Everyone else in the room can see it, everyone else but you |ft Nova

Nova et Gretchen ne s’étaient pas revues depuis plusieurs semaines, pas parce qu’elles n’en avaient pas envie mais parce que la rouquine avait demandé un peu de temps pour process tout ce qu’elle avait pu ressentir lors de leur premier rendez-vous à l’aveugle. Et parce que Gretchen respectait chacune des limites que Nova leur imposait, elle l’avait attendue. Cela ne signifiait pas qu’elles n’avaient pas continué à s’écrire, qu’elles n’avaient pas continué à penser à l’une et à l’autre. Dans le cas de la thanatologue, ça avait été en permanence. Le plus difficile avait été de ne pas pouvoir en parler à qui que ce soit. Certes, c’était elle qui s’imposait ce cruel silence, mais elle aurait tant voulu pouvoir se confier sur ce baiser, à Charlie, à Madelaine, à Bella, à Noa, à Juliann, à Alix, à Alex, à Rose … à tout le monde. S’époumoner sur le toit de son logement, célébrant ce cœur qui avait commencé à battre à nouveau, ou plutôt pour la toute première fois. Tout ça, Nova l’avait vécu dans le silence. Son petit être était sur le point d’exploser maintenant qu’elles étaient à l’aube de leur second rendez-vous. La jeune femme avait changé de tenue au moins quinze fois. Elle avait vu le style vestimentaire de Gretchen, elle avait vu ce côté gothique autant chez elle que chez le décor de chez elle. Nova, voulant à tout prix plaire mais aussi pour tenter de réduire le gouffre de leurs différences, avait finalement opté pour un style qu’elle n’adoptait absolument pas sur une base quotidienne. Elle avait enfilé des skinny jeans pâles, un chandail noir d’un groupe de métal avec des têtes de mort, noué à l’avant, puis une veste de cuir qui lui donnait cet air badass, elle qui était tout sauf ça. Pour couronner le tout, Nova avait été jusqu’à sortir s’acheter des Doc Martens juste pour compléter le look. Pourquoi mettre autant d’effort sur son apparence si elle avait encore une fois obligé Gretchen à se bander les yeux, me direz-vous ? Parce que Nova avait cette petite voix incertaine dans sa tête qui lui soufflait que, peut-être, il était temps de taire le mensonge. Elle changerait sans doute d’idée cent fois au cours du rendez-vous, mais au moins, elle était prête à toute éventualité. Elle avait laissé ses cheveux lui tomber sur le corps en cascades et avait mis ses lunettes fumées rondes sur ses yeux pour se rendre au lieu du rendez-vous, soit le bateau-restaurant. Lorsqu’elle arriva dans leur petite salle de cuisine rien que pour elle, Nova sourit. Elle ne pouvait faire autrement, maintenant qu’elle avait enfin Gretchen face à elle. « C’est officiel, y’a plus seulement que quand je lis tes messages que je souris comme une idiote. » Dit-elle pour s’annoncer. Gosh, elle avait l’impression d’avoir treize ans, et de vivre pour la première fois ces sentiments qu’elle ne s’était jamais autorisée à ressentir.

Nova avait la liberté de ses mouvements, elle, elle qui voyait tout ce qui l’entourait, y compris Gretchen. Surtout Gretchen. Mais cette dernière était prisonnière de ce bandeau qui limitait son monde à une noirceur que Nova ne voulait pas pour elle. C’était con, elle avait l’impression que les rôles étaient inversés et tout ça pour un vulgaire bout de tissu. Nova n’avait jamais eu l’impression d’être libre, elle qui mentait sur sa propre personne de peur de s’avouer qui elle était réellement. Gretchen semblait déjà plus à l’aise qu’elle face à cette porte qui s’ouvrait face à elles, donnant vers un paysage inconnu. Un paysage magnifique, mais effrayant. Pourtant, c’était bien la blonde qui était plantée devant elle sans bouger, sans doute par peur de tout briser autour. Elle ne pourrait jamais rien briser, Gretchen. C’est Nova qui le ferait, inévitablement. La rouquine voulut quand même essayer. Ce serait beau, ce serait grandiose, le temps que ça durerait. Elle y croyait si fort. À la remarque de Gretchen, la thanatologue rit à son tour. Son rire s’évanouit dans le silence quand la musicienne évoqua ses doutes quant à la venue de la rousse. Nul besoin de terminer sa pensée, Nova la devina. Elle pinça ses lèvres, baissant les yeux vers ses Doc Martens inappropriés, avant de secouer la tête plus pour elle-même que pour Gretchen, bien sûr. « J’ai flippé la dernière fois, complètement. J’sais toujours pas exactement ce que je ressens par rapport à tout ça, mais … Mais j’aurais l’impression de passer à côté de quelque chose en arrêtant ça là. » Je veux pas que ça s’arrête, aurait-elle voulu ajouter, si cette plainte n’était pas aussi intense à l’oreille. Gretchen l’informa par la suite du déroulement de ce rendez-vous plus qu’original. Nova s’approcha enfin de la table de travail, aux côtés de la blonde. « J’vais bien te surveiller. C’est toi qui risques le plus de te couper une main, même, à ne rien voir … » Lâcha-t-elle avec humour, mais culpabilité, aussi. C’était sa faute si Gretchen ne pourrait pas vivre pleinement ce moment. « J’te donnerai les tâches simples, genre, mélanger les ingrédients. » Elle rit. Elle s’attendait quand même à ce que ce soit un peu plus compliqué que ça. Elles n’allaient pas faire un gâteau quatre quart non plus.

« Ce serait dommage, oui. De priver le monde entier de ton talent. » Souffla Nova. Elle-même avait eu l’immense honneur de partager un doux moment de musique auprès de Gretchen. Et cette voix, cette mélodie, ces accords parfaitement harmonieux, tout cela avait réussi à balayer les doutes de Nova pour les quelques minutes qui avaient ponctué leur premier rendez-vous. Le baiser échangé entre elles avait été le contre-coup de la puissance du talent de Gretchen. Nova avait comme été élevée par sa musique, et des ailes avaient choisi de pousser là où la rousse n’avait plus aucun espoir. Dans un élan de courage qu’elle avait puisé au fond des mots de la blonde, elle avait posé ses lèvres sur les siennes, pour qu’elles se rejoignent sur le même nuage, dans la même bulle flottante, l’instant d’une virgule élégamment placée dans leur histoire. Aujourd’hui, Nova n’avait aucune idée de la composition sur laquelle elles valseraient, mais elle avait envie de croire que du beau pouvait encore naître entre elles et ce, malgré la fugue que Nova avait failli faire la dernière fois. Pour une fois, elle avait envie d’écouter son cœur plutôt que sa tête. Son cœur, il lui criait de rester ici, auprès de Gretchen, là où elle avait l’impression que plus rien d’autre n’importait. Malheureusement, une tierce personne pénétra leur intimité alors que le chef entra dans la salle. Tout de suite, d’une réaction instinctive bien trop ancrée en elle, Nova s’éloigna de Gretchen, venant prendre place sur un autre côté du carré qu’était le plan de travail. La pauvre, au regard voilé, n’avait aucune idée du manège malsain qu’orchestrait sa compagne. La jeune femme écouta attentivement les directives du cuisinier, rassurée par la simplicité des recettes. Personne ne perdrait de main aujourd’hui, si elle supervisait un minimum. L’employé quitta la pièce aussi rapidement et silencieusement qu’il y était entré. Nova réprima un rire quand Gretchen se tourna vers le vide pour parler. « Je suis par ici. » Dit-elle avec moquerie dans la voix, avant de réaliser que cela la trahissait, puisqu’elle s’était grandement éloignée en la présence du cuisinier. Maintenant qu’elles étaient seules, cependant, il n’y avait plus aucune raison de faire semblant que l’attirance n’était pas maître, entre elles. « J’ai ramené tous les ustensiles qu’il fallait. » Dit-elle comme pour justifier tous ces pas les séparant. Elle regarda le poisson, à la question de Gretchen. « Nope, il est bien tout là, tout entier. » Elle rit. « Entre ça ou un cadavre humain, je crois que le poisson sera quand même assez facile à vider ! » C’était Nova tout craché, ça, de faire référence à son job de thanatopracticienne sans songer aux cœurs sensibles. Préparer un corps pour le service funéraire, ce n’était pas que du maquillage et des paillettes. « En revanche, je déteste couper des oignons, je pleure tout le temps c’est incontrôlable … Tu te sens d’attaque ? En plus, avec ton bandeau, ça devrait couper les vapeurs du démon … » Elle esquissa un sourire. Elle arrivait à être parfaitement elle-même devant Gretchen, elle qui perdait toujours ses moyens face à ses crush. Pourrait-elle garder cette aisance, une fois le voile tombé ?

Crisis averted, Gretchen n’avait pas relevé l’éloignement de Nova par rapport à leur position initiale. Nova et l’overthink, c’était toujours problématique. Elle angoissait à propos de tout et de rien quand il était question de ses relations, de ce qu’elle avait dit ou fait. Pourtant, sur le coup, elle ne se posait jamais trop de questions et agissait sous l’impulsion. C’est après, quand elle ressassait tout dans sa tête, que les regrets s’installaient. Heureusement, la blonde pouffait de rire, juste amusée par sa mauvaise direction. La rouquine se détendit et pouffa de rire à son tour. C’est là qu’elle amena tout le nécessaire pour cuisiner. « Ça va, si c’est tout ce que j’avais à gérer, on s’en sortirait bien. Maintenant j’dois veiller à ce que tu te coupes pas une main, ça, ça va être plus compliqué. » Bon, elles blaguaient bien, mais il reste que ce ne serait vraiment pas drôle si un tel accident se produisait. Tout ça par la faute de Nova et son incapacité à s’accepter. Peut-être bien que la peur que Gretchen se blesse pèserait davantage dans la balance, aujourd’hui. Pour le moment cependant, c’était elle qui avait la job dégueulasse à accomplir, soit vider le poisson. Pour elle, ce n’était pas grand-chose, elle avait l’habitude de pire. La blonde ne saisissait toutefois pas pourquoi Nova faisait de telles allusions, et Nova plaqua sa main sur son front en mode facepalm en réalisant à quel point c’était gore comme commentaire. Elle éclata d’un rire cristallin, et Gretchen renchérit en évoquant ce côté creepy qu’elle venait de lui présenter. « Oh my god, ça c’est beaucoup trop drôle. Je m’excuse, va pas t’imaginer que je vide des cadavres pour le plaisir, le week-end. J’ai pas de compagnie illégale de nettoyage de scène de crime non plus. Je suis thanatopracticienne, j’fais ce genre de blague à tout bout de champ et parfois j’oublie que ça peut devenir des insides jokes avec moi-même. » Elle se rappelait maintenant que si elle n’avait pas parlé de son boulot à Gretchen, c’était parce qu’elle avait gardé le mystère jusqu’au bout, de son profil de Bowen Bow Tie jusqu’à leurs conversations dans le noir. Tant pis, une information venait d’être fuitée, c’était sûrement signe que tout allait bientôt débouler. Sans doute était-ce pour cette raison que Nova était autant assumée, aujourd’hui. Elle acceptait toujours un peu plus le fait que Gretchen ne pourrait pas être dans le noir éternellement. Ça, et les bottes Doc Martens. Ça lui donnait aussi le sentiment d’être badass, invincible, inatteignable. Ce serait sans doute bien différent quand la blonde pourrait les voir, ces Doc Martens. La vulnérabilité reviendrait en courant, hell, en sprintant. « Tu trouves ? J’adore l’ail … de un, ça sent super bon, de deux … bah ça goûte super bon aussi. » Justification de merde qui la fit rire doucement alors qu’elle se rendait au lavabo pour vider le poisson et le rincer. Avant qu’elle ne commence, Gretchen l’interpella avec un jeu de devinette qui la fit sourire. Elle revint vers elle, songeuse. « Mmm … si la dernière fois je portais une robe toute en douceur et féminité, là, j’avoue que j’ai opté pour quelque chose d’un peu moins … coquet ? » Elle était tout aussi charmante, juste un peu plus rock’n’roll. Tout ça pour les beaux yeux de Gretchen, yeux qui étaient pourtant bandés.

Nova rit doucement à son tour. « C’est la moindre des choses. » Et vraiment, ça l’était. Gretchen acceptait quand même de cuisiner les yeux bandés, ce qui représentait tout de même son lot de danger lorsqu’on n’a pas l’habitude. Le moins que Nova puisse faire, c’était de s’assurer de la sécurité de la blonde. Elle s’en voudrait ad vitam æternam s’il arrivait quelque chose à sa date juste parce qu’elle était une grosse trouillarde. Elle l’était de moins en moins, cependant. Trouillarde. Autrement, elle n’aurait jamais révélé un détail aussi important que celui de son métier atypique. Des thanatopracticiens, on n’en croisait pas à tous les coins de rue. Surtout, il était vrai que ça en disait long sur elle. On pouvait même en venir à se demander comment elle avait pu à ce point paniquer dans le logement de Gretchen alors que c’était elle qui côtoyait la mort à tous les jours. « Non, non, sans blague. Et j’adore ça. Enfin … bon j’ai encore l’air dégueulasse dit comme ça. Mais j’ai pas honte de mon métier, quoi. » Dit-elle d’une voix douce. La blonde affirma alors comprendre un peu mieux les blagues morbides, ce qui fit sourire la rousse. Elle fut flattée d’apprendre que la jeune femme aimait cette partie d’elle. Ça lui donna même envie de pleurer, de se liquéfier sur place. Parce que cette partie-là d’elle, ce n’était pas Adeline. C’était Nova. « C’est noté. » Lâcha-t-elle d’un doux rire. Gretchen aurait aimé la jeune adolescente que la rousse avait été, selon elle. Cette époque-là était tellement loin. C’était avant que la réalité de la vie ne la frappe violemment, de plein fouet, lui montrant qui elle devait être et surtout, qui elle ne devait pas être. Elle avait alors délaissé beaucoup de ses intérêts, musicaux, vestimentaires et tout le tralala, pour devenir le faux portrait qu’elle était aujourd’hui. Un rôle si bien répété que même Nova s’y perdait, convaincue par son propre mensonge identitaire. À propos de l’ail, le cœur de la rousse se pinça, et dans un murmure elle lança : « Ne t’en prive jamais. » Les paroles fusaient sans prévenir. C’était sa petite voix intérieure qui avait trouvé la force de crier, pour atteindre Gretchen, pour qu’elle la délivre. Nova s’approcha à nouveau de la blonde alors qu’il fut question de ce qu’elle portait aujourd’hui. Contrairement à la belle robe verte digne d’une sortie à l’église, la rouquine arborait présentement un style différent dans une vaine tentative de plaire, même aveuglément, à son rendez-vous. « Non, ce n’est pas une robe, pas cette fois … » Lâcha-t-elle avec un sourire. Son cœur s’emballa lorsque Gretchen demanda à toucher. Elle fit un pas de plus vers la blonde et prit sa main pour venir la poser sur le cuir de sa veste, se fichant bien des effluves d’oignon qui devaient être sur ses doigts. Les joues de Nova rosissaient rien que pour ce contact. Elle avait l’impression de se noyer dans l’euphorie, ce qui était à la fois doux et alarmant. Elle peinait à respirer correctement, comme si les mains de l’amour s’étaient nouées autour de sa gorge. « Je pense que je t’ai assez fait faire de devinette comme ça … non ? » Arriva-t-elle à articuler malgré l’alerte générale en elle. Ses muscles s’étaient tous crispés tout d’un coup, mais elle trouva quand même la volonté de porter ses mains jusqu’au bandeau de Gretchen. « Tu permets ? » Elle avait assez durée, cette mascarade. Elle avait envie, plus que tout, de redevenir celle qu’elle était. Nova.

Pour assumer ce qu’elle faisait, elle assumait, Nova. Son métier était d’ailleurs le seul aspect d’elle-même qu’elle mettait souvent de l’avant, avec ses blagues débiles qui faisaient froncer plus d’une paire de sourcils. Pour le reste, Gretchen se rendrait bien vite compte que Nova s’était dégonflée du début jusqu’à la fin de leur histoire qui n’en était malheureusement qu’à ses balbutiements. Elle prendrait conscience que si la jeune femme avait aujourd’hui un semblant d’assurance, elle était pourtant une déception monumentale. C’est ce que Nova craignait le plus, maintenant. Au départ, ses réticences provenaient du plus profond de son être, de son désir de garder l’anonymat pour ne pas faire voler en éclats cette bulle de verre qui la protégeait et l’emprisonnait tout à la fois. Aujourd’hui, son hésitation découlait de sa peur de perdre Gretchen lorsqu’elle réaliserait que tout ça n’était qu’un mensonge. Un beau mensonge, mais un mensonge quand même. L’idée de repousser la vérité encore et encore lui avait évidemment effleuré l’esprit, mais pendant combien de temps encore Gretchen accepterait-elle ce jeu d’évasion identitaire ? Une fois, c’était drôle, deux fois, ça passe, mais Nova ne s’imaginait pas lui imposer le mystère pour un troisième rendez-vous. Elle avait alors songé à mettre un terme à ces faux espoirs qu’elle avait l’impression de lui faire boire. Ses dernières nuits avaient été agitées par cette décision pas encore tout à fait prise. Puis, maintenant que Nova était enfin face à la blonde de nouveau, la troisième option, celle qu’elle n’avait même pas encore envisagée, lui parut une évidence. La vérité. Les doigts de la rousse se portèrent donc vers le nœud du bandeau, derrière la tête de Gretchen, qui devint paniquée tout d’un coup. « Je te montre enfin mon vrai visage. » Elle prit une grande inspiration alors que Gretchen l’autorisait à dénouer le bandeau. Elle eut un rire des plus nerveux alors que la blonde lui confiait sa propre nervosité. « J’ai l’impression que je vais tomber dans les pommes d’une seconde à l’autre. » Dit-elle avec la voix tremblante d’angoisse, pour qu’elle ne se sente pas la seule à être en train de flipper, totalement, complètement. Puis, d’un geste tellement lent que c’en était cruel pour leurs pauvres cœurs en alerte, Nova tira sur le bandeau pour le faire tomber à leurs pieds. La rousse croisa le regard de la blonde, trop nerveuse pour sourire, trop paniquée pour reprendre des couleurs. « Je t’ai menti, Gretchen. Je ne m’appelle pas Adeline. Je m’appelle Nova. » Elle baissa les yeux vers le plancher, vers ce regretté bandeau, avant de relever les yeux vers la jeune femme et d’hausser les épaules. « Dis quelque chose, s’te-plaît. » Avant que l’une des deux ne prenne la fuite.

C’aurait été splendide, comme tableau, le chef qui revient dix minutes plus tard pour vérifier que tout se passe bien pour finalement trouver la blonde et la rousse étalées par terre, inconscientes. Il se serait sans doute attendu à ce qu’elles foutent le feu à la place plutôt que de tomber toutes les deux dans les pommes. C’est qu’il n’avait aucune idée de ce qu’elles ressentaient l’une pour l’autre. Et de toute la beauté et le mystère de leur histoire naissante. Nova se contenta de rire nerveusement de ce commentaire, parce qu’elle avait la gorgée nouée et qu’aucun autre mot ne pourrait en sortir tant qu’elle n’aurait pas enlevé ce fichu bandeau des yeux de Gretchen. Les premières secondes parurent interminables alors que la blonde papillonnait des yeux, laissant toute la lumière extérieure et intérieure du bateau-restaurant entrer dans ses yeux. Et la véritable image de Nova, aussi, qui lui rentra sans doute dedans. Mais pas autant que ce que la rouquine lui avoua sans plus tarder, le mensonge, toute cette mascarade qu’elle avait mise sur pied pour mieux pouvoir se défiler si jamais leur histoire s’avérait un véritable fiasco. Mais la vérité était que Nova n’avait aucune envie de partir, ni de ce bateau ni de cette relation, peu importe ce qu’elle était à ce stade-ci. Le regard de Gretchen sembla enfin s’éclaircir maintenant qu’il s’était acclimaté à l’environnement lumineux, et la thanatopracticienne devint rouge écarlate parce qu’elle savait que la blonde la voyait. Elle la voyait. De l’intérieur comme de l’extérieur, elle savait maintenant qui elle était, à quoi elle ressemblait, et dans une ville comme Bowen ça signifiait tout. Elle n’aurait plus aucun secret pour elle, puisque Gretchen était la seule à connaître son seul et unique véritable secret. La blonde demeurant silencieuse sans cesser de la fixer, Nova la supplia de dire quelque chose, avant que le plancher ne se dérobe sous leurs pieds. Si elle était sur le point de l’abandonner sur place, elle voulait le savoir sans plus tarder. Elle ne gérait pas bien l’attente. Ce qu’elle formula enfin, ce n’était pas ce que la rousse attendait. C’était encore plus beau. Elle avait juste murmuré son prénom, son vrai prénom, le sien, celui qui la suivait partout, celui que tout le monde connaissait. Et maintenant Gretchen faisait partie de tout le monde. De son monde. Un sourire se dessina sur les lèvres de Nova, qui hocha la tête comme pour lui confirmer à nouveau son identité. La musicienne s’avança vers elle et posa sa main sur la joue désormais blême de la rousse. Trop d’émotions en trop peu de temps, sa peau ne savait plus sur quelle palette de couleur s’enligner. Elle ne respirait plus, Nova, ou alors peu. Mais quand Gretchen passa ses bras autour d’elle pour la serrer contre elle, tout le stress sembla se relâcher et elle poussa une grande expiration, de soulagement, de bonheur. « Tu ne m’en veux pas ? » Demanda-t-elle sans la lâcher, d’une toute petite voix. Elle avait besoin de l’entendre pour se calmer totalement. Lorsqu’elles se relâchèrent, Gretchen plongea son regard perçant dans celui de Nova, et la questionna sur le choix du prénom Adeline. « C’est mon deuxième prénom … C’était le nom de ma grand-mère. Alors y’avait quand même une partie de moi dans tout ça … C’était pas juste de la bullshit. » Ses lèvres se retroussèrent tout légèrement, et elle grimaça de honte quand la blonde lui affirma qu’elle aurait pu comprendre. « Je ne savais pas, Gretchen. Quand j’ai créé mon profil, je n’avais aucune idée que je tomberais sur … sur toi. J’faisais ça pour expérimenter, ressentir quelque chose pour une fois dans ma vie … J’pensais pas que ça prendrait des proportions aussi … grandes, et importantes. Et à partir de là, j’étais déjà perdue dans mon mensonge. » Déclara-t-elle piteusement en haussant les épaules. Quand la blonde lui demanda si c’était la seule chose sur laquelle elle lui avait menti, elle leva un regard désolé vers elle. « I think so … J’ai tellement pris l’habitude de mentir, à tout le monde, à moi-même … j’en oublie parfois ce qui est vrai et ce qui est faux. Mais la fille à qui t’as parlé, qui t’a confié des trucs et qui s’est montrée vulnérable par moment, c’était pas des artifices, Gretchen. Ce que je ressens, c’est du vrai. »