everything is going to be okay -r.

Depuis ton opération, tu avais des rendez-vous réguliers chez la physiothérapeute afin de pratiquer quelques exercices pour retrouver l'usage de tes jambes. Déjà tu avais retrouvé les sensations et ça te faisait toujours bizarre de pouvoir sentir tes orteils, de pouvoir les faire bouger à nouveau. Ce matin, en arrivant à la clinique, tu te présentais à la secrétaire, qui t'annonçait que ce serait le confrère de ton docteur qui allait te recevoir aujourd'hui. La tienne ayant pris quelques jours de vacances. Ce qui était rigolo c'est que tu n'avais jamais fait gaffe au fait qu'il y avait un autre physiothérapeute dans le bâtiment. Tu avais pris l'adresse que le chirurgien t'avait donné après l'opération, oubliant totalement que tu étais déjà venue ici. C'est en te dirigeant vers la porte, que tu pris conscience de là où tu te trouvais. Peut-être parce que des Dr Rutkowski, il n'y en avait pas beaucoup à Bowen. « Bonjour Woody ! » Tu lui esquissais un léger sourire tout en entrant dans la salle de consultation. Tu n'avais pas vraiment eu l'occasion de le revoir depuis ton accident. Quoique tu avais emménager dans l'ancienne maison de Nevaeh avant qu'elle parte et de ce fait, il était ton voisin. Pourtant, tu ne le voyais pas, jamais. Il fallait dire que tu sortais peu aussi, tu n'avais pas encore réussi à trouver un boulot, alors tes sorties se limitaient aux balades de Jasper, parce qu'il avait besoin de se défouler. « Sans vouloir t'offenser, t'as pas une bonne mine. » Tu n'avais pas trop suivi l'actualité dernièrement mais s'il y avait bien une chose que tu savais, c'est qu'à la garden party de Freja, elle était accompagnée d'un autre homme. Très proche d'ailleurs et ce n'était pas Woody. De toute évidence, ces deux là n'avaient pas encore réussi à parler et à se mettre sur la même longueur d'onde.

La collègue de Woody avait repris tous ses cas urgents, tous ses vieux clients qu’il ne voulait pas voir partir, alors lorsqu’elle avait parlé de prendre ces petites vacances, le physiothérapeute s’était bien sûr senti obligé d’accepter de prendre la relève de tous les rendez-vous de la semaine. Il lui devait ça, et tellement plus encore. Son associée avait été plus que compréhensive depuis la baisse de moral – et disons-le, la dépression – de Woody. Elle méritait ce repos et d’ailleurs, elle aurait dû prendre plus qu’une semaine. Elle devait sans doute se douter que son associé était émotionnellement fragile et que plus que ça aurait été trop pour lui. Elle aurait sans doute eu raison. Woody en était à sa troisième journée de retour au travail et il sentait déjà la fatigue le gagner dès le matin. Il n’avait eu qu’un rendez-vous jusqu’à maintenant et il se sentait déjà drainé. Avant son prochain client, il ferma les yeux, la tête posée dans sa main, assis à son bureau. Une voix familière le fit sursauter et il leva les yeux vers Tiffany. Il fit semblant de ranger la paperasse sous ses coudes, comme s’il était en train de bosser plutôt que de dormir. « Bon matin Tiffany. Tiens, je … je n’avais pas remarqué que tu étais une patiente d’Eva. » Il prit le dossier qui se trouvait dans son porte-documents, le prochain sur la liste. Il n’avait même pas pris le temps de lire les notes d’Eva. Il était désorganisé comme jamais. « J’ai lu le dossier sans regarder le nom. » Se justifia-t-il même si c’était faux, en esquissant un sourire. Ça lui ferait tellement bizarre, de traiter Tiffany, alors qu’il vivait encore avec cette intense culpabilité d’avoir été la cause de sa chute. S’ils n’avaient pas joué à ce jeu dangereux, à ce défi débile. Tiffany rentra un peu plus dans la salle de consultation et releva sa mauvaise mine. « Ouais, euh … Je dors plutôt mal ces temps-ci. » Expliqua-t-il. « Comment vont tes jambes ? J’ai lu que tu retrouvais des sensations ? » Il venait de le lire, en parcourant rapidement la dernière page du dossier.

Tu détaillais Woody du regard, toujours un peu surprise de le voir. Pas que tu ne veuilles pas travailler avec lui, Woody était un très bon praticien, tu l'avais déjà consulté par le passé. Et votre passé commun n'avait pas à interférer dans votre séance aujourd'hui. Pendant longtemps tu as simplement choisi de ne pas l'aimer pour ce qu'il dégageait. Cette façon qu'il avait de remballer les femmes, de parler, te donnant l'impression qu'il était mieux que toi, qu'il valait mieux que toi. Certes Woody n'avait pas toujours été un homme  délicat mais tu te doutais bien que s'il était ainsi, il y a bien des raisons derrière tout ça et tu n'en avais juste pas connaissance. Il s'était forgé une carapace et tu avais décidé de lui faire la misère alors que toi-même tu avais la tienne. « Elle m'a été conseillée par le docteur Hills après mon opération. » ajoutais-tu d'une petite voix, tout cela n'avait pas vraiment d'importance. « Pour être franche, moi-même j'avais oublié que tu exerçais ici. » ajoutais-tu presque aussi rapidement, quitte à donner des infos sans importance, autant le faire maintenant, une fois que vous aurez passé le stade de banalité, vous pourrez passer aux choses plus sérieuses. Il se contenta de balayer ta question avec une réponse aussi banale que tu aurais pu la deviner sans même lui poser la question. Tu le soupçonnais de ne pas te dire toute la vérité mais tu n'étais pas son amie alors tu n'allais pas lui tirer les vers du nez de cette façon. Woody était une huître, s'il n'était pas prêt à se confier, il ne fallait pas attendre de lui qu'il parle. Tu avais bien fini par le comprendre. Et son arrogance cachait probablement sa vulnérabilité, c'est ce qui lui permettait de tenir debout chaque jour que Dieu fait. « J'ai l'impression qu'elles sont toujours aussi lourdes mais les exercices m'aident à soulager cette sensation. » ajoutais-tu pour revenir au sujet principal de votre entrevue, ton état de santé. Tu ne pouvais t'empêcher de te demander à ce moment précis où en était sa maladie à lui, il ne semblait pas être en fauteuil encore, c'est que ça devait encore être gérable. Pour autant, tu ne lui poserais sûrement pas la question. 

Woody hocha la tête quand Tiffany lui apprit que c’était le docteur Hills qui lui avait conseillé Eva. Ce n’était pas la première fois que ce médecin référait ses clients à leur clinique alors il ne fut pas trop surpris. Il le fut un peu plus quand la blonde avoua qu’elle avait oublié qu’il exerçait ici. Il eut d’ailleurs un léger rire, qui aurait pu être pris pour de l’arrogance mais ça n’en était pas vraiment. Woody n’avait même plus la force de se montrer arrogant. « Tu sais que je suis le propriétaire ? » Il esquissa un mince sourire. Enfin, maintenant, il était copropriétaire. Eva était devenue son associée depuis quelques années et elle avait acheté sa part dans la business. À la base toutefois, c’était la clinique de Woody. Son projet. Qu’il délaissait de plus en plus. Le jeune homme n’entra toutefois pas dans les raisons de cette fatigue. Tiffany n’avait pas besoin de savoir que le professionnel qui s’apprêtait à passer la prochaine heure à sa rééducation était en dépression sévère, qu’il ne dormait presque plus, et qu’il n’avait aucune envie d’être ici. C’aurait pu être l’objet d’une plainte disciplinaire et même s’il savait que Tiffany ne le détestait plus autant qu’avant, il n’allait pas risquer qu’elle prenne sa lente revanche maintenant. Il prit donc à cœur son rôle de physiothérapeute, chose qu’il n’avait pas faite depuis trop longtemps, et s’intéressa plutôt au cas de sa patiente du jour. En plus, il avait un intérêt personnel concernant sa guérison, même s’il n’avait pas cherché à avoir des nouvelles de Tiffany par lui-même, après l’accident. La culpabilité avait été trop grande, alors il avait préféré l’indifférence. « Déjà, que tu retrouves tes sensations … C’est vraiment une belle nouvelle, Tiffany. C’est le signe que tu pourras un jour retrouver une vie normale. » Il lui sourit, avec plus d’émotion dans le regard qu’il ne l’aurait voulu. Lui n’aurait pas cette chance. Pendant que Tiffany remonterait la pente, lui la descendrait. Et l’écart ne cesserait de devenir de plus en plus grand. « Bon, suis-moi, on va aller regarder ça. » Il se leva et jeta un regard hésitant à sa canne, posée sur le coin de son bureau. Inaudible, il soupira et s’empara de celle-ci. Le regard fuyant, il sortit de son bureau pour se rendre à la salle adjacente, où le lit d’auscultation et l’équipement se trouvait. « Tu peux te coucher sur le dos. » Dit-il en tirant un tabouret sur roulettes sur lequel il s’assit.

Il n'était pas un simple employé ici, il était le patron, information que tu aurais pu retrouver si tu avais fait un effort de recherche mais ton cerveau été pas mal occupé en ce moment, tout ce qui te passait par la tête c'était tes dates de rendez-vous, les exercices que tu avais le droit de faire chez toi pour continuer tes efforts et ton alimentation pour avoir un bon équilibre. C'est comme si tout ce qui était à côté n'avait plus la moindre importance. Mais tu comptais tellement sur ta rééducation qu'on ne pouvait pas te blâmer. « Je l'avais oublié mais je me souviens que Nev m'en avait parlé. » Tu étirais un mince sourire, la dernière fois que tu avais parlé à Nevaeh, ça remontait à presque une année. Tu avais entendu qu'elle était de retour en ville mais tu n'avais pas vraiment eu l'occasion de la voir, mais tu pensais au fait que Woody devait être content de la retrouver. D'autant plus qu'elle n'était ni fiancé, ni marié, ce qui devait le soulager de ne pas avoir quelqu'un qu'il n'aimait pas plus que ça dans sa famille. Et là encore, ce n'était pas un sujet que tu prendrais le temps d'aborder. A croire que votre séance resterait strictement professionnel, c'était quelque chose de nouveau pour toi. Tu l'écoutais attentivement, sentant les larmes te monter lorsqu'il prononçait une vie normale. Tu ne pu t'empêcher de les laisser rouler le long de tes joues, secouant doucement la tête. « Je ne crois pas qu'on puisse retrouver une vie normale, pas après avoir vécu une telle expérience. Je pourrais remarcher et courir, mais je crois qu'une partie de moi aura toujours peur de prendre des risques. » ajoutais-tu la gorge nouée. Tu savais que tu vivais une situation inédite, l'idée de pouvoir à nouveau marcher te faisait peur mais te remplissait de joie à la fois. Pour autant, il y avait une cicatrice dans ton dos qui ne pourrait jamais te faire oublier ce que tu as vécu et le souvenir d'une vie fauteuil serait toujours ancré en toi, à jamais. Tu te précipitais d'essuyer ton visage d'un coup d'avant-bras, afin de suivre Woody dans la salle d'à côté. Tu l'observais jeter un coup d’œil avant de s'emparer de sa canne. Ça c'était nouveau, mais c'était aussi signe de mauvaise augure. Tu ressenti un pincement au cœur à cet instant précis. « Tu sais combien de temps encore tu pourras marcher ? » te risquais-tu à poser comme question, alors que tu te hissais à la force de tes bras pour passer sur la table d'auscultation.

Quand Tiffany parla de Nevaeh, Woody baissa instinctivement le regard. Il avait tellement honte de la manière dont il s’était comporté avec elle, et même s’ils avaient commencé à réparer les pots cassés, il n’oublierait jamais à quel point il avait pu la blesser. Les mots de Woody étaient devenus ses armes puisqu’il pouvait de moins en moins compter sur son corps pour se battre. Et ses insultes et ses attaques verbales étaient acérées. Avalant difficilement sa salive, Woody hocha la tête silencieusement et releva un visage orné d’un sourire peu convaincant. Le trentenaire préféra en revenir à la réadaptation de Tiffany, mais il regretta bien vite en voyant les larmes rouler le long des joues de la blonde. « Je ne suis pas si sûr de ça, Tiffany. » Commença-t-il après avoir pris une grande inspiration. Il referma son dossier et croisa se mains au-dessus. Il n’avait pas besoin de données médicales pour la suite de son discours, il avait juste besoin de savoir quelle battante elle était. « Au début, peut-être. Peut-être que ta peur te paralysera et que t’auras encore l’impression d’avoir des chaînes même si, physiquement, t’en seras libérée. Mais j’ai rarement connu une femme avant autant de drive que toi. Ça prendra peut-être du temps mais … t’y arriveras. » Il esquissa un sourire. De son côté, ce serait différent. La preuve s’en fit sentir lorsqu’il se leva, armé de sa canne. Alors qu’ils s’installaient de l’autre côté, prè de la table d’auscultation, Tiffany se risqua à lui demander pour combien de temps il en avait à marcher, lui. Il releva un regard surpris vers elle. Rares étaient les personnes qui le questionnaient sur sa maladie, sans doute parce qu’il réagissait habituellement assez mal. Pourtant, cette fois, il ne sembla pas s’emporter. Au contraire, il soupira et haussa les épaules, et déclara calmement : « Je n’en ai aucune idée. C’est la beauté de cette merde, de la savoir imprévisible. Mes médecins ont espoir que c’est juste une poussée un peu plus longue que d’habitude, et que ça ira mieux bientôt, mais … J’sais pas. J’vois pas d’amélioration. Mais ça ne décline pas non plus. » Mais sa fatigue, son moral, eux, continuaient de chuter.

Tu doutais de toi, tu doutais de pouvoir retrouver une vie normale. Une vie où le sport pourrait retrouver une place centrale. Alors bien sûr que tu reprendrais la course quand ton corps le pourrait mais tu n'arrivais pas à t'imaginer reprendre l'escalade, faire du surf. Tu n'arrivais pas à te projeter faisant une activité qui pouvait te faire prendre un risque pour ta vie, un risque  qui pourrait te faire retrouver ta vie d'handicapée. Même si pour l'instant, tu n'étais pas du tout assurée de t'en sortir. Certes, les sensations étaient là mais ça ne suffisait pas à dire si ta colonne pourrait supporter à nouveau le poids de ton corps sur deux jambes. Pour la seconde fois dans ta vie, tu te montrais vulnérable face au brun, cependant, tu n'y pouvais rien. Tu n'avais pas de contrôle sur ta peur. « Rien ne m'assure que je pourrais remarcher un jour mais c'est vraiment gentil de ta part de me dire tout ça Woody, tu n'imagines pas à quel point ça compte pour moi. » Tu avais relevé ton regard vers lui afin de croiser le sien, tu pouvais ressentir toute la sincérité de son discours rien que par son regard. Entre vous, ce n'était pas courant, vous étiez plutôt du genre à vous chicaner ou à vous insulter alors vous parler comme ça, à cœur ouvert ce n'était pas monnaie courante. Pourtant, ça te faisait bien de l'entendre te dire tous ces bons mots, il te rappelait à quel point tu étais pleine de courage, et qu'il ne fallait pas te laisser entraver par la peur. C'était plus facile à dire qu'à faire mais si tu devais écouter quelqu'un, ce serait sûrement lui. Au fond, avec toute cette compétition entre vous, vous aviez bien appris à vous connaître. « Une sacré belle merde quand même mais tant que ça ne décline pas, c'est bon pour toi, non ou il y a la douleur qui persiste ? » Tu n'avais jamais pris le temps de vraiment t'intéresser à sa maladie, mais le voir ainsi aujourd'hui te donnait envie de mieux comprendre. De savoir ce qu'il pouvait traverser au quotidien.

Ce qui était arrivé à Tiffany, c’était un accident, une bad luck, une putain de bad luck qui avait hantée Woody pendant plusieurs semaines, plusieurs mois après sa chute. Si lui en avait gardé des images traumatisantes alors qu’il s’en était sorti indemne, qu’avec des marques psychologiques légères, il n’osait pas imaginer comment Tiffany se sentait à présent lorsqu’elle se trouvait au pied d’une falaise. Pire encore, tout en haut, là où le sol pouvait lui sembler se dérober sous ses pieds. Mais l’accident restait une malchance, un faux-pas dans leur ascension, et Woody savait que les risques que cela se reproduise et que Tiffany reperde l’usage de ses jambes étaient minces. Peut-être s’en rendrait-elle compte par elle-même au fil du temps. « T’as raison. On part du début, et chaque chose en son temps. Mais je suis optimiste. » Il sourit. Quand il était question de retrouver une fonctionnalité perdue, Woody avait tendance à s’emporter, sans doute par rapport à son propre vécu. Lui ne voyait pas d’espoir pour sa propre personne puisque sa maladie le condamnait, mais il poussait les autres vers la lumière puisqu’ils en avaient la chance. Le physiothérapeute passa finalement à l’autre côté de la salle, montrant inévitablement à Tiffany sa condition actuelle qui était bien moins encourageante que quelques années auparavant. Des falaises, il n’en escaladerait plus beaucoup. « Je dirais pas que c’est de la douleur … Un peu, le matin, mais sinon c’est plutôt une fatigue constante des muscles, des picotements, une faiblesse … C’est dérangeant. Bon, comme tu dis, tant que ça en reste à ça c’est … pas encore si mal. » Woody aurait préféré ne rien vivre de tout cela, évidemment. Il aurait préféré pouvoir continuer à courir, à escalader, à faire de longues randonnées. Mais tout cela tirait à sa fin. Encore heureux qu’il puisse vivre son quotidien à peu près normalement, indépendant. « Tu peux t’allonger, on va faire quelques exercices couchés. » Il prit les jambes de Tiffany l’une après l’autre pour quelques massages et étirements de début de séance.

Woody ne manquait pas de se  réajuster après ce que tu venais de dire. Il ne t'avait jamais semblé aussi sincère qu'en cet instant. Et tu avais l'impression de découvrir un autre homme. Un Woody que tu aurais pu largement apprécié, un Woody avec qui tu aurais pu être ami. Pourtant entre vous, tout était parti de l'arrogance et de l'esprit de compétition. Tu étais partie du principe que tu ne pouvais pas l'aimer, que tu ne pouvais pas le supporter. Tu ne savais pas s'il était parti du même constat que toi mais tu te rappelles très bien de votre première rencontre. On aurait pu croire qu'il y avait des étincelles partout entre vous, comme si vous étiez prêt à vous sauter à la gorge. Alors que là, tu avais envie de lui sauter au cou, mais pour lui faire une longue étreinte. C'était un sentiment bien étrange pour toi. « Je crois que je ne t'ai jamais vu être optimiste dans la vie à part dans le sport ! » Il ne l'était pas pour sa maladie, il ne semblait pas l'être non plus quand il s'agissait d'amour, de couple ou de sa relation avec Freja. Bien que tu ignorais tout ce qui avait pu se passer entre eux. Tu fréquentais très peu Freja et encore moins Woody alors tu n'allais pas te mêler de ce qui ne te regardais pas. En temps normal, tu ne te serais pas gênée pour le faire d'ailleurs, tu as ça en toi, tu aimes être une commère, prendre part aux ragots mais il était temps pour toi d'arrêter de chercher la merde avec Woody. Temps pour toi, d'être un peu adulte et responsable de tes actes, de tes mots. « Je ne le vis pas mais je comprends ce que tu exprimes. » Dans un sens, pour le moment vous étiez dans la même position, aussi bien lui que toi ne pouviez pas faire du sport comme vous auriez aimé le faire. Lui à cause de ses muscles qui le lâchaient et toi à cause de tes jambes. « Oui, pardon. Comme ça ? » demandais-tu après t'être allongée sur la table. Ce qui semblait être bon puisqu'il commençait à te masser les jambes et pratiquer quelques étirements.

Quatre ou cinq ans auparavant, Woody était bien plus arrogant qu’aujourd’hui. Ce trait de personnalité était évidemment encore une partie de lui, mais disons qu’il trouvait moins la force de se montrer sous un tel jour alors que son monde s’écroulait toujours un peu plus. Au lieu de faire le fier comme avant, il s’était plutôt fermé aux autres, devenant le bougon à qui on ne voulait plus vraiment adresser la parole. Il était devenu d’un tel pessimisme, ça en devenait décourageant pour les autres. Toutefois, ce défaitisme n’était que par rapport à sa propre personne, son propre avenir. En ce qui avait trait à celui de Tiffany, Woody voyait véritablement la lumière au bout du tunnel. Il ne pouvait donc que l’encourager à redoubler d’efforts, à se montrer patiente puisque ça porterait fruits. Il ne l’avait peut-être pas appréciée aux premiers abords, tout le contraire même, mais aujourd’hui le physiothérapeute ne voulait plus se battre, pas comme ça. Il baissait les armes. Tiffany le remarquait évidemment, elle aussi, soulignant même son optimisme qu’on ne lui connaissait pas. Il esquissa un faible sourire. Un pas à la fois. « Je ne le suis peut-être pas dans ma vie mais quand j’vois de l’espoir ailleurs, faut bien que je le souligne. » Dans son cas à lui il n’avait plus l’impression de pouvoir faire quoi que ce soit, alors il concentrait toute son énergie sur les autres. Ça avait été le cas avec Lisandro, maintenant cela se répéterait sans doute avec Tiffany. Ça pourrait lui changer les idées, même. Si sa collègue acceptait, peut-être que Woody pourrait reprendre le dossier. Une sorte de retour graduel au travail. Eva en serait sans doute ravie, et soulagée. Après avoir parlé un peu de sa condition à Tiffany, Woody lui demanda de s’allonger pour qu’ils puissent débuter la séance. Il n’avait pas encore l’habitude de parler de ses symptômes en long et en large, et même s’il aurait pu en dire plus encore, il préféra taire ses douleurs. « Ouais, comme ça. » Il esquissa un sourire en débutant un massage suivi d’étirements. « La dernière fois qu’on s’est retrouvés dans cette situation, j’ai le souvenir que notre séance avait été beaucoup moins cordiale. » Lui rappela-t-il alors que les insultes avaient fusé dans la salle d’auscultation de Woody. Même s’il avait conservé un professionnalisme au niveau du travail en tant que tel, son attitude avait clairement été déplacée.

Woody ne manquait pas de clarifier les choses. Tu le regardais surpris par cette révélation. Il fallait dire que tu ne connaissais pas tellement Woody en fin de compte. « Tu ne trouves pas que c'est une sacrée contradiction ? C'est plutôt dans sa propre vie qu'il faut essayer de voir l'espoir et la lumière sinon on sombre dans un gouffre que beaucoup ne remontent pas ! » Tu savais de quoi tu parlais, tu avais vécu une belle dépression après ton accident, tu devais garder la face mais au fond tu étais au point mort. Tu avais presque envie de tout laisser tomber, la vie n'avait plus d'intérêt pour toi. Mais tu avais eu Aaron, qui t'avait donné la motivation de ne pas tout lâcher. Il t'avait montré la vie que tu pouvais avoir, le fait que tout n'était pas fini. Grâce à lui tu avais fini par faire un petit tour du monde que tu avais tant apprécié. Un voyage qui t'avait permis de faire le point, de faire le vide et d'accepter les choses. Peut-être qu'il avait besoin d'un tour du monde. Tu ne savais pas où il en était dans sa descente mais il était évident que ça n'allait pas fort dans sa vie. Pourtant tu ne savais pas quoi faire pour lui venir en aide et tu n'étais pas sûre de vouloir oser. Vous aviez trouvé un terrain de paix et tu ne voulais pas l'offenser. « La dernière fois je trouvais que tu étais toujours un gros con. Je crois que ce qui change maintenant c'est que j'ai un avis moins tranché sur toi, que je fais preuve d'ouverture d'esprit et de soi. » Tu crois surtout que c'est grâce à ton accident si tu agis ainsi aujourd'hui. Tu avais appris à relativiser avec ce fauteuil, tu ne pouvais plus te cacher sous une carapace, tu ne pouvais plus garder la face. Mais tu n'étais pas la seule à avoir perdue cette possibilité, Woody aussi. A chaque fois qu'il te voyait, il devait se sentir coupable que votre compétitivité maladive t'avait conduit à cette situation. Et puis le fait qu'il se montrait beaucoup moins hostile qu'avant.

Woody posa un regard surpris sur Tiffany alors qu’elle relevait la contradiction dans ses paroles. Il écouta sans broncher son point de vue, sans pourtant y croire, sans pourtant laisser passer le message. Ce gouffre dont elle parlait, il avait la bien malheureuse impression d’y être déjà sombré, peut-être même en avait-il déjà atteint le fond. Pendant des mois et des mois, Woody avait cru que sa situation ne pouvait s’empirer et pourtant, à chaque matin, il ouvrait les yeux sur un monde qui lui semblait de plus en plus noir. Le fait d’avoir trouvé la force de se rendre au boulot, aujourd’hui, relevait du miracle. C’était bien parce qu’il ne pouvait se résoudre à laisser sa collègue dans l’embarras après tout ce qu’elle avait fait pour lui. « On m’a souvent dit que j’pensais trop à moi, que je me pensais le centre du monde. Pour une fois que je m’oublie au bénéfice des autres, on me fait remarquer que je ne devrais pas ? » Il esquissa un faible sourire. Il comprenait ce que Tiffany cherchait à dire, mais il n’y croyait plus dans son cas. « Je sais juste reconnaître les cas réalistes et ceux qui sont peine perdue. » Il haussa les épaules, avant d’inviter la blonde à s’étendre. Tout en débutant les exercices d’échauffement sur ses jambes, Woody osa se remémorer leur dernière séance de physiothérapie. Au terme gros con, il s’autorisa même un rire. « Alors c’est pas vraiment moi qui suis moins pire que tu le croyais, en gros j’suis aussi con qu’avant, mais tu le vis un peu mieux parce que tu t’ouvres aux autres et m’accepte un peu plus comme j’suis, c’est ça ? » Releva-t-il avec une pointe d’humour même si au fond, ses paroles étaient honnêtes. En même temps, Tiffany avait toujours vu juste sur le cas de Woody. Elle avait toujours eu raison de le détester. Et il n’avait pas changé tant que ça, si ce n’était que de passer sa méchanceté sous silence plutôt que de dire haut et fort tout ce qui lui passait par la tête.

Sa remarque te fit rire. Le pauvre, c'est vrai que s'il avait les deux discours, ça ne devait pas aider. Pour autant tu ne te voyais pas lui dire de s'oublier aux profits des autres. C'était aussi de l'égoïsme, de la part des autres cette fois ci, qui abuserait de la gentillesse et de la patience de l'autre. Ce n'était jamais évident de se construire en tant qu'adulte, ne pas savoir quand on peut se permettre d'arrêter de faire passer les autres avant soi mais c'était aussi le jeu de la vie. On le saurait s'il y avait un manuel pour savoir comment se comporter, pour savoir comment gerer telle ou telle situation. Mais ce serait presque de la triche, la vie n'en a pas voulu ainsi. Que ce soit Dieu, le Destin ou tout autre chose, il fallait faire ses propres expériences, ses propres choix mais aussi ses propres erreurs. « Disons plutôt qu'il faut trouver un juste équilibre, penser aux autres c'est bien mais il ne faut pas s'oublier dans tout ça. » Tu sentais bien que c'était le genre de phrase que n'importe qui pouvait balancer à tout va, le genre qui n'aidait pas vraiment mais lui comme toi, vous étiez confrontés à tout ça. Après il y avait aussi la sensibilité qui venait jouer un rôle dans tout ça, peut-être même un peu trop parfois. « C'est toujours plus facile de voir ce qui peut aller et arriver chez les autres que chez soi. » Tu ne savais pas si c'était lui, toi ou le monde en général qui était assez défaitiste sur les évenements de la vie. Tu avais l'impression que l'humanité se laissait souvent abattre là où elle devrait se lever pour combattre. Tu ne le savais que trop bien, la situation que tu vivais, tu avais mis un certain temps avant de pouvoir l'accepter telle qu'elle était. « Tu es quand même moins tout feu, tout flamme, y a des années en arrière, tu n'aurait pas ri comme tu l'as fait là, on serait plutôt partis dans une bataille de piques où le but aurait été d'être le premier à blesser l'autre. Mine de rien, je suis bien contente qu'on ait dépassé ce stade, ce n'était pas très glorieux. » Ni très mature, mais la maturité, quand tu te retrouvais face à Woody, elle n'existait pas. A quoi bon l'être, ce n'était pas comme ça que tu aurais réussi à échanger plus de deux mots avec lui. Il avait eu besoin qu'on lui rentre dedans, tout comme toi d'ailleurs. Alors que maintenant, tu ne serais pas sûre de trouver une répartie cinglante si on venait à te rentrer dedans.

L’équilibre, Woody n’avait jamais été très doué pour l’atteindre. Avec lui, c’était tout ou rien. Et même s’il tentait de se justifier en passant par mille et une nuances de gris, au fond, ses actions et ses pensées étaient bien souvent noires ou blanches. Pire encore, quand venait le temps de penser à lui ou aux autres, il se trouvait tantôt à un extrême, tantôt à l’autre extrême. D’égoïste à désintéressé, Woody ne semblait pas savoir sur quel pied danser. Ça dépendait surtout des situations, des contextes, des raisons. Quand il était question de sa maladie, l’égoïsme de Woody s’expliquait par son besoin de protéger les autres de lui-même. Pour tout le reste, son nombrilisme était ce qu’il était : le résultat de l’égocentrisme d’un homme qui avait un jour tout eu, et qui n’avait aujourd’hui plus rien. « Oh, je ne m’oublie pas, t’en fais pas pour ça … » Lâcha-t-il dans un rire, ce qui aurait pu signifier qu’il se mettait encore au premier plan, en priorité, mais qui cachait également la triste vérité que Woody était incapable de s’oublier, s’oublier pour se laisser disparaître ensuite. Contrairement à Tiffany, c’est ce qui lui arriverait un jour ou l’autre. Il s’effacerait. Et il aurait préféré faire ça tout d’un coup plutôt que de voir les particules de lui-même s’envoler avec les heures. « J’le dis aussi d’mon point de vue professionnel, Tiffany. Et mon gros bon sens. Toi, c’était un accident, et la réadaptation commence déjà à faire ses preuves. C’est un coup à donner et beaucoup d’efforts mais ça paiera. Moi, j’suis malade, et y’a encore aucun remède miracle. J’peux espérer en voir un de mon vivant mais il sera peut-être trop tard pour moi quand même. C’est gentil d’essayer de me redonner de l’espoir mais … » Il haussa les épaules, en soupirant discrètement. « Me battre dans le vide, ça me gruge de l’énergie que je n’ai plus. » Est-ce que ce défaitisme avait fait en sorte que Woody avait baissé les armes non seulement contre la sclérose en plaques, mais aussi contre tout le monde ? Est-ce que cela expliquerait qu’aujourd’hui, il n’était plus aussi mauvais envers Tiffany ? Sans doute. Il était las, las de tout, même de ressentir, surtout de détester ou d’aimer. « J’sais pas, j’crois que ça me manquera quand même, nos piques. » Releva-t-il avec un mince sourire et une lueur de défi dans le regard. « T’as été mon adversaire la plus redoutable, Sawyer. »

Woody t'assurait ne pas s'oublier et tu ne pouvais rien faire ou dire de plus, tu devais te contenter de le croire sur parole. Dans le fond, tu n'étais pas convaincue par son ton mais que pouvais-tu faire de plus ? Tu ne pouvais pas le prendre par la main et l'accompagner dans sa quête de bien-être avec lui-même. C'était à lui de faire ce qu'il fallait pour ça, tout comme toi tu le faisais pour toi. On peut s'entourer des autres et trouver le bonheur avec eux mais il y avait une grande partie du bonheur qu'on devait trouver seul si on voulait vraiment être heureux. Et s'il ne le voulait pas, alors c'était son choix. Peut-être pas un choix, tout le monde n'arrivait pas à faire avec, à trouver les petits plus pour dire que la vie était acceptable. Après ton accident, tu avais eu pas mal de mois avec un moral au ras des pâquerettes et tu ne saurais pas vraiment dire quel a été le déclic pour te donner à nouveau l'envie d'avancer. « C'était maladroit de comparer nos situations et nos façons de gérer les choses. Tu as raison, d'un point de vue médical, j'ai plus de chance de m'en sortir que toi. » Tu avais du mal à comprendre son point de vue, seulement parce que tu vivais la situation inverse. Dans ton cas, tu savais que l'issue pouvait être favorable alors forcement, tu avais toutes les raisons du monde de te battre et de mettre toute ton énergie pour retrouver ta situation d'avant. Alors que lui, se savait condamné et qu'il attendait simplement le moment où la guillotine allait tomber. Quand on sait que c'est la seule issue, on fini par lâcher prise. Tout ce que tu souhaitais pour lui, c'est qu'il soit bien entouré, c'était important. « Si je remarche un jour et que de ton côté, tu t'en sens capable, je ne suis pas contre un bon défi sportif ! Mais en sécurité cette fois, faudrait pas qu'on s'abime sans raison. » Une chose était certaine, tu avais bien retenue la leçon. Tu donnerais ton maximum mais sans prendre des risques pour ta vie ou même pour celles des autres. Cela n'en valait pas la peine, au final, tu savais très bien que Woody n'acceptait pas sa dernière victoire contre toi. « Il faut dire que t'étais à la hauteur toi aussi, je ne me suis jamais autant donné que contre toi. » ajoutais-tu avec un fin sourire sur le visage.