C'est une bonne situation ça scribe ?

Ayl s'est installée à Bowen depuis quelques semaines. Installée, le mot est peut-être un peu exagéré. Elle a pu louer une parodie de studio qui ressemble à la chambre d'Harry Potter quand il est installé "royalement" sous l'escalier de sa pseudo famille. Vu ce qu'elle a rapporté comme argent de son travail interminable en Italie, il faut bien commencer quelque part. Surtout pas trop bas non plus. Ayl s'est donc mise au travail pour se trouver des clients et n'a pas eu le temps de visiter les lieux en dehors de l'administration, des endroits pour remplir le frigo, d'un docteur au cas ou, d'un coiffeur. Ce genre de choses. Les trois premières semaines passent très vite quand Ayl commence à contacter ses clients potentiels dans sa zone de chalandise. Il se trouve que son travail d'introduction à un site commercial est apprécié mais la crise liée aux incendies qui ont ravagé le pays … Comment dire. Elle est passée par là. La crise. Alors ça ne le fait pas, parce que Ayl a besoin d'argent pour vivre, qu'elle ne peut pas travailler pour rien. Ce matin-là, pile un mois depuis son arrivée dans cette charmante petite communauté, Ayl se rend d'assez bonne heure à la maison où un artisan vit et travaille, et il a un associé, et ils vivent tous les deux ici. Ils sont peut-être en couple mais si c'est le cas, Ayl n'est pas homophobe. Elle râle juste quand l'un d'eux a l'air d'être un bon coup tout comme une homosexuelle doit raler en comprenant qu'Ayl n'a aucune attirance pour les autres femmes.

Elle pense que ce quartier a l'air paisible et que cette maison semble être propice à un travail en toute sérénité. Ayl travaille mieux quand elle travaille sereinement. Le travail dans le stress est moins productif. Encore moins propice à la créativité. Ayl range son vélo dans l'allée et le cadenasse même s'il y a très peu de risque qu'on lui vole mais elle est toujours prudente même quand ça ne risque rien. C'est là qu'il peut y avoir un risque. Elle range dans son sac à dos antichocs son casque qui a le design d'un bonnet d'aviateur avec ses gros hublots. En plus solide en cas de chute. Ayl se recoiffe, lisse sa longue robe bleu ciel fendue sur les cotés sinon ce ne serait pas pratique pour pédaler, lisse aussi sa petite veste légère en simili cuir et se sentant prête, respire un bon coup et appuie sur la sonnette d'un air déterminé puis la sonnette annonce elle-même son arrivée avec détermination. Puis un DILING-DILING a plus de classe qu'un DRELIN-DRELIN de clochette, sauf quand on n'a pas appuyé dessus avec détermination.

Asl faisait toujours bonne figure, au moins en famille mais son moral était au plus bas. Quand il avait appris que Mei avait retrouvé son premier amour qu'elle avait pensé emportée par le virus inconnu de l'an dernier mais que c'était en fait une erreur de l'administration, le jeune homme avait été satisfait pour elle avant de le replonger dans la déprime. La famille et le sport le faisaient tenir et continuer à mener une vie saine, équilibrée mais à bien y réfléchir, il avait l'impression que son cœur faisait "tic tac" mais qu'il ne ressentait plus grand chose, un peu comme s'il était intoxiqué au "Soma" du film Equilibrium, cette drogue qui empêchait de ressentir de la peine mais aussi toute joie. Ce matin-là, il rentrait de sa séance de sport quotidienne qui consistait surtout en un travail d'endurance. La maison était alors vide et le néo-zélandais prenait une douche toujours bienvenue à ce moment-là. Il enfilait un bas de survet' et s'apercevait qu'il lui manquait le T-shirt mais avant d'aller le chercher et tout en se séchant les cheveux avec sa serviette, il regardait qui venait de sonner, la porte d'entrée en partie transparente l'y aidant. C'était du plexiglas déformant mais ça lui donnait déjà une bonne idée de la personne se trouvant derrière et il croyait reconnaître Ais. Une jeune femme ayant la même taille, la même silhouette et de longs cheveux blonds, c'était elle pour lui aussi lui ouvrait-il la porte en continuant de se sécher les cheveux.

"Tu as oublié tes clefs ?"

Lui demandait-il en lui retournant le dos vu qu'il s’apprêtait à aller chercher un haut. Ca ne dérangeait pas sa frangine de le voir torse nu mais ça n'était pas une raison pour se balader ainsi dans la maison, ou très brièvement.

Quelqu'un vient ouvrir, il s'agit d'un homme qui est en train de se sécher les cheveux et ne lui adresse même pas un coup d'oeil. Ca surprend Ayl tout autant que par le peu de tissu que porte cet homme aussi jeune qu'elle.

- …

Ayline ouvre la bouche pour parler puis la referme et déglutit parce que s'il ne la voit pas, elle le voit parfaitement. Autant elle ne raffole pas des bodybuildés avec leurs veines ressortant sur leurs muscles hypertrophiés, autant la fine musculature de ce jeune homme est … Comment dire … Appétissante pendant que ses muscles roulent sous sa peau alors qu'il frictionne en faisant mine de s'en aller. C'est là qu'elle comprend qu'il a du confondre avec quelqu'un d'autre et qu'elle retrouve la parole. C'est le plexyglas de la porte d'entrée qui a du le leurrer.

- Bonjour … Je crois que vous m'avez confondue avec quelqu'un d'autre ...

Elle a pu dire ces quelques mots et peut donc continuer avec plus d'assurance, ce qu'elle fait. Ayl est là pour affaire, pas pour admirer le postérieur de celui qui vient de lui ouvrir. Un beau petit cul.

- Je suis Ayline Sullivan et vous devez être Isaiah, enchantée. Je viens vous voir pour vous montrer un aperçu de ce que pourrait être votre site web top qualité sur la vente de vos produits manufacturés.

Dit-elle alors que le jeune homme s'est figé et la regarde sous un nouveau jour, c'est-à-dire comme une inconnue qu'il vient de faire entrer chez elle en la prenant pour quelqu'un d'autre qui lui ressemblerait ? Déduction. Il a ouvert en lui demandant si elle avait oublié se clefs, ce qui signifie qu'une femme vit aussi ici. Si ça se trouve, ce mâle n'est pas homosexuel mais marié avec une blonde aux cheveux longs, a peu près de la même taille et avec la taille fine comme elle. Même s'il n'y a pas que la beauté qui compte, oh la veinarde.

Asl se figeait quand la jeune femme parlait parce que ça n'était clairement pas la voix d'Ais. Le jeune homme se tournait lentement vers elle, interrompant son geste pour essuyer ses cheveux et il contemplait l'inconnue, étant donné qu'il rencontrait cette personne pour la première fois. Le plexiglas l'avait trompé, cette jeune femme était blonde aux cheveux longs, svelte et aussi grande que Ais mais elle n'était pas sa frangine. Du coup elle était également surprise par la réaction du jeune homme et elle lui disait qu'il l'avait confondue avec quelqu'un d'autre. Il y avait bien sur erreur sur la personne mais Asl la laissait continuer et se présenter. Elle s'appelait Ayline Sullivan et visiblement, elle avait confondu "report de rendez-vous" avec "annulation de rendez-vous".

"Bonjour, désolé, je vous ai confondu avec ma grande sœur, Ais … Je veux dire Aisling mais je l'appelle Ais. Je vous ai confondue avec elle en regardant à travers le plexiglas."

Sans ça, il était clair qu'il n'y avait pas de méprise entre elles. Les deux femmes n'avaient pas le même visage ni la même expression dans le regard. Ca n'était pas qu'Ais n'avait pas un beau regard, loin s'en fallait mais Ais oubliait de respirer pendant quelques secondes quand il plongeait son regard dans celui captivant de la jeune femme puis il se ressaisissait avant de poursuivre :

"Je ne suis pas Isa … Je veux dire Isaiah, c'est le compagnon de ma sœur et je travaille depuis peu avec lui à l'atelier. Venez vous asseoir dans le salon, je vais passer un T-shirt et je reviens. Vous voulez que je vous ramène quelque chose à boire de la cuisine ?"

Demandait-il avant de lui proposer de s’installer confortablement sur le canapé et il allait se passer rapidement quelque chose sur le dos.

Le jeune homme répond à Ayl qu'il est désolé, qu'il l'a confondue avec sa grande sœur en se fiant à la porte d'entrée. Comme elle le supposait, elle doit ressembler vaguement à l’aînée. Il ajoute ensuite qu'il n'est pas Isaiah mais sans se présenter mais c'est sans doute parce que la situation n'est pas anodine.

- Pas de problème. Oui, il ne faudrait pas que vous preniez froid.

Miam miam, des tablettes de chocolat.

- Pardon ? Oh, je vous suis et à cette heure, je prendrais bien un chocolat chaud si ça ne vous dérange pas.

Elle se demande s'il ne vaudrait pas mieux aller dans la cuisine alors mais ne le dit pas pour ne pas s'imposer. Elle ne le suggère même pas vu que pour certains, c'est déjà la preuve d'une influence et même d'une manipulation. La jeune femme regarde tout autour d'elle en le suivant.

- C'est drôlement mignon ici. C'est bien de vivre avec sa famille. L'union fait la force et … Aaaaah !

Ayl a trouvé le moyen de buter sur une micro marche, elle tombe en avant et se retrouve l'instant dans les bras musclés du jeune homme qui l'a prévenue une fraction de seconde trop tard mais a anticipé visiblement sa chute.

- Marche. Merci. Non non ça va, c'est moi. Ca doit être rare de trébucher ici, même pour une personne non avertie. Vous rendre votre bras ? Bien sur.

Dit-elle en lâchant en lui tâtant peu discrètement le biceps au passage.

- Vous avez une activité sportive vous aussi.

Il la laisse alors dans le salon mais elle ne s'assoit pas, préférant chercher du regard des photos de cette famille. Il y en a deux montrant le jeune homme et probablement sa sœur ainsi que leurs parents. Pas de trace de photo du petit ami de l'aînée ni d'une éventuelle compagne pour son hôte mais Ayl était là pour le travail, pas pour poser des jalons en vue de draguer.

Asl levait un sourcils intrigué quand la jeune femme prénommée Ayline disait qu'il ne faudrait pas qu'il prenne froid alors que ça n'était pas vraiment la raison première qui le poussait à se couvrir. Par contre, son désir de boire un chocolat chaud le faisait sourire parce que ce serait l'heure de le boire pour quelqu'un qui n'aurait pas encore pris son petit-déjeuner. Il en déduisait qu'elle s'était peut-être passée de manger ce matin, sans doute pour garder sa silhouette dans l'esprit "il faut souffrir pour être belle". Elle suivait le jeune homme qui se souvenait qu'il y avait à peu près un risque sur mille qu'une nouvelle invitée se prenne le relief dans le sol à un endroit précis.

"Attention à la ..."

Il n'avait pas le temps de finir sa phrase mais la retenait de justesse dans ses bras, ce qui était mieux que l'inverse. Il n'avait ainsi pas pu commenter sa remarque sur la maison mais c'était un détail.

"Je vous en prie. Vous pourriez me rendre mon bras s'il vous plait ?"

Ayline le flattait alors sur son physique, ce qui amenait Asl à se dire que la jeune femme devait avoir une consitution ectomorphe si elle était une sportive assidue parce que ça ne sautais pas aux yeux.

"Merci, un peu en ce moment, pas plus de six heures par jour. Je reviens tout de suite."

Le temps d'enfiler un haut et de se coiffer avec un peu de gel pour ne pas avoir l'air coiffé avec un pétard et il retrouvait la blonde dans le salon. Après tout, autant avoir l'air un minimum présentable même s'ils ne feraient pas affaire.

"On va passer directement dans la cuisine."

Dont acte. Là, le néo-zélandais faisait chauffer du lait dans la casserole. Pour du chocolat chaud, c'était mieux que le lait soit chaud. Il lui parlait alors tout en surveillant le lait parce que ça n'était pas pour rien qu'une expression disait "surveiller comme le lait sur le feu". Il était donc tout près du feu, au cas où.

"Je crois qu'il y a eu une autre méprise, le rendez-vous avec Isa n'a pas été réporté mais annulé. Il préfère ne pas utiliser l'outil informatique et l'internet même s'il a des invendus et en toute franchise, je pense que je ne vais pas continuer mais je ne vous embête pas avec ma vie, en plus vous êtes venue pour … Pour ..."

Asl voulait dire "pour rien" mais il avait du mal à formuler ces mots à voix haute sans pouvoir s'en expliquer la raison. C'était peut-être la proximité d'Ayline qui le perturbait, non pas parce qu'elle était dans la cuisine, ça encore ça irait mais parce qu'elle s'était accoudée au plan de travail à moins d'un mètre de lui comme pour surveiller elle aussi que le lait ne déborde pas de la casserole mais c'est lui qu'elle regardait.

"J'espère que vous n'êtes pas déçue."

A la façon dont elle le regardait, ça n'était pas le cas.

Ayl suit le jeune homme dans la cuisine, comprenant qu'ils risquent de salir le canapé en s'y restaurant sur place puis elle trouve aussi que c'est mieux. Autant ne pas risquer de dommages collatéraux. Il se place alors de sorte à contrôler le lait pendant qu'il chauffe et apprend à la jeune femme qu'ils ne pourront pas faire affaire parce que son associé n'est de toute évidence pas un adepte de la technologie. C'est tout à fait son droit.

- C'est bien mon genre d'avoir mal compris l'annulation.

Dit-elle tranquillement avant d'ajouter :

- Ah, vous comptez ne plus exercer en tant qu'artisan ? C'était récent donc ? Vous pouvez m'en parler, vous m'offrez un chocolat chaud et je ne croule pas sous le travail maintenant que vous êtes les dixièmes clients potentiels à décliner mon offre. Non, je ne suis pas déçue mais je le serais si on se quitte sans que vous me disiez votre prénom.

Elle se rend alors compte qu'elle est très proche du mâle et que cette proximité ne le fait pas reculer.

- Continuons de surveiller le lait.

Elle le regarde en disant ça, il la regarde en l'écoutant. Ils se regardent. Ils se regardent. Ils se regardent. Ils sont tous les deux juste à coté du lait qui chauffe et arrive alors ce qui doit arriver quand un homme et une femme se regardent de cette façon pendant un trop long moment, en oubliant du coup que du lait chauffe à coté d'eux : Le lait surchauffe brusquement et déborde complètement de la casserole, salissant allègrement le plan de travail comme pour se venger. Le lait est rancunier.

- Oups, désolée.

Commente-t-elle avec embarras en mettant les mains devant sa bouche, préférant ne pas intervenir pour ne pas risquer de gêner son hôte.

Ayline n'était pas déçue et ça ne surprenait pas Asl qui se rendait alors compte qu'il ne s'était effectivement pas encore présenté. Cette jeune femme perturbait vraiment le néo-zélandais.

"Ca ne me ressemble pas. Je m'appelle Asl … Je veux dire, Aslander et oui, je donne un diminutif à tous mes proches. Je pourrais peut-être bien vous appeler Ayl, gaffe."

Disait-il avec un sourire en coin tout en se demandant pourquoi il avait exprimé une telle pensée alors qu'ils n'allaient pas faire affaire ensemble mais ça ne signifiait pas pour autant qu'ils ne se reverraient plus, d'autant plus qu'il était assez touché par le fait que cette jeune femme était assez à l'écoute des autres pour désirer qu'il lui parle de son travail récent avec Isa. Alors il la regardait et évitait de lui dire qu'elle avait un regard fascinant pour ne pas risquer de l’embarrasser et probablement pour ne pas être lui-même embarrassé. Ils se regardaient et en perdaient de vue le lait qui débordait sournoisement de la casserole.

"Ca n'est pas grave du tout et ne vous en faites pas, je gère."

Ajoutait-il en retirant aussitôt l'ustensile de cuisine pour le placer dans l'évier avant de nettoyer promptement la surface de travail parce que ça partait beaucoup plus vite quand c'était tout frais. Ceci fait, il plaçait une nouvelle casserole et cette fois, surveillait le lait jusqu'au bout.

"Voyons le bon coté des choses, vous m'avez donné envie d'en boire aussi alors j'en ai rajouté pour moi."

Le néo-zélandais servait deux bols de chocolat chaud et ils s'attablaient mais d'un accord tacite pas en face de l'autre mais à coté d'Ayline. Quelque chose interpellait Asl en regardant la blonde puis il comprenait.

"Vous vous tenez d'une façon tellement droite et sans avoir l'air raide, et ce port de tête, je dois dire que c'est impressionnant."

Asl se tenait droit lui également et tout aussi naturellement qu'Ayline mais à coté d'elle, il avait presque l'impression d'avoir les épaules un tout petit peu voûtées.

"Puisque vous avez du temps, je vous propose ceci : Vous me parlez de vous et je vous parle de moi. J'aimerais savoir d'où vous tenez cette si belle allure. Vous aimez votre chocolat ?"

Concluait-il en buvant une gorgée de son bol en l'appréciant pour sa part.

Le jeune homme s'appelle Aslander, Asl pour les intimes et Ayl sourit quand il commence par se présenter en utilisant son diminutif, ce qu'il a fait aussi pour sa sœur et l'amoureux de cette dernière.

- Chiche.

Lui répond-elle lorsqu'il pourrait bien l'appeler par un diminutif qu'elle utilise déjà même si dans les faits personne n'est assez proche d'elle et certainement pas ses aventures sans lendemain. Ayl ne dirait pas non au grand amour, c'est juste que ceux qui prétendent que les blondes sont limite frigides généralisent d'abord comme des cons qu'ils sont et n'ont pas connu la jeune femme au lit. Ayl, calme par nature mais quand il s'agit de la bagatelle, c'est un volcan qui serait en perpétuelle éruption. Elle épuise ses amants. Quant au jeune homme débout en face d'elle, il lui semble calme, posé mais comme on dit, il faut se méfier de l'eau qui dot. Puis le lait débord et Asl gère comme il dit, nettoyant prestement en homme d'action avant de faire chauffer du lait pour elle mais aussi pour lui cette fois. Ils s'installent à la table de la cuisine, chacun un bol de chocolat chaud. Ce n'est pas glamour comme de boire un verre de scotch à un bar à minuit, lui en tenue de soirée et elle en robe du soir mais c'est une rencontre matinale et quelque part une rencontre plus authentique, fortuite et imprévue puisque le rendez-vous devait être annulé. Le jeune homme la complimente alors sur sa façon de se tenir droite, ce qui la fait rire.

- Merci, et c'est gentil de préciser que je n'ai pas l'air d'avoir un balais enfoncé dans un endroit qui ne voit jamais la lumière. Dans le fondement pour le dire poliment.

Toujours aussi franche, elle continue :

- Donnant donnant hein ? Ca marche. C'est délicieux mais dites, je vois deux croissants qui ont l'air de n'avoir intéressé personne ce matin. On pourrait peut-être les partager ? Il y en a un qui m'a fait de l’œil et chut, je sais que tu as faim.

La fin de sa phrase était pour son estomac qui venait d'exprimer son mécontentement. Elle ajoutait après avoir rassemblé ses pensées :

- Quand j'étais toute petite et jusqu'à environ un an avant sa mort, mon père m'attachait à la chaise à chaque repas et maintenant que j'y repense, également quand je faisais mes devoirs à la maison. J'aimais mon père et par respect pour lui, je me ceinturais à ma chaise en classe. L'air de rien, ça faisait quelque chose comme dix heures par jour, y compris le week-end. Son corps s'est habitué et il n'a plus été nécessaire de m'attacher. Vous aussi vous vous tenez naturellement droit mais n'essayez pas de le faire comme moi.

Clin d’œil.

- A vous. Votre beau-frère est ébéniste et vous a engagé comme associé récemment. C'était votre métier ? Vous avez une autre formation ? Vous comptez arrêter ? C'est indiscret si je vous demande pourquoi ?

Ayl est franche mais pas stupide, elle ne peut pas lui demander s'il a une petite amie, ni maintenant ni plus tard. Le mieux serait d'interroger sa famille si elle les croisait mais sans leur demander l'impression de les cuisiner.

"Ok Ayl."

Répondait-il quand la jeune femme acceptait son "défi" en quelque sorte puis Asl riait en entendant la réflexion d'Ayl. Il y avait un bon moment qu'il n'avait pas ri comme ça. Il la connaissait à peine mais sa franchise était une bonne surprise, surtout qu'elle semblait tellement calme, posée mais ça ne voulait rien dire, le néo-zélandais était bien placé pour le savoir. Il regardait alors dans la même direction que son invitée fortuite et se souvenait qu'ils avaient laissé deux croissants ce matin. Ils étaient meilleurs chauds mais en entendant l'estomac de la jeune femme se plaindre, il se disait que ça ferait tout de même l'affaire et les lui tendait.

"Mangez les deux. Vous n'avez pas besoin de suivre un régime si je puis me permettre."

Asl pouvait être vraiment à coté de la plaque par moments. Ayl jouait donc le jeu et elle lui racontait de quelle façon son père l'avait éduquée pour qu'elle se tienne ainsi droite mais il y avait probablement aussi des cours de danse dans sa vie ou alors elle avait fait du mannequinat pour arriver à un port de tête aussi altier.

"Le résultat est impressionnant."

Elle était majestueuse sans avoir l'air guindé, un exploit en soi et c'était à lui maintenant.

"Que de questions ! Temps mort !"

Disait-il avec un grand sourire en faisant le geste typique dans les matchs.

"C'était quoi la première question ? Ah oui. Isa a commencé à m'initier à son métier un peu avant le début des incendies. Avant ça, j'avais passé un diplôme de petite enfance en Nouvelle-Zélande avant de rejoindre Ais à Bowen. Ca doit s'entendre que je ne suis pas australien. Je garde Sio, la fille de ma sœur. Je pratique le wing tsun depuis que je suis tout petit et le jeet ken do depuis guère moins longtemps. Je pratique aussi le surf et l'équitation depuis que je vis ici et … Je me demande pourquoi je vous dis ça, c'est hors sujet non ?"

Ca semblait être hors sujet pour lui en tout cas. Il restait alors une question à laquelle répondre.

"Non, ça n'est pas indiscret. Je ne compte pas vraiment arrêter en fait mais pratiquer uniquement quand Isa aura besoin d'un coup de main. Je voudrais proposer à nouveau mes services comme coach sportif, aider des clients à retrouver la forme et à l'entretenir."

Il la détaillait pendant quelques instants avant de poursuivre avec un grand sourire :

"Vous n'en auriez visiblement pas besoin, vous êtes vous-même sportive si j'ai bien compris ?"

Asl ne savait pas trop ce qu'il était en train de faire mais une chose était d'ores et déjà sure, il ne liait pas amitié avec cette jeune femme et il était sur que c'était réciproque à la façon dont elle le regardait.

Asl propose à Ayl de manger les deux et elle ne s’en prive pas mais elle grimace légèrement quand il lui dit qu’elle n’a pas besoin de faire un régime, ce qui est le cas mais ça n’est pas tout à fait pour ça qu’elle n’a rien mangé au saut du lit. Normalement, elle devrait lui dire la vérité, à savoir que ce n’est pas pour rien si elle a fait un travail gratuit pour essayer de vendre à plein d’entreprises locales depuis son arrivée à Bowen mais Ayl ne veut pas inspirer à quiconque et en fait encore moins à ce jeune homme alors elle se contente d’avoir un mince sourire.

- Oui voila, je suis au régime, je viens donc de faire un écart.

Il serait sans doute capable de lui faire la charité alors elle préfère qu’il pense qu’elle n’a pas assez de volonté pour se tenir à un régime. Elle se demande néanmoins s’il la croit parce qu’il est impressionné, c’est la deuxième fois qu’il dit ce mot, c’est qu’il est impressionné. Il lui parle alors de lui et elle l’écoute en avalant son petit dej’ avant qu’il conclue qu’elle n’a visiblement pas besoin d’une remise en forme.

- Merci. Huit heures de sommeil, six heures de sport et le reste au taquet tous les jours de la semaine, y compris le week-end.

En ajoutant les "divers" comme manger, se préparer et faire les courses, ça lui avait fait neuf heures de travail par jour pour son expérience vu que ça n’est pas encore avec sa compétence professionnelle qu’elle va remplir son frigo. Elle trouverait peut-être un travail de serveuse sinon son logeur allait la tuer, ou son banquier, ou les deux mais ça n’est pas le problème de son hôte.

- Touchez, c’est du solide.

Dit-elle en posant la main d’Asl sur son biceps avant de le contracter. Ce n’est pas miss Hulk mais comme elle l’a dit, c’est de la chair ferme, solide.

- Ah oui, l’art martial de Yip Man. C’est bien ça, technique mais efficace, vous aimez aussi la culture chinoise ?

Asl avait fréquenté deux chinoises particulièrement habiles pour lui mentir avec un don de la dissimulation certaine alors en comparaison celui d’Ayl "lui sautait au visage". Le jeune homme réalisait qu’elle ne devait pas avoir les moyens de manger à sa faim et qu’avoir au moins un client l’aurait aidée à rendre ses fins de mois moins difficiles. Lin était multi millionnaire, Mei très aisée et on ne pouvait pas dire que sa famille avait à se serrer la ceinture mais ça n’était pas le cas de tout le monde, loin s’en fallait. Le néo-zélandais  ne pouvait hélas toujours pas faire affaire avec elle mais trouverait bien un moyen de l’aider, sans doute parce qu’elle lui avait rendu le sourire et que c’était déjà beaucoup. Elle lui avait menti, ne faisant pas de régime mais ça ce n’était pas grave du tout, personne n’a envie de provoquer la pitié et il ne lui ferait pas cet affront.

"Vous arrivez à pratiquer six heures de sport par jour vous aussi, c’est très bien."

La jeune femme lui faisait alors tâtait le biceps d'un de ses bras et sans être bodybuildée, ça n’était effectivement pas mal du tout. En plus il n’aimait pas les muscles hypertrophiés sans se douter que c’était aussi l’opinion de la blonde.

"Un esprit sain dans un corps sain. C’est en effet plus technique qu’il n’y paraît au premier abord. J’aime effectivement beaucoup la culture chinoise."

Il évitait de mentionner Lin qui avait déjà trop nui à ses relations avec la gente féminine.

"Je vous remercie de ne pas avoir relevé mon accent néo-zélandais. Vous viviez où avant de vous installer à Bowen ?"

La jeune femme comptait peut-être en parler plus tard en fait mais même si c’était ça, ça ne le dérangeait pas qu’on lui en parle tant que ça n’était pas pour se moquer de lui.

Ayl note que le jeune homme a éludé la réponse alors qu’il aime la culture chinoise et devrait en dire un peu plus et surtout d’où lui vient cet intérêt mais peut-être qu’elle se trompe. Il lui demande alors où elle vivait avant de s’installer et pendant un instant court, elle se demande comment il le sait avant de se souvenir qu’elle en a parlé elle-même en les concoctant, son associé et lui.

- A Sydney.

Elle élude aussi l’air de rien mais ça leur laissera de quoi se parler davantage la prochaine fois qu’ils se verront parce qu’elle a le sentiment qu’ils vont se revoir. Dans cette idée, elle n’a pas commenté qu’il pratique le surf et l’équitation alors qu’elle est adepte des deux et pour la deuxième activité depuis donc bien plus longtemps. Il ne lui reste plus qu’à lui piquer son téléphone portable pendant une trentaine de secondes pour y chercher la photo d’une éventuelle petite amie. Ayl a le pressentiment que ce n’est pas le cas. Il ne semble pas avoir la mentalité de courir plusieurs femmes à la fois puis elle remarque ces petites cernes autour de ces yeux. Quelqu’un en couple ne devrait pas avoir ces expressions de fatigue ou alors quelqu’un de malheureux en couple et elle pense ne pas se tromper en pensant que le néo-zélandais n’accepterait pas ça et en parlant de nationalité …

- Je n’ai pas relevé parce que je me fiche de l’accent tant que je comprends la personne qui me parle et je te comprends même si j’ai l’impression que toutes tes phrases se terminent par une interrogation mais tu le sais déjà. Une copine italienne nous a montré des techniques simples et amusantes pour atténuer les accents pendant mon séjour interminable en Italie. Je te les ferai subir si ça te dit.

Ayl ne le précisait pas mais ça n’était pas parce qu’elle avait besoin d’argent qu’elle devait se faire payer, sinon pourquoi pas se faire payer pour une partie de jambes en l’air aussi ? Pas question.

Ayl avait répondu à Asl qu’elle avait vécu à Sydney avant de s’installer à Bowen. C’était une réponse courte, c’était le moins qu’il puisse en penser mais après tout comme disaient les français, Paris ne s’était pas fait en un jour et comme disaient les italiens, Rome non plus. Les australiens auraient pu dire aussi que Sydney ne s’était pas fait non plus en un jour. Ca ne devrait pas être fréquent les villes qui se faisaient en un jour à part peut-être les premiers patelins américains pendant la conquête de l’ouest, à une époque ou elles se réduisaient à une rue et quelques maisons. Ca signifiait qu’ils ne pouvaient évidemment pas parler de leur vie dès leur première rencontre mais petit à petit même si le néo-zélandais aurait en savoir plus sur la jeune femme qui lui parlait alors de son accent "de kiwi". Il levait un sourcil intéressé en l’écoutant. Renoncer à son accent ne lui disait rien, il faisait partie de lui après tout mais l’atténuer ne serait pas du luxe, surtout s’il voulait vivre durablement en Australie et c’était bien parti pour ça, c’était le moins qu’il puisse en penser.

"Subir ? J’ai l’impression que ça serait plus amusant pour toi que pour moi mais pourquoi pas, ça serait intéressant. Merci de me le proposer, je crois qu’on pourra tenter ça."

Ayl avait fait un sort aux croissants sans la moindre hésitation et elle ne semblait pas du tout regretter son geste, ce qui confirmait au jeune homme qu’elle suivait davantage "un régime financier" qu’un régime pour perdre du poids, ce dont elle n’avait au demeurant nul besoin. Elle n’avait pas parlé d’argent malgré une situation financière qui ne devait pas être fameuse et ça comptait pour Asl.

"Un séjour interminable en Italie ? Le pays de la culture, de l’amour et des bons petits plats, tu es sévère. J’aime bien la culture italienne aussi. Tu parles un petit peu la langue ?"

Il ne lui disait alors rien en italien au cas où ça ne soit pas le cas mais elle le ferait peut-être d’elle-même.

Ayl regarde Asl un peu à la manière d’un gros matou à jeun devant une souris quand le jeune homme évoque à raison le verbe "subir".

- Haha, nous avons un courageux candidat. Ne t’en fais pas, c’est bénin. C’est basé un peu sur une méthode pour faire passer le hoquet.

Ce serait difficile de faire plus ambigu que ça. Puis il note qu’elle n’a pas apprécié son séjour en Italie et elle rit de bon cœur en entendant les éloges sortir de sa bouche.

- J’ai passé un an là-bas à faire des défilés de mode pour rembourser ma dette à l’agence de mannequins avec leur taux d’intérêt quasiment d’usuriers. Coté culture, les vieilles ruines ne m’excitent pas. Question amour, trop d’hommes considèrent que leur mère est une sainte et les autres femmes des putes, ça n’a pas spécialement excitée ma libido. Enfin, la bouffe avec mon travail de mannequin, voir tout le monde manger comme trois et pas moi "pour garder la ligne" … Au moins il y avait une salle de sport et j’y allais dès que je pouvais, c’est à dire entre chaque essayage et défilé. Puis les filles n’arrêtaient pas de me tripoter et je ne pouvais en cogner ne serait-ce qu’une seule … Je n’ai même pas pu aider quand il y a eu ces terribles incendies qui ont ravagé le pays. Je confirme donc que c’était un sujet interminable.

Elle a eu quand même quelques "coups" mais elle ne lui en parlerait pas parce qu’ils n’allaient pas devenir des potes et ne le seraient jamais. Ayl ferait tout son possible pour le mettre dans son lit, il serait surement guère plus à la hauteur que ses autres amants et ils en resteraient là. Ca c’était le film officiel qu’elle se faisait dans sa tête parce qu’il y avait une autre possibilité tapie loin dans sa conscience et qui lui soufflait que ça pourrait être différent avec celui-là. Ca s’appelait l’espoir.

- Je me débrouille dans la vie de tous les jours. Un ans de pratique quotidienne, c’est vrai que ça aide.

Répondait-elle au jeune homme en italien quand il lui demandait si elle parlait un peu la langue.

- Ca te dirait de faire un peu de sport ? Disons tout le reste de la journée ? J’ai besoin de me défouler avant de conquérir de nouveaux secteurs privés à Bowen. De ton coté, tu pourrais prendre une journée de repos, ton beau-frère ne te le reprocherait certainement pas.

Lui disait-elle avec ce regard qui semblait vouloir dire "toute résistance est inutile". Humour.