#10 we all need someone to stay (charlie)

Après cet échange sms, Charlie lui avait envoyé sa nouvelle adresse, elle qui habitait désormais avec sa meilleure amie. Ce serait le moment de trouver un endroit désigné pour Woolie, un peu comme ils l'avaient fait quelques semaines plus tôt chez lui. Enfin, quelques semaines qui s'étaient allongées en mois, finalement. Woody n'était définitivement pas doué pour entretenir ses relations. Il était meilleur avec les plantes. La dernière fois qu'il avait vue Charlie, c'était au mariage de Pippa et Liam, où les confidences entre lui et la pâtissière avait pris une tournure inattendue. Il n'était pas le seul à avoir un fantôme du passé qui rôdait constamment dans sa tête et dans son coeur. Pour lui c'était Freja, pour elle c'était Liam. À ce mariage, Woody avait en plus appris que la norvégienne était à nouveau célibataire et qu'elle ne lui en avait rien dit, malgré que jusqu'à maintenant cet autre homme avait été le seul obstacle à leur amour. Il avait pris conscience qu'encore une fois, c'était bien plus que ça, bien plus que des mots qui n'expliquaient rien. Il lui laisserait le temps dont elle avait besoin pour guérir son cœur mais du temps, quand même, Woody en avait de moins en moins pour vivre pleinement. Quand il avait reçu le message de Charlie, il s'était autorisé à continuer ce qu'ils avaient entamé. Pour voir où ça les mènerait. Pour voir s'il y avait plus que ça de possible. À l'heure promise, Woody cogna à la porte de la maison, le bocal et Woolie dedans dans ses mains.

Son tee-shirt vert bouteille était bien trop grand, bien trop long mais camouflait, selon elle, parfaitement les imperfections de son corps. Elle avait mis son jean délavé d'un bleu brut, son préféré, celui dont elle trouvait le plus confortable parce qu'il épousait parfaitement ses formes comme une seconde peau. Charlie ne s'était pas spécialement faite jolie, mais elle avait repris des couleurs. En effet sa rupture avec Liam n'avait pas laissé son cœur indemne et il lui fallait encore du temps pour cicatriser cette plaie ouverte. Il n'y avait pas que ça. La mort de sa mère. La greffe de son frère. Un tourbillon d'événements et d'émotions et la jeune femme s'était surprise à envoyer un message à Woody.

Elle avait fait une rencontre infortune à Imogen et elle s'était rendue compte que, en dehors de Liam, le seul homme avec qui elle s'était le mieux senti jusqu'à présent, avait été Woody. La dernière fois ils durent péniblement assister au mariage de Liam et Pippa, où Freja, l'ex de Woody était présente. Après quoi, ils ne se donnèrent plus du tout de nouvelles. Alors pourquoi maintenant se voir? Pour un million de raisons. Parce qu'elle était confuse, vulnérable, fragile, en mal d'affection. Parce qu'elle ne cessait de penser douloureusement à Liam qui vivait le mariage parfait avec Pippa. Parce qu'elle se demandait si elle n'avait pas raté quelque chose avec Woody. Parce qu'elle espérait trouver une voie de guérison.

Un battement de porte résonna. D'un pas précipité, Charlie ricocha sur un carton qui n'était pas encore déballé depuis son emménagement avec Billie. Elle ouvra et découvrit Woody qui tenait le bocal de leur poisson Woolie. Leur private joke. C'est toujours le même? lui dit-elle, méfiante, avant d'essuyer brièvement ses mains sur son tablier. Une sonnette retentit. Tu me suis? Faut que je sorte mon cake. Tu peux poser Woolie sur le buffet, la table, peu importe! Elle s'affaira aussitôt jusqu'à la cuisine ouverte au salon et ouvra la porte du four qui dégagea une délicieuse odeur. Cake à la banane et aux pépites de chocolat. annonçait-elle sous un nuage de chaleur.

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Lorsque Charlie ouvrit la porte, Woody se surprit à trouver qu’elle avait l’air fatiguée, plus que lui si c’était même possible. Ou peut-être était-ce le contraste par rapport aux robes dans lesquelles il était habitué de la voir. Elle n’en était pas moins jolie, aujourd’hui il la voyait sous des airs plus naturels et décontractés. Et ça lui plaisait. Il baissa les yeux vers le bocal de Woolie alors que ce fut le premier sujet de conversation abordé entre eux après ces semaines de silence. Il sourit. « Tu me fais si peu confiance ? On part sur de bonnes bases. » Plaisanta-t-il. Les bases étaient déjà mises, de toute façon, et il était évident qu’ils s’apprêtaient à construire sur des fondations fragiles. L’un comme l’autre n’avait pas totalement la tête à ça, et ils en étaient au courant à présent. Qu’ils essaient quand même de voir ce qu’il y avait au bout de tout ça, c’était un beau message d’espoir, non ? Charlie l’invita à rentrer dès qu’une sonnette retentit à l’intérieur. Le trentenaire hocha la tête et pénétra dans la maison dans laquelle elle cohabitait avec sa meilleure amie, de ce qu’il avait compris. « Ok. » Lâcha-t-il simplement quand elle lui proposa de poser Woolie n’importe où. Le buffet ce serait, pour le moment. Woody s’essuya les mains sur son jeans, puisque quelques gouttelettes d’eau coulaient sur ses doigts. Le jeune homme retrouva la pâtissière dans la cuisine, son cake entre ses mitaines de cuisine. Il ferma les yeux en respirant l’odeur. « Il va falloir que je fasse attention, avec toi … Je prendrais 20 livres à goûter à tout ce que tu sais faire … » Et dans sa condition, c’était risqué de ne plus surveiller sa nutrition. Il sourit en prenant vraiment le temps de regarder Charlie. « Tu as changé tes cheveux. Ça te va bien. » Woody n’était pas du genre à remarquer les petits détails de beauté, mais il n’était pas non plus aveugle.

Charlie jeta un bref coup d'oeil au bocal, où elle vit les magnifiques nageoires colorées du combattant. Je te signale que c'était ton idée. s'empressa t-elle de répliquer, réprimant un large sourire. C'était une histoire assez saugrenue, ils avaient adopté ce poisson à l'animalerie et pris la décision d'en avoir la garde partagée. Cependant leur poisson n'avait pas bougé de chez Woody, laissant également leur relation en suspsend.

La sonnette du four retentit à l'intérieur de la maison et Charlie s'affaira dans la cuisine pour sortir son cake à la banane. Peu après, Woody la rejoignit. La prochaine fois, je te ferais quelque chose de plus léger. promit-elle, amusée. Parfois il lui arrivait d'adapter des recettes pour le régime de son frère. Elle pouvait envisager en faire de même pour Woody. Encore faut-il qu'ils approndissent sur leur devenir de leur relation. Cette discussion, ils l'avait tous deux volontairement repoussé depuis le mariage. Si la pâtissière ne savait pas ce qu'elle voulait il y a un mois, elle n'en savait encore rien aujourd'hui. Ou peut-être que si, inconsciemment.

Il avait remarqué qu'elle avait blondie ses cheveux et la complimenta. Charlie arborait un sourire gêné. Merci murmura-elle, visiblement flattée de cette petite attention. Ça me fait plaisir de te voir. L'air un peu plus joyeux, elle eut un bref regard attendri puis ouvra la fenêtre pour y placer au bord son gâteau. Tu veux un café?

Alors que Charlie arguait que c’était pourtant l’idée de Woody, ce dernier arqua un sourcil, un sourire au coin des lèvres. « T’es certaine de ça ? Ça ne me ressemble pas … » Plaisanta-t-il, même s’il y avait un large fond de vérité. Toute cette situation avec Charlie, ça ne lui ressemblait pas. Les rares fois où il avait été dans une relation s’échelonnant sur plus qu’une nuit, les choses s’étaient développées différemment. Il avait été amoureux de Sara pendant des années, en silence, avant de s’ouvrir à elle. Il l’avait regardée se marier à un autre et avait attendu que son monde implose avant de venir rajouter sa goutte. Et puis il l’avait trompée avec Freja, des mois plus tard, parce que la norvégienne avait gagné une place indétrônable dans son cœur. La séduction, les compliments, les petites attentions, Woody ne connaissait pas cela au-delà de l’objectif de ramener une femme dans son lit, quand il était plus jeune. Ces premières étapes, celles qu’il gravissait maintenant avec Charlie, il les avait toujours brûlées, armé d’un bidon d’essence et d’un briquet. Alors rien de tout cela ne lui ressemblait. Il s’avança quand même à l’intérieur de la maison, suivant le chemin des odeurs sucrées. Il avait posé Woolie sur la table à manger avant de rejoindre Charlie aux fourneaux. Quand la pâtissière parla de la prochaine fois, ça le fit sourire, autant parce qu’elle prévoyait lui faire quelque chose de plus léger que parce qu’elle prévoyait une prochaine fois. « Des pâtisseries légères, ça existe ? » Demanda-t-il sans perdre son mince sourire. Puis, il complimenta Charlie sur cette nouvelle tête qu’elle portait à merveille. Il avait toujours eu un penchant pour les brunettes, mais visiblement, le changement était de mise pour lui aussi. « Ça me fait plaisir aussi. J’ai beaucoup pensé à toi. C’est juste que, comme j’t’ai dit par texto … ça a été un rendez-vous plutôt raté par les circonstances, la dernière fois … Alors … » Il haussa les épaules. Nul besoin de répéter qu’il ne savait pas trop où ils en étaient. Charlie lui proposa un café, ce qui lui enlevait le poids de lui en demander un, lui qui avait cruellement besoin de caféine en ce moment pour garder le cap lors des longues journées. « Oui, s’il-te-plaît. Le plus fort que t’as si possible. » Se permit-il d’ajouter.

Un rire s'échappa de la bouche de Charlie. Un rire! Elle qui s'était résignée à vivre dans le noir ce dernier mois, cela relevait du miracle. Mais l'idée qu'elle ait accepté d'adopter un poisson et d'en partager sa garde avec un homme, cela ne lui ressemblait pas non plus. Par ailleurs elle n'était pas peu fière d'avoir décroché un sourire sur le visage de Woody. Ne sous-estime pas mes talents! Il existe bien des recettes allégées comme le gâteau au chocolat aux courgettes, mais bien entendu, elle ne pourra pas faire de miracle. Le sucre, c'est bon. En tout cas elle ne pouvait s'empêcher de relever qu'il avait toujours envie de la revoir. Malgré qu'ils ne s'étaient pas revus depuis un mois, malgré le fiasco du mariage, leur complicité semblait intacte. C'était bizarre approuva t-elle en faisant une moue. Le mot embarassant serait plus juste. La présence de Freja, tout comme celle de Liam, les avait mis mal à l'aise. Elle prit une capsule noire et fit couler un café serré.  Je n'ai pas spécialement envie de parler du mariage. J'aimerais juste... qu'on continue de se voir, comme avant. Ils passaient de bons moments quans ils étaient ensemble. Du moins Charlie les avait aimé, ces moments-là. Parce qu'il y avait des rires, vrais et sincères. Ce fut en faisant le tri de ses photos qu'elle ait tombé sur leur mémorable vidéo d'eux, dans la boule, l'attraction à sensation. Puis surtout, seul Woody était parvenu à détacher Liam de ses sombres pensées. Sauf si tu vois déjà quelqu'un? précisa t-elle, bien décidée à ne pas prononcer le prénom de Freja. Elle ne voulait surtout pas s'immiscer dans son histoire.

Alors que Charlie l’accusait de sous-estimer ses talents, il leva les deux mains en l’air, paumes vers la pâtissière. Sa tête pivotait de gauche à droite, cherchant à se défaire de toute culpabilité. « Jamais je n’oserais ! » Lança-t-il avec légèreté dans la voix. Cela faisait du bien de retrouver cette ambiance avec quelqu’un. Tout était toujours tellement lourd, dans ses relations, quelles qu’elles soient. Comme si Woody avait toujours besoin de mettre sa parcelle d’ombre sur tout lien entretenu. Avec Charlie, les débuts avaient été si simples et faciles. Il avait fallu que le mariage vienne tout gâcher. Avec un peu de chance, aujourd’hui leur permettrait de retrouver leur complicité. L’un comme l’autre n’avaient visiblement pas envie de reparler de ce fiasco lors de cette journée d’union entre Pippa et Liam, d’ailleurs. « Je n’ai pas vraiment envie d’en reparler non plus, là-dessus on est d’accord. Même que j’aimerais bien faire comme s’il ne s’était pas passé. » Il esquissa un sourire. Que Liam et Pippa soient mariés, lui s’en fichait contrairement à Charlie. Ce qu’il voulait oublier, c’était sa conversation avec Freja qui n’avait que renforcé l’incertitude quant à eux, quant à la possibilité qu’ils soient de nouveau ensemble un jour. Charlie avait ajouté qu’elle voulait qu’ils continuent de se voir, comme avant … sauf s’il voyait quelqu’un. Woody secoua la tête. Il savait pertinemment qu’elle avait une personne en tête. Lui aussi, en répondant : « Je ne vois personne d’autre. » Chassant la tristesse, il esquissa un sourire. « I’d really like to give it a try, too. » Parce que Freja n’empêchait pas son cœur d’en aimer d’autres, Woody ne voyait pas pourquoi il lancerait la clé du sien dans l’eau dans l’attente de ce qui n’arriverait peut-être jamais.

C'était bon de voir que leur complicité était restée intacte, surtout après ce laps de temps sans se donner de nouvelles. Charlie aurait, elle aussi, aimé faire comme si rien ne s'était passé ce jour de mariage. Elle avait bien vu que la présence de Freja affectait Woody. Alors oublions ça. proposa t-elle avant de lui faire part de son envie qu'ils continuent de se voir. Toutefois elle se demandait si il voyait quelqu'un en ce moment, quelqu'un ou plutôt Freja. Elle fut surprise d'apprendre que non. Son regard s'aventura jusqu'à celui de Woody et elle vit son sourire. I’d really like to give it a try, too avait-il dit. Vraiment? s'étonna Charlie, mais qui ne pouvait s'empêcher de se sentir légère. Elle ne réalisa pas tout de suite qu'elle souriait.  Mais faut que tu saches une chose. D'un air difficilement sérieux, elle lui rapporta sa tasse de café encore fumante. Je ne peux pas te garantir que tu garderas la ligne avec moi ajouta t-elle en cherchant de fuir cette conversation qui pouvait devenir trop sérieuse entre eux. Ils n'avaient pas besoin de définir leur relation tant qu'ils se retrouvent. Charlie en avait cruellement besoin en ce moment, elle qui n'arrivait pas à chasser Liam de son coeur. Car elle l'aimait encore, et elle s'était faite à l'idée qu'elle éprouvera pour lui et pour toujours une tendresse infinie. Cependant il n'y avait que Woody qui arrivait à la soulever de cette réalité.

Oublions ça, il le ferait volontiers, Woody. Effacer le souvenir de Freja qui lui demandait encore du temps alors que cette fois, il n’y avait rien ni personne qui s’était réellement interposé entre eux. Certes, le trentenaire côtoyait déjà Charlie mais il avait fait comprendre à la norvégienne qu’il la connaissait à peine. Ça n’avait rien changé. C’était son cœur à elle, l’obstacle, cette fois. Et Woody n’allait pas attendre dans un coin. Il attendrait, oui, sans doute. Mais en se donnant le droit de revivre et, peut-être, d’aimer à nouveau. Il ne pensait pas aussi loin que ça, Woody, il se croyait trop brisé pour ça. Mais au moins il avait de l’espoir. « Oui, vraiment. Voyons où ça nous mène, si t’es capable de me supporter plus longtemps. » Il rit. Elle ne savait même pas à quel point ce serait un véritable défi. Woody était réellement difficile à vivre, avec ses journées plus difficiles durant lesquelles il fermait la porte à tout le monde, avec son entêtement à ne penser qu’à lui et à prendre des décisions sans consulter les autres. Il était un être purement égoïste qu’il ne dévoilait aux autres qu’une fois la confiance installée, comme pour mieux les voler de l’idée qu’ils s’étaient faite de lui. Alors que la pâtissière lui disait qu’avant, il fallait qu’il sache une chose, il eut une toute petite peur. N’était-ce pas déjà assez compliqué ainsi ? Heureusement, ce n’était rien de sérieux, elle lui affirma qu’il ne pourrait sans doute pas garder la ligne avec elle. Il prit son café de ses mains dans un rire. « Va falloir que j’apprenne à me contrôler alors vu que tu ne seras pas mon alliée là-dessus. » Et se contrôler, ça n’avait jamais été le fort de Woody. D’ailleurs, il regarda le cake à la banane et au chocolat. « Mais avec de telles odeurs c’est difficile de résister … Je peux goûter ? » Se permit-il de demander, un sourire amusé aux lèvres.

Ils étaient d'accord pour continuer de se voir, de se donner une chance, malgré le fiasco de leur dernière sortie. Charlie avait bien compris que Woody ne s'ouvrait pas facilement et qu'elle allait devoir s'armer de patience. Tu sais que j'adore les défis! lui rappela t-elle avec un sourire malicieux, en évoquant son esprit de compétition. Woody avait lui aussi son tempérament et elle l'appréciait ainsi, avec sa part d'ombre. Il avait évoqué sa maladie, il s'était confié à elle et rien que pour ça, elle en était reconnaissante. Elle savait donc à quoi s'attendre et cela ne l'effrayait pas. Tout ce qu'elle voulait c'était prendre soin de lui, parce qu'il la faisait se sentir bien. Il y avait donc de fortes chances qu'elle continue de lui pâtisser quelques douceurs. Je serais même impitoyable. D'ailleurs le cake à la banane et au chocolat dégageait encore un doux parfum. Charlie afficha un sourire satisfait, honorée que l'odeur ait éveillé son appétit. Bien sûr. Tiens, j'te ferais visiter la maison après. Elle s'affaira aussitôt pour lui couper une tranche du gâteau et de le poser sur une coupelle. Alors, comment va le boulot en ce moment? Tu as pris des congés pour les fêtes de Noël? lui demanda t-elle alors qu'elle se servait à son tour d'un morceau de son cake.

Woody hocha la tête en riant quand Charlie parla de son amour des défis. « Et cette fois on se battra pour le même objectif ! » Ils ne seraient pas en compétition pour un challenge quelconque, ou ne seraient pas en train de se tenir tête pour un argument. Ils mettraient leurs efforts pour que ça fonctionne, entre eux. Le jeune homme, oubliant rapidement ce qu’il venait de dire concernant son besoin de contrôle à l’encontre la redoutable pâtissière, se permit de demander à goûter au cake à la bananes. Les effluves sucrés avaient suffi à réveiller son appétit. Et puis, rien de mieux pour accompagner un café. Dans sa petite impolitesse, il n’avait même pas songé au fait que Charlie aurait voulu lui faire visiter la maison avant. « Merci. » Dit-il quand elle lui coupa une tranche et le déposa devant lui dans une coupelle. Il attrapa la petite cuillère et prit une bouchée, lâchant encore et toujours ce même soupir de satisfaction auquel elle allait devoir s’habituer. Il hocha la tête à sa question. Après avoir avalé sa bouchée, il répondit : « Oui, Eva, mon associée, et moi, on ferme la clinique du 23 au 4. Sauf pour les rendez-vous urgents, mais jusqu’à maintenant c’est plutôt tranquille de ce côté. » Il reprit une bouchée du gâteau et, cette fois, la bouche un peu pleine, il demanda : « J’imagine qu’à la pâtisserie, pas de repos pour les guerriers ? » Elle allait sans doute devoir continuer à se lever tôt pour tout préparer, surtout avec toutes les commandes qu’ils allaient inévitablement recevoir pour les repas de famille.

Charlie et Woody partageaient tous deux le goût du challenge et cette fois, ils se battraient pour le même objectif. Cette remarque interpella Charlie, elle était touchée de voir un Woody déterminé. Il semblait vraiment vouloir leur donner une chance et jamais elle n'en avait espéré autant en lui envoyant ce sms. Les fêtes rapprochaient et c'était bon de savoir qu'elle ne sera pas seule à se morfondre devant les téléfilms de Noël. Et Billie en aurait eut assez d'être la cobaye de ses recettes. Même si il maintenait les rendez-vous urgents, Woody fermaient les portes de sa clinique. Ils auront donc un peu de temps pour eux car même si Charlie travaille, la pâtissière a des horaires relativement souples. Elle se lève tôt le matin mais finit tôt. Non et puis j'ai déjà dû prendre des congés il n'y a pas longtemps. Elle hésita, visiblement mal à l'aise. Il fallait bien qu'elle le lui dise un moment donné ou un autre. Ma mère est décédée, je suis partie à Paris pendant quelques jours avec mon frère. avoua t-elle à contrecœur. Volontairement elle fuya son regard et reporta toute son attention sur son cake à banane. Elle n'avait pas envie d'en parler, pas maintenant qu'elle commençait à se sentir bien grâce à sa présence. Elle préféra alors écourter le malaise. Je t'ai ramené un souvenir et ce n'est pas un caillou. assurait-elle en affichant un mince sourire. Avant qu'ils ne se rencontrent, Woody avait prétendu détenir un souvenir de son dernier roadtrip pour elle. Il s'agissait en réalité d'un joli caillou bleuté qu'il avait ramassé. D'ailleurs Charlie l'avait exposé dans sa chambre sur son étagère de la bibliothèque.

Charlie déclara qu’en plus de la pâtisserie qui ne fermait pas durant le temps de Fêtes, elle avait de toute façon épuisé quelques congés déjà, ce qui l’empêcherait d’en reprendre pour Noël. « Ah ? » Lança Woody, ne sachant pas s’il devait investiguer davantage ou laisser aller. Il n’était jamais à l’aise pour déceler la limite chez les gens et savoir si une curiosité serait intrusive ou, au contraire, si son indifférence blesserait. Il laissa donc la décision à Charlie, et à voir son hésitation, il comprit que c’était effectivement un sujet un peu sensible. Quand elle lui apprit que sa mère était décédée et qu’elle était partie à Paris quelques jours avec son jumeau, Woody se sentit coupable. Coupable de quoi ? Il ne l’avait pas tuée. Mais il s’en voulait d’être aussi loin de ses émotions et de celles des autres, de n’avoir jamais été capable de consoler les autres correctement. Il ne savait jamais quoi dire, quoi faire, lui le cœur de pierre. « Je suis vraiment désolé de l’apprendre, Charlie … » C’était la phrase la plus prévisible, celle que n’importe qui dirait. Le regard de la pâtissière fuit et il se sentit bien con. C’est elle qui brisa le silence et le malaise grandissant, en parlant d’un souvenir qu’elle lui avait ramené. Son allusion au caillou le fit rire. « Même pas un caillou dans lequel on a sculpté une Tour Eiffel ? Attention je vais être déçu. » Plaisanta-t-il. En réalité, n’importe quoi serait plus touchant que son ridicule caillou qu’il avait ramassé par hasard.

Charlie ne pouvait se résoudre à éviter le sujet de cet événement aussi lourd et récent. Elle préférait l'annoncer et ne pas laisser installer une gêne inévitable. Ça va assura t-elle avec une voix douce, cherchant à tout prix dissiper un quelconque malaise. La vie lui avait emporté un être cher et personne n'y pouvait rien. Elle-même se sentit mal que Woody se dise désolé. Réfléchissant vite à une échappatoire, elle parla d'un souvenir rapporté de son voyage à Paris. Un souvenir pour lui. En principe, elle avait acheté un trousseau de cinq petites Tour Eiffel sans savoir à qui les offrir, hormis une pour sa meilleure amie Billie.

Lors de leur première rencontre, Woody lui avait ramené un joli caillou bleuté de son roadtrip. Même si le caillou ne lui avait pas été prédestiné, Charlie avait apprécié le geste. Avant de quitter la cuisine, elle servit une généreuse tranche de cake et partit dans sa chambre. Elle revint alors avec la statuette dorée entre les mains. Fais semblant d'aimer ou je double tes doses de sucre pour les quinze jours à venir. le menaça t-elle, un sourire au coin. Ce n'était pas un souvenir exceptionnel, bien au contraire, c'était un ordinaire attrape-touriste. Cependant l'objet en question avait le mérite d'avoir permis de changer de sujet.

Woody était des plus inconfortables avec la tristesse des autres. Avec la sienne, aussi. Ça lui avait pris bien des années avant de pouvoir s’ouvrir à ses proches sur ce mal qui le grugeait d’en-dedans, parce qu’il n’avait jamais été doué pour mettre des mots sur des émotions. Que ce soit pour montrer sa souffrance ou pour dire qu’il aimait quelqu’un, d’amour ou d’amitié, Woody se refermait comme une huître. Mais quand il ne pouvait pas se cacher dans sa carapace, quand il devait à l’autre de dire quelque chose, alors la vacuité de ses paroles pesait ironiquement très lourd dans l’ambiance. Il aurait voulu se lever et aller la prendre dans ses bras, lui murmurer qu’elle avait le droit de pleurer, qu’elle avait le droit d’avoir de la peine face à lui, mais la vérité était qu’il n’aurait su gérer son chagrin. Le malaise s’estompa quand Charlie changea de sujet, les sauvant tous les deux. Elle lui avait rapporté un souvenir de Paris. Ça le fit sourire, automatiquement. Woody s’autorisa quelques bouchées de gâteau pendant que la pâtissière allait récupérer l’objet dans sa chambre. Dans un rire léger, il reçut la petite tour Eiffel dorée et la garda au creux de sa main. « Merci. » Dit-il avec de rire à nouveau, surtout en raison des menaces de Charlie. « Alors, qu’est-ce qui t’as fait penser à moi en voyant ça ? » La nargua-t-il en sachant fort bien que c’était le souvenir le plus vendu à Paris. Il se doutait qu’il n’y avait aucune signification derrière. Et pourtant, il savait aussi que ce ne serait pas quelque chose qu’il rangerait distraitement dans le fond d’un tiroir. Ça venait de Charlie alors forcément, il lui trouverait un endroit, même si c’était kisch, même si ça ne lui ressemblait pas d’avoir de tels objets. Il ignorait qu’elle avait eu la même pensée pour son caillou, exposé dans sa chambre.