plus vrai maintenant. » Amis, nous avions toujours été là lorsque l’autre tombait mais aujourd’hui, nous étions ensemble, un couple, plus forts que jamais. Je voulais y croire. Mais Freja semblait portée à me pousser vers l’autre côté. Loin d’elle. « Je ne reste pas avec toi parce que je m’en veux. Je reste avec toi parce que je t’aime. » Dis-je en fronçant les sourcils, vexé qu’elle ne le comprenne pas. J’avais l’impression qu’elle voulait me convaincre de partir, de la laisser, pour cette nouvelle qui changeait certes bien des choses entre nous, pour l’avenir. « Est-ce que c’est toujours ce que tu veux, toi ? Qu’on reste ensemble ? » Parce que si elle disait que cette annonce allait la changer, peut-être que ça changeait aussi comment elle se sentait … par rapport à moi.

Tu n'es pas aussi certaine que Concho que cette nouvelle ne te changera pas. Et si ça te rendait aigrie et à jamais insatisfaite ? Et si tu ne parvenais plus à te retrouver dans ta vie actuelle ? Et si tu ne goûtais plus jamais au bonheur ? C'est sans doute ridicule de penser cela mais ce sont pourtant ces questions-là qui ne cessent de tourner en boucle dans ta tête. Alors, plutôt que d'aller au conflit, tu hausses simplement les épaules en guise de réponse. Tu n'as aucune idée de quoi sera fait demain mais tu sais pertinemment que cette nouvelle sera difficile à porter. Encore plus quand tu te dis qu'elle ne te concerne plus seulement toi mais aussi Concho avec qui tu partages ta vie à présent. « C'est vrai. » Réponds-tu en espérant vraiment que l'Australien ait raison. Tu veux pouvoir croire que tu te relèveras de cette épreuve, que vous vous en relèverez. Mais s'il y a une chose dont tu es bien certaine, c'est que vous pourrez toujours compter l'un sur l'autre, comme le souligne si bien Concho. Ca a toujours été le cas alors pourquoi est-ce que les choses seraient différentes aujourd'hui ? En l'entendant dire qu'il t'aime et que c'est pour cette raison qu'il veut rester avec toi, ton coeur rate un battement. Est-ce que vous vous l'êtes déjà dit avant ça ? En tant qu'amis, oui, mais en tant que couple tu n'en as pas l'impression. Alors, tu ne peux pas faire autrement que de sourire face à ses mots. C'est tellement agréable à entendre. « Moi aussi je t'aime. » Murmures-tu en posant ta main contre sa joue. Ces trois petits mots là ont toujours été réservés à un autre alors ça fait bizarre de les dire mais ça fait tellement bien de les ressentir à nouveau. « Bien sûr que je veux rester avec toi Concho. Mais je déteste l'idée de te priver de quelque chose de si important. Surtout que toi, tu pourrais avoir ça avec une autre. De mon côté, c'est déjà trop tard mais ça ne l'est pas pour toi. » Ce serait probablement atroce de voir Concho avec une autre que toi mais tu es prête à encaisser. C'est ce qu'on fait, par amour, comme il le soulignait si bien quelques minutes plus tôt.

Ce serait difficile, les prochains jours, les prochains mois, peut-être même les prochaines années. Je savais que ce serait difficile pour Freja de se faire à l’idée qu’elle ne pourrait pas être mère. Ce serait difficile pour moi aussi de me dire qu’elle et moi, on ne pourrait jamais avoir une famille à nous. C’était un deuil à faire, et pas le deuil d’une personne dont la mort était inévitable, comme nous tous. C’était le deuil d’un idéal, le deuil d’un rêve, le deuil d’un avenir que nous avions tous les deux composé de plusieurs petites têtes, de mini-elle et de mini-moi. Ces petites têtes qui n’existeraient jamais. Mais je savais Freja forte et capable de se relever face à n’importe quelle chute. Je savais Freja capable de soulever des montagnes, même lorsqu’il s’agissait des siennes qui s’érigeaient pour faire ombre à son bonheur. Je souris quand elle me concéda que nous avions toujours su nous relever ensemble, et que ce n’était pas près de changer. Pour la convaincre que je resterais auprès d’elle et pour les bonnes raisons, je lui affirmai que je le faisais parce que je l’aimais. C’est en lisant la surprise dans son regard que je compris que c’était la première fois que je le lui disais en ces mots sans équivoque. Mon cœur rata un battement à son tour, à retardement. Je souris quand elle posa sa main sur ma joue et me murmura qu’elle m’aimait aussi. « Freja … J’ai déjà ça avec une autre. Avec deux autres, en fait. Tu ne me prives pas d’être père, je le suis déjà. Il n’est donc pas question que ce soit trop tard ou pas … Pas pour moi. » Je soupirai. « Je trouve ça injuste que ce soit différent pour toi. C’est ça qui me brise le plus le cœur. » J’haussai doucement les épaules. « Peut-être que tu seras mère d’une autre manière, pas de celle que tu t’étais imaginée pour ta vie, mais d’une façon qui peut aussi être très belle. » Que ce soit vis-à-vis de mes enfants en étant leur belle-mère, ou en se faisant appeler maman par un enfant qu’on adopterait ensemble, ou par des enfants que nous aurions pris sous notre aile comme maison d’accueil. Des gamins qui, comme moi plus jeunes, n’avaient pas eu trop de chance en atterrissant dans des familles dysfonctionnelles. Ça avait toujours été un rêve que j’avais caressé en silence. Mais je ne parlerais pas de cela à Freja avant un bon moment, avant que son deuil soit un peu plus fait. Ce n’était pas le moment de penser aux manières de remplacer la maternité biologique qu’elle ne pourrait pas avoir.

Même si tu as déjà imaginé avoir des enfants avec Concho, tu n'y as jamais pensé autant que ces dernières vingt-quatre heures. Tout d'un coup, l'idée de concevoir un mini vous t'obsède et ça fait encore plus mal de savoir que rien de tout cela ne sera possible. Jamais. Pour quelqu'un comme toi qui aime vivre un maximum d'aventures, qui aime tout tenter et tout découvrir, c'est d'autant plus difficile à accepter. Mais savoir que Concho restera à tes côtés est un réconfort. Tu n'aurais probablement pas supporté de devoir faire en plus le deuil de votre relation. « Je sais que tu as déjà tout ça mais tu sais comme moi que ce n'est pas la même chose que d'avoir ses enfants vingt-quatre heures sur vingt-quatre. » Il n'a Lara et Maxwell qu'à mi-temps et encore, pour ce dernier, c'est bien plus compliqué que ça. « Oui, c'est le mot, injuste. » Dis-tu en soupirant à ton tour. Même si tu ne veux pas que Concho souffre pour toi, tu sais que c'est impossible. Sa souffrance est la tienne et inversement. C'est comme ça que ça fonctionne un couple. « J'sais pas... J'ai toujours rêvé d'adopter un enfant mais maintenant je ne sais plus. J'ai l'impression que je ne serai jamais capable d'être une bonne mère si j'ai toujours ce poids sur la poitrine, cette tristesse qui ne cessera jamais de m'habiter. » Il existe des tas d'autres façons de fonder une famille mais aucune qui te convienne à présent. Maintenant que tu sais que tu ne pourras jamais porter d'enfants, tu as l'impression que le terme famille a perdu tout son sens. Peut-être que Concho restera à jamais ta seule famille. Et peut-être que c'est très bien comme ça... « Merci de rester, malgré tout. » Murmures-tu avant de venir te blottir dans ses bras, ta tête contre son torse musclé. Tout ce dont tu as besoin, à présent, c'est que Concho soit à tes côtés, que ses bras t'entourent et t'étreignent sans jamais te lâcher.

Il valait pour moi de ne pas y penser davantage. Elle avait raison, au fond, Freja. Ce n’était pas la même chose de pouvoir voir son enfant grandir de jour en jour, parfois d’heure en heure. J’avais raté tellement d’étapes dans la vie de Maxwell, et même de Lara au fond, quand on sait que Zelda et moi avions été dans l’ignorance totale de sa grossesse. J’aurais tellement aimé vivre une grossesse auprès de Freja. Voir son ventre s’arrondir au fil des semaines, poser ma tête contre sa peau étirée et faire entendre le son de ma voix à notre bébé, sentir ses coups contre la paume de ma main. Je n’avais pu le vivre avec aucun de mes deux enfants, la vie étant ce qu’elle était : cruelle. Je baissai donc les yeux à l’affirmation de Freja. Je savais qu’elle ne disait pas cela pour me blesser, mais pour essayer de m’ouvrir les yeux et de me faire réfléchir correctement. Mais ça me faisait mal et ce n’était pas nécessaire. Parce que je savais que je resterais avec elle, peu importe. Je la regardai. « T’as raison. C’est pas la même chose. Et j’aurais voulu le vivre plus normalement que ce que j’ai actuellement. Mais si c’est un deuil que t’as à faire, c’est un deuil que je ferai aussi. » Pourquoi il n’y aurait qu’elle qui en souffrirait, encore plus en s’isolant, d’ailleurs ? C’était le moment où nous avions le plus besoin l’un de l’autre. Alors que je venais de parler des autres manières d’être mère, en sachant fort bien qu’une réelle discussion à ce propos était trop précoce, Freja me répondit qu’elle avait l’impression qu’elle ne serait jamais une bonne mère si cette tristesse ne la quittait pas. Je soupirai tristement. « Elle ne cessera peut-être pas de t’habiter, mais … mais elle se fera plus petite, si d’autres enfants se mettent à prendre la place dans ton cœur, elle aura de moins en moins de place pour mettre son poids … » J’essayais de la rassurer mais au fond, qu’en savais-je ? J’aurais aimé que Freja puisse aimer Maxwell et Lara comme ses propres enfants, après tout si nous restions ensemble, elle les verrait grandir. Je savais évidemment que ce n’était pas aussi facile, encore moins quand les mères étaient toujours là, et qu’une d’entre elle était une amie, en plus. Freja s’avança alors vers moi et m’étreignit en me remerciant de rester là. « Et merci à toi de rester avec moi, malgré tout. » Soufflais-je en la serrant fort contre moi.