You're my rock + Charlize & Charlie

Si seulement cette femme savait à quel point elle m'a sauvé la vie. Malgré mon manque d'expérience, Charlize m'a donné une chance d'intégrer Imogen. Elle me permets de pratiquer ma passion tout ayant un gagne-pain. J'envisage de m'installer seule dans mon propre appartement, bien que je me suis bien habituée à la présence de mon frère et Konstantin.

J'apprends encore et j'en suis reconnaissante à Charlize. Il m'arrive d'avoir encore du mal à me familiariser avec le matériel. Je sais que si j'ai le moindre doute, je peux lui téléphoner. Je ne pouvais pas avoir une meilleure patronne car elle est très avenante. Plusieurs fois nous avons été amené à avoir des conversations, plus que cordiales. Je ne te l'ai jamais demandé mais quelle est ta pâtisserie préférée? Je mélangeais au fouet le lait à ébullition, surveillant de temps à autres la température. Ce n'est pas une légende, les femmes savent faire deux choses à la fois. Je préparais une crème pâtissière.

L'entretient d'embauche de Charlie remontait à plus d'un mois à présent. Il fallait avouer qu'elle n'avait pas tellement le profil recherché, elle n'avait quasiment aucune expérience alors que Charlize attendait quelqu'un qui sache faire son travail sans qu'elle soit sur son dos pour surveiller ou pour lui apprendre, elle n'avait pas le temps, c'était ce qu'elle s'était répété, toute la nuit suivante, les yeux grands ouverts en faisant les cents pas dans sa maison silencieuse. Sauf qu'elle lui avait plu, la jeune femme, elle était dynamique, douce et souriante, elle semblait en vouloir et quelque part elle lui faisait un peu penser à elle avec sa niaque. Elle avait décidé de lui donner sa chance, prévoyant une période d'essai pour voir ce qu'elle valait vraiment. Et il fallait avouer que Keynes ne l'avait pas déçu, certes elle avait encore beaucoup à apprendre, mais elle était motivée et volontaire, elle n'hésitait pas à réclamer des heures après le travail pour se perfectionner, elle posait des questions et elle était sympa. Quelque part ça lui manquait, d'avoir un allié dans l'entreprise, depuis son retour et la reprise de son activité elle sentait bien qu'elle avait perdu la confiance de ses salariés, certains se méfiaient, peut-être à juste titre, Jake le premier, n'était plus le même avec elle, leurs relations s'étaient détériorées et elle le regrettait. Elle avait également réalisé que ce qui lui manquait beaucoup c'était de former quelqu'un, de transmettre son savoir, alors elle était heureuse de le faire avec Charlie. Ce matin là, alors que tout était encore calme, la boutique était fermée mais les petites fourmis travaillaient d'arrache pied pour que les clients aient de bonnes choses à manger à l'ouverture, Charlie préparait une crème pâtissière, tâche délicate bien qu'on n'en ait pas forcément l'impression. Charlize la surveillait du coin de l’œil alors qu'elle préparait des cinnamon rolls, le produit à la mode en ce moment que tous les clients s'arrachaient. Elle s'interrompit dans sa tâche, s'approcha de la brune après s'être emparée d'une râpe à main et d'une fève tonka puis en rappa un peu dans la préparation après avoir vérifié que la crème soit bien lisse. Un tout petit peu de tonka, c'est le secret pour qu'elle ait ce goût particulier. Mais pas trop, l'arôme est puissant. Elle lui sourit en reposant son ingrédient secret. Puis Wojcik réfléchit à la question de Charlie, c'était un choix difficile à faire pourtant ses souvenirs l'entraînèrent en Pologne. La babka. C'est la brioche polonaise. Ma grand-mère en fait une délicieuse. Ce n'est pas la pâtisserie la plus raffinée, c'est même une viennoiserie en fait. Mais ça me rappelle tellement de bons souvenirs. J'en fais parfois pour les clients. Pour Charlize tout était une affaire de sentiments, de souvenirs et d'émotions. Et toi ? J'imagine qu'en vivant en France tu as goûté à des gâteux raffinés.

Sous l'oeil attentif de Charlize, je mémorise les conseils qu'elle me donne. De la tonka dans la crème pâtissière. C'est noté. Je manque atrocement d'expérience dans le métier, mais la motivation est là, ancrée dans mon cœur, dans mes tripes. Je n'ai jamais été aussi épanouie. Peu de personnes m'auraient donné une chance de m'embaucher. Charlize a su cerner en moi ma détermination.

Je me permets de lui poser des questions moins professionnelles, sans pour autant franchir la limite d'ordre privée. Je lui demande quelle est sa pâtisserie préférée. La Babka. J'avoue n'avoir jamais entendu parler car la Pologne n'est pas un pays qui m'est familier. Alors tu aimes l'authenticité. Je rajoute avec un sourire Dis-moi quelle pâtisserie tu aimes, je te dirais qui je suis. Et cela en dit long sur Charlize, qui doit être quelqu'un attachée à ses racines.

Partout dans le monde, les pâtisseries françaises ont réputation d'être raffinées. Il y en a tellement que j'aime. Le traditionnel éclair au café, la tarte citron meringuée, le Saint-Honoré mais celui qui se démarque... Le Paris-Brest. Il est gourmand, généreux, il me ressemble. Pour la petite anecdote, il a une forme ronde, comme une roue. Pour rendre hommage à une course cycliste Paris-Brest. Étonnant, non? Je suis une mordue de l'histoire, j'en ai toujours été passionnée. Je trouve ça fascinant de connaître les origines d'un gâteau ou de connaitre les préférences sucrées d'une reine. On ne s'imagine pas que les pâtisseries évoluent dans le temps, car bien des pâtissiers améliorent la recette ou l'embellissent. Ces hommes et femmes sont des créateurs, ils devraient être considérées comme des artistes.

Le manque d'expérience ce n'était pas si grave, quand on avait la motivation, l'expérience ça se gagnait et de ce que Charlize avait pu constater, Charlie apprenait vite. Elle pouvait dors et déjà lui faire confiance pour pas mal de petites choses. On ne parlait pas encore de lui laisser la boutique ou même de lui faire faire une plaque entière du même gâteau, parce que ça exigeait de la dextérité et de la rapidité, ce dont elle manquait, mais ça viendrait. Et concernant la tonka ou tout autre chose, la cheffe n'était jamais contre donner des petites astuces ou ses secrets à ses employés, c'était peut-être un tort parce qu'ils pouvaient ainsi aisément partir travailler pour la concurrence avec ses idées en tête. Mais elle partait du principe qu'il fallait partager son savoir-faire sinon ça ne servait à rien. Elle n'était pas contre non plus les discutions un peu moins professionnelles durant le travail, du moment qu'on restait concentré. C'était d'ailleurs de cette façon qu'elle cernait le mieux ses salariés. Oui, je crois que ça me défini bien, l'authenticité. Elle sourit doucement. Elle avait des valeurs, Charlize, des choses qui lui tenaient à cœur. Et ses racines, celles de ses parents, étaient importantes pour elle. Elle renvoya la question à la jeune brune qui réfléchit un instant, elle ne pouvait pas l'en blâmer, ça devait être difficile de choisir. Wojcik était allé plusieurs fois en Europe, en Pologne évidemment mais aussi en Angleterre et elle avait fait un séjour de quelques jours en France également, surtout pour pouvoir se gaver de toutes les pâtisseries et viennoiseries possibles et espérant rapporter des idées neuves pour ses boutiques. Elle en était effectivement revenu enchantée. Le fameux tour de France ? Qu'elle prononça avec un accent désastreux. Vous avez un truc avec le vélo là-bas ! Charlize n'était jamais contre un cours d'histoire, c'était toujours intéressant. J'ai goûté le Paris-Brest je crois, c'est sûr que c'est généreux. Sûrement que ça te ressemble oui. Elle retourna à sa tâche, les petites brioches à la cannelle n'allaient pas se faire toutes seules. Tu sais, le côté français c'est aussi ce qui m'a séduit chez toi. Toute idée est bonne à prendre alors n'hésite pas si un jour tu veux tenter quelque chose, quitte à ce que je te guide dans la fabrication. Si Charlie avait de la volonté à revendre, il était clair que ses origines avaient pesé au moins un peu dans la balance, on n'avait pas tous les jours la chance de pouvoir travailler avec quelqu'un qui venait d'un pays si gastronome ici en Australie.

J'ai un sourire au coin des lèvres. Alors j'ai vu juste. Charlize est quelqu'un d'authentique. Attachée, tout comme moi, à mes racines. Je ne sais pas pour la Pologne, mais la France est la marque d'un bon nombre de pâtisseries. Le choix est difficile, mais je finis par dévoiler ma préférence pour le Paris-Brest. Paris-Brest qui a sa petite anecdote historique. Le gâteau est rond, en forme de roue, pour rendre hommage à la course cycliste Paris-Brest. À chaque fois je me sens flattée que des étrangers puissent s'intéresser à notre culture. Tu as aimé? Je sais que beaucoup de gens n'aiment pas. Le Paris-Brest est souvent considéré comme une pâtisserie trop riche. Il suffit que la crème mousseline pralinée soit pâteuse/granuleuse pour être écœuré à la première bouchée. Mais quand elle est aérienne, avec une justesse de gourmandise, alors là vraiment, c'est un délice. Mes papilles chantent rien que d'y penser.

Après avoir filmé et mis au frais la crème, je me redirige vers le plan de travail pour assembler les ingrédients de la brioche. Les recettes de livres, vidéos, blogs, ont été ma seule source d'inspiration. Je ne m'attends pas du tout à ce que Charlize me donne l'opportunité de pouvoir mettre en œuvre ma touche personnelle. Oh bien je reste sans voix, mais honorée et heureuse. Lorsque je travaille avec elle j'ai toujours cet état d'esprit. Travailler aux côtés d'une personne que l'on apprécie, est essentiel pour l'amour de son métier. Je pense que le chemin est encore long pour en arriver là. dis-je en toute modestie. Comme il m'en a fallut pour pouvoir vivre de ma passion. Le temps passe si vite quand je suis derrière les fourneaux.

Oui elle avait aimé, évidemment, de la crème pralinée, une base de chou aéré, elle avait adoré même. C'était plus son corps qui devait suivre. Charlize était du genre à tout contrôler et son poids en faisait donc partie. Elle n'était pas du genre à prendre des kilos, grande et élancée elle savait qu'elle avait de la chance, mais être si gourmande et travailler en tant que pâtissière c'était un peu tenter le diable pour être honnête ! Alors elle faisait attention, quand elle travaillait elle goûtait ses préparations pour l'équilibre des goûts mais elle ne se laissait pas plus tenter que ça. C'est un bon souvenir oui. Mais je crois que j'ai préféré les macarons. J'ai même suivi un cours d'une après-midi auprès d'un grand chef, il nous a donné quelques astuces que j'utilises encore aujourd'hui. Elle n'avait jamais fini d'apprendre, c'était ce qu'elle préférait dans ce métier. Elle sourit tout en se concentrant sur son travail. Axten était furieux que je l'abandonne pour encore faire des gâteaux. Pour se venger il était allé s'enfermer dans un cinéma pour voir un film qu'il savait que je détesterai. Elle ne savait pas bien pourquoi elle donnait ce genre de détail à Charlie, la jeune femme ne connaissait même pas son mari et même si sa mémoire lui faisait revivre ce souvenir à ce moment là, elle aurait pu s'abstenir. C'est là que, pour revenir à une conversation plus professionnelle, Charlize proposa à sa jeune employée de lui faire ses suggestions si un jour elle en avait l'envie. Elle lui sourit quand elle vit qu'elle était flattée par l'attention. Mais si tu ne te lances pas maintenant tu ne te lanceras jamais. Je ne dis pas que ce sera une réussite totale dès le départ, mais il faut essayer. Puis il y aura toujours quelqu'un ici à qui tu pourras demander conseil. Pour l'instant elle ne laissait pas Keynes seule aux fourneaux, pas par manque de confiance mais parce qu'elle savait qu'elle avait besoin d'être guidée.

Le Paris-Brest, on l'aime ou on ne l'aime pas. Pour ma part, j'adore cette crème praliné et ce chou fondant dans ma bouche. Mes papilles chantent encore en choeur. En revanche il y a une pâtisserie appréciée et réputée des français mais aussi des étrangers... Les macarons ont beaucoup de succès. Quand ma mère revenait de la boutique La Durée à la Place de la Madeleine, elle prenait toujours l'assortiment "gourmandise" avec vingt-quatre macarons. Le café était son préféré. Moi j'ai toujours eut une préférence pour ceux qui avaient une saveur appropriée à leur invention. Le Marie-Antoinette. Le Jardin bleu. Le Safran de Paris. Réaliser de bons macarons demandent de la rigueur et beaucoup de précision. Je suis agréablement surprise que ma chef élargit ses compétences, alors qu'elle en a déjà beaucoup.

Le petit détail qui me touche, c'est lorsqu'elle partage un souvenir intime. Axten? Ton mari? En déduis-je, dans perdre le fil de la recette. Charlize vient de m'ouvrir la porte de sa vie privée. Je me sens privilégiée qu'elle m'accorde à en savoir plus sur elle. Jusqu'à présent elle était ma patronne qui se surpasse en pâtisserie, qui est à l'écoute et qui a bon cœur. J'ai l'impression qu'on avance d'un petit pas un rapprochement.

Je sais que je me répète mais Charlize m'a donné ma chance et je lui en serais éternellement reconnaissante. Je suis très touchée qu'elle m'encourage à prendre des initiatives. Je manque encore un peu d'expérience. Dans la vie, je suis plutôt confiante. Mais là, maintenant que tu m'as offert une opportunité en or, j'ai peur de me louper. j'avoue, cartes sur table. Si je perds cet emploi, mon monde va s'écrouler. Vraiment. J'adore ce job, j'adore les produits que l'on propose, j'adore ma boss, c'est un luxe de travailler dans ses conditions. 

La pâtisserie française était connue et réputée du monde entier, on voyait régulièrement fleurir aux quatre coin du monde des enseignes exportées du pays de la gourmandise. Alors il était normal pour Charlize qu'elle s'intéresse aux recettes, sans chercher à égaler le savoir faire des chefs français, elle prenait des idées par-ci par-là et la clientèle appréciait. Des macarons elle n'en faisait pas tous les jours, mais lorsqu'il y en avait en vitrine elle pouvait être certaine qu'ils partaient dans la journée, voir dans la mâtiné souvent. Elle avait régulièrement des commandes particulières qui en regorgeaient et c'était agréable parce que ça prouvait qu'elle maîtrisait ce sujet. C'est terrible les macarons, parce que tu ne peux pas n'en manger q'un ou deux, c'est délicat, petit et fin, bien trop simple à manger ! Et c'était avec des discours tels que celui-ci qu'on voyait qu'elle n'était jamais dégoûtée du sucre, elle restait une véritable gourmande même avec son métier. Et c'était presque sans s'en rendre compte qu'elle avait ouvert une porte, parlé d'elle, d'elle personnellement, d'Axten. Ca touchait l'intime et c'était dangereux, parce que parler de lui c'était prendre le risque de retirer le pansement sur des plaies encore béantes malgré le temps qui passait. Sauf qu'il avait fait partie de sa vie, il avait été sa vie même, cet homme, son époux, son âme sœur. Et il était naturel qu'elle laisse échapper des souvenirs, peut-être même que sa psy serait fière qu'elle ose enfin, après des mois de silence. Oui, mon mari. Répondit-elle alors avec une voix bien moins assurée. Il avait son caractère ! Ce n'était pas un secret, sa mort, leur fuite vers l'Europe pour qu'il vive ses derniers moments, peut-être que Charlie le savait, par ses collègues, ou peut-être ignorait-elle vraiment tout de l'histoire de sa patronne. Charlize n'était jamais vraiment à l'aise pour en parler, parce que trop rapidement un nœud se formait dans sa gorge et lui faisait monter les larmes aux yeux, mais cette fois elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle, elle avait ouvert le sujet. Sur un autre sujet, la blonde découvrait les incertitudes de sa nouvelle protégée, des inquiétudes légitimes, mais qu'elle balayait d'un sourire, comme pour mieux l'encourager. Je t'ai offert une opportunité, c'est pour que tu la saisisses, les erreurs font avancer tu sais. Et puis j'avais envie de découvrir cette audace qui semblait te caractériser... ce serait dommage que tu te bloques ! Elle était douée, Charlize, pour pousser les gens dans leurs retranchements, quitte à user du chantage, pour leur bien !

Oui c'est vrai, on en devient vite accro! Parler de pâtisseries françaises et de macarons, me ramène à des souvenirs. Paris me manque. Bowen fait partie de moi tout comme Paris fait partie de moi. On dit qu'on ne choisit pas entre une mère et son père? Moi je ne choisirais pas entre Bowen et Paris. J'aimerais avoir la maîtrise de la pâtisserie de ses deux pays. Charlize pourrait me conseiller, étant donné qu'elle y a suivit un cours d'un grand chef français. Les confidences se dénouent. Elle se souvient d'anecdotes avec son mari. Mais je remarque qu'elle parle de lui au passé. Avait? je demande avec toute la délicatesse possible. Je me demande si elle n'est pas divorcée ou pire, veuve. Je ne connais pas sa vie privée et j'apprécie qu'elle s'ouvre à moi.

Ce bout de femme m'inspire beaucoup, elle a un grand cœur, et je ne pourrais jamais assez la remercier de me soutenir au quotidien. Elle me pousse à avancer, à devenir confiante. Elle parvient à me donner de l'assurance que je cherchais. Et bien maintenant que tu le dis. J'aimerais bien faire une formation. Si tu me l'autorises, aussi bien sûr! Car qui dit formation, dit aussi remplacement et ce n'est pas toujours évident.

On y arrivait, les larmes qui montaient doucement, la mélancolie, la tristesse qui prenait aux tripes comme un vague à l'âme trop intense que Charlize refusait de laisser s'installer lorsqu'elle était au travail. Elle s'était fait une promesse pour pouvoir revenir ici, c'était de laisser son chagrin au placard lorsqu'elle enfilait son tablier. La pâtisserie, Imogen, c'était l'endroit qu'elle avait choisi pour s'échapper, la safe zone, là où elle pouvait laisser s'exprimer sa créativité, celle qui l'animait, sa passion depuis toujours, son moteur, avant l'amour, avant les enfants, avant la vie que l'on suivait comme le courant d'une rivière loin d'être tranquille. Alors quand Charlie lui demanda, le plus discrètement possible, avait ? Charlize s'en voulu, parce qu'elle avait laissé entrer la vie et ses tracas là où elle voulait ne plus souffrir. C'était de sa faute, totalement, elle s'était sentie bien, à discuter avec la jeune femme, elle s'était ouverte alors qu'elle ne le faisait jamais. Et il était à présent impossible de faire machine arrière, Keynes ne comprendrait pas. Alors elle soupira, baissa les yeux pour se concentrer sur son travail quelques secondes et sans relever la tête elle souffla d'une voix qui se brisait sur les fins de phrase. Il est parti. Enfin non, il est parti une fois mais il est revenu, partir ça veut dire qu'on peut revenir ... On aurait dit qu'elle ne parlait que pour elle-même. Finalement elle releva les yeux sur Charlie qui semblait ne rien comprendre et c'était bien normal, on voyait rarement la pâtissière aussi perdue, elle prit une voix qu'elle voulait assurée mais qui laissait transparaître toute la tristesse qui l'assaillait. Il est mort, il y a deux ans.
En retrouvant un semblant de couleurs et de vie, Charlize laissa entrevoir à Charlie toutes les possibilités qui pouvaient s'offrir à elle si elle avait envie d'avancer et de se perfectionner dans son nouveau travail. Une formation de quoi ? Ce ne serait peut-être pas tout de suite mais ça peut être envisagé d'ici quelques mois. Elle pouvait ainsi voir que Wojcik n'était pas fermée, si ça pouvait la rassurer.

Malaise. Le ton et l'assurance de Charlize changent d'un seul coup. Je me sens terriblement mal d'apprendre la mort de son époux. Je suis désolée Charlize, je ne savais pas. Confuse, je cherche les mots justes pour la réconforter. Mais quand on a perdu son âme-soeur, pas un seul mot doit nous paraître consolable. J'ai lâché la cuillère que j'avais dans les mains. Après avoir essuyé mes mains sur mon tablier, je lui caresse maladroitement le bras. Il doit te manquer. Est-ce que c'est trop tard pour que je te donne mes condoléances? Compatir. Je ne vois rien d'autre que je puisse faire, à part compatir. Fascinée par son grand cœur, je vois en Charlize une femme encore plus dotée de courage que je ne l'imaginais. Quelle chance incroyable que j'ai de pouvoir travailler à ses cotés, elle qui veut, me pousser davantage vers le haut. Il est encore bien trop tôt pour exercer une formation mais je propose l'idée. Je suis une débutante dans le métier et j'aimerais me perfectionner. Tu penses que je pourrais faire une formation spécialisée pour les gâteaux événementiels? Je maîtrise pas trop les grosses pièces. J'adorerais apprendre des techniques pour de belles et bonnes décorations gustatives.

C'était toujours un peu délicat d'annoncer ce genre de nouvelle, ça mettait obligatoirement un froid glacial dans la pièce et entre les gens. C'était pourtant la triste vérité, Charlize était veuve, voilà, Charlie le savait. Chacun réagissait différemment, il y avait ceux qui ne savaient pas quoi dire, qui donneraient tout pour se terrer dans un trou de souris, ceux qui se voulaient compatissants, presque trop, ceux qui positivaient ou encore ceux qui rebondissaient pour donner leur propre expérience. Et encore tant d'autres. La jeune femme en lâcha sa cuillère, ça fit sursauter sa chef qui la fixa interdite, hagarde, une seconde. Charlie posa une main maladroite sur son bras et étrangement ça lui fit du bien, Wojcik esquissa un mince sourire. Ne le sois pas, tu ne pouvais pas savoir. C'était un peu pour ça aussi que Charlize sortait peu depuis son retour à Bowen, outre le manque d'entrain, elle n'avait pas envie de faire de nouvelles rencontre avec qui le sujet viendrait obligatoirement sur le tapis, elle n'avait pas envie de raconter ou de se faire plaindre, ça ne l'aidait pas. Mais la brune restait à sa place et elle lui en était reconnaissante, Keynes ne cherchait pas à en savoir plus. J'imagine qu'il n'est jamais trop tard, non. Elle lui sourit avec tendresse, sentant que quelque chose se passait, elle l'appréciait, Charlie, elle avait envie de lui faire confiance et cette discussion, bien que difficile, lui prouvait qu'elle avait fait le bon choix en la prenant dans son équipe. Je ne veux pas faire la vieille donneuse de leçon. Mais si un jour tu rencontre la bonne personne, profites-en chaque instant. Elle n'en dirait sûrement pas plus, de toute façon elle n'avait pas grand chose à ajouter mais c'était le genre de conseil qu'elle avait envie de crier à la terre entière, parce qu'on ne savait jamais quand le destin frapperait et qu'il fallait savoir profiter du bonheur tant qu'il était là.
Sur un tout autre sujet, bien plus professionnel, la pâtissière encouragea sa jeune recrue à lui parler de cette idée de formation. Et elle sourit en écoutant sa demande. C'est ce que je préfère ! Déjà saches que tu en verras passer pas mal par ici, des pièces de mariage, d'anniversaires, tout autre chose, je collabore aussi régulièrement avec le maire pour différents événements. Alors si ça t'intéresse je pourrais te faire participer. Et puis on pourra voir quand il y aura une session de formation oui, si tu penses que as besoin d'approfondir encore. Une nouvelle fois Charlize se montrait enthousiaste et une nouvelle fois elle se dit qu'elles avaient pas mal de points communs toutes les deux.

Les mots me manquaient car je venais tout juste d'apprendre que Charlize était veuve. J'aurais aimé trouver des paroles réconfortantes et paisibles. Au lieu de ça, je restais confuse. La seule chose censée qui me sembla faire était de lui souhaiter mes condoléances, et encore, je me demandais si elles n'étaient pas trop tardives n'ayant aucune idée à quand remonte la mort de son époux. Je ne voulais pas demander quand ni comment parce que ces questions seraient douloureuses à répondre. Qui sait, avec le temps, elle s'ouvrira à moi et prendra la décision de m'en parler. En attendant, la seule chose que je pouvais faire est être à son écoute. Sa tristesse me donnait envie de la serrer dans les bras. Perdre une personne chère est terrible en soit, mais perdre sa moitié doit l'être encore plus. J'imagine que la vie doit nous paraitre fragile après une telle tragédie. Alors je comprenais son conseil, celui de profiter de chaque instant avec la bonne personne. Inévitablement je pensais à Liam, qui ne m'appartient pas et qui ne m'appartiendra jamais. Personne n'est mieux placée que toi pour donner ce conseil. murmurais-je avec douceur. Puis je rajouta, d'une voix solennel : Si un jour je rencontre la bonne personne, je profiterais de chaque instant. La prière de Charlize me touchait énormément, je ne pouvais qu'être en accord avec elle.

Ce fut donc remplie d'émotion que j'achèvais la pâte des cinnamon rolls mais aussi que j'avouais à Charlize mon envie d'apprendre à faire des gâteaux à titre événementiel. À mon grand bonheur, elle se montrait enthousiaste. Elle me donnait déjà l'occasion de me faire participer, elle qui a l'habitude de collaborer avec le maire. Oh si tu pouvais me mettre dans le coup ça serait génial! J'ai déjà fait quelques gâteaux pour un ou deux anniversaire, et une bat mitzvah mais, rien de professionnel encore, alors, tu vois... La joie parlait pour moi. T'es la meilleure. lui dis-je pour lui faire comprendre que je lui étais reconnaissante pour toutes les opportunités qu'elles m'offraient. Grâce à cette femme j'étais devenue pâtissière et ça, à mes yeux, ce n'était pas rien.