Don't dream it's over (Cosima)

Don't dream it's over

Je m’approchais du garage de monsieur Grant, en civil vêtue d’un jean, d’une paire de converses noires et d’un tee-shirt bleu, après avoir vérifié que j’étais à la bonne adresse. Je l’avais rencontré il y a quelques temps lors d’une fusillade sur lequel j’avais travaillé et dont il avait été l’une des victimes. J’avais aussi eu l’occasion de côtoyer sa fille Cosima qui était venue à Bowen   par le biais de l’un de mes collègues Morgan. La jeune femme avait gardé une forte rancune vis-à-vis de des agresseurs de son père et Morgan l’avait orienté vers la police plutôt que la jeune  femme ne venge elle-même son père. Etant moi-même arrivée dans la police de cette façon-là ce qui m’avait évité de faire des bêtises, je ne pouvais qu’approuver cette décision.   En plus, cette fille avait un truc, je le sentais. Et puis, c’était une fille et Dieu sait à quel point les femmes dans la police étaient encore rares donc même si je ne ressentais rien, j’aurais approuvé et je l’aurais également poussé dans cette direction, ce que j’avais cependant peu fait car à cette époque, la brune était plus proche de Morgan que de moi. J’avais cependant récemment appris qu’elle avait lâché l’école de police pour donner un coup de main à son père. Si c’était une décision louable, cette fille avait trop de potentiel dans les forces de l’ordre pour que je la laisse le gâcher dans un garage. Je passais par l’accueil, où se trouvait son père. Je pris quelques instants pour discuter avec lui et prendre de ses nouvelles avant de lui demander où se trouvait Cosima. Il m’indiqua l’endroit où elle devait être. La brune était bien là, occupée avec une moto. Je m’approchais avant de m’arrêter à quelques mètres d’elle, les bras croisés, appuyée contre un poteau, l’observant travailler.  

Don't dream it's over

La brune finit ce qu’elle était en train de faire avant de se tourner vers moi. Cosima avait changé en trois ans et en même temps, pas temps que ça. A l’époque, c’était une jeune femme qui sortait tout juste de l’adolescence et qui voulait faire payer ceux qui avaient fait du mal à son père. Aujourd’hui, je la retrouvais dans le garage de son père, les mains couvertes de tâches d’huile et de carburant. Avec trois années de plus au compteur.  Quelque chose avait changé. Elle n’avait plus cette lueur de vengeance dans le regard mais elle ne semblait pour autant pas de très bonne humeur. Dans le cadre de mon travail, des gens comme Cosima et son père j’en avais rencontré un certain nombre. Cosima était une victime collatérale de cette fusillade mais au final cet événement avait marqué sa vie autant que celle de son père. Je n’étais pas beaucoup plus âgée qu’elle quand un petit garçon avait été tué alors que j’étais censé m’occuper. Je n’étais pas une victime directe mais cet évènement m’avait profondément marqué, temps sur le plan de carrière, j’avais abandonné l’animation au profit de la police, que sur le plan personnel. J’étais devenue beaucoup moins enjouée, beaucoup plus froide et distante, à mettre de la distance entre les gens et moi. Ainsi, j’avais une idée de ce que la jeune femme avait pu traverser ces trois dernières années. Entrer dans la police m’avait aidé et j’espérai qu’il en serait de même pour elle.

« Bonjour mademoiselle Grant, en effet, je ne suis pas là pour l’un de nos véhicules. Et je vous en prie, je ne vous en veux pas » dis-je un regard sur ses mains. « Je ne vais pas y aller par quatre chemins, j’ai appris que vous aviez quitté l’école de police où vous étiez entrez après la fusillade pour venir aider votre père et je suis venue en parler avec vous. »

Don't dream it's over

Lorsque je lui exposais la raison de ma venue, la jeune femme sembla tomber des nues. Avais-je eu tort de débarquer au garage, la mettant face à son passé à et ses choix ? Mon instinct me disait que non et j’avais pris l’habitude de le suivre. Alors tant pis si ça lui faisait un peu mal, j’assumais les conséquences de ma décision. Les femmes étaient trop rares dans le métier et elle avait un potentiel fou, je le sentais. Elle m’invita alors à aller à l’intérieur afin d’être plus confortable. « Avec plaisir » lui répondis-je. L’accueil du garage n’était pas grand luxe avec ces deux chaises, sa table et son distributeur de boisson mais il ferait très bien l’affaire pour la petite conversation qui devait avoir lieu. Je m’assis, pendant que mademoiselle Grant allait se chercher une boisson au distributeur. « Un cappuccino si cela ne vous dérange pas » dis-je avec un sourire lorsque elle me demanda ce que je voulais. Elle vint ensuite s’assoir en face de moi, me donnant mon cappuccino. Je l’écoutais parler, et réfléchis quelques instants. Je devais éviter d’être trop brutal. Mon objectif été qu’elle reprenne l’école de police. Si je la braquais, j’allais échouer. Si j’étais trop mielleuse, elle allait douter de mes intentions. Je devais réussir à avoir un condensé des deux. Je devais être honnête, franche et y mettre un peu d’émotions, sincères, pour que mes paroles la fasse réfléchir.

« Bien mademoiselle Grant… Oui je connais les raisons qui ont fait que vous avez quitté l’école de police et elles sont parfaitement louables. Votre père est un homme bien et il a de la chance de pouvoir compter sur sa fille. Mais sans vouloir vous offenser… Vous gâchez votre vie dans ce garage. On a besoin de garagiste, c’est vrai. Tout comme on a besoin de boulanger ou d’enseignants. Mais aucune de ces voix n’est pour vous. Vous avez un potentiel énorme dans la police. Je vous en prie, ne le gâcher pas en restant dans un garage froid, avec pour compagnons votre père, des motos et des voitures. La vie ne vous a pas épargné vous et votre père. Mais essayez de concevoir ce qui s’est passé comme une opportunité. Celle de venir en aide aux habitants d’une ville. Vous n’allez pas forcément gagner plus qu’en travaillant ici et vous ferez des journées aussi longues. Mais croyez-moi, à la fin d’une journée, se rendre compte du travail accomplis fait du bien. J’étais comme vous à une époque. J’ai été la victime collatérale d’une fusillade et ça m’a changé. Je ne suis plus aussi insouciante et enjouée qu’il y a dix ans. Je suis différente de la femme que j’étais il y a quelques années, mais je n’ai pas sombré. La police m’a donné une chance de faire quelque chose qui avait du sens et qui m’a tiré vers le haut. Je suis venue vous donner la même occasion. Reprenez vos études mademoiselle Grant. Bowen a besoin de gens comme vous. »

Il était rare que je parle autant. Je la regardais, pleine d’espoir. Cette fille ne pouvait pas abandonner. Et si mes paroles la laissaient de marbre aujourd’hui, je me faisais un devoir de la ramener parmi les forces de l’ordre.

Don't dream it's over

Les yeux plein d’espoirs, je regardais la jeune femme. Il était rare que je parle autant et que je parle autant avec le cœur, pourtant je l’avais fait. Je venais de faire preuve d’empathie et de me livrer sur une partie de ma vie à une fille qui avait quinze ans de moins que moi et tout ça ne me ressemblaient pas. Mais je voulais que cette fille réussisse. Elle était dans une position délicate et j’avais conscience que si elle était revenue, c’était pour son père et reprendre ces études revenait à abandonner son père. Je la vis réfléchir. Mentalement, je priais un Dieu, en qui je ne savais pas trop si croyais,  qu’elle accepte. Je la sentais partagée. Mais si elle était partagée, c’est qu’il y avait de l’espoir non ? Comme dit ma mère, « temps qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».

La réponse qu’elle me donna ne fut pas celle que j’attendais. Cependant, ne comptant pas en démordre, j’écoutais attentivement sa réponse. Oui, je savais pourquoi elle avait quitté l’école de police. Mais j’étais certaine qu’il y avait des solutions. Quant à la question de comment je savais qu’elle avait du potentiel, j’allais devoir lui donner des arguments en béton. Lui dire que je le sentais ou qu’elle me faisait penser à moi 10 ans plutôt n’allait pas suffire. Mais je ne pus m’empêcher de rire lorsqu’elle me demanda si c’était Morgan qui m’envoyait. S’il m’avait rapidement informé de la situation, jamais il ne m’aurait dit d’aller la voir. Notre relation étant électrique, il ne savait pas que j’étais là et je n’étais pas certaine qu’il approuve ma venue s’il en avait vent.

La fin de sa réponse m’apporta ce que j’avais déjà pressenti. Lui parler de mon instinct n’allait pas la convaincre d’accepter. Ceci dit, elle n’avait pas tort non plus. Je n’avais pas suivi le dossier de près. C’était à l’époque où j’allais devenir détective et mes patrons avait préférés me mettre sur d’autres affaires, plus proches de celles sur lesquels je travaillais désormais que de l’attentat. Je pris le temps de réfléchir à la question, pendant que je commençais à répondre à ses interrogations.

« Mademoiselle Grant, je sais en effet pourquoi vous avez fait ce choix, mais est-ce vraiment ce que vous voulez ? Passer votre vie à travailler dans ce garage, sacrifier votre jeunesse enfermée dans un garage pour aider votre père, alors que le monde a temps à vous offrir ? N’y aurait-il pas moyen que votre père embauche quelqu’un pour vous remplacer ? Ou alors, vous pourriez passer votre diplôme avec des aménagements, vous travailler à mi-temps ici et à mi-temps en cours et vous passez votre diplôme en un ou deux ans de plus si vous avez besoins et, d’ici là, votre père ira probablement un peu mieux ou il aura le temps de vous trouvez une remplaçante. Ou alors, vous pourrez essayer d’avoir un mi-temps, même si c’est un métier qui ne s’y prête pas trop. En bref, je suis certaine que l’on peut trouver une solution si c’est cela vous inquiète.  Quant à l’agent Johnson, ce n’est pas lui qui m’envoie. Entre vous et moi, les rares fois où l’on se parle c’est généralement pour se disputer. Il m’a simplement dit que vous étiez revenue. Il ignore tout de ma présence ici et je ne suis pas du genre à être envoyée par quelqu’un. Quant au pourquoi je pense que vous avez du potentiel… Je ne vous dirais pas que c’est de l’instinct et je ne reviendrais pas sur ma propre expérience. Je me suis intéressée à vous. »

Je marquais une pause, sortant un calepins de l’une de mes poches et jetais un œil aux notes que j'avais prises.

« Vous aviez de bons résultats à l’académie. J’ai eu de bons retours de vos professeurs. J’ai aussi discuté avec quelques collègues qui étaient d’avantages sur l’attentat que moi. A les entendre, cette énergie que vous aviez à vouloir venger votre père, en apprenant à la maitriser aurait pu faire de vous une excellente recrue pour la police.  Et puis, je vais quand-même vous le dire parce que je suis passée par là. Vous pouvez bosser dans ce garage et essayer de ne plus y penser. Mais si vous avez ressenti ce besoin d’agir, il restera tapi en vous près à surgir le temps que vous ne l’aurez pas exploité. D’autant vous en connaissez beaucoup des femmes dans la police ? Si on ne se sert pas les coudes, nos voix sont écrasées par celles de nos collègues masculins. Croyez en vous mademoiselle Grant. Fermez les yeux un instant et imaginez-vous à votre remise de diplôme, votre père vous félicitant. Ne pensez-vous pas qu’il serait fier de vous ?  Je sais que l’on ne se connait pas, mais s’il vous plaît, réfléchissez-y. Le rêve que vous aviez quand vous êtes entré à l’école de police n’est pas forcément finit. »

Je me surprenais moi-même à parler autant. Mais il le fallait. Elle ne pouvait pas abandonner définitivement.

Don't dream it's over

La jeune femme m’écoutait, mais je voyais bien qu’elle n’en avait pas envie. J’avais peut-être eu tort finalement de me mêler de sa vie. Ses phalanges blanchissaient à vue d’œil et je voyais son corps crispé. Cosima posa sa tasse et me répondit, en se levant que son père ne voulait  seulement qu’elle s’en sorte dans la vie et qu’il serait même plus rassurée qu’elle bosse au garage, avant de me reprocher de m’exprimer comme si j’étais dans sa tête, avant de me prier de sortir. Tout en parlant,  elle prit sa tasse et la claqua dans l’évier.

Si j’étais jusqu’à présent restée calme, professionnelle et souriante, la moutarde commençait à sérieusement me monter au nez. Morgan aurait probablement eu envie de s’en prendre physiquement à elle. Mais j’étais Evangéline et non Morgan et ma technique à moi était tout autre quand je perdais mon calme. Pourtant une voix me disait de me calmer. Je n’avais pas devant moi une suspect, mais une jeune femme qui avait vécue beaucoup de choses et que je voulais convaincre de rejoindre la police. J’étais a peu près certaine de savoir où frapper pour faire mal, mais si ça pouvait m’aider avec des suspects, j’avais des doutes concernant l’efficacité de cette méthode sur la jeune femme. D’autant que nous n’étions pas seule, je ne voulais pas que mon attitude avec elle me porte préjudice ou me mettre à dos son père. Je pris de grandes inspirations, essayant de rester calme. Je me levais, de manière exagérément doucement. Et me mis à parler fort, lentement et sèchement.  

« Bien, mademoiselle Grant. Je vais m’en aller, puisque c’est ce que vous désirez. Mais je maintiens que vous avez votre place parmi nous, le jour où vous en aurez mare de réparer des voitures et des motos. Je vous laisse ma carte, même si vous devez avoir le numéro de mon collègue l’agent Johnson. Bonne journée. » Je me tournais vers son père et le saluais d’un simple "Monsieur Grant", et pris la direction de la sortie.