Baby shark, doo doo doo doo ? (Aura)

L'eau chaude coulait sur son corps, détendant ses muscles endoloris, mais n'apaisant aucunement son esprit. La nuit avait été terrible. Au fil des heures, l'alcool s'évaporant de son organisme, Livio s'était rendu compte de sa nouvelle connerie et les mots de sa petite amie lui étaient revenus en pleine face. Gosse irresponsable... elle avait besoin de quelqu'un sur qui compter... Il s'était pris un sacré revers, Livio. Certes, il était immature, irresponsable, impulsif et insouciant quand cela concernait la fête et l'amusement. Mais quand on avait besoin de lui, quand des décisions importantes étaient en jeu, il mûrissait d'un coup. Et sans doute allait-il devoir mûrir encore plus si le test d'Aura venait à être positif. 8 jours. 8 jours de retard. Bien qu'il ait essayé d'être rassurant dans ses textos, en réalité, Livio ne faisait pas le malin. Il était même effrayé par ce que cela pouvait engendrer. Si elle était enceinte, qu'allaient-ils bien pouvoir faire ? Allaient-ils le garder ? Etaient-ils suffisamment prêts pour être parents ? Tant de questionnements qui tournaient en boucle et accentuaient ce mal de tête déjà bien présent. Il finit par couper l'eau et par sortir de la douche. Il s'essuya rapidement, les cheveux encore trempés, et installa la serviette autour de sa taille. Puis il retourna dans sa chambre, accolée à cette salle de bains privative, et sursauta en voyant une silhouette dans le cadre de porte. Aura, évidemment. Il lâcha un léger rire, secouant la tête : "Tu m'as fait peur !" Il ne l'avait pas entendu entrer.Pourtant, il allait devoir s'habituer à ce genre d'apparitions, eux qui prévoyaient de vivre ensemble. Il s'avança de quelques pas, de façon à se planter face à elle. Son regard cerné la couva avec douceur alors qu'il embrassa tendrement son front. "Je ne te serre pas dans les bras. Je suis trempé." A cet instant, la nuit chaotique, la colère d'Aura, sa connerie restaient de côté. Il y avait plus important. "ça va ?" demanda-t-il, alors que ses yeux bleus la sondèrent, sachant pertinemment l'angoisse qui devait la submerger à l'instant.

"Salut, c’est Enzo. Je ne suis pas là pour le… " Grognant d’agacement, je raccrochai mon téléphone, épuisée de tomber sur la messagerie de mon frère à chaque fois que j’essayai de le joindre ces derniers temps.
— Merde…
Je tapai d'une main contre le volant puis fermai les yeux pour inspirer un grand coup. Huit jours, j’avais huit jours de retard sur mes menstruations. Cela commençait à être inquiétant. J’avais bien essayé de ne pas trop y penser, espérant que mes règles allaient venir, cela arrivait parfois que ça traine un peu, que cela vienne en décalé. Mais je devais me rendre à l’évidence, maintenant, j’avais mis des oeillères par peur de me  confronter à la réalité. C’était bien plus simple de faire comme si de rien n’était, mais cela ne pouvait fonctionner sur le long terme. « C’est peut-être une fausse alerte » avait dit Livio. Peut-être…c’était possible, en effet. Mais il n’y avait qu’un moyen de la savoir, et cela me terrifiait. Faire ce test, constater le résultat, quel qu’il soit me terrifiait. Rassemblant mon courage, je me décidai enfin à sortir de la voiture. Attrapant mon double de clef, après avoir farfouillé au fin fond de mon sac à main, j’entrais dans la maison de Livio. Quand j’arrivais devant sa chambre, je le trouvais de dos, vêtu d’une serviette de bain nouée à la taille, il venait de sortir de la douche. Discrète, je n’avais pas fait le moindre bruit et ma présence le fit sursauté.
— Excuse-moi, souris-je en m’approchant de lui.
Embrassant mon front, il me demanda comment j’allais, et, pour être honnête, je ne savais pas quoi lui répondre. Je soupirai, puis, levant les yeux vers lui, je sentis l’émotion m’envahir d’un seul coup. Je plongeais alors dans ses bras, me fichant bien de tremper mes vêtements. Mes bras passés sous ses bras, étreignant ses épaules et ma joue contre son torse chaud, je cherchai à m’apaiser, demeurant silencieuse un instant.
— Je me sens complètement perdue, avouai-je enfin, je ne sais pas ce qui me fait le plus peur…que ce soit positif ou…négatif.

Il ne savait pas si elle avait été vraiment discrète ou s'il était complètement ailleurs, mais Livio avait fini par sursauter en voyant Aura à la porte. "Ne t'en fais pas." souffla-t-il quand elle s'excusa. Une fois la surprise passée,ce fut l'appréhension qui reprit très vite le dessus. Ils allaient être fixés. Grâce à ce test, ils allaient infirmer ou confirmer une éventuelle grossesse. C'était la tempête chez Livio, mais à l'extérieur, il ne laissait rien transparaître, ou presque. Seul son regard était teinté d'inquiétude, mais d'apparence, il semblait solide. Solide pour elle. Parce qu'elle avait besoin de lui. Parce qu'il se devait d'apaiser l'angoisse qui la submergeait. Il devait être son ancrage, celui qui lui permettait de garder les pieds à terre. Face à elle, il osa lui demander comment elle allait. Sans doute ne le savait-elle pas elle même... Quand elle leva les yeux vers lui, il remarqua très vite l'émotion qui métamorphosa son visage. Et alors qu'il s'était retenu de la prendre dans ses bras, Aura en décida tout le contraire, venant se blottir tout contre lui. "Mia cara..." Il l'entoura de ses bras et vint poser son menton sur le haut de son crâne. Il se mura dans le silence, se contentant de lui offrir cette étreinte jusqu'à ce qu'elle se sente mieux, jusqu'à ce qu'elle mette des mots sur ce qu'elle ressentait à cet instant. Ce fut après quelques secondes qu'elle lui avoua être perdue. "Oui, je comprends." murmura-t-il. Elle ne se voyait sûrement pas avec un enfant maintenant, pas alors qu'ils étaient à l'aube de leur vie en commun. Enfin, ça, c'était ce qu'il croyait. Mais les derniers mots de la belle brune le surprirent davantage. Il était normal qu'elle ait peur que le test soit positif, Livio était dans le même cas de figure. Mais c'était d'autant plus surprenant qu'elle ait peur que le test soit négatif. "Comment ça, tu as peur qu'il soit négatif ?" Il se redressa quelque peu, de façon à retrouver son regard. Il savait qu'elle voulait des enfants. Mais elle en voulait là, maintenant ?

Alors que Livio resserrait ses bras autour de moi, je fermai les yeux, envahie par trop d’émotions à la fois pour profiter pleinement de la chaleur de son étreinte. En temps normal, elle m’aurait tout de suite rassurée, placée dans un cocon duquel je n’aurais pas eu envie de sortir. Mais, hélas, mon esprit, cette fois là, ne parvenait à s’apaiser, et je n’étais pas certaine que le résultat de ce test règle le problème. J’avais peur, au contraire, qu’il ne mette en lumière plus d’interrogations encore, quelqu’il soit. Livio me toisa, visiblement préoccupé par ce que je venais de lui avouer. Je pouvais tout à fait le comprendre, j’étais complètement déboussolée, moi aussi. Et je n’étais pas sûre de savoir expliquer clairement ce qu’il se passait dans ma tête.
— Je…
Je soupirai, baissai le regard, puis inspirai longuement avant de me focaliser à nouveau sur Livio.
— J’ai peur qu’il soit positif parce que…parce que c’est tôt et…et…qu’on n’a même pas encore aménagé ensemble, qu’on n’est même pas mariés ou je sais pas, et que…normalement, un enfant, ça vient après…j’ai peur de pas savoir, de pas être prête…et d’un autre côté.
Je tournai le regard en me mordant la lèvre inférieure. Ma voix tremblait et j’avais du mal à contenir mon émotion. Je ne pleurais pas, mais j’étais à deux doigts.
— D’un autre côté, j’ai peur d’être déçue si jamais c’est négatif, je sais pas l’expliquer, c’est…Peut-être que de penser à tout ça…ça m’a donné un espoir, une vision pas si moche que ça et…c’est tôt, oui…c’est beaucoup trop tôt. Je sais pas, Livio…je suis perdue.

Il avait parfois vu Aura désemparée, bouleversée ou déboussolée, mais c'était bien la première fois qu'il le sentait aussi fortement. Peut-être ressentait-il cela encore plus parce qu'il n'était pas à même de la réconforter, parce qu'il avait tout aussi peur qu'elle. Si le test venait à être positif, il ne savait pas quelle serait sa réaction. Bien sûr, ils avaient parlé d'enfants, de projets en commun, mais il ne pensait pas que cela pouvait arriver aussi vite. Mais il suffisait d'une fois, d'une unique fois insouciante pour mettre la machine à bébé en route. Seulement, Aura se mettait encore plus de pression. Certes, elle avait peur que le test soit positif, mais étrangement, elle craignait aussi qu'il soit négatif. Livio avait redressé la tête, le regard surpris, attendant d'en savoir plus. Il l'écouta avec attention, la couvant d'un regard bienveillant alors qu'elle s'ouvrait à lui, alors qu'elle exposait ses doutes. Un enfant, ça vient après, disait-elle. "Sur ce point-là, on est connus pour ne pas faire les choses normalement..." tenta-t-il de la rassurer. Mais c'était leur normalité. Il secoua doucement la tête quand elle expliqua avoir peur de ne pas savoir faire, de ne pas être prête. S'il y en avait une dans la fratrie Luciano qui était la plus à même d'avoir un enfant, là, maintenant, c'était bien Aura. Elle avait la tête sur les épaules et la maturité digne d'une mère, elle qui avait tant couvé ses frères. Il y avait une douceur maternelle chez la brune qui ne ferait qu'exploser quand elle aura un nouveau-né dans les bras. Il avait pleinement confiance en elle. Il resserra son étreinte en sentant sa voix trembler. Il sentait qu'elle était à deux doigts des larmes. Il garda son regard sur elle alors qu'elle continuait à s'ouvrir, évoquant maintenant son ressenti face à un éventuel test négatif. "Je pense comprendre." Son envie de fonder une famille se faisait plus concrète grâce à cette suspicion de grossesse. "Mais tu sais, ma chérie, si ça vient à être négatif, je ne veux pas que tu sois déçue. Je veux dire, cet espoir, cette vision pas si moche ne disparaîtront pas totalement. ça sera juste... repoussé. Mais ça sera encore là, parce qu'on connaît nos projets et on sait ce que l'on veut ensemble." Il vint prendre son visage entre ses mains, ses pouces frôlant doucement ses joues. "Tu sais quoi, on va arrêter de se miner avec tous ces doutes. Tu vas faire ce test et on verra ce qu'il en est. D'accord ?" Il déposa un baiser sur ses lèvres, avant de la relâcher. Il s'avança jusqu'au lit sur lequel trônait un sac en plastique, au sein duquel se trouvait le test. Il prit la boîte et la tendit à sa petite amie, tentant de contrôler le tremblement distinctif de cette angoisse qu'il dissimulait. "Tu es prête ?"

Je ne savais pas vraiment expliquer ce qui m’angoissait, c’était sans doute un mélange de beaucoup de choses, ce qui rendait mon esprit assez confus. Avais-je, ou pas, envie de cet enfant maintenant ? Comme je le disais à Livio, c’était beaucoup trop tôt pour nous, mais au fond… Cette potentielle grossesse ne m’apparaissait pas si folle, quand j’y songeais vraiment. Cette reflexion là, m’effrayait, toutefois. Depuis quand avais-je envie de ça ? Pourquoi maintenant qu’il y avait un doute ? Tous ces changement qui s’opéraient en moi m’effrayaient. Nous avions encore besoin de nous découvrir l’un l’autre, Livio et moi, avant de pouvoir penser à construire notre propre foyer. Ca, c’était ce que me disait la logique, la partie consciente de ma reflexion, ce que je ressentais dans mes tripes, en revanche, c’était une autre paire de manches. Et je ne maitrisais absolument rien. Livio, malgré tout, trouva les mots pour me rassurer, comprenant mon trouble bien que j’ai eu du mal à l’exprimer. Je tentai un sourire puis opinai.
— Oui…oui, d’accord.
Je n’étais pas très loquace, et ma voix tremblait encore légèrement. Livio retourna près de son lit et sortit d’un sac en plastique qu’il y avait laisser trainer, le fameux test qui allait changer, ou non, le reste de nos vies. Je n’étais pas prête, pas vraiment, mais il fallait bien se lancer, au moins pour être fixés, comme l’avait souligné Livio. Je me saisis du test que me tendait mon petit ami, lui sourit puis m’éclipsai dans la salle de bain. Je pris un instant pour lire la notice, il y avait un petit écran sur le tube en plastique qui ne laissait pas de place au doute, si jamais j’étais enceinte, cela allait s’affichait là, et cela m’indiquerait même depuis combien de temps. Je pris une longue inspiration puis passai aux choses sérieuses. De toute ma vie, je n’avais jamais éprouvé tant de difficulté à uriner, mais la pression ne m’aidait pas du tout. J’y parvins enfin et posai le test sur le rebord du lavabo, avant de me laver les mains. Le résultat s’affichait sans doute, mais je ne voulais pas le regarder. Pas encore. Pas toute seule. Après un regard à mon reflet, je retrouvai Livio dans la chambre, puis avançai vers lui, le coeur battant.
— Je…je n’ai pas encore regardé, confessai-je quand je parvins à sa hauteur.
Prenant mon courage à deux mains, je levai le petit tube blanc et bleu entre nous, puis baissai les yeux. « Enceinte - 4-5 semaines » était affiché sur le petit écran. La tête me tourna tout d’un coup.

Malgré ses paroles qu'il voulait réconfortantes, force était de constater que cela n'était pas suffisant. Aura était soumise à un tel dilemme que même Livio n'arrivait pas à l'aider à éclaircir la situation. Il y avait un trop-plein chez sa petite amie, des doutes, des questionnements pour lesquels il était difficile de se projeter. Est-ce qu'ils se voyaient, eux, avec un bébé, un tout petit bébé, un être qui dépendrait d'eux ? Est-ce qu'ils étaient assez proches, assez forts pour gérer cela, eux qui avaient encore tout à apprendre de la vie de couple ? Il avait envie de dire oui. Il connaissait les sentiments qu'il avait pour Aura. C'était elle, près de sept ans auparavant. C'était elle encore aujourd'hui. Il avait cette envie de construire des projets de vie avec elle, c'était indéniable. Seulement, dans sa tête, il s'était dit que tout cela viendrait d'ici une année ou deux, le temps pour eux de s'aimer, de s'apprivoiser, de grandir en tant que couple. Le temps de penser à eux avant de penser à un petit bout d'eux. Mais avant de céder à la panique - peut-être inutilement - il était nécessaire de passer ce fameux test. Le jeune homme alla récupérer le sachet qu'il avait laissé traîner sur son lit, tendant la boîte à Aura, qui ne se faisait pas très bavarde. Il la suivit du regard, jusqu'à ce qu'elle disparaisse de son champ de vision. Il en profita pour enfiler un boxer, un simple short et un t-shirt confortable, se contentant de passer une main dans les cheveux pour les ébouriffer. Les minutes suivantes furent longues, bien longues. Bien trop longues. Et quand Aura revint auprès de lui, l'impatience et l'inquiétude se lisaient dans les yeux du jeune italien. Elle n'avait pas pu regarder. Elle l'avait attendu pour avoir le résultat. "Montre donc..." souffla-t-il avec douceur. Ses yeux bleus se posèrent sur le bout de plastique blanc qu'elle releva. Un bout de plastique où il était écrit clairement "Enceinte 4-5 semaines". Les yeux écarquillés, Livio sentit comme une charge de plomb s'abattre sur ses épaules, si bien qu'il s'assit rapidement sur le bord du lit en jurant : "Oh putain..." Non, ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas être enceinte. Pas maintenant. Sans doute était-il parti du principe que le test allait être négatif, comme si il existait un joker sur les relations sexuelles non protégées.Mais non. Il suffisait d'une fois pour faire un enfant, une seule imprudence pour concevoir un être humain. Il prit le test des mains de la jeune femme, observant - ou plutôt bugguant dessus - analysant ce petit mot qui allait changer toute leur vie. D'un geste complètement stupide, il secoua le test, comme si cela allait changer le résultat. Il murmurait, répétait : "ça doit être un faux positif... oui, c'est ça." Mais il fallait se rendre à l'évidence, on ne parlait pas de virus, mais bien d'une grossesse. Ce n'était pas un faux positif. Il jura de nouveau, avant de relever son visage blême vers Aura, qui était toute aussi blanche que lui. "C... comment tu te sens ?" finit-il par demander, inquiet. Si lui était déjà bien inquiet, la situation devait être encore plus terrible pour Aura. C'était elle qui allait porter ce bébé, qui allait voir son corps changer les prochains mois... si elle souhaitait évidemment. "Tu... tu sais, on n'est pas obligés de se fixer maintenant..."

J’avais du mal à les assimiler, ces petits mots inscrits sur le test de grossesse que je venais de faire. Je savais les lire, je les comprenais, mais je ne réalisais pas qu’ils me concernaient. Figée, avec mon test dans la main, n’osant pas dire le moindre mot, je vis Livio s’écrouler sur son lit et entendis le juron qu’il poussait. De mon côté, je restais complètement coite. Les pensées se chamboulaient dans ma tête, et l’information faisait son chemin. Enceinte. De 4 à 5 semaines. Un être humain avait commencé à se développer dans mon utérus, j’y croyais à peine. Je commençais à reprendre mes esprits au moment où Livio attrapa le test que je tenais encore dans ma main pour le secouer énergiquement. Il voulait se persuader que le résultat était erroné. C’était une possibilité, en effet, ces tests-là n’étaient pas fiables à 100% mais je savais au fond de moi que ce n’était pas un faux. Au fond, bien avant de faire pipi sur cette fichue languette, j’avais su. Je ne l’avais simplement pas accepté tout de suite.
— Il faudrait que je fasse une prise de sang, notai-je tout de même d’une petite voix, pour…être vraiment sûre.
Il le faudrait de toute manière, pour confirmer cette grossesse qui prenait de plus en plus corps entre nous. Livio était déboussolé, je le voyais bien. Et je ne pouvais pas le blâmer. Cette confirmation de grossesse faisait tout valser en moi. Je ne savais pas, d’ailleurs, ce qui me permettait encore de tenir debout. Je me sentais comme attachée à un fil invisible qui m’empêchait de tomber.
— Je me sens…
Je laissai trainer ma phrase en suspens, ne sachant trop quoi dire. Je ne ressentais rien, rien de distinct en tout cas, ou trop de chose à la fois pour qu’une seule émotion ne se détache. Vide, n’était pas le mot pourtant, c’était même tout le contraire.
— Je me sens…enceinte.
C’était tout ce qui me venait. C’était factuel au moins. Et le dire changea quelque chose en moins, ce fut très soudain et saisissant, comme un coup de foudre. Je sentais Livio se décomposer petit à petit. Il tâchait de se maitriser, sans doute cherchait-il à me soutenir, mais il avait, lui aussi besoin de soutien. Il me rappela que nous n’avions pas besoin de fixer notre décision tout de suite, que nous avions du temps. Une force invisible sembla me saisir, et la peur s’envola tout d’un coup. Je baissai le regard vers mon amoureux, avec le désir de l’envelopper, de faire taire son trouble, de l’apaiser. Je n’aimais pas le voir ainsi. Peut-être était-ce mon tour, cette fois, de le soutenir. Avec tendresse, je tendis la main vers lui et caressai son visage, avant de venir m’agenouiller pour me mettre à sa hauteur, alors qu’il était encore assis sur le lit. Je le couvais des yeux, tachant de me faire la plus douce possible. Un sourire simple étira mes lèvres.
— On a le temps, je sais.
Je le regardai encore un instant, puis tendis le cou pour embrasser ses lèvres. Quand je rompis le baiser, j’ancrai mon regard dans le sien, mon visage à quelques centimètres seulement de son visage.
— Tu sais…peut-être que ça veut simplement nous dire que, toi et moi, on est capable de construire quelque chose. Qu’on est compatible. Que…je sais pas, c’est peut-être pas une mauvaise nouvelle ? Si ?

Il était sonné, complètement sonné. C'était fou comme un si petit bout de plastique s'apprêtait à changer leur vie. Il avait du mal à imaginer qu'un petit être était en train de se créer dans le ventre de sa petite amie. C'était si abstrait et... effrayant. Aussi, Livio développait un comportement étrange, sous le choc, à répéter des jurons, à secouer le test, à se convaincre que cela pouvait être un faux positif. Il parlait plus pour lui-même, à vrai dire, mais Aura entendit ces mots et évoqua cette prise de sang qui confirmerait la grossesse. "Ce serait quand même étonnant que le test soit faussé." Un test négatif qui cachait en réalité une grossesse, c'était plus plausible, non ?! "Mais je pense que la prise de sang est une bonne idée. ça doit faire partie du processus, non ?!" Il ne s'y connaissait absolument pas en grossesse. Quand sa belle-soeur avait été enceinte, Livio était à l'autre bout du monde, alors les histoires de prises de sang, d'échographies et compagnie, ça lui était passé bien au-dessus de la tête. Tentant de reprendre contenance, il se mit en tête que la brune devait être dans un plus grand état de choc que lui. Alors, il essaya de mettre de côté ses propres émotions pour prouver qu'elle pouvait compter sur lui, qu'il était là pour elle. Ses yeux bleus posés sur elle, il attendit qu'elle mette des mots sur ses émotions. Mais étrangement, Aura ne dit rien de cela, avouant simplement du bout des lèvres qu'elle se sentait enceinte. "Vraiment ?" L'entendre de sa bouche, dit à haute voix, occasionna une nouvelle vague d'angoisse chez Livio. Elle rendait la chose concrète. Et si Livio se décomposait de secondes en secondes, il sembla que ce constat avait fini par élever Aura. Son regard s'illumina d'une nouvelle lueur, déterminée, forte, vivace. Là où l'italien ployait, la brune semblait prête à reprendre le flambeau. Sa caresse sur sa joue ramena le jeune homme vers la réalité. Et quand elle s'agenouilla face à lui, il ne se nourrit que de la douceur qui émanait d'elle, de son regard, de ses gestes. Ils avaient le temps, disait-elle. Il hocha simplement de la tête, se murant dans un silence qui ne le lui ressemblait pas. Il était perdu, totalement perdu. Mais quand elle vint l'embrasser, il eut l'impression de s'ancrer de nouveau dans l'instant présent. Les mots qu'elle employa ensuite lui réchauffèrent le coeur. A sa question, il marqua toutefois un temps de pause, avant de murmurer : "Non. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise nouvelle..." Il était là, le terrible dilemme. C'était une belle vision qui s'offrait à eux. Mais il y avait toujours une part d'ombre chez Livio qui obscurcissait cette si belle vision. "Mais Aura... Tu te sens prête à avoir un enfant avec moi ?" Même s'il était un gosse irresponsable... "Je ne serai pas un parfait futur père en l'espace de quelques jours." Il était important qu'elle le sache, qu'elle en ait pleinement conscience. Il avait ses casseroles derrière lui.

Il y avait tant de choses dans les yeux de Livio, dans son attitude, tant de choses transpiraient des pores de sa peau. Je le sentais désarçonné, ému aussi. Des sentiments qui faisaient écho aux miens. Quand il les verbalisa, me demandant si j’étais prête à avoir un enfant avec lui, affirmant qu’il ne deviendrait pas un père parfait en quelques jours, je découvris un peu plus ses failles. Ca n’était pas la première fois que je les entrevoyais, bien sûr, mais, aujourd’hui, elles m’apparaissaient bien plus clairement que toutes ces autres fois où il avait accepté de me dévoiler ses faiblesses. Une bulle éclata dans mon coeur qui vibra avec une intensité telle que je me laissai, moi aussi, submerger. Avec toute ma tendresse, j’attrapai son visage entre mes paumes puis embrassai ses lèvres, l’arrête de son nez et son front. Je me hissai alors sur ses genoux et passa une main dans ses cheveux, cherchant à le rassurer par ce contact, à lui donner toute la douceur dont j’étais capable.
— Ce dont je suis sûre, c’est que ton amour me transcende, avouai-je, lui ouvrant mon coeur sans retenue, tu me fais découvrir chaque jour une nouvelle version de moi-même, tu me fais éclore tous les jours un peu plus d’une si douce façon. Tu me pousses à incarner celle que je suis réellement. Tu me rends plus belle, plus courageuse, plus aventureuse, plus créative, bien plus audacieuse que je ne l’ai jamais été…tu me rends meilleure. Tous les jours, tu me rends meilleure.
J’étais émue, à mon tour, et de petites larmes commençaient à perler aux coins de mes yeux, mais je n’avais pas encore fini. Un sourire tendre fendit mon visage.
— Je connais la force de ton amour, et j’ai totalement confiance en ta capacité à élever un enfant avec moi. Tu sais faire ressortir ce qu’il y a de plus beau chez les gens que tu aimes, c’est ce que je veux pour mes enfants, quelqu'un qui leur montre comment montrer ce qu'ils ont de meilleur en eux. Je sais que tu leur apportera tout ce que tu peux, que tu leur donnera tout ce que tu seras en mesure de donner.
Je me tus un moment, un peu trop ébranlé par mes émotions et ce que j’exprimais à voix haute pour continuer d’une seule traite. Je collai mon front à celui de Livio, fermai les yeux, inspirai longuement.
— Je ne sais pas si on est prêt, je ne sais pas si le moment tombe juste, si je suis capable d’être mère tout de suite, je ne sais rien de tout ça.
Je rouvrai les yeux vers lui.
— J’ai peur, c’est vrai, et je sais que toi aussi, c’est tellement inattendu…mais, je crois que te voir devenir père me rendait infiniment heureuse.

Ne pas céder à la panique. Ne surtout pas céder à la panique. Il essayait de jouer l'homme fort, Livio, parce qu'il avait un côté un peu macho et parce qu'il se disait qu'il devait être un soutien inébranlable pour Aura. Mais de jour en jour, la brune le connaissait de mieux en mieux. Elle savait repérer les failles de Livio, elle savait quand son regard laissait transparaître la peur et les doutes. Et ce qui était le plus beau, c'était qu'il la laissait faire. Face à elle, face à son regard bienveillant, à sa douceur qui le couvrait chaleureusement, il n'avait pas peur de se mettre à nu, d'évoquer ce qu'il avait sur le coeur. Et à cet instant, c'était la peur de ne pas être à la hauteur. Il ne se voyait déjà pas comme le parfait petit ami, alors comment pouvait-il s'imaginer comme un futur père parfait ?! Il était là, le problème. Livio tenait tant à exister dans le regard des autres qu'il mettait la barre haute, très haute. Pourtant, la perfection n'existait pas. Il faisait des erreurs en tant que petit ami. Il en ferait aussi en tant que futur père. C'était tout cela qui le faisait évoluer, qui lui rappelait qu'il n'avait pas besoin d'être parfait, qu'il avait des qualités bien existantes. Il ferma les yeux sous les baisers de sa petite amie, s'empressant d'entourer sa taille lorsqu'elle s'installa sur ses genoux. Et là, elle lui fit la plus belle déclaration d'amour. En quelques phrases, elle balaya toutes les interrogations du jeune italien, en mettant le doigt sur tout ce que son amour lui apportait. Il avait avancé grâce à elle. Et elle avait avancé grâce à lui. Les chenilles étaient devenues papillons. "Mon amour... Il n'y a rien de plus beau que de te voir devenir celle que tu dois être." souffla-t-il, trouvant ses mots bien maigres à ce qu'elle venait de lui dire. Mais son regard démontrait toute son émotion, la force des sentiments qu'il avait pour elle. Et justement, c'était la force de cet amour qui la rassurait sur ce qu'il pouvait apporter à leurs enfants. Du bout de son pouce, il vint essuyer les larmes d'émotion qui coulaient sur la joue d'Aura. Quand elle posa son front contre le sien et qu'à son tour, elle lui fit part de ses peurs, il resserra son étreinte autour d'elle. "Si toi, tu n'es pas capable d'être mère tout de suite, je ne sais pas qui pourrait l'être." murmura-t-il, doucement. "Tu as ça dans les tripes, dans le coeur. Tu es douce, maternelle, tellement bienveillante. Tu dis que je fais ressortir ce qu'il y a de meilleur chez les gens, mais c'est pareil pour toi. Ton aura, elle m'a touché de plein fouet. Et cet enfant pourra dire qu'il a une mère merveilleuse..." Avoir des enfants était dans les projets d'Aura, il y avait toute une partie d'elle qui était prête à vivre cette aventure. Et même si ce n'était pas prévu, il était là. Quand elle rouvrit les yeux et qu'elle termina en disant qu'elle serait heureuse de le voir devenir père, il sentit ses lèvres s'élargir en un léger sourire. "J'avais des projets pour nous deux..." commença-t-il, en ancrant ses yeux bleus dans les siens. "... On les fera à trois." termina-t-il en sondant son regard. Ils avaient le temps de se fixer, disaient-ils, mais il était vrai que la balance penchait plus favorablement. "Si tu le veux, évidemment."

La situation était anxiogène, je n’allais pas le nier. Avoir un bébé, ça n’était pas rien. Cela changeait une vie entière, deux vies en l’occurence, celle de Livio et la mienne. Cela nous liait à jamais. Notre relation était jeune, très jeune. Notre connexion plus ancienne, certes, mais notre couple, lui, en était à ses balbutiements. Ce que nous vivions, Livio et moi était intense, ça n’était plus à prouver et les choses allaient relativement vites, mais avec cette grossesse nous avions carrément fait un grand bond. J’espère que nous ne brûlions pas les étapes. Quand à savoir si nous étions prêts pour tout ça ou non, seul le temps nous le dirait et c’était justement ce qui rendait la chose un peu angoissante. Avions nous les armes suffisantes pour nous engouffrer dans cette aventures ?
J’avais confiance en Livio, je connaissais sa capacité naturelle à transcender tout ce qu’il touchait. Je lui fis part de mes sentiments, de ma certitude qu’ils ferait un père merveilleux, rien qu’en restant l’homme qu’il était. Quand il affirma que j’avais, moi aussi, les qualités pour être mère, je lui souris avec tendresse. Il termina en rappelant qu’il avait des projets pour nous, et qu’il nous faudrait simplement ajouter notre enfant à l’équation.
— Oui, je le veux.
Cette affirmation était sortie de mes tripes. Une certitude instinctive. Sans savoir pourquoi, je me mis à rire doucement, avant d’embrasser Livio, comme pour sceller notre décision.

Fin