#381 - let me shake up your world (wooja)

Tu as hésité longuement avant de prendre la route jusqu'à chez Woody. Ce n'est pas un manque d'envie, bien au contraire, mais plutôt une certaine appréhension, qui t'a fait douter. S'il a accepté que vous vous voyiez plus régulièrement, il n'a pas donné de signe de vie pour autant. Quelque part, tu peux le comprendre, étant donné que tu ne lui as pas dit que tu étais célibataire et que tu sais qu'il t'en veut encore pour ça. Alors, après avoir tourné le problème quinze fois dans ta tête, tu décides de le régler en prenant le chemin de sa maison. C'est la fin de journée alors il fait plutôt doux ce qui te permet de marcher jusque chez lui. Vous n'habitez pas si loin l'un de l'autre finalement. Tu as décidé de prendre Wilo avec, même si tu ne sais pas vraiment si ça se passera bien avec le chien de Woody puisqu'ils n'ont jamais eu la chance de se rencontrer. Wilo est super sociable et pas du tout agressif du coup tu ne prends pas trop de risques. Mais alors que tu n'es plus qu'à une dizaine de mètres de la maison de l'Australien, tu vois une femme quitter son domicile. Et pas n'importe quelle femme. Aïe, ça fait mal de les voir ensemble et de la voir quitter le domicile de Woody sans doute après avoir passé la nuit chez lui. Mais tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même après tout et puis tu vois d'autres personnes de ton côté alors tu ne peux pas lui reprocher de faire de même. Mais à présent que tu as vu Charlie quitter la maison de Woody, tu n'es plus certaine d'avoir envie de te pointer cher lui. Alors sans réfléchir, tu fais demi-tour, en espérant passer inaperçue et pour le jeune homme et pour sa copine - ou peu importe ce qu'elle représente pour lui.

Charlie et Woody, c’en était encore à des balbutiements, eux-mêmes n’avaient pas envie de mettre des mots sur ce qu’ils étaient, parce qu’ils n’en avaient tout simplement aucune idée. Peut-être était-ce mieux ainsi. L’un comme l’autre avait des blessures à guérir et se mettre une pression inutile aurait pu tout compliquer. Là, c’était beau, c’était simple, et c’était exactement ce dont Woody avait besoin après une année bien trop morne à ses yeux. Charlie remettait de la lumière là où les nuages s’étaient montrés les plus impénétrables. Il la laissa partir en fin de journée après quelques heures passées à se prélasser au soleil, à s’embrasser et à déguster les pâtisseries légères préparées par la jeune femme. Il allait refermer la porte quand il aperçut Freja, à l’autre coin de rue, rebrousser chemin. Il la reconnaissait même de dos, évidemment. Il la reconnaîtrait n’importe où dans ce monde. Il fronça les sourcils, regarda Charlie monter dans sa voiture et referma la porte d’un geste hésitant. Woody resta planté là, ses pensées divisées alors qu’il entendait le moteur de la voiture de Charlie démarrer. Il attendit quelques secondes, d’entendre le roulement de la voiture s’éloigner dans la rue, puis il rouvrit la porte. Il ne pouvait plus courir après Freja, pas en ce moment alors que ses jambes étaient encore les premières victimes de sa poussée actuelle de symptômes. Il descendit les escaliers menant jusqu’à son stationnement et, une fois dépassée la haie bloquant sa vue sur le reste de la rue, il aperçut Freja toujours en train de marcher en s’éloignant de lui, Wilo tirant sur sa laisse dès qu’une odeur l’interpellait. Ce fut au tour de Woody d’interpeller la norvégienne. « Freja ! » Cria-t-il assez fort pour qu’elle l’entende malgré la distance les séparant. Quand elle se retourna, il leva les bras de chaque côté de son corps, pour traduire sa pensée : what are you doing and where are you going ? Dans toutes les interprétations possibles.

Il te faut quelques secondes pour réagir et pour que ton corps comprenne qu'il faut faire demi-tour. Ce n'est pas le bon moment pour aller rendre visite à Woody, visiblement. Si seulement tu étais arrivée cinq minutes plus tard et que tu n'avais pas vu Charlie quitter sa maison, ça aurait été bien plus simple. Et tu ne te sentirais pas aussi mal, aussi triste. Tu ne peux pas en vouloir à Woody de chercher à tourner la page étant donné que tu ne sais toujours pas ce que tu veux. Il ne va pas t'attendre indéfiniment, tu l'as bien compris. T'éloignant de sa maison, Wilo tirant sur la laisse pour aller renifler toute la verdure qui vous entoure, tu perçois la voix de Woody à quelques dizaines de mètres de toi. Tu soupires, hésitante, mais finis par te retourner. L'Australien semble dans l'incompréhension la plus totale. Sans doute doit-il se demander ce que tu fais là, pour commencer. Prenant ton courage à deux mains, tu fais demi-tour pour marcher à nouveau dans sa direction et en quelques secondes à peine, tu parviens à sa hauteur. « Hey. » Dis-tu d'abord, un sourire aux lèvres. Wilo ne tarde pas à venir à la rencontre de Woody, cherchant sans aucun doute des caresses. Tu te souviens encore de leur première rencontre à ces deux-là. Wilo était encore tout bébé. Il a bien changé depuis. « Je ne voulais pas déranger alors j'ai fait demi-tour... Je ne suis pas tombée au bon moment visiblement. » Expliques-tu, le regard fuyant, un peu gênée et déroutée d'avoir surpris une telle scène. Savoir que Woody voit une autre femme de manière régulière c'est une chose mais le voir, c'en est une autre.

Elle semblait hésiter, de là-bas, ce qui fit encore plus froncer les sourcils à Woody. Mais à quoi jouait-elle ? Pensait-elle vraiment pouvoir s’en aller malgré qu’il l’ait aperçue, et qu’il ne lui en reparle plus jamais ? Il l’appellerait sur son téléphone portable s’il fallait, pour qu’elle daigne se retourner vers lui. Heureusement, Woody n’eut pas besoin de se rendre jusque-là et Freja fit demi-tour après avoir vu son geste impatient des bras. Il resta immobile jusqu’à ce qu’elle le rejoigne enfin. « Hey. Tu faisais quoi, là, au juste ? » Demanda-t-il pas tant en reproche, plus par curiosité. Wilo, tout excité à l’idée de retrouver son odeur et sa présence, sans doute, le reniflait et agitait sa queue devant lui. Ça fit un pincement au cœur de Woody, parce qu’il avait récemment dû se départir d’Allan Poe, parce qu’il n’avait plus l’énergie pour le promener assez souvent. Et il savait que plus les mois passeraient, pire ce serait. Il avait donc décidé de le faire adopter par une autre famille qui saurait prendre soin de ce vieux chien comme il le méritait. Le trentenaire se pencha vers le chien pour le flatter avec enthousiasme. Ça lui manquait. Et puis Wilo avait grandi, il était plus gros, maintenant. Woody adorait les grands chiens. Il se releva en entendant Freja parler du mauvais timing de son arrivée. Il soupira. « Je suis seul, maintenant. Tu n’as pas marché jusqu’ici pour repartir aussitôt, quand même. Tu voulais me voir ? Tu veux rentrer ? » Proposa-t-il avec douceur. Il ne pouvait pas faire comme si Charlie n’avait pas effectivement passé du temps chez lui aujourd’hui, il ne pouvait ignorer que si Freja était arrivée cinq minutes plus tôt, un malaise se serait installé lorsqu’il lui aurait ouvert la porte en compagnie de la pâtissière. Mais au contraire, elle était arrivée quand elle quittait, et Charlie ne l’avait visiblement pas vue. Pour Woody, c’était le meilleur timing possible. Il ne s’imaginait pas que ça puisse faire souffrir Freja à ce point-là et pourtant il aurait dû savoir, il avait ressenti exactement ça quand il l’avait vue, à quelques reprises, avec son ex.

Qu'est-ce que tu faisais ? Bonne question. Tu étais partagée entre l'envie de retrouver Woody et l'envie de partir. Fuir cette image qui est désormais ancrée dans ta tête. Cette image que tu aurais préféré éviter, celle où tu vois Woody offrir toute sa tendresse à une autre. C'est égoïste de ressentir cela quand on sait que, toi aussi, tu offres ta tendresse à d'autres personnes. Mais tu te sens juste perdue dans un tourbillon de sentiments. « Euh rien, Wilo sentait un truc. » Mens-tu d'abord avant de soupirer, incapable de mentir correctement devant l'Australien. « Nan en vrai j'savais juste pas si c'était le bon moment pour moi de venir te voir. » Expliques-tu en haussant légèrement les épaules. Probablement pas mais maintenant que Woody est là, devant toi, tu as juste envie de passer un peu de temps avec lui. Tu souris en voyant Wilo réclamer les caresses du brun, sans savoir qu'il a dû se séparer de son chien et que c'est sans doute compliqué pour lui de faire face à ton propre chien. Il y a bien des choses que vous ignorez l'un sur l'autre et des choses parfois vraiment importantes. Comme Zoé, par exemple. Woody ignore qu'elle fait partie de ta vie aujourd'hui, comment pourrait-il le savoir ? « J'imagine. » Réponds-tu quand il souligne que ce serait bête d'avoir marché jusqu'ici pour repartir aussi vite. « Oui je venais te voir, j'en avais envie. On n'a pas vraiment reparlé depuis le mariage... Tu veux toujours bien qu'on se voit, de temps en temps ? » Demandes-tu en prenant la direction de sa maison, prête à le suivre à l'intérieur. Même si, inconsciemment, tu te sens un peu comme un imposteur. Comme si ce n'était pas ta place. Sans doute à cause du départ de Charlie qui ne date que de quelques minutes.

Un rire sarcastique, peu convaincu, s’échappa des lèvres de Woody quand Freja tenta de lui faire avaler que c’était Wilo, la source de son hésitation. Il allait répliquer quelque chose avec une pointe d’arrogance mais Freja se ravisa avant, avouant la vérité après un long soupir. « C’est toujours le bon moment pour toi de venir me voir. » Répondit-il sans réfléchir, parce que c’était ce qu’il croyait autrefois, parce que c’était l’habitude qu’il avait par rapport aux visites de Freja. Mais à bien y songer, peut-être que Freja ne serait plus réellement toujours la bienvenue chez lui. Il ne voudrait jamais la mettre à la porte, rien de ça, mais il est vrai que s’il en venait à voir Charlie plus régulièrement et à, peut-être, passer des nuits avec elle … Freja n’aurait plus sa place dans ces moments-là. Ça lui brisait le cœur rien que d’y songer, parce que la norvégienne était l’indétrônable. Mais s’il voulait se donner une chance d’avancer, il faudrait qu’il la laisse un tout peu aller. Tout comme elle, elle avait réussi à le laisser aller, assez pour faire de la place pour d’autres dans son cœur. Woody ignorait si ça avait été facile à faire pour elle, mais pour lui, c’était terrifiant. Bref, maintenant qu’ils étaient tous les deux là, le trentenaire invita la brunette à rentrer chez lui. Elle était venue pour une raison, et puis lui serait incapable de refuser de passer les prochaines heures en sa compagnie. Il avait beau essayer de se défaire de certaines chaînes, il l’aimait encore d’un amour incommensurable. « Oui, je veux toujours. C’est sûr que je veux toujours. » Il haussa distraitement les épaules, parce qu’il savait qu’il avait beau l’avoir dit au mariage, et le redire maintenant, il n’avait quand même pas fait les premiers pas depuis. Il ne savait pas s’il serait capable de le faire un jour. Il avait encore mal de la décision de Freja, ou plutôt de son absence de décision. Passer par-dessus cette souffrance lui en demandait un peu plus que prévu. Woody ouvrit la porte et rentra, suivi de Freja et de Wilo. C’était le calme plat, sans Allan Poe. Sur la table du salon traînaient encore quelques muffins préparés par Charlie et leurs tasses de café vides. « Je vais ramasser vite fait, installe-toi. » Dit-il en s’activant pour ramasser la vaisselle, les miettes et la boîte de pâtisseries.

Evidemment que Woody perçoit immédiatement le mensonge dans ta voix. Tu ne sais pas mentir ou en tout cas pas face à l'Australien. Il a toujours su lire en toi comme dans un livre ouvert même si, récemment, c'est devenu un peu plus compliqué avec la distance et le temps qui se sont installés entre vous. Deux choses que tu espères supprimer, en renouant avec le jeune homme. Elle est là la raison de ta visite. Tu veux retrouver votre complicité, votre relation, bien trop gâchée par des non-dits et de multiples obstacles venants de part et d'autre. Tu souris, tout de même, à sa réplique, même si tu n'es plus sûre qu'elle soit vraie à présent. Que se passera-t-il si tu débarques chez lui et que c'est Charlie qui vient t'ouvrir la porte ? Ou que tu arrives et qu'il ne peut pas t'accueillir parce qu'elle est sous la douche ou en train de dormir ? Il faut voir les choses en face, à présent, il faudra toujours que tu préviennes Woody de ta visite en lui envoyant un sms auquel il ne répondra peut-être même pas ou en l'appelant à de multiples reprises. Cela risque d'enlever toute la spontanéité dont vous faites preuve habituellement mais tu dois respecter le fait qu'il voit une autre femme de manière régulière si c'est son souhait. « Ça me rassure. » Dis-tu en tournant la tête vers lui, un léger sourire aux lèvres. Tu le suis à l'intérieur de la maison, la trouvant bien calme pour une fois. Sans doute parce que son chien n'est pas là pour t'accueillir comme à l'habitude. Mais avant que tu aies le temps d'en savoir plus à ce sujet, tu vois Woody se diriger vers la table basse du salon pour la débarrasser. Tu sens une pointe de jalousie ainsi qu'un pincement au coeur en découvrant la scène. L'image de Woody et Charlie, lovés dans le canapé, ne quitte plus ton esprit. Alors tu détournes les yeux, en préférant marcher à travers la pièce plutôt que de t'asseoir sur ce canapé sans doute encore chaud. « Comment se fait-il que ton chien n'est pas là ? » Demandes-tu en élevant un peu la voix pour qu'il t'entende de la cuisine. Outre le fait qu'Allan Poe n'est pas là, ton regard part à la recherche de choses qui ont changé, sans savoir pourquoi. Tu as l'impression que ça fait une éternité que tu n'as plus mis les pieds dans cette maison qui t'a déjà accueillie plus d'une fois. Tu ne comptes plus le nombre de nuits que tu as passées ici même avant que vous ne soyez ensemble ou que vous admettiez vos sentiments. « Comment tu vas ? » Dis-tu alors que Woody est de retour dans le salon, hésitant à le rejoindre sur le canapé.

Dès que Woody rentra dans sa maison, il se dirigea vers le salon pour débarrasser toute trace de la présence de Charlie quelques minutes plus tôt. C’était con, Freja l’avait vue quitter la demeure alors ce n’était pas un secret qu’ils avaient passé une partie de la journée ensemble. Pourtant, Woody ne se sentait pas à l’aise de se retrouver ensuite avec la norvégienne alors qu’il y avait encore les empreintes de la présence de la pâtissière un peu partout dans la maison. Le trentenaire aurait préféré que ces deux bulles-là, celle avec Charlie et celle avec Freja, ne se rencontrent jamais, que ça demeure deux mondes distincts avec lesquels il n’aurait pas à jongler. Malheureusement, il ne vivait qu’une seule vie et c’était évident que ces deux relations-là allaient se fracasser ensemble un jour. Il ne pouvait pas avoir un pied dans une des bulles et un pied dans l’autre. C’était injuste, et surtout pour Charlie, pensa-t-il. Parce que Freja, elle, s’était déjà mise dans cette situation et elle s’y trouvait encore, d’ailleurs, selon leur dernière conversation. Le physiothérapeute était en train de déposer la vaisselle dans l’évier quand Freja lui demanda à voix plus haute pourquoi son chien n’était pas là. Mal à l’aise qu’ils ignorent désormais autant de choses l’un sur l’autre, Woody préféra revenir au salon pour lui répondre : « Je ne l’ai plus. J’ai dû le donner, malgré son âge. J’n’y arrivais plus avec lui. » Admit-il à contre-cœur. Sans doute le regretterait-il, sans doute se dirait-il qu’Allan Poe se faisait vieux clébard lui aussi et qu’ils auraient pu s’éteindre ensemble même si le chien aurait rendu l’âme avant lui. Mais pour le moment, son chien avait encore de l’énergie à donner et Woody, un peu moins. Ça lui avait mis une pression qu’il n’avait pu supporter. Le jeune homme alla s’asseoir sur son canapé, attendant que Freja se décide à le rejoindre. « Je vais mieux. » Dit-il. Il n’avait jamais été du genre à tout déballer sur ses états d’âme. Woody avait toujours fait preuve d’une retenue émotive assez prude. « Et toi ? Depuis ce que tu vivais au mariage, ça va mieux ? » En la questionnant aussi, Woody se gardait des réserves. Surtout parce qu’il n’avait pas envie de parler de sa rupture d’avec un autre. Mais, puisque c’était ce que des amis faisaient …

A force de ne pas savoir ce que vous voulez, tous les deux, vous avez fini par être pris dans d'autres relations, avec d'autres personnes, que vous avez entrainé avec vous dans toute cette histoire compliquée que vous vivez depuis des années maintenant. Alors forcément, tout a éclaté il y a quelques mois et ça éclatera probablement encore avec l'arrivée de Charlie dans la vie de Woody. Pourtant, ça ne vous empêche pas de vous retrouver de temps à autres par hasard ou non, comme aujourd'hui. Tu aurais juste aimé arriver à un autre moment, sans avoir l'impression de prendre la place d'une autre. C'est pour cette raison que tu ne rejoins pas le canapé de Woody tout de suite, préférant rester debout le temps de (re)prendre tes marques. « Oh... je suis désolée Woody. » Dis-tu en fronçant les sourcils. Tu n'imagines pas à quel point cela a dû être une décision compliquée pour l'Australien. « Tu l'as confié à quelqu'un de ta famille ? » Pas Nevaeh à ce que tu saches. Ni Alexander. Peut-être à ses parents ? Tu n'en sais trop rien. Mais tu te sens mal à l'aise d'être venue avec Wilo à présent. « Si j'avais su j'aurais laissé Wilo à la maison. » Ajoutes-tu en soupirant, consciente que tu viens encore de mettre les pieds dans le plat. Il y a tant de choses que vous devez rattraper, l'un avec l'autre. Autant de son côté, que du tien. « C'est le principal. » Qu'il aille mieux. C'est tout ce que tu as toujours voulu et tu ne peux pas t'empêcher de te demander si Charlie y est pour quelque chose ou s'il a remonté la pente tout seul, avec sa force de caractère. « Oui, ça va mieux. Il s'est passé tellement de trucs dernièrement... Et si on déballait tout, tout de suite, d'une traite, pour que ça paraisse moins grave ? J'veux dire, je n'aime pas le fait qu'on ignore quasiment tout de ce qu'il s'est passé dernièrement dans nos vies. Alors si on déballe tout d'une traite ça nous paraîtra peut-être moins énorme ? » Toi et tes idées farfelues. Mais qui sait, peut-être que celle-ci permettra d'apaiser ce sentiment de malaise que tu ressens, en prenant conscience que ça fait trop longtemps que tu ne fais plus partie intégrante de sa vie.

À la question de Freja, Woody secoua la tête. Il avait certes songé à demander à ses sœurs, son frère ou ses parents d’adopter son chien. Le premier qui se serait porté volontaire. Ils le connaissaient tous, Allan Poe était dans la vie de Woody depuis huit ans. Mais égoïstement, le trentenaire ne voulait plus avoir à le voir si ce n’était pas en tant que son maître. Il était à lui, Allan. Il préférait ne plus l’avoir du tout que de ne l’avoir qu’un petit peu. À cette pensée, Woody réalisa qu’il avait ces réflexions-là pour bien plus que son chien. Il soupira. « Non … J’le regretterai peut-être, je sais pas. Mais je préférais ne pas le savoir loin et pourtant si proche. C’est con, hein ? Je trouve ça plus facile de ne pas avoir à le revoir. » Mais on voyait bien à quel point Woody y tenait, à son vieux clébard. Le chagrin se faisait sentir dans sa voix et il ne s’épandrait pas sur le sujet, au risque d’éclater en sanglots devant Freja. Cette dernière, ressentant la lourdeur de l’absence d’Allan, déclara que si elle avait su, elle aurait laissé Wilo à la maison. « Mais non, t’en fais pas pour ça. Je suis toujours content de le voir. Il a grandi. » Il le prit d’ailleurs dans ses bras, lui qui n’arrêtait pas de sentir partout les nouvelles odeurs de la demeure. Il le posa sur ses jambes et fourra ses mains dans son poil en le grattant. Il leva les yeux vers la norvégienne pour lui confirmer qu’il allait mieux. Bien mieux que lorsque tout s’était effondré entre eux, ça, c’était une évidence. C’était une sombre année qu’il laissait derrière. Il espérait juste que cette pseudo-amitié entre eux ne l’empêcherait pas de laisser pleinement rentrer la lumière. Le physiothérapeute renvoya la question à la brunette, elle qui vivait une peine d’amour. Il pouvait au moins se réconforter en se disant qu’il n’était pas le seul à lui briser le cœur. « Pourquoi j’ai l’impression que c’est toi qui as des trucs énormes à m’annoncer ? Non parce que de mon côté y’a rien qui va te faire tomber de ta chaise tu sais … Si tu te décides à t’asseoir un jour, cela dit. » Il arqua un sourcil, se décalant sur le fauteuil sans pour autant libérer Wilo. Sa présence lui faisait du bien, au fond. Freja avait bien fait de l’amener. « Mais faisons comme ça. J’imagine que c’est mieux de ne pas tourner autour du pot. » Ils pourraient, peut-être, passer à autre chose. Si autre chose il y avait.

Tu secoues la tête, ne trouvant pas ça con du tout. Chacun a une manière de réagir différente et tu n’es personne pour critiquer celle de Woody. D’autant plus que tu imagines sans difficultés à quel point cela a dû être compliqué pour lui de se séparer de son chien. « Non ce n’est pas con. Je comprends ce que tu veux dire et peut-être que j’aurais fait la même chose que toi si j’avais été dans ta situation. » Dis-tu, les sourcils toujours froncés. Si tu devais te séparer de Wilo, cela te ferait certainement mal de le voir quotidiennement alors que toi, tu ne peux plus l’avoir à tes côtés. « M’en parle pas… Parfois je me réveille en pleine nuit sur le bord du lit parce que monsieur s’est incrusté et prend toute la place. » Alors que Wilo sait pertinemment qu’il n’a pas le droit de monter dans ton lit mais il le fait quand même. Ce n’est pas étonnant qu’il recommence parce que souvent ça te fait plus rire que crier. Tu souris en les voyant tous les deux, ton chien réclamant encore et encore l’attention de l’Australien et ses caresses. Tu le comprends Wilo, toi aussi tu aimerais avoir toute l’attention et toutes les caresses de Woody rien que pour toi. Malheureusement, aujourd’hui, tu ne sais plus si cela est encore possible. Encore une fois, le physiothérapeute tape dans le mile quand il te fait remarquer que c’est toi qui as probablement beaucoup de choses à lui dire. Tu ris à sa remarque sur le fait que tu ne sois pas encore assise avant de venir prendre place à ses côtés dans le fauteuil. Tu t’assieds en te tournant à moitié vers Woody, caressant Wilo à ton tour, effleurant au passage les doigts de l’Australien. « Tu me promets de ne pas t’énerver parce que je ne t’en ai pas parlé avant, hein ? » Demandes-tu en tournant la tête vers lui, sondant son regard. Puis, après avoir pris une belle inspiration, tu commences le récit de ces derniers mois. « J’ai ouvert de nouveaux bureaux à Brisbane avec mon associé. Il travaille exclusivement là-bas mais j’dois m’y rendre fréquemment, d’ailleurs il y a eu une soirée d’inauguration qui a fait un véritable carton y’a quelques semaines. » Tu te garderas bien de lui dire que ce week-end là, tu étais avec Alba. Tu reprends une nouvelle inspiration, arrivant à la partie plus « sensible ». « Début octobre, j’ai accueilli une petite fille chez moi. Zoé. Elle va avoir onze mois bientôt. Elle vit chez moi jusqu’à ce que sa situation familiale s’arrange ou qu’une autre famille l’adopte de manière définitive. » Ou que tu l’adoptes de manière définitive si on t’en laisse la possibilité et que tu t’en sens capable.

Rassuré par l’avis de Freja, qui affirma qu’elle aurait peut-être même pris la même décision que lui si elle s’était retrouvée dans cette situation, Woody hocha la tête avec un mince sourire. Ce qu’elle pensait de ses choix avait toujours eu une grande importance pour lui, même s’il avait souvent été incapable de le lui montrer. On aurait même pu croire que c’était tout le contraire, qu’il se contrefichait de son opinion, mais non. Woody aurait voulu pouvoir toujours plaire à Freja. Il en avait été incapable. Wilo, qui réclamait toute l’attention aux pieds du trentenaire, obtint enfin ce qu’il désirait. Non seulement l’homme le prit sur ses genoux pour le flatter mais en plus, il fut au cœur de leur prochain sujet de discussion. « Allan faisait pareil. Mais c’est notre faute, I guess. On m’a tellement souvent répété que j’aurais jamais dû donner la permission à mon chien d’grimper dans le lit. » Ce que Woody ignorait était que Wilo n’avait pas cette permission, lui, mais qu’il le faisait quand même en grand entêté qu’il était. Ne disait-on pas que les chiens étaient le portrait tout craché de leur maître ? Wilo reniflait le visage de Woody, passant sa langue sur sa joue et le bout de son nez de temps en temps, ce qui arrachait des rires au physiothérapeute qui tentait à moitié de se dégager de son museau. Comme si la bête avait compris que l’ambiance était devenue plus lourde tout d’un coup, il s’était juste couché contre Woody, la tête posée sur l’appuie-bras. Freja était enfin venue rejoindre son ex sur le canapé, caressant le dos de son chien, effleurant du même coup les doigts de Woody encore enfouis dans la fourrure. « J’peux pas te promettre de pas m’énerver sur un truc que j’sais pas encore. » Il n’allait quand même pas lui mentir, lui promettre un truc, et se mettre en colère ensuite. Ça ne rimait à rien. Elle allait devoir cracher le morceau quand même. La norvégienne lui apprit l’expansion de ses bureaux, d’abord, ce qui rendit Woody plutôt fier. « Wow. Ce sont des big news, ça. Félicitations. J’savais que tes affaires roulaient bien mais j’pensais pas à ce point. C’est génial, je suis très content pour toi. » Jusqu’à maintenant les confessions étaient plutôt heureuses. Woody se demandait quelle direction elle prendrait, après ça, pour avoir la crainte de le voir s’emporter. Il le comprit bien vite quand elle parla de Zoé. Sa fierté se transforma rapidement en lueur mitigée dans son regard. Pour ne pas se perdre dans son désarroi, il se perdit dans des questions adressées à Freja. « Oh, t’es en quelque sorte famille d’accueil, alors ? C’est toujours temporaire ? Dans le sens que … Zoé, elle ira forcément ailleurs un jour, ou bien, elle pourrait rester avec toi jusqu’à sa majorité ? Ça fonctionne comment ? » Ses doigts s’emmêlaient nerveusement dans le poil de Wilo, qui ne semblait pas dérangé par ces gestes nerveux.

L’avis de l’autre a toujours beaucoup compté même si vous n’avez pas toujours été sur la même longueur d’ondes Woody et toi. Il a souvent contesté certaines de tes décisions et toi les siennes. Cela n’a jamais été un long fleuve tranquille entre vous mais tu n’aurais pas voulu d’une relation plate et monotone. Durant toutes ces années, l’Australien t’a rendue plus vivante que jamais. Et il t’a aussi aidé à te remettre en questions, à te reconcentrer sur l’essentiel. Tout ça, ce n’est pas rien. « Si tu lui as donné la permission, c’est ta faute. » Plaisantes-tu avant d’ajouter : « Wilo ne l’a jamais eue. Mais il n’en fait qu’à sa tête. » Tu souris en regardant ton chien, sourire qui s’agrandit davantage alors qu’il dépose des lèches sur le visage de Woody qui ne semble pas se débattre davantage. Sans doute que ça lui fait du bien d’avoir à nouveau un animal à ses côtés. Tu n’imagines pas comme la maison doit lui sembler vide maintenant qu’Allan est parti. Finalement, écoutant les complaintes du physiothérapeute, tu viens t’installer à ses côtés dans le canapé, caressant distraitement Wilo au passage. Des choses à lui dire, tu en as des tas. Et pas des moindres. Woody l’a bien compris d’ailleurs et même si tu appréhendes de lui confier certaines choses seulement maintenant, tu te lances. « Merci. Sans mon associé ça n’aurait pas été possible mais je pense qu’on a vraiment fait le bon choix. Après Brisbane, j’espère qu’on pourra s’étendre à Melbourne. » Et ainsi de suite, un peu partout en Australie. Mais vous êtes encore loin de tout ça, une chose à la fois. Ce n’est pas cette partie-là que tu appréhendais mais bien celle à propos de Zoé. Et maintenant que c’est dit, tu n’es pas certaine de comprendre la réaction de Woody. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de te questionner à ce sujet, peut-être pour cacher ce qu’il pense réellement de tout ça. « C’est ça, je suis sa famille d’accueil. » Expliques-tu d’abord en relevant le regard vers lui. « La situation de Zoé est assez floue. L’assistante sociale désire vraiment qu’elle retourne auprès de sa mère à terme mais on ne sait pas encore si ce sera possible. Sa mère est toxicomane et elle n’a pas de père alors tant que sa mère n’est pas clean et n’a pas une situation stable, elle reste avec moi. Sauf si sa mère ne parvient pas à remonter la pente alors un juge pourrait décider de lui retirer ses droits. A ce moment-là, soit Zoé sera adoptée par une autre famille, soit je pourrai l’adopter. Mais on n’est clairement pas encore dans ce cas de figure. » Néanmoins cela reste une possibilité et tu ne sais pas comment Woody va accueillir la nouvelle.

En regardant lui aussi Wilo, Woody sourit. Freja aimait visiblement les gars qui n’en faisaient qu’à leur tête et ça allait jusqu’à son chien. « C’est ta faute aussi alors, s’il t’écoute pas c’est que t’as pas d’autorité sur lui. » Fit-il remarquer avec un sourire amusé. En réalité, certains chiens ne respectaient jamais les ordres, peu importe le nombre de cours de dressage suivis. Woody avait été chanceux avec Allan, il avait été un chien docile et doux, malgré ses airs de vieux chien grincheux. Il avait une meilleure attitude que son maître qui lui, en plus de son air revêche, en avait également le comportement. Comme si Wilo était d’accord avec le trentenaire, il se leva sur ses pattes d’avant et vint le lécher au visage devant un Woody amusé. Une présence animale, ça avait toujours été rassurant pour lui, et peut-être bien que le départ de son chien jouait aussi pas mal sur son moral. Il pensait aller mieux, il pensait pouvoir aller de l’avant en vivant son deuil d’Allan, mais de se sentir aussi jovial en compagnie de Wilo, ça lui rappelait qu’il n’était jamais bien loin d’une autre dépression. Freja vint enfin s’asseoir aux côtés du physiothérapeute, qui attendait avec appréhension ses confidences. Si de son côté, la routine n’avait pas changée, il en était tout autre pour la norvégienne dont le quotidien avait basculé autant professionnellement que personnellement. « Ivanova, à la conquête de l’Australie. » Dit-il, avec un ton quand même fier derrière la remarque légère. Il continua de caresser Wilo, pensif. Il pensa que lui aussi aurait aimé pouvoir ouvrir des cliniques à son nom un peu partout, avec les mêmes valeurs, le même professionnalisme, partout pareil. Mais rien que sa clinique à Bowen commençait à être de trop pour son corps fatigué, alors il pouvait oublier les projets de grande envergure. Tout comme il pouvait oublier ses projets de famille. Il avait l’impression qu’avec Freja c’aurait été sa seule et unique chance et ils l’avaient perdue. Maintenant, pour lui, c’était trop tard. Mais pas pour elle. D’une manière différente que celle espérée, mais elle l’avait quand même. Woody ne savait pas trop comment réagir, il ne savait même pas ce qu’il ressentait vraiment en apprenant cette nouvelle. Au lieu de devoir répondre quoi que ce soit sur son ressenti, il se perdit dans les questions. « Pauvre petite. » Dit-il, attristé de connaître la situation familiale de Zoé. « Mais si jamais t’en étais dans ce cas de figure, tu crois que tu pourrais la laisser aller à une autre famille adoptive ? Tu t’es sans doute déjà attachée pas mal à elle … Ce serait … dans tes plans ? De l’adopter ? » Ses doigts continuaient de s’enrouler dans les poils de Wilo, faisant et défaisant des nœuds dans son poil blanc. Ne pas avoir de famille, ça lui rentrait dedans pas mal plus que prévu. Surtout quand il constatait que Freja allait de l’avant.

Il est clair que ton autorité sur Wilo laisse parfois à désirer. Malgré tout, cela reste un gentil chien qui écoute, la plupart du temps. Mais en pleine nuit, impossible de le faire écouter puisque tu n'es clairement pas assez consciente pour ça. « Comment veux-tu que je le fasse écouter alors que je dors ? » Demandes-tu à moitié sérieuse, à moitié amusée. « Heureusement, il ne fait ça que quand je dors seule. » Et autant dire que pour le moment, il passe toutes ses nuits à s'incruster dans ton lit. Il n'y a pas beaucoup d'animations dans celui-ci, tes journées étant surtout consacrées au travail et à Zoé. Le lit de Woody doit être bien plus mouvementé lui mais tu préfères ne pas t'y attarder alors que les images de Charlie quittant sa maison te reviennent déjà en tête. A la place, tu lui expliques tout ce qu'il se passe dans ta vie professionnelle, l'agrandissement de ta société, les bureaux à Brisbane, un nouvel associé, etc. Tant de changements mais qui étaient bénéfiques pour que tu gardes la tête hors de l'eau. Sentimentalement, ça a été tellement compliqué durant ces derniers mois que le travail - et Zoé - ont clairement été ton échappatoire. « J'aimerais ça, oui. » Réponds-tu en riant quand Woody sous-entend que tu es prête à conquérir l'Australie. S'installer à Brisbane n'a pas été si facile et cela a surtout demandé des mois et des mois de travail. Alors Melbourne, ce n'est pas pour tout de suite mais d'ici quelques années, qui sait. Ces bureaux ne sont pas le seul changement majeur de ta vie. C'est surtout l'arrivée de Zoé qui est venue tout chambouler, tout changer. Pauvre petite. Oui, c'est le cas de le dire, elle n'a pas eu un début de vie facile mais tu espères qu'aujourd'hui tu parviens à lui apporter tout le bonheur, tout le confort et toute la sécurité dont elle a besoin. Tu fais tout ce qui est en ton pouvoir pour cela, en tout cas. A la question de Woody, tu fronces légèrement les sourcils, réfléchissant réellement à la question. Jusqu'ici, tu ne t'es pas vraiment autorisée à y penser parce que tu t'es toujours dit que ça n'arriverait pas. Qu'on finirait bien par te la reprendre, un jour ou l'autre. Tu n'es pas quelqu'un qui enchaine les happy end malheureusement. « Oui, je pense que j'aimerais l'adopter. Mais je ne suis pas sûre qu'un juge accepterait. J'suis une femme seule, célibataire, qui a un travail qui demande beaucoup de temps et d'investissement. Ce n'est pas rien... Rien que pour devenir famille d'accueil, j'ai eu des milliers de questions et divers tests. » Dans le fond tu comprends puisqu'on ne peut pas confier un enfant à n'importe qui. Mais en même temps, tu es persuadée que si tu avais eu un bon petit mari à la maison, cela ne se serait pas passé comme ça. « Qu'est-ce que tu en penses ? Tu crois que ce serait une erreur, de vouloir l'adopter si l'occasion se présente ? » Demandes-tu en relevant la tête vers lui, sondant le regard de l'australien.