l’espresso est le café extrait à son état pur (livio)

Sa montre affichait les onze heures moins quart quand Beth tourna le coin de la rue, cette rue où, quelques mois plus tôt, elle avait fait sa première sortie avec Ivy qui ne s'était pas du tout passée comme elle l'avait espéré. Cette fois, la brune était bien mieux préparée. Ivy avait bu avant de sortir et, maintenant âgée de trois mois, elle buvait de plus grandes quantités de façon plus espacées pour le bonheur de sa maman qui pouvait alors sortir se balader sans craindre de vivre à nouveau un état de crise comme ses souvenirs lui rappelaient en passant devant le café où elle avait rencontré Livio, cet homme qui lui était venu en aide au moment où tout le monde lui tournait le dos. Ivy était joyeuse, elle chantonnait dans la poussette, bien loin de leur dernière escapade ici toutes les deux. Beth la regardait faire, attendrit, sourire aux lèvres, alors qu'elle releva les yeux. Le café devant lequel elle passait avait une grande fenêtre, c'était certainement par-là que monsieur Livio avait aperçu la scène de drame des mois en arrière, et par curiosité Beth y jeta un oeil. Assis à une table, un homme qui ressemblait à ce Livio sirotait ce qui semblait être un espresso. si Beth l'avait reconnu, c'était parce qu'il portait le même haut qu'à leur première rencontre, drôle de hasard. Heureusement, sans ça elle n'aurait sans doute pas accroché son regard sur lui. Il avait été tellement aimable, mais elle n'avait pas eu la chance de le remercier comme il se devait. Elle entra donc dans le café, accosta un serveur au passage en lui indiquant subtilement la table de l'homme. Deux ou trois mots avaient été échangés avant qu'elle pousse le landau vers l'Italien. « Et bien, vous ne m'aviez pas menti, on peut réellement vous trouver dans ce café le matin à profiter de vos espressos, Livio », lui fit-elle en le gratifiant d'un large sourire. « Pour le coup, celui-ci est cadeau. J'ai déjà payé votre facture. Je vous avais bien dit que je vous revaudrais votre aide. » Ivy acquiesça elle aussi d'un gazouillement. « Je ne vous importunerai pas plus longtemps. Je voulais simplement vous dire à nouveau merci... Savourez bien votre matinée », souffla-t-elle en reculant sa poussette pour mieux circuler entre les tables.

Quiconque d'extérieur se dirait que ce pauvre garçon n'avait décidément pas de vie puisqu'il se retrouvait chaque matin dans l'un des cafés de la ville, à déguster sa boisson caféinée qui augmentait d'autant plus son énergie débordante. Mais de nouveau, Livio avait les yeux rivés sur son téléphone portable, à envoyer quelques mails à son équipe... et quelques textos plus ou moins subtils à sa petite amie. D'ailleurs, le dernier message reçu fit sourire Livio. Aura le surprenait de jour en jour. Et lui, il était complètement fasciné par elle, prenant plaisir à la voir s'envoler de ses propres ailes et s'échapper de son cocon. Pour une fois depuis bien longtemps, Livio Manzoni pensait à quelqu'un d'autre que sa petite personne, et c'était beau à voir. Bref, tout cela pour dire qu'il n'avait plus vraiment la tête à travailler - si tant est qu'il l'avait déjà, à l'origine. Heureusement pour lui, une voix l'interpella. Il tourna la tête et reconnut Beth, cette jeune maman qu'il avait aidé quelques mois auparavant... et qui, désormais, était la copine de Zak, son colocataire. "Je ne mens jamais." lâcha-t-il avec un air angélique auquel on pourrait facilement croire, s'il n'affichait pas ce sourire malicieux. "Du moins, en ce qui concerne le café." ajouta-t-il avec un rire joyeux. Beth l'informa alors qu'elle venait de lui offrir son café, en remerciement pour l'aide apportée la fois précédente. Le jeune homme la regarda avec surprise, secouant la tête : "Oh mais il ne fallait pas ! Je vous l'ai dit, c'était un plaisir d'apporter mon aide." Surtout que cela avait mené sur une rencontre et une conversation intéressante. Il esquissa un sourire en entendant le gazouillement d'Ivy, qui devait avoir bien grandi désormais. "Mais merci." dit-il, touché. Pourtant, quand elle lui annonça ne pas l'importuner davantage, il reprit rapidement : "Par contre, vous n'allez pas partir aussi vite ?! Vous avez le temps de prendre un café ou un thé en ma compagnie ?"

Il fallait dire que la situation avait drôlement changé depuis la dernière fois que Livio et Beth s'étaient croisés. En effet, cette rencontre plutôt sous les airs de sauvetage avait mené à des confessions de la part de la jeune maman célibataire qui, à l'époque, venait à peine d'accoucher. Sa vie sentimentale était un réel chaos, d'abord essuyant l'échec d'une relation avec le père de cet enfant qui s'était avéré finalement une énorme erreur. Et s'en était s'en suit Fede, le bel Italien du Hendrix pour qui Beth s'était fait croire à des sentiments. Mais, en réalité, elle n'avait été prête pour rien de tout ça. Ni Rafael, ni Fede. Récemment, elle avait commencé à ouvrir son coeur, un peu, lentement, et y laisser entrer une personne qui, bien rapidement, prit plus de place qu'elle ne l'aurait cru. Alors oui, elle était toujours maman célibataire, personne ne remplacerait Rafael techniquement, mais elle ne pouvait plus vraiment dire qu'elle était seule. Non seulement entourée, dès le premier jour, de Milo et Azriel, s'ajoutait au compteur un troisième homme. Juste à penser à lui, Zak, son coeur s'emballait. Elle se surprenait à sourire comme une folle, toute seule, quand elle avait le bonheur d'attraper un souvenir dans sa mémoire, une douceur qu'il lui avait faite, presque trop fou pour être vraie. De voir Livio, au travers de la vitrine, bien qu'à présent Beth se débrouillait non seulement mieux toute seule, mais aussi avec les autres, lui avait rappelé à quel point il avait été un déclencheur dans son processus d'acceptation qui n'était, avouons-le, toujours pas terminé. Et, pour ça, elle ne l'avait pas assez remercié. La brune était donc entrée dans le café, s'approchant de lui comme phrase clé le souvenir de leurs derniers échanges. « Il ne faut jamais dire jamais », plaisantait Beth en lui accordant un clin d'oeil moqueur. Les hommes, les hommes, ils mentaient parfois, souvent, pour se sauver de situations désagréables. Et, d'ailleurs, il précisa que cela ne concernait que le café. « C'est mieux », gloussa Beth à nouveau. Ce café, d'ailleurs, il le savourerait sans doute davantage puisque l'Anglaise lui annonça qu'il était cadeau, en guise de remerciements pour l'aide apportée. « Et c'est un plaisir de vous offrir votre café », lançait la brune avec fermeté et douceur à la fois, de sa voix de maman. Elle s'apprêtait à partir, lui offrant un sourire en guise de dernier mot, quand il s'interposa, lui demandant de rester. Beth pinça les lèvres. « Vous avez sans doute bien mieux à faire que de partager une tasse de café avec une jeune maman un peu éméchée », soufflait la traductrice en tentant de justifier son départ. Mais elle y arrivait difficilement. « Un thé, peut-être... Mais vraiment que si vous n'avez rien de plus intéressant à faire. » Quand on disait que son travail d'acceptation était, certes, commencé mais bien loin d'être terminé, vous en aviez la preuve.

Ce sourire que le message d'Aura lui avait collé aux lèvres ne disparut pas quand il vit la nouvelle arrivante. Beth et sa petite Ivy. Cette jeune femme qu'il avait naturellement aidé alors que les autres lui tournaient le dos et faisaient mine de ne pas la voir galérer avec ses courses et son tout jeune bébé. C'était plaisant de la revoir. Il y avait des rencontres comme celle-ci, où des confidences avaient lieu sans que l'on sache pourquoi, tout simplement parce que ces deux inconnus se sentaient suffisamment en confiance. Alors qu'il avoua ne jamais mentir, il reçut le clin d'oeil moqueur de Beth avec un grand sourire amusé. Ce n'était pas crédible, c'était vrai. Alors, il rétablit la vérité en avouant qu'il ne mentait jamais quand cela concernait le café. Café gentiment payé par la jeune femme. Il la remercia chaleureusement, sa voix de maman lui faisant comprendre qu'il n'avait pas d'autres choix que d'accepter ce cadeau. Mais si Livio avait fini par accepter, il avait toutefois l'ambition de partager ce moment avec la demoiselle. Il arqua un sourcil quand elle refusa d'abord, prétextant qu'il avait bien mieux à faire que de prendre un café avec elle. "Si je vous que non ?!" insista-t-il, se rendant compte qu'elle n'avait pas encore totalement une image confiante d'elle-même. Il se mit à rire en entendant sa dernière phrase : "Si vous restez à ma table, ce sera sûrement le moment le plus intéressant de ma matinée." Mais avant qu'elle ne se mette à croire qu'il essayait de l'amadouer, de la charmer ou de la dragouiller, il ajouta : "Rassurez-vous, ce n'est pas une tentative de drague toute foireuse. Je suis pris et heureux. Mais je me dis qu'il faut bien que j'apprenne à connaître la femme qui rend mon colocataire complètement fou d'elle, n'est-ce pas ?" Désolé, Zak, mais il fallait bien ça pour pousser Beth à rester ici, avec lui, dans ce café. Alors, d'un signe de la tête, il lui montra la place libre en face de lui, sur laquelle il l'invita à prendre place.

Éméchée, elle l'était. Si cette sortie se déroulait bien mieux que la première et qu'elle avait manoeuvré de tout rassembler ce qu'il lui fallait pour quitter la maison la tête tranquille, son apparence, elle, n'était pas la plus soignée. Ses cheveux ramassés dans une queue de cheval basse tentaient de s'échapper tandis que ses cernes, elles, n'étaient même pas cachées. Sur le corps, un grand sweater ample vert forêt et un legging noir l'habillaient. Rien de très classe. Livio, lui, était très beau. En réalité, il l'était aussi à leur première rencontre. Sans être trop élégant, il avait de la classe. Et surtout, du style. Pourtant, le look un peu éméché de son interlocutrice ne le repoussait pas. Au contraire il insistait, ce à quoi la brune répondit qu'un thé, son côté anglais parlait, ne serait pas de refus. À moins qu'il ait quelque chose de mieux à faire. Livio assurait que ce moment partagé serait sans aucun doute le plus intéressant de sa journée. Beth fronça des sourcils, perplexe. Tentait-il de la draguer? Elle ouvrit la bouche, s'apprêtant à refuser gentiment son invitation, prétextant une obligation quelconque. Mais il se ravisa. Il ne la draguait pas. Beth sourit, timidement. Et son sourire devint encore plus timide alors qu'il parlait de son colocataire. Zak? « Je ne suis pas certaine de comprendre », lâcha-t-elle, perplexe. Zak lui avait parlé de colocataires, mais il n'avait jamais mentionné leurs noms. En même temps, elle ne rendait pas quarante garçons fous. Il n'y en avait qu'un dans sa vie. « Vous parlez de qui, au juste? », demandait-elle comme si ça pouvait être de quelqu'un d'autre. « Je ne pense pas que je rends quelqu'un fou, cela dit... » Du moins, ils n'en avaient encore jamais discuté. À ce stade, ils n'étaient qu'amis.

Evidemment, la jeune maman tentait de se carapater. Mais Livio était buté, aussi insista-t-il pour qu'elle reste à sa table. Il comprit, cependant, que son insistance pouvait passer pour une tentative de drague foirée. Sûrement, Beth le pensa, elle aussi. A son regard, il voyait qu'il était à deux doigts du refus. Il fallait juste lui laisser finir sa phrase et évoquer ce qui allait attiser sa curiosité. Son colocataire. Zak. De suite, il vit le regard de la jeune femme changer, son sourire se teintant de timidité. « Je pense que vous comprenez très bien. » dit-il taquin, avant de s'exclamer, en riant : « On ne pourrait pas se tutoyer ?! Je trouve ça bien trop protocolaire ! » Surtout pour un latin comme lui, qui parlait avec les mains, la voix forte et l'accent chantant. Quand Beth lui demanda de qui il parlait, Livio arqua un sourcil, amusé : « Pourquoi ? Il y en a plusieurs dans le coin ? » Ne nous dites pas qu'il était en train de mettre les pieds dans le plat ?! Là, il serait dans une bien belle galère. Livio garda son sourire malicieux sur les lèvres, tel un grand gamin alors qu'il hocha vigoureusement la tête en entendant ses derniers mots. « Moi, je peux dire que si, tu rends quelqu'un  fou de toi. » Et pour cesser de faire planer le mystère, il ajouta : « Je parle évidemment de Zak. Je suis l'un de ses colocataires. »

Il avait sorti sa dernière carte, Livio, pour s'assurer de capturer la jeune maman sauvage l'instant d'un café - ou plutôt d'un thé pour elle. Il voulait apprendre à connaître celle qui rendait son colocataire heureux. Mais de quoi voulait-il parler? Le seul homme qu'elle avait laissé entré dans sa vie, récemment, c'était Zak. Zak Addams. Et, oui, elle le connaissait avec des colocataires, mais elle ne le rendait pas fou. Si? Ils n'étaient pourtant qu'amis. Bon.... En vérité, ce Zak Addams ne laissait pas Beth de marbre. Lorsqu'elle se mettait à penser à lui, son coeur s'affolait. Et pas que, tout son corps aussi. Elle avait des bouffées de chaleur, ses joues devenaient roses. Et l'Italien avait bien visé, tirant son coup de grâce, à présent, l'Anglaise ne cherchait plus à fuir. « Oui, comme vous voulez.. Euh, comme tu veux », fit-elle, encore timide, stationnant sa poussette près de la table de l'homme. Elle vérifia qu'Ivy dormait toujours avant de prendre place devant Livio.

« Plusieurs? » Elle ne comprenait toujours pas où Livio voulait en venir. Mais il l'intriguait. Et elle cherchait à savoir si Zak avait réellement eu ce genre de propos la concernant ou si Livio s'était joué d'elle pour la garder un peu plus longtemps à ses côtés. « Non non, il n'y en a pas plusieurs.. » À ce stade, elle ne savait même pas qu'il y en avait un. Et quand elle chercha à comprendre d'avantage, Livio fit tomber les masques. Zak. Son Zak. Il était en effet son colocataire. « Zak a dit une telle chose? », demandait-elle avec surprise.