the world keeps spinning around ∞ jackson

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the world keeps spinning around
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@jackson lewis-reyes & @lys r. kickett

Je n’avais pas beaucoup vu Jackson ces derniers temps, lui comme moi avions nos occupations, pour ne pas dire nos préoccupations. Pour le moins, dans mon cas, puisque j’avais le sentiment de vivre avec un fusil à bout portant pointé sur le cœur depuis plusieurs jours maintenant. J’étais d’un tempérament très optimiste en tant normal, et c’était sans doute ce qui me préservait aujourd’hui. Je n’avais clairement pas la forme, mais je refusais de me morfondre au fond de mon lit pour autant. La vie était dure, elle donnait des revers et des putains de coups droit dans le bide, mais il fallait faire avec, serrer les dents, encaisser. Se relever, surtout se relever, si par malheur on posait le genoux à terre. Du moins…quand on le pouvait.
— Jacks, attends…
Je soufflai comme un bœuf, mes poumons étaient douloureux, comme si des cristaux de verres écharpés s’étaient infiltrés dans ma gorge pour parvenir jusqu’à eux. Nous courrions à un rythme soutenu depuis plusieurs minutes déjà et j’avais beau être plutôt sportive et assez endurante en temps normale, j’avais du mal à encaisser le point de côté qui me coupait en deux. La main sur un côté, sous ma brassière, je tâchai de contrôler mon souffle, grimaçant à chaque inspiration. Jackson n’avait pas se problème lui, il ne courrait pas, il volait presque, ses foulées le faisant rebondir sur le sol comme une gazelle.

Tu t’étais réconcilié avec Brooke, récemment, et vous aviez même commencé à parler de remonter ensemble dans les airs pour des spectacles peut-être rien que pour vous, peut-être éventuellement pour les yeux des autres. C’était encore flou, parce qu’il y avait plusieurs autres facteurs dans cette décision, mais dans tous les cas ça t’avait donné une motivation toute particulière à reprendre l’entraînement. C’était donc avec plaisir que t’étais sorti courir avec Lys, parce que même si ça pouvait en surprendre plus d’un et vous les premiers, vous étiez bons à autre chose qu’à toujours finir par coucher ensemble. Quoique … la journée était encore jeune. Tu t’arrêtas dans ta course lorsque Lys te demanda d’attendre. T’avais eu le temps de faire quelques mètres de plus avant que l’information ne se rende à ta tête et que tu te stoppes. Tu te retournas vers elle, qui était penchée vers l’avant, essoufflée. « Ça va ? » Demandas-tu en sachant fort bien que si elle prenait la question d’une manière bien générale et pas que pour le moment actuel, elle te répondrait que non. T’avais bien vu que Lys n’était pas en forme, et pas au niveau sportif mais bien au niveau émotif. Tu n’étais pas rentré dans le vif de ce sujet-là, encore. Se vider le cœur tout en se vidant l’oxygène à la course, ce n’était peut-être pas le meilleur mélange. « On devrait terminer ça à la marche, ça fait un bon moment qu’on court déjà. » Dis-tu en jetant un coup d’œil à ta montre de suivi qui indiquait ton rythme cardiaque, les kilomètres parcourus, etc. Un de tes derniers achats pour te motiver à te remettre dans ta forme d’avant.

En temps normal, courir m’aidait à évacuer. Courir ou n’importe quelle autre activité physique d’ailleurs – le sexe en faisant partie. Mais je n’y arrivais plus. Mon corps ne se leurrait plus, et mon esprit, ce fourbe, encore moins. Je n’arrêtais pas de penser, de me refaire la scène chez Azriel, de me remémorer les mots que je lui avais balancé à la figure. Je savais tout au fond de moi que ces mots-là étaient sortis pour une bonne raison. Si j’avais continué à les garder en moi, ils auraient fini par me ronger de l’intérieur et mon cœur aurait fini à l’état de raisin sec. Je savais tout ça. Je savais pourquoi je n’avais pas pu me taire, pourquoi j’avais sorti toute cette colère. Pour autant, je n’étais pas à l’aise avec l’idée d’avoir fait souffrir Azriel. Je me détestais même pour ça. Je me trouvais faible, pathétique…odieuse. J’aurais dû être assez forte pour tout garder à l’intérieur. Courir, qui plus est en compagnie de Jackson, aurait du me changer les idées, mais ça n’avait pas été le cas. Tandis que je crachais mes poumons, coupée en deux par un point de côté, tout me revenait en pleine face comme un boomerang. Jacks proposa de continuer à pied, je levai le nez vers lui, peinant à retrouver mon souffle.
— Ouais…ok.
Mon corps était d’accord, il avait atteint ses limites et me le faisait clairement savoir. Mais marcher avec un ami induisait une discussion. Forcément. Et je n’étais pas certaine d’être tout à fait prête à parler. Jackson n’était pas dupe, je sentais bien qu’il se doutait que je n’étais pas au mieux de ma forme. Je redoutais un peu ses questions en réalité.
— Mais…t’as assez couru toi ? Je veux pas te ralentir.

Tu hochas la tête quand Lys accepta de terminer votre parcours à pieds. De toute façon, la récupération était tout aussi importante, alors même si vous marchiez quelques minutes de plus que prévu, c’était bénéfique aussi. Tu posas tes mains sur tes hanches en commençant à marcher lentement, en massant un point que t’avais au ventre parce que t’avais arrêté de courir trop abruptement. Lys se remit à son tour à marcher à tes côtés et te demanda si t’avais assez couru, ne voulant pas te ralentir. « Oh, ouais, t’en fais pas pour ça. Je pense que mon corps va te remercier en fait. » Tu lui souris. Tu ne disais même pas cela pour la déculpabiliser. Depuis que t’avais cette motivation naissante en toi, tu repoussais tes limites et sans doute que le fait de remettre tes muscles à un entraînement aussi intense, aussi vite, n’était pas forcément bon. C’était la première fois que tu prenais une pause aussi longue de ton training strict et ardu, et tu ne pouvais pas t’attendre à ce que ton corps reprenne le rythme en un claquement de doigts. Le silence s’installa entre Lys et toi, et tu lui jetas un rapide coup d’œil, avant de déclarer : « J’te forcerai pas à me parler de ce qui ne va pas, parce que je respecte le fait que t’en aies pas envie, si c’est le cas. Mais j’vais quand même continuer à marcher à côté et si jamais tu voulais m’en parler, bah je suis là et j’écouterai. » Tu glissas ta main dans la sienne. « Je t’aime et je me fais du souci pour toi. » Ajoutas-tu, juste pour qu’elle sache que tu ne sortais pas ça de nulle part, cette histoire de se confier. T’avais bien remarqué qu’elle n’allait pas bien et tu t’inquiétais pour elle.

Normalement, les moments que je passais avec Jackson étaient doux, ressourçant…légers. Cette fois-ci fit exception et pourtant mon ami n’y pouvait rien. J’avais pensé, à tort, que courir m’aiderait à retrouver une humeur plus joyeuse, mais je me voilais la face, une fois de plus. J’avais refoulé mes émotions trop longtemps et à présent qu’elles étaient sorties - avec une extrême violence, jetées à la figure d’Azriel qui plus est - je ne parvenais plus à faire comme si elles n’existaient pas. Nous décidâmes de marcher un moment, Jackson et moi. Histoire d’apaiser notre rythme cardiaque et de reprendre un souffle normal. Nos muscles aussi, avait besoin d’être détendu après l’effort. Pendant un moment, je ne parlais pas, même si mes pensées étaient, elles par contre, en ébullition. Jackson ne se laissa pas duper, il me connaissait trop bien pour ne pas remarquer que je n’étais pas franchement dans mon assiette, il ne tarda pas, d’ailleurs à m’offrir une oreille attentive. Il ne voulait pas me forcer à parler, mais il souhaitait que je sache que je pouvais le faire, si jamais j’en ressentais le besoin. Ma gorge se serra, mais je gardais le silence, jusqu’à ce que mon ami ne glisse sa main dans la mienne. Là, je relevai les yeux vers lui et reçu « je t’aime et je me fais du soucis pour toi » en pleine poire. D’ordinaire, j’aurais souris, lui aurais caresser la joue avec tendresse puis lui aurait répondu que moi aussi, je l’aimais. Pas cette fois. Cette fois, je n’entendis pas la marque d’affection amicale qui existait entre nous en temps normal, je n’entendis même pas la voix de Jackson. J’entendis ces mots qu’Azriel n’avait pas su me dire. Ces mots qui me manquaient cruellement. Je n’arrivais pas à les contrôler, ces larmes qui se mirent d’un seul coup à couler sous mes yeux, traçant des sillons humides sur mes joues. Automatique, j’allais chercher l’étreinte de Jackson, me jetant dans ses bras, cherchant le réconfort dont j’avais besoin. Je nichai le nez au creux de son cou et pleurai à chaudes larmes, sans parvenir à m’arrêter.

T’étais là pour l’écouter, pour la consoler, tu le lui fis comprendre mais un silence s’ensuivit. Tu ne lui jetas d’abord qu’un coup d’œil, pour voir que son regard était rivé vers vos pieds qui avançaient d’un rythme au départ soutenu, puis un peu plus lent. Vos rythmes cardiaques avaient au moins eu le temps de reprendre une cadence normale. Puis, sans vouloir en rajouter puisque Lys ne voulait visiblement pas en parler, tu ne fis que lui dire que tu l’aimais et que tu t’inquiétais pour elle. Rien que ça, ça n’aurait été rien d’autre que ça, si Lys ne s’était pas arrêtée pour lever un regard tellement triste vers toi pour ensuite éclater en sanglots. Tes yeux s’assombrirent à ton tour, parce que tu ressentais son chagrin et ça te faisait mal de la voir dans cet état-là. Les larmes roulaient le long de ses joues et si elle ne s’était pas plaquée contre toi à ce moment-là, c’est toi qui te serais lancé sur elle pour l’entourer de tes bras. Alors qu’elle cachait son visage humide dans ton cou, tu la pressas contre toi d’un bras, ton autre levé vers sa tête pour permettre à ta main de jouer dans ses cheveux. Tu les caressais, les emmêlais dans tes doigts, geste qu’elle aimait tant que tu lui fasses lorsque vous étiez allongés sur son canapé qui avait reçu tant de vos ébats. « Let it all out. » Soufflas-tu. Tu restas là de longues minutes, tu ne les comptas évidemment pas mais le temps semblait s’être suspendu. Tu remarquas bien vite, cependant, que le reste du monde n’arrêtait pas de tourner. Vous étiez au beau milieu du sentier et les marcheurs comme les coureurs devaient vous contourner en arquant les sourcils à chaque fois. Tu te foutais bien de ce qu’ils pensaient mais il était vrai que vous étiez un peu dans le chemin. Tu t’écartas légèrement de Lys que pour lui dire doucement : « Viens, viens t’asseoir. » Tu repris sa main et la guidas vers le banc à quelques mètres de vous. Tu t’assis, te rapprochas plus d’elle encore quand elle s’assit à son tour. « Est-ce qu’il y a quelque chose, n’importe quoi, que je puisse faire ? » Demandas-tu.

La chaleur des bras de Jackson était réconfortante. Je me laissai complètement aller à cette étreinte, incapable de retenir le flux de mes larmes. Si j’étais quelqu’un d’assez sensible, qu’il était facile de me voir renifler devant un film, il était en revanche plus rare de me voir démontrer mes faiblesses. Et c’était clairement ça, ici. Je n’étais pas sûre que Jackson en ait déjà été témoin, car en général, les moments que nous partagions ensemble étaient plutôt joyeux et légers. Là, je m’en remis complètement à lui, ne calculant rien de ce qui se passait autour de nous ; je n’avais pas la moindre conscience des gens qui nous passaient à côté. Aussi, quand Jackson proposa d’aller s’asseoir plus loin, je le suivis par automatisme, comme dans un état second. Une fois, installée sur le banc, Jackson vint près de moi et me demanda s’il pouvait quelque chose pour moi. Si seulement… Je n’étais pas sûre de savoir determiner ce dont j’avais réellement besoin, mon esprit était tellement embrouillé. Son étreinte m’avait déjà fait du bien, il fallait simplement que je me ressaisisse.
— Non, t’y peux rien, fis-je en reniflant.
Personne n’y pouvait rien, en réalité. Pas même Azriel. Mes états d’âme n’étaient en rien sa faute. Il fallait juste que j’apprête à les gérer, à ne pas les laisser m’envahir. Je levai les yeux vers Jackson et la bienveillance qui se dégageait de lui me fit sourire. Je lui devais une explication, pour ne pas qu’il s’inquiète de trop du moins. Le problème, c’était que je ne savais pas vraiment par quel bout commencer.
— C’est un bête chagrin d’amour, en fait…
Le résumé était très succinct, mais c’était à peu près ça. Me l’entendre dire me fit prendre conscience à quel point j’étais ridicule. Je lâchai un rire amer.
— Putain, mais on dirait que j’ai seize piges, c’est pathétique !

T’avais déjà vu le regard de Lys brillant, mais jamais parce qu’il miroitait la tristesse, voilé par des larmes. T’avais déjà vu l’émotion dans ses yeux, mais seulement en raison de récits rapportés, jamais parce qu’elle se laissait elle-même submergée par ce que son cœur saignait. Elle était une femme sensible mais jusqu’à maintenant ça ne s’était reflété que dans sa compassion pour les autres. Et ça te faisait tellement mal, cette première fois à la savoir si triste, si seule. Parce que t’avais beau l’avoir tout contre toi, dans tes bras, t’avais l’impression qu’elle était à des kilomètres. Lys était prisonnière d’un chagrin que tu ignorais et tu ne savais pas comment la ramener à toi, au ici et maintenant. Le mieux que tu pouvais faire c’était de la guider jusqu’à ce banc où votre bulle n’interférait au moins pas avec les activités des autres passants. Tu te rapprochas d’elle et lui demandas ce que tu pouvais faire pour elle. T’avais l’impression que c’était mieux de directement le lui demander, plutôt que d’essayer de deviner et de faire un faux-pas. Elle savait mieux que quiconque ce dont elle avait besoin, et tu voulais tenter de le lui donner, du mieux que tu le pouvais. Malheureusement, Lys t’affirma que tu ne pouvais rien faire. Tu fis la moue, triste de la voir aussi défaitiste, et avec ce sentiment d’être tellement inutile, impuissant. « Si jamais ça change, je suis là … » Dis-tu quand même, parce que tu serais toujours là pour Lys, c’était une certitude à présent. Finalement, après quelques secondes à se replacer les idées, la jeune femme t’avoua que tout ça c’était un bête chagrin d’amour, et elle semblait en avoir honte. Tu soupiras doucement, passant ton bras derrière le dossier du banc. « À seize piges on ne sait même pas pourquoi on pleure en vrai. » Rares étaient les personnes qui connaissaient le véritable amour à cet âge-là. Il y en avait, bien sûr. Mais ce n’était pas la majorité. « Ne réduis pas ce que tu ressens à un bête chagrin d’amour, Lys. » Ajoutas-tu, avant de dire : « Tu sais, quand j’suis arrivé ici et que Brooke m’a dit qu’elle était l’assistante de Sacha, maintenant, et qu’elle avait arrêté les acrobaties, j’ai été dévasté. On était peut-être pas un couple elle et moi mais j’ai quand même vécu une peine d’amour. Brooke, elle a longtemps été tout pour moi. Et j’me suis senti tellement seul … » Avouas-tu. « Tout ça pour dire que j’ai pleuré, j’ai voulu tout casser, … » Un sourire se dessina sur tes lèvres. « Et j’l’ai fait d’ailleurs. Tu sais qu’y’a un endroit pas loin d’ici où tu paies pour pouvoir casser plein de trucs dans une salle faite pour ça ? » Et si Lys avait envie de se défouler, tu l’accompagnerais volontiers.

Je savais que je pouvais compter sur Jackson. Il n’avait pas besoin de me le dire, ce qu’il y avait entre nous était implicite et se passait souvent de mots. Malgré tout, je ne voulais qu’il se fasse mon porte-douleur, je ne voulais pas que ce poids ce répercute sur ses épaules. Sa compassion me touchait malgré tout.   Mais je n’aimais pas l’état dans lequel je me mettais, préférant minimiser les choses, comme si ce que je ressentais ne devait pas avoir de place. Je savais, pourtant, au fond de moi, que ce chagrin n’était pas bête et au contraire parfaitement légitime, ce n’était simplement pas facile à avouer.
— Pas faux…, fis-je en hochant la tête.
À seize ans, en effet, on vivait les choses différemment, à fleur de peau souvent. Pour autant, je n’étais pas sûr que l’âge change grand chose lorsqu’il était question d’amour. Cela dit, je n’étais pas vraiment une experte. J’écoutais Jackson me raconter ce que lui-même avais ressenti, en retrouvant Brooke, sa partenaire acrobate, ici, alors qu’elle était visiblement en couple avec un autre homme et qu’elle avait, qui plus est, abandonné le tissu. Je me retrouvais dans les mots de mon ami et me sentis aussitôt bien moins ridicule, et quand il évoqua l’option d’un défouloir, je lâchai un petit rire.
— Ouais, je connais cet endroit, rigolai-je. J’y suis allée…après que mon père m’ait apprit sa maladie. Ca calme…pendant un temps
J’en avais sans doute besoin. Taper sur des trucs avec une batte de baseball pouvait sans doute m’aider à libérer quelques tensions. C’était mieux que de tout garder à l’intérieur en tout cas.
— Et tu gères comment, avec Brooke, maintenant ?

T’avais raconté ce que t’avais vécu avec Brooke en toute sincérité, sachant fort bien que ça ne se comparait pas mais que les sentiments pouvaient tout de même être douloureux dans un cas comme dans l’autre. Certes, t’avais jamais été en couple avec Brooke, on ne pouvait même pas dire que vous aviez été amoureux tel qu’on le décrit par l’amour avec un grand A. Ça n’avait jamais été simple, entre Brooke et toi, jamais parfaitement dessiné, jamais tout à fait bien décrit. Votre relation était belle, intense, et étrangère aux yeux des autres qui ne pouvaient mettre de mots sur ce que vous étiez. Alors quand elle t’avait semblée s’effondrer, cette relation, t’arrivais même pas à récupérer les quelques morceaux qu’il en restait, parce que vous étiez un casse-tête dont les pièces ne se recollaient pas d’une seule main. Ces pièces, plutôt que de tenter de les rafistoler, t’avais préféré les briser encore plus en allant déverser ta rage sur des objets pleins, complets, et les fracasser pour qu’il n’en reste rien, comme Brooke et toi à l’époque. Lys lâcha un tout petit rire en t’entendant parler de cet endroit où l’on paye pour se défouler. Tu souris à ton tour, avant de hocher la tête quand elle te confia y avoir été après avoir appris pour la maladie de son père. « Pendant un temps, oui. J’connais pas d’autres formules miracles. » Admis-tu à regret. Lys te questionna alors sur ta relation, maintenant, avec Brooke. Sur ta manière de gérer ce que vous étiez, ce que vous n’étiez plus, aussi. Tu haussas les épaules. « On s’est réconciliés et j’ai l’impression que tout est redevenu comme avant, mais … J’sais, au fond de moi, qu’on fait juste retarder le moment où on devra redéfinir c’qu’on est. Brooke et moi, on ne sera jamais ensemble. Mais j’avais jamais pensé, avant d’arriver à Bowen, qu’on pourrait par contre ne plus l’être, un jour. » Tu fronças les sourcils. « J’sais pas si ça fait du sens, ce que je raconte … » Et surtout, tu doutais que ça aide Lys en quoi que ce soit.

L’un des points communs que nous partagions, Jackson et moi, était cette faculté à rester positifs et surtout à chercher les solutions pour se sentir mieux, plutôt que de s’apitoyer. Non, les solutions miracles n’existaient pas, et nous en avions conscience, l’un comme l’autre. Je savais pertinemment que j’avais le droit de m’appesantir un petit moment sur mes tracas, j’avais le droit de ressentir de la tristesse ou de la colère, mais je mettais un point d’honneur à en faire des moteurs et non des boulets accrochés à mes chevilles. J’avais le sentiment que l’acrobate était fait du même bois que moi, et cela me réconfortait de sentir qu’il me comprenait parfaitement. Cette similitude, dans la manière de gérer et d’accompagner nos émotions, était probablement l’une des choses qui faisait que nous nous entendions si bien. Par ailleurs, les mots qu’il employait, sa manière de décrire sa relation avec Brooke faisaient étrangement écho avec mes propres pensées. « je n’avais pensé ne plus être avec Brooke  » avait-il dit plus ou moins, quand bien même il n’avait jamais été en couple avec elle, leur relation fusionnelle avait pris un coup lorsque cette dernière s’était mis en couple et avait, qui plus est, abandonné le tissu. C’était aussi ce que je ressentais pour Azriel. Lui et moi n’avions jamais été ensemble de cette manière là…pourtant, je n’imaginais pas que nous puissions être séparés non plus, que notre relation puisse être effacée ou même modifiée et c’était pourtant ce qui était en train de se passer. D’un geste tendre, je collai ma joue à l’épaule nu de Jackson, puis soupirai.
— C’est plus facile quand on n’a pas besoin de définir les choses commentai-je avec nostalgie. mais il faut se rendre à l’évidence, je crois. Arrive un moment où le flou ne suffit plus, et si on ne prend pas les devant bah…quelqu’un prendra notre place.
Distraitement, je posai les lèvres sur la peau de Jackson et respirai son parfum qui me rassurait.
— Je croyais que je n’avais pas besoin de définir ce que je ressentais pour Azriel, que ce qu’il y avait entre nous se passait de mots…mais j’avais tort. Les mots ont un pouvoir que le silence ne pourra jamais surpasser. J’aurais du lui dire que je l’aimais…avant. Je lui ai dis trop tard, et en plus, je lui ai fait du mal…

La différence était que toi, t’étais pas amoureux de Brooke. En tout cas, pas de la manière que les autres s’attendent à ce qu’on définisse l’amour. Tu l’aimais, certes, d’un sentiment indescriptible et presque inégalable, mais ce n’était pas de l’amour au sens propre, pas l’amour qui fait que tu voudrais construire une vie rien qu’avec elle, que tu voudrais t’unir à tout jamais en vous passant la bague au doigt ou en construisant des projets d’enfants et de maison au bord de la plage. Tout cela te faisait sourire si tu y pensais, certes. L’idée était belle, l’idée était douce. Mais Brooke et toi, vous n’aviez jamais fait dans cette monogamie, et c’est peut-être ce qui t’avait le plus secoué à ton arrivée à Bowen. Que la rousse soit exclusive avec un autre. Que t’aies plus le droit de la toucher, que même remonter dans les airs avec elle aurait pu être source de jalousie pour cet autre. Tout d’un coup, t’avais réalisé que vous ne pourriez pas rester, à tout jamais, en parfait équilibre sur cette ambiguïté. C’est cette partie-là qui miroitait le mieux la situation de Lys et Azriel, qui semblaient avoir valsé si longtemps sur cette même ligne floue, avant que l’un ne traverse de l’autre côté, laissant l’autre seul, confus, triste. C’est cet autre que tu avais devant toi. Une Lys seule, confuse et triste. T’étais d’accord avec elle. Le mieux était de ne jamais définir les choses. Mais était-ce possible ? Vous pensiez tous les deux que non, à regret. « Je pense que tu as raison … » Soufflas-tu seulement, avant qu’elle ne reprenne, parlant directement d’Azriel pour la première fois aujourd’hui. Ses mots effleuraient ta peau, ses lèvres les murmurant contre celle-ci. « Tu ne pouvais pas savoir qu’il avait besoin, lui, que des mots soient mis sur ce que vous êtes. » Tu soupiras doucement, avant de froncer tout légèrement les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux dire par là, que tu lui as dit trop tard et que tu lui as fait du mal ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Pour comprendre ce que Lys vivait, encore fallait-il que tu sois un minimum au courant de ce qui s’était passé, ce qui n’était actuellement pas du tout le cas.

Un bout de phrase me marqua dans le discours de Jackson. « Tu ne pouvais pas savoir ». Je tiquai. Si…j’aurais du savoir, j’étais censée savoir. Azriel et moi nous connaissions, presque par coeur, depuis huit ans maintenant. Ces huit années d’amitié avait forgé une complicité incroyable et nous avions cru pendant longtemps pouvoir nous passer de mots. S’en passer pour décrire notre relation notamment, mais aussi pour communiquer. On avait eu tendance à dire que nos silences étaient suffisant, que nous nous comprenions sans avoir besoin d’ouvrir la bouche. C’était faux. En partie…ce que nous étions en train de vivre le démontrait. Azriel n’avait pas deviné les sentiments que je ressentais pour lui, mais était-ce vraiment sa faute ? Je n’avais eu conscience de leur véritable nature, moi-même, que très récemment.
— C’est moi qui en avait besoin, rectifiai-je, lui…lui a toujours été très libre. Il n’a jamais voulu se mettre dans de case et c’est l’une des choses que je préfère chez lui. Enfin…ça, c’était avant Sasha. Elle est cool, cette fille. Et magnifique, c’est pas la question. C’est juste que voir Azriel dans un couple exclusif, ça…
Je soupirai, ne sachant comment exprimer clairement ce que je ressentais face à tout ça. J’avais retourner tout ça dans ma tête pendant des heures, pleuré presque à chaque fois que j’y pensais mais c’était encore difficile à exprimer à voix haute. Décidément, les mots n’étaient pas mon fort ces derniers temps.
— Je me sens…mise à l’écart, relayée au second plan. Je sais qu’Azriel ne pense pas comme ça. Il dit que j’ai toujours une place dans sa vie, mais on dirait qu’il ne voit pas ce qui a changé.
C’était difficile à expliquer, à nouveau. Mais c’était ce que je ressentais.
— Je lui ai dis que je l’aimais, mais pas seulement…ça a été assez violent. J’ai du mal à me souvenir des mots exacts mais…j’ai le sentiment de lui avoir fait du mal. Alors qu’il n’ a rien fait de mal…il est amoureux d’une autre, c’est tout.

T’avais appris, parfois avec des coups durs, qu’on ne peut jamais connaître pleinement quelqu’un. Connaître l’autre par cœur, c’était une belle poésie mais ce n’était que ça, une douce métaphore qui relevait un peu trop de l’imaginaire romantique. Après des années aux côtés de Brooke tu pensais que tu pouvais tout comprendre et tout prédire d’elle, mais la dernière année t’avait prouvé tout le contraire. Peut-être que Lys venait d’atteindre ce stade, ce mur invisible, qui la confronterait à l’évidence : il y avait des parts d’Azriel qu’elle ne pourrait pas saisir. Lys rectifia cependant ton discours, affirmant que c’était elle qui avait eu besoin de définir leur relation, au fond. Tu hochas la tête, écoutant ses explications. « Et il en dit quoi, lui, de s’être mis dans une case ? C'est ce qu'il pense aussi ? » Réalisait-il qu’il s’était éloigné de ce qu’il avait toujours dit être ? Était-il sur son petit nuage, ou bien était-il en train d’évoluer en tant qu’humain ? Ça te peinait de savoir que cette évolution-là ne se faisait pas aux côtés de Lys. T’aurais parié que ce serait auprès d’elle qu’il ouvrirait les yeux sur autre chose. Tu n’imaginais donc même pas le coup que Lys venait de prendre, si toi-même t’en étais choqué. Tu questionnas finalement ton amie sur ce qui s’était vraiment passé. Tu ne voulais pas nécessairement tous les détails mais au moins comprendre un peu mieux ce qui avait été dit. Tu devais avouer que sa réponse te laissait encore un peu dans le flou. Elle-même avait l’air d’y être. Tu déglutis, cherchant surtout un contact physique pour assurer une présence rassurante. « J’espère que ça se replacera, entre vous … Peut-être pas exactement comme avant mais que vous arriverez à vous retrouver. Je sais que t’as besoin de lui, et comment tu parles de lui, j’pense qu’il a besoin de toi aussi. » Et pour le reste, tu espérais que le temps aiderait Lys à avoir moins mal. Les prochains jours, les prochaines semaines, peut-être même les prochains mois, seraient difficiles. Tu te promis de prendre souvent de ses nouvelles.

Je n’étais pas certaine que l’idée d’être mis dans une case plaisait vraiment à Azriel, mais il l’acceptait. Il l’acceptait parce que ça faisait parti du package et qu’il avait décidé, pour une fois, de jouer le jeu de la monogamie avec une femme qu’il aimait vraiment. Il m’avait confié à quel point Sasha était importante pour lui et sa volonté de faire cet effort-là.C'était suffisant sans doute.
— Je crois…qu’il s’en accommode. Puis il est heureux, je pense. On fait tous des choix, non ?
Quand on avait une philosophie de vie comme celle d’Azriel, il était aisé, parfois, de se sentir en marge de la société. J’en savais quelque chose puis que la mienne s’en rapprochait assez et l’italien n’y était pas pour rien, puisque je m’étais construite auprès de lui. Je me demandais si Az n’avait pas voulu un peu de simplicité pour une fois, s’il n’avait pas cherché l’accès à un bonheur simple quitte à laisser derrière quelques unes des convictions qui lui avait valu quelques situations désagréables par le passé. Je soupirai, perdue dans mes pensées quand mon attention fut à nouveau attiré par Jackson qui prit la parole.
— Ouais…t’as peut-être raison. Pour le moment…
Je me coupa pour réfléchir un instant, avant de reprendre :
— Pour le moment ça me parait compliqué.
L’absence d’Azriel dans ma vie, même si elle était le résultat d’une demande que j’avais moi-même formulée, était difficile à supporter. Cela créait un vide en moi que rien, pas même la présence d’ami cher comme Jackson, ou le réconfort de Beth ne pouvait combler. Mais il me fallait faire avec pour le moment. Jackson avait peut-être raison, le temps jouerait peut-être en ma faveur. Après un court silence, je me levai doucement du bas et me tournai vers mon ami pour embrasser sa joue.
— Merci de m’avoir écoutée. Je vais rentrer je crois…et peindre un peu, ça me changera les idées. Tu devrais passer d’ailleurs, j’ai presque fini ton portrait !

On peut clôturer là, si tu veux