she looked daisy safe but smelled rose wild ⤅ conchobáhr

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Le couteau fila à travers l’espace, le souffle de l’air coupé net parvenant aux oreilles de la rouquine. Elle resta figée dans sa position, après avoir lancé l’arme, jusqu’à entendre le bruit mat de la lame se plantant dans la cible. Un sourire satisfait étira ses lèvres, et elle avança jusqu’au rond cerclé de couleurs qu’elle ne pouvait voir, pour tâtonner à la recherche de l’endroit où le couteau avait dû se planter. Évaluant la distance de ses mains, elle constata qu’elle ne s’en était pas trop mal sortie, comme elle le pensait. Enlevant d’un coup sec l’arme au beau manche en bois, elle regagna sa place, comptant machinalement ses pas, par habitude, pour se retrouver à la distance prévue de la cible. Elle avait été ravie de découvrir, quelques semaines auparavant, que le complexe sportif offrait une infrastructure de tir à l’arc, qui servait aussi à toutes sortes d’autres activités plus obscures, ou en tout cas moins connues, comme le lancer de haches. Ou de couteaux, comme elle le faisait aujourd’hui. Saoirse avait beau vivre dans le noir, elle avait continué inlassablement à pratiquer ses activités de personne voyante une fois qu’elle avait accepté sa cécité. Et au fil des années, elle avait réussi à être aussi douée, si pas plus, dans ces domaines que lorsqu’elle possédait deux yeux fonctionnels. Mais ces compétences demandaient de la pratique pour rester à leur niveau, et la jeune femme avait sauté sur l’occasion de travailler sa précision, dans un cadre motivant et stimulant, même. Après une inspiration, arrivée à la place désignée pour lancer à une certaine distance, elle fit volte-face et tendit le bras dans le même temps, pour lancer avec force son couteau qui ne la quittait que rarement, cadeau de sa jeunesse qu’elle conservait et entretenait précieusement. Des pas, trop proches, l’alertèrent de son erreur, un poil trop tard. « Attention ! » s’écria-t-elle pour prévenir la personne qui semblait s’approcher dangereusement de la trajectoire de la lame. Elle ne l’avait pas entendu arriver, pas assez vite en tout cas, trop enjouée par son activité et concentrée sur la justesse de ses gestes.

Quand des événements un peu perturbants surgissaient dans ma vie, j’avais généralement deux types de réactions, totalement à l’opposé l’une de l’autre : soit je tombais dans un cycle malsain de Netflix, malbouffe et sorties au bar, soit je passais mon temps à la salle de sport jusqu’à ce que ça en devienne maladif et mauvais pour le corps. Puisque je me trouvais à ce moment-là au complexe sportif, je vous laisse deviner dans quelle mauvaise habitude je m’étais retrouvé dans les dernières semaines. Je courais sur le tapis roulant, les gouttelettes de sueur tombant à chaque enjambée, en ressassant dans ma tête toutes les images des derniers mois. Ma rupture d’avec Freja, la totale panique quand Louise m’avait appris sa grossesse deux mois pile après mes égarements dans ses bras, ma nuit avec Pippa, la voir se marier quelques jours plus tard, mariage auquel j’avais également vu Freja aux côtés de Woody. Je secouai la tête en augmentant le son de la musique dans mes écouteurs. Une quinzaine de minutes de plus encore, à bout de souffle et d’énergie, je réduisis la vitesse de course jusqu’à ce que je puisse marcher, un moment, le temps que mon rythme cardiaque se calme. J’attrapai ma serviette et ma bouteille d’eau, direction les douches. Enfin, ça, c’était le plan avant qu’un cri d’avertissement me sorte de ma bulle et qu’un couteau me passe à deux centimètres du nez. Je me stoppai net, réalisant que je me trouvais entre les cibles et les lignes de lancer, dans la section de tir à l’arc du complexe sportif. Mon subconscient voulait ma mort ou quoi ? Je me tournai vers la femme. « J’ai vu la lame défiler devant mes yeux mais pas ma vie. » Déclarais-je. « C’est bon signe non ? » L’humour post-peur. Parce que ouais je venais presque de me chier dans les pantalons, là. Je m’écartai de l’endroit où je me tenais, de peur qu’un autre lanceur-fou me prenne pour une cible. « Je ressemble à quelqu’un que t’aimes pas beaucoup, hein ? » Demandais-je alors avec un petit rire nerveux.

La rouquine crut défaillir de soulagement en entendant qu’aucun accident ne s’était produit. Le bruit mat de la lame dans le liège de la cible, et ensuite une voix masculine, touchée d’un brin d’humour. « Bon signe pour mon casier judiciaire, oui ! Mais je ne crois pas que vous êtes censé marcher au milieu d’un terrain de tir à l’arc. » répondit Saoirse, un peu sèche, son fort accent irlandais n’aidant pas à adoucir son ton. C’était con de s’en prendre à lui, parce que sa colère était dirigée contre elle-même. Peut-être qu’elle faisait trop confiance à ses quatre sens restants. Si elle avait encore eu des yeux, elle l’aurait vu arriver, trop concentrée ou non sur son lancer. C’était à elle de s’ajuster totalement, au millimètre près, si elle voulait garder des activités réservées aux personnes sans handicap. Si elle ne savait pas le faire, alors il était de son devoir de s’abstenir, histoire de ne pas devenir un danger public pour les autres. L’homme rigolait un peu, mais Saoirse ne se serait jamais pardonnée de l’avoir blessé, même superficiellement. Ou pire. « Disons que… » Était-ce vraiment opportun d’annoncer à cet inconnu qu’on l’avait autorisée – après qu’elle ait énormément insisté, et fait ses preuves – à s’entraîner au lancer de couteaux alors qu’elle n’y voyait rien ? L’honnêteté de l’Irlandaise l’emporta, et de toute manière, ses yeux caractéristiques allaient probablement vendre la mèche. « Je ne sais pas à quoi vous ressemblez, donc je ne saurais le dire. » avoua-t-elle avec un petit haussement d’épaules nonchalant et un demi-sourire, essayant elle aussi de jouer la carte de la détente, alors qu’elle était quelque peu mal à l’aise. Elle venait de lui annoncer qu’elle avait manqué de l’embrocher parce qu’elle avait choisi de pratiquer un sport déjà dangereux avec ses cinq sens, alors ne parlons même pas de sa vue inexistante. Ce gars allait vriller.

Le ton de voix sec de la jeune femme me fit comprendre que ma blague n’avait peut-être pas sa place après ce qui aurait pu être un grave accident. Mais c’est moi qui en serais mort, pas elle, alors j’étais celui qui avait le droit de décider si on en riait ou si on en pleurait, non ? J’avais assez de soucis dans ma tête, pas besoin de rajouter à ça une engueulade avec une femme qui clairement savait viser, mais ne savait pas regarder autour d’elle avant de le faire. « Et je ne crois pas que t’es censée tirer comme bon t’semble sans avoir un minimum connaissance de ce qui t’entoure. » Je remarquai le vouvoiement dont elle avait faire usage, mais je décidai de ne pas poursuivre sur cette lancée. C’est qu’elle n’était pas bien vieille. Sa chevelure rousse me rappelait la couleur de la tignasse de Zelda, quelques années plus tôt. Son accent irlandais, quant à lui, me rappelait celui de ma mère, qu’elle n’avait jamais perdu même après des années en Australie. Je n’avais aucun doute sur les origines de cette lanceuse de couteaux. Je tentai finalement une seconde blague, n’ayant visiblement pas envie de me prendre la tête aujourd’hui, en affirmant que je ressemblais probablement à quelqu’un qu’elle ne portait pas dans son cœur. Je fronçai les sourcils alors qu’elle admettait que ce serait plutôt difficile à dire, puisqu’elle ne savait pas à quoi je ressemblais. Son ton de voix était déjà un peu plus détendu, alors que c’aurait plutôt été le moment pour elle de crouler sous le malaise. Avec cette réplique et ses yeux sur lesquels je m’attardai un peu plus, je ne mis quand même pas trop de temps à tout saisir. « Attends, tu me reproches d’avoir marché dans le champ de tir, par inadvertance by the way, mais toi tu lances volontairement tes couteaux alors que tu vois rien et tu trouves ça normal ? » On y repassera pour l’acceptance et l’ouverture aux différences, mais c’est que j’étais quelque peu irrité qu’elle ait sèchement agit comme si j’étais le grand fautif alors qu’elle était dans un contexte plutôt particulier.

Bon, elle aurait sans doute pu faire preuve d’un peu plus de complaisance. Elle fronça les sourcils néanmoins devant cette réponse de bulldozer. Certes, elle l’avait apostrophé un peu sèchement, mais elle n’avait pas voulu être froide non plus et estimait se prendre un retour de flamme un peu exagéré. Elle avait eu peur, voilà tout. Peur d’un accident qui aurait été entièrement de sa faute, ou en tout cas c’est ce qu’elle se serait dit si les événements avaient pris une tournure plus dramatique. Saoirse esquissa simplement une moue contrariée mais ne releva pas. Et comme prévu, l’annonce suivante déclencha une réaction indignée qui ne se laissa pas du tout tempérer. Ok, ce n’était pas surprenant, mais Saoirse avait du mal à encaisser le ton qu’il employait. Ton derrière lequel elle percevait des notes subtiles de son propre accent. Les r étaient plus roulés que ceux des Australiens, l’ensemble était plus rustre. Enfin, un peu. S’il venait bien d’ailleurs, il devait vivre ici depuis bien plus longtemps qu’elle. « Ne t’en fais pas, là d’où je viens, on apprend à tirer les yeux bandés à six ans. » rétorqua la rouquine, esquissant un sourire narquois, son tempérament aussi enflammé que la chevelure. Elle avait glissé une bonne dose de sarcasme dans sa réplique, qui était totalement fausse d’ailleurs, mais d’un côté, l’utilisation d’une forme d’humour était destinée à potentiellement calmer les tensions. Ils se rentraient dedans, mais peut-être que ça finirait en bonne blague, tout ça. Ouais, peut-être. Saoirse comprenait totalement sa réaction, au fond. Il ne la connaissait pas, ne savait pas comment elle gérait sa cécité et tout ce qu’elle savait faire ou moins bien faire. Forcément, qu’il était un peu paniqué, le pauvre. Mais elle était aussi un peu piquée dans son égo d’handicapée, la réflexion de l’homme lui rappelant que la société la voyait comme moins capable – et dans ce cas-ci, comme un danger – alors qu’elle savait parfaitement ce qu’elle était en mesure de faire ou non. Saoirse était téméraire et un peu bornée, certes, mais elle avait un minimum de jugeote quand même. « Sinon, on apprend la courtoisie très tôt, aussi. Mais on doit pas venir du même coin, toi et moi. » D'accord, celle-là n'était vraiment pas nécessaire, et la jeune femme se mordit la langue. Elle qui essayait de tempérer un peu, malgré ce mode passif agressif, venait de lancer deux barils d'huile sur le feu. Elle avait déjà très peu d'amis dans le monde extérieur, et apparemment, elle ne comptait pas s'en faire de nouveaux, malgré elle.

Mon ton de voix avait été un peu plus arrogant que prévu. J’arrivais généralement à mieux cacher mon irritation que ça, mais visiblement le fait d’avoir passé à deux doigts de me prendre un couteau en travers de la tête changeait un peu mes habitudes. Si le sourire narquois de la rouquine avait pour objectif de calmer les tensions après sa toute dernière réplique, c’était raté. Le sarcasme que je décelais dans son commentaire ne me donnait pas vraiment envie de me laisser aller à son humour. J’avais débuté ce qui était vite devenu une altercation dans la légèreté, mais là je trouvais que ça devenait rapidement lourd, comme échange. Je n’arrangeais rien, d’ailleurs, en répondant : « Oh tu sais, je me doute d’où tu viens et je sais très bien que c’est pas le cas. On t’as pas plutôt appris à caler une Guinness, à six ans ? » Le cliché. En tout cas, c’était visiblement le premier talent développé par ma mère. Pour ce qui était de viser, elle devait être bien mauvaise élève alors, puisque toutes les tasses ou les assiettes jetées sur ses ex-copains n’atteignaient jamais leur cible – ou pas la bonne cible. Je ne voulais pas nécessairement douter des compétences de la jeune femme en matière de lancers, c’est juste que le contexte entourant notre rencontre me laissait malheureusement penser qu’elle aurait peut-être davantage eu sa place dans un endroit plus adapté. Au moins, les gens un peu tête en l’air comme moi ne risqueraient pas de se faire tuer à chaque trois mètres. La rousse répliqua à nouveau, s’en prenant encore à nos origines. N’avait-elle pas compris qu’elle et moi, on partageait bel et bien un petit coin de ce monde ? Certes, je n’avais pas l’accent irlandais, je n’avais même que très rarement mis les pieds en Irlande. Je n’en avais que les origines, d’une mère qui n’avait pas su me créer un assez fort sentiment d’attachement à l’endroit. Malgré tout, j’étais fier d’où cette moitié de moi provenait, et mon interlocutrice n’allait pas m’insulter de la sorte. « Dis-moi, alors, de quelle façon t’as été plus courtoise que moi depuis le début de cette conversation ? En fait, j’crois qu’au contraire, toi et moi, on vient à peu près du même moule. » Je n’avais pas été élevé par mon père, il n’avait jamais été dans le portrait. Je n’avais donc reçu que l’influence d’une mère ayant laissé son cœur – et probablement son âme – en Irlande, back home.

C’était donc devenu une bataille de celui qui aurait la meilleure réplique, apparemment. Saoirse ne versait pas vraiment dans les échanges stériles, mais elle était touchée dans sa fierté, piquée par les mots pleins d’a priori de son interlocuteur. Il aurait été plus mature de laisser la conversation là, mais la rousse n’avait aucune envie de se laisser faire. C’était plus fort qu’elle. « Même deux, et des pintes, s’il te plaît. » Sur un ton différent, on aurait pu croire à un jeu de répliques amical, mais c’était moyennement le cas ici. Une ironie combattive était présente dans ces paroles au fort accent irlandais. D’accord, Saoirse l’avait un peu cherché, ou elle aurait en tout cas pu être plus diplomate. Mais bon… Lui aussi. Rien ne l’autorisait à l’attaquer sur les origines qu’il lui attribuait. Qu’il soit dans le faux ou dans le vrai. Mais elle ne comptait pas perdre la face devant cet homme et elle pouvait être un peu teigneuse, quand on la diminuait ainsi. Il ne savait rien d’elle, il avait peut-être reconnu son accent, mais elle doutait fortement qu’il ait grandi dans une communauté comme la sienne, aussi singulière et fermée. Encore moins qu’il s’en soit échappé. Elle ne connaissait aucun homme chez son groupe d’Itinérants qui ait fait le même choix qu’elle et ait tout abandonné, son honneur compris. La violoniste fut toutefois prise de court quand son interlocuteur lui demanda à quel moment elle avait été plus polie envers lui. Elle ouvrait déjà la bouche pour rétorquer quelque chose de bien senti, mais se rendit compte dans la seconde qu’effectivement, elle ne s’était même pas excusée. Un sentiment de honte l’envahit brièvement, gagnant ses joues, avant qu’elle ne ravale tout ça pour garder la tête haute. « J’ai tout simplement établi un fait, qui est qu’on ne se balade pas au milieu d’un terrain de tir. » reprit Saoirse, la voix plus posée. Ça, c’était vrai. Même si c’était sans doute un peu de mauvaise foi, vu son comportement par la suite. Mais il avait démarré les hostilités, aussi, en lui répondant de la sorte. Ok, c’était pas bien de jouer à « c’est lui qui a commencé » comme à la maternelle, mais face à cet inconnu, la rouquine avait du mal à prendre une autre approche que celle de se rentrer dedans. « Bon, si on vient du même moule, tout ça, là, on est quittes, non ? » voulut abréger l’Irlandaise. C’était un peu rustre, mais ça partait d’une bonne intention, celle de proposer une désescalade.

Un rire à la fois arrogant et amusé se fit entendre de ma part. Je ne savais même plus sur quel pied danser, avec elle. D’un côté j’étais encore pas mal agacé de ce qui venait de passer, d’un autre côté nos répliques du tac-au-tac me donnaient également envie de rire. C’était tellement poussé et puérile à la fois que ça en devenait ridicule. S’insulter à coup de clichés sur la bière consommée en Irlande, ce n’était quand même pas digne de deux adultes d’une trentaine d’années. Nous avions l’air de deux gamins dans la cour de récréation. « Même pas des quilles ? Je suis déçu. » Une gamine qui s’enfilerait des quilles de bière ce serait quand même assez abusé, même pour une irlandaise. Même pour n’importe qui, uh. On passa finalement à la courtoisie, dont je n’avais pas fait preuve selon elle. Et selon moi, elle non plus. Je ne manquai pas de le lui faire remarquer, d’ailleurs, parce que si je pouvais m’en prendre plein la gueule quand c’était mérité, ce n’était pas le cas quand c’était injustifié. Les joues de la rousse s’empourprèrent tout légèrement, et j’eus peur que ce soit de rage. Après tout, c’était encore elle qui avait les couteaux. « Et j’ai juste établi le fait que généralement, avant de lancer, on s’assure que l’espace est dégagé et sécuritaire. » J’haussai les épaules en soupirant. « C’est pas comme si j’étais arrivé en mode ninja en me plantant devant ta cible non plus. » Mais elle était aveugle et j’étais injuste. J’avais généralement plus de compréhension et de bienveillance à l’égard des gens que ça. J’avais l’impression d’être le Concho que j’avais été à ma première rencontre avec Alba. Avec un peu de chance, avec la rouquine ça ne s’envenimerait pas non plus. Bon, avec Alba on avait fini par coucher ensemble quelques heures plus tard et mon esprit n’était pas encore parti dans de telles digressions à propos de la rousse, hein. But still, si on pouvait mettre un terme à ce combat de répliques, ce serait bien. Elle semblait sur la même longueur d’ondes. « Ouais, on est quittes. Et j’ai appris ma leçon, j’ferai gaffe à passer loiiiin loin d’ici la prochaine fois. » Une toute petite dernière pique.

Deux gamins, sans doute, mais surtout deux têtus aussi. Visiblement, ni l’un ni l’autre ne souhaitait jouer l’adulte et tempérer les choses. « Oh, et bien désolée de ne pas être à la hauteur de tes attentes, je ne savais pas que c’était mon but dans la vie. » rétorqua la jeune femme à la chevelure enflammée, fronçant les narines. C’était vraiment stupide, de réagir ainsi, cette conversation ne ressemblait à rien à part un combat d’esprits bornés, chacun cherchant à avoir le dernier mot en claquant le bec à l’autre. Bon, Saoirse, on t’a connue plus mature que ça. Ils n’allaient pas se crêper le chignon pour rien pendant deux heures comme des petites vieilles aigries. Vu de l’extérieur, c’était si ridicule que c’en était marrant. Après un bref moment de honte en réalisant qu’elle ne s’était pas excusée, mais toujours pas prête à les présenter vu que c’était un peu tard – encore un peu d’ego mal placé -, la conversation prit un tournant un peu plus sensé, néanmoins. Son interlocuteur n’avait pas tort, mais ses paroles faisaient tout de même naître un sentiment d’injustice chez l’Irlandaise. Non, elle ne l’avait pas vu, elle n’aurait pas pu, et non, elle ne l’avait pas entendu non plus, trop concentrée sur son activité, mais ça arrivait. C’était un accident qui pouvait arriver à tout le monde. Même si ça devait arriver nettement moins chez un voyant. Ce constat frustrait Saoirse, même si elle savait que c’était comme ça. Elle ne pleurait plus sur son sort depuis longtemps, mais sa sensibilité n’était pas à l’épreuve de toutes les piqûres de rappel non plus. « Peut-être bien que si, qu’est-ce que j’en sais ? La preuve, je ne t’ai pas vu arriver. » Il était temps de jouer plus gentiment à ce jeu. Et heureusement, l’homme lui avait offert une porte de sortie sur laquelle elle pouvait rebondir avec humour. Ses lèvres s’étaient doucement fendues en un sourire amusé. « Ça marche. » acquiesça la rousse avec un air entendu, comme s’ils venaient de sceller le pacte de l’enterrement de la hache de guerre. Oui, ça sonnait bien, comme pacte. « C’est une bonne idée, après, ton karma te réserve peut-être d'autres surprises. » reprit-elle avec un air taquin, sous-entendant sans fondement que ses actes passés le condamnaient peut-être à une punition imminente, comme se faire embrocher par le poignard d’une aveugle.

Elle avait un sacré sens de la répartie, cette rousse, et ça me plaisait assez même si je ne laissais absolument rien paraître. En même temps, ça avait beau me plaire, ça m’irritait aussi pas mal. Actuellement, je n’avais absolument pas envie de jouer cette partie de ping-pong de piques et de répliques et pourtant, j’étais incapable d’arrêter. Probablement parce que je ne voulais pas qu’elle ait le dernier mot. Trop souvent dans ma vie j’avais laissé les autres me clouer le bec et en vieillissant, j’avais appris à m’affirmer. Il aurait juste fallu que j’apprenne à différencier les bonnes occasions des mauvaises. Là, c’aurait été le moment de let go, mais je n’y parvenais pas. « C’est pas que mes attentes qui n’sont pas atteintes, ce sont celles de toute une nation. » Mais ta gueule, bordel, pensais-je. J’étais vraiment en train de me creuser un trou. Il fallait vite que j’aille m’y terrer et que cette fille m’oublie. J’aurais dû savoir qu’à Bowen à peu près tout le monde se connaissait de près ou de loin. Si ça se trouve, cette jeune femme était la copine de quelqu’un de bien proche de moi et cette anecdote allait me faire paraître pour un vrai taré. Pour essayer de rétablir l’ordre, de me rattraper ou un truc du genre, je pris un ton de voix un peu moins agacé – et agaçant – en expliquant simplement mon point de vue, ajoutant avec mauvaise foi que je n’étais pas arrivé en mode ninja le long du mur de tir. Lorsque la rouquine affirma qu’elle n’en savait rien étant donné qu’elle ne m’avait pas vu arriver, je faillis ajouter qu’elle aurait plutôt dû ne pas m’entendre arriver. J’étais low, mais pas à ce point-là. Je me tournai la langue sept fois dans la bouche et décidai de me la fermer, ma gueule, cette fois. « J’ai vraiment autre chose à faire que de quitter la salle de sport en m’faisant invisible. Mon fils est pas là alors j’ai pas besoin d’faire comme si j’avais des super-pouvoirs. » Cette tranche de vie allait peut-être m’humaniser, peut-être pas du tout. À voir comment ça avait dégringolé rapidement, cette conversation, je me doutais que ma réputation était faite auprès de cette femme. Le coup n’était pas rattrapable. Tant pis. Je m’entendis finalement avec elle que je ferais davantage gaffe les prochaines fois. Elle me parla de karma et je levai les yeux au ciel avec un sourire. Heureusement qu’elle ne pouvait pas voir la tête que je faisais. « Oh, mon karma m’a assez réservé de surprises comme ça pour toute une vie, j’crois que j’ai assez donné. » Confiai-je sans trop réfléchir. Je me grattai la nuque. « Bon, ben, si ma remontrance est terminée, j’filerais bien aux douches là. »

Malgré l’exaspération sous-jacente qu’elle éprouvait, la dernière pique qu’envoya le jeune homme arracha un rire à la rouquine, qu’elle étouffa au plus vite, avant d’esquisser un sourire. Allez, il fallait être fair-play, ça l’avait vraiment fait rire, inutile de jouer les fières et de le cacher pour continuer une guerre de mots dénuée de sens. Cette petite altercation était sans doute vite montée dans les tours, mais elle était retombée de la même manière. Ils devaient avoir le sang chaud tous les deux, et le même ego mal placé par moments. Ou bien un gros manque de maturité, malgré la vision assez positive que Saoirse avait d’elle-même. Soit, cet échange avait un peu échauffé les esprits, mais elle devait reconnaître qu’intérieurement, le côté absurde de la situation et les réparties l’avaient fait sourire. Si bien que l’humour remplaça l’irritation dans leur ton, bien qu’il n’eut pas l’air de saisir le jeu de mots de l’Irlandaise, blaguant sur son propre handicap. Elle avait l’habitude, souvent les gens étaient mal à l’aise face à ça. Mais Saoirse, elle aimait bien dédramatiser et se moquer du sens qu’elle avait en moins, de temps en temps. Et comme un tas d’expression contenaient le mot voir, elle avait de la matière. « Oh, tu as un fils ? » reprit la rousse en arquant un sourcil, étonnée sans trop savoir pourquoi. Après tout, il n’y avait aucune raison de partir du principe qu’il n’était pas papa. Elle aurait bien lancé qu’il était sûrement moins mature que sa progéniture, mais fallait peut-être pas pousser bobonne dans les orties. Saoirse se mordit la langue après avoir relevé l’info, pensant à son fils à elle. Une vague de remords l’envahit, et elle n’était plus si certaine que c’était un sujet qu’elle voulait aborder. La vérité, c’est que sans réfléchir, cette information l’avait tout à coup rapprochée du personnage face à elle, avec cette parentalité en commun. Sauf qu’elle, elle n’avait vraiment plus le droit de se définir comme telle. Quand on laissait un mari et un enfant derrière soi, sans se retourner, on n’était sûrement plus une mère. « Désolée de l’apprendre. Mon couteau était peut-être un dernier avertissement avant une vie de tranquillité ? » suggéra Saoirse avec une petite moue amusée, mais aussi compatissante. Elle pouvait péter comme le feu quand on la cherchait, mais elle était avant tout quelqu’un de bienveillant. « Oh, euh, oui, désolée, je voulais pas te retenir. » fit Saoirse avec un pas de recul, secouant la tête. De fait, il avait sûrement mieux à faire que taper la discut’ avec celle qui avait failli l’embrocher dix minutes plus tôt. Elle se mit discrètement – enfin, elle croyait – à chercher sa canne blanche, qu’elle pensait avoir posé sur la petite table haute en bois, juste à côté de la ligne de tir. Elle était même sûre qu’elle l’avait posée là, quand on était aveugle, valait mieux avoir une bonne mémoire et être attentif. Mais elle tâtonnait sans succès, et n’avait aucune envie de vivre l’humiliation de chercher à quatre pattes sur le sol devant un inconnu.

Un sourire assez fier s'afficha sur mon visage alors que la rouquine souriait elle aussi à la suite de ma blague. Ouais, ça me flattait de faire rire les gens, surtout en pleine argumentation. Tout d'un coup je me sentais un peu plus léger, rien que grâce à ce tout petit rire que je lui avais soutiré. Je n'aurais pas dû ressentir autant de fierté pour une discussion aussi ridicule, mais bon, il fallait que je puise ma confiance en moi à quelque part. Pour le jeu de mot de la rousse, par contre, c'était raté. Mon inconfort face à son handicap, sans doute, ne m'avait pas permis de comprendre qu'elle aussi avait tenté la blague. Il y avait sans doute une partie de moi qui avait éprouvé de la retenue, ne voulant pas rigoler à une blague si elle n'en était pas une. Le malaise, quoi. Et clairement tous les deux on aurait regrimpé dans les rideaux aussi vite qu'on en était descendus. Je préférais avoir eu l'air un peu con en ne répliquant rien à propos du verbe employé. À la place, je parlai d'invisibilité et de mon fils qui n'était pas dans les parages pour voir mes super-pouvoirs. « Pourquoi tu le demandes comme ça ? » Demandais-je, un peu insulté, alors qu'elle semblait surprise que j'aie un fils. « J'ai même deux enfants. C'est difficile à croire tant que ça ? » Elle ne me connaissait même pas, pourtant. Son petit sourcil arqué en disait cependant beaucoup, beaucoup trop pour le peu qu'elle savait de moi. S'ensuivit une discussion sur mon karma. J'avais déjà cher payé dans ma vie, alors non merci. Je ris à sa réplique. Espérons qu'elle avait raison. « Ouais, c'était peut-être le test ultime, le ça passe ou ça casse. Et comme j'suis encore en vie pour en parler, j'imagine que j'ai gagné contre le karma. » Je levai un poing en l'air en me rappelant bien vite qu'elle ne pouvait pas le voir. Je laissai retomber mon bras avec une  petite moue confuse. Notre petite altercation étant terminée, je me reconnectai un peu à moi-même et à mon odeur de mec qui a pas mal forcé dans la dernière heure. « Tu voulais pas me retenir, non, tu voulais m'assassiner. »  Je souris. Comme un clin d'oeil aurait été inutile, je mis tout l'humour dans mon ton de voix. « Allez, bonne journée. » Je m'éloignai et jetai un coup d'oeil par-dessus mon épaule pour regarder la rousse une dernière fois - voir si elle faisait un peu plus gaffe, aussi. Mais elle était en train de tâtonner près de la petite table haute en bois. J'aperçus sa canne qui avait dû rouler par terre pendant son entraînement. Je m'empressai de revenir vers elle, de ramasser sa canne et de la lui tendre. « Tiens, ici, devant toi. Elle a dû rouler de la table. »

Merde, il le prenait mal. Saoirse se fustigea mentalement d’avoir employé un ton surpris, même si elle ne l’avait pas choisi. C’était sorti tout seul, néanmoins, ça restait impoli. « Non non, je… » répondit la jeune rousse, mal à l’aise à son tour, ne sachant pas trop quoi dire à part que non, elle ne savait pas pourquoi elle avait réagi comme ça. Une porte de sortie lui apparut comme par miracle. « Je réalise juste que j’aurais pu faire deux orphelins, aujourd’hui. » se rattrapa-t-elle de justesse en reprenant soudainement le ton de la plaisanterie, clin d’œil à l’incident et l’altercation qui s’en était suivie. Histoire de bien enterrer toute animosité entre eux. D’autre part, le souvenir de son fils venait tournoyer dans la tête de l’Irlandaise, comme un fantôme venu la hanter, et elle s’empressa de passer à autre chose, invoquant le karma de son interlocuteur. Elle rit de bon cœur. « Félicitations, alors. Ce n’est pas tous les jours que je rencontre quelqu’un avec un tel pouvoir. » répliqua joyeusement la rouquine, ses yeux d’un gris voilé s’égayant d’une lueur pétillante, transmise par son sourire. Elle entendit un mouvement de la part de l’homme, et ne put vraiment l’identifier, mais soit. Elle avait l’habitude d’entendre et interpréter des gestes qu’elle ne pouvait voir. Il mentionna ensuite les douches, et Saoirse s’excusa de l’avoir retenu. C’était vrai qu’il avait sans doute autre chose à faire de sa journée. Mais le jeune homme répondit encore sur le ton de l’humour, avec une réplique qui fit à nouveau franchement rire la belle rousse. Elle pouvait entendre le sourire dans sa voix, et conclut que cette rencontre mouvementée se terminait avec une note amicale qui était plutôt agréable. Et puis, qu’on se le dise, il avait l’air marrant, ce gars. Et Saoirse aimait rire. La journée avait évité une catastrophe et prit une tournure ensoleillée. Alors qu’elle saluait le départ de l’homme, elle cherchait en même temps son outil de guidage, discrètement, sans le trouver de suite. Une nouvelle frustration naissait, alors qu’elle se retournait vers la table qu’elle caressait de ses mains, une fois qu’elle entendit les pas s’éloigner. Mais bordel, c’était vraiment pas la journée de la cécité, aujourd’hui. Ce désagrément finit de la façon que Saoirse redoutait, et pire encore. On lui apporta sa canne blanche, et c’était le même homme qui l’avait quitté sept secondes plus tôt. La rouquine détestait renvoyer l’image d’une assistée, d’une incapable. Surtout et par-dessus tout, après ce qu’il venait de se passer. « Merci… » souffla la jeune femme, reconnaissante, mais on sentait l’ombre de la gêne et de l’auto frustration dans sa voix. « Je t’assure que généralement, je me débrouille parfaitement bien seule et je ne représente pas un danger pour autrui. » reprit-elle rapidement avec ce même petit ton blagueur, s’exhortant à l’autodérision, tout en dépliant rapidement sa canne, d’un geste aussi vif que si elle maniait une épée. Au point où on en était, franchement.

Il est vrai que je ne m’étais pas armé de bienveillance dans ma réaction auprès de la jeune femme. Ce n’était peut-être pas le genre de réaction qu’un papa avait auprès des gens. J’en savais rien. En même temps, ça se pouvait aussi. Des enfants, parfois, ça puisait tellement toute l’énergie et la patience de quelqu’un, il n’en restait alors plus pour les autres. Peu importe au fond, cette femme n’était pas en droit de me juger sur mes compétences parentales. La rouquine se rattrapa, expliquant qu’elle réalisait seulement qu’elle aurait fait deux orphelins aujourd’hui. L’idée de mourir en laissant Lara et Maxwell, si jeunes, me traversa alors l’esprit. Une vague de tristesse traversa mon regard, mon corps, mon être. Même si elle n’était pas en mesure de me voir, la rouquine sentirait sans aucun doute l’effet que ça me fit. Je balbutiai donc : « Heureusement ils auraient encore eu leurs mères … Leurs mères avec deux « s » … Ils ont pas la même mère. Bref. T’as pas besoin de savoir ça. » Me repris-je. Elle avait voulu avoir un ton de plaisanterie et moi j’plombais encore plus l’ambiance. Heureusement que mes superpouvoirs et mon karma réussirent, eux, à détendre les traits de nos visages. « Ouais, c’est un jour unique. » Avais-je lâché, un peu platoniquement, parce que je n’avais rien trouvé de mieux à dire. Plutôt que de continuer à dire un peu n’importe quoi, de me perdre dans les futilités, je déclarai que j’allais filer aux douches si nous avions terminé ici. Je m’éloignai donc après l’avoir salué, ne voulait quand même pas repartir comme l’animal sauvage que j’avais été quelques minutes plus tôt. Cependant, avant d’atteindre le vestiaire des hommes, j’avais jeté un dernier regard vers elle pour me rendre compte qu’elle semblait un peu perdue, à la recherche de sa canne tombée par terre. Je n’hésitai pas une seconde avant de revenir à elle et de lui tendre l’objet de sa convoitise. Elle ne semblait pas tout à fait à l’aise avec ce second échange. « Pas de problème. » Répondis-je à son remerciement un peu braqué. Elle se reprit, m’assurant qu’elle se débrouillait généralement bien seule. Une partie de moi eu envie de répondre ouais, je vois ça avec une pointe de sarcasme. C’aurait été déplacé. Et je ne voulais pas la rabaisser. Des mauvaises journées, tout le monde en connaissait, moi le premier. Je n’osais même pas imaginer de quoi auraient l’air mes bad lucks si j’étais dans la condition de la rouquine. « Je te crois, t’en fais pas. J’crois que t’as une histoire de karma derrière tout ça, toi aussi. » Repris-je, faisant un clin d’œil à mon karma à moi, quelques minutes plus tôt.

Ce qui à la base n’était qu’un trait d’humour, sur le fait qu’elle aurait pu grièvement blesser un père de famille, devint le lieu de confidences, ou plutôt de précisions et de justifications. Qui comme le dit très bien son interlocuteur, n’étaient pas vraiment nécessaires. Saoirse s’amusa de la façon dont il s’expliqua, à quelques centimètres de l’embarras, mais elle affichait un sourire bienveillant aux lèvres. Le pauvre. Loin d’elle l’idée de le mettre dans une position malaisée. « Il y a plein d’infos que je n’ai pas besoin de savoir mais qui me restent ancrées dans le crâne. Celle-ci se perdra avec les autres, t’inquiète. Sauf si tu cherchais quelqu’un à qui en parler. » répondit joyeusement la rouquine, avec plus de légèreté. Toute trace d’animosité avait disparu, remplacée par de la simple bienveillance et une touche de malice. Il était temps de prendre congé, toutefois, et l’homme s’éloigna, alors que l’Irlandaise partait à la recherche de sa canne, qu’elle ne trouvait pas, à son grand dam. Et ce fut donc la personne qu’elle avait potentiellement manqué d’assassiner, qui vint lui porter assistance. Ouais, c’était pas son jour. À elle ou à lui, allez savoir. Saoirse remercia le jeune homme, qui dut percevoir son embarras et sa crispation, vu qu’il tabla sur une réponse adoucie et touchée de légèreté, encore. Cela suffit à faire un naître un demi-sourire sur les lèvres de la jolie rousse. Même s’il énonçait très probablement une vérité, sans le savoir. Le karma de la jeune femme ne serait sûrement plus au beau fixe pour le restant de ses jours. À moins qu’elle empêche un génocide ou qu’elle résolve le problème du réchauffement climatique. « Tu ne crois pas si bien dire… » souffla-t-elle avec un petit rictus désappointé. Mais bon, lui non plus, il n’avait pas besoin de savoir ça, et elle n’allait pas encore empiéter sur son temps. L’Irlandaise rangea son couteau à la valeur sentimentale inestimable dans son étui en cuir, récupérant ses affaires et prête à elle aussi, se rendre aux vestiaires, maintenant qu’elle était armée de sa canne. « Au fait, moi c’est Saoirse. » se présenta enfin la rouquine. Ben oui, il était peut-être temps, maintenant qu’ils allaient prendre des chemins différents.