la vie amène de drôle de surprises -r.

La nouvelle était tombée. Elle était enceinte. Tu ne l'avait pas vu venir, tu ne t'y attendais pas du tout. Tu avais le souvenir d'une bonne soirée et d'un rapport protégé pourtant. Il fallait croire qu'une capote n'était pas toujours fiable. Tu le savais pourtant, toutes les campagnes de prévention donnaient l'information. Il n'y avait rien de fiable à 100% mis à part si on était stérile. Et encore, il y avait eu des cas de grossesse malgré ça. A l'annonce, tu avais été heureux, tu allais être papa. Elle ne voulait pas te demander quoique ce soit, elle ne voulait pas te forcer à t'impliquer si tu ne le sentais pas mais elle ne devait pas s'attendre à ce que tu acceptes. Cette nouvelle arrivait dans ta vie pile au moment où tu songeais qu'il était temps de se poser. Tu en profitais pour découvrir un peu plus la jeune femme, elle avait pas mal de point commun avec toi et tu ne pouvais pas mieux rêver pour la mère de ton enfant. Enfin si, tu aurais pu avoir mieux, tu aurais pu avoir une femme qui partage ta vie comme tu avais pu avoir par le passé avec Nevaeh mais tu ne t'étais pas senti prêt à l'époque. Au moins maintenant, tu aurais de quoi tourner la page, tu aurais de quoi t'occuper pour les prochaines années à venir. Même si un enfant n'était fait pour combler un vide ou pour s'occuper. Un enfant devait être le fruit d'un désir, une envie partagée de donner la vie et de transmettre  son patrimoine. Pourtant, tu étais prêt à élever cet enfant et pour lui montrer que tu avais envie de t'impliquer, tu lui avais promis de l'accompagner à chacun des rendez-vous, importants ou non. Aujourd'hui, vous deviez assister à une première échographie et tu avais hâte de découvrir ça. Tu n'avais pas beaucoup de parents dans ton entourage et tu avais pas eu souvent la chance de partager ce genre de moment. Tu allais découvrir ton enfant pour la première fois et ça te faisait quelque chose. Le rendez-vous fini, tu ne quittais pas des yeux la petite photo souvenir, trainant dans les couloirs de l'hôpital, jusqu'à entendre une voix que tu connaissais que trop bien. « Nev' ? » Tu t'étais arrêté net. Tu n'avais même pas réalisé que tu venais de t'arrêter sur un nombre de pas impair tellement tu étais surptis de la voir ici. Et encore ce n'était pas tant le fait de la voir ici, mais de la voir dans une blouse d'hôpital, assise dans un lit, dans une chambre. Une blouse que porte les patients. Une chambre occupée par les patients. Ton coeur manquait alors un battement, et une foule d'idées sombres traversait ton esprit. « Pourquoi tu portes une blouse ? Tu vas bien ? » babultiais-tu, encore décontenancé par sa présence ici. Tu n'osais même pas passer le pas de sa porte.

Montagne russe d'émotions. Depuis son premier rendez-vous avec le médecin, à l'hôpital, Nevaeh avait été éprise d'une montagne russe d'émotions. Une petite masse, toute petite, sur son ovaire avait attiré l'attention du professionnel, supposant qu'il ne s'agissait de pas grand-chose. Un kyste, commun chez les femmes de son âge, souvent bénin. Pourtant, il n'avait eu de cesse de grossir jusqu'à lui causer un réel problème : suppression de ses règles, douleurs, inquiétudes. Il s'avérait que le kyste qui, au départ, n'était qu'un petit point sur son ovaire droit était maintenant si gros qu'il fallait le retirer. Bénin, encore une fois, cette opération était supposée être facile, presque sans risques de complications. Mais dites, quand est-ce que Nevaeh faisait comme toutes les autres ? Quand est-ce qu'elle se rangeait dans la normalité ? On lui avait tout retiré. Son kyste et son ovaire. Et on l'avait laissé quelques heures dans une chambre d'hôpital, comme garde malade Juliann. Et puis Woody. Et puis on l'avait délivré de la douleur d'être dans cette pièce qui lui rappelait l'échec qu'elle était, celle de ne plus être une femme comme toutes les autres.

Quelques semaines s'étaient écoulées depuis sa dernière visite à l'hôpital. Quelques semaines depuis qu'on lui avait retiré non pas seulement la cause de ses maux, mais aussi une partie d'elle, une partie de son rêve de fonder sa propre famille un jour. Oui oui, elle pourrait le faire, Nevaeh. Elle aurait seulement un peu plus de mal que la normale à avoir un bébé naturellement. Et si, jamais, elle n'y arrivait pas, il y avait toutes sortes d'autres solutions pour fonder une famille. Elle était au courant, la brune. Pas besoin de le lui rappeler. On avait eu de cesse de lui dire. Maintes et maintes fois. Jamais pour mal faire, mais, à force, on la blessait de minimiser son sentiment de vide. Au fond, elle savait bien que ses proches avaient tenté de bien faire, de la consoler... Ça avait seulement eu l'effet contraire, malheureusement.

Normalement, elle n'aurait pas dû être de retour dans une chambre d'hôpital. Elle aurait simplement dû se rendre au bureau de son médecin pour une visite de suivi histoire de s'assurer que les tissus de sa cicatrice avaient bien repris, que tout était bien beau. Et de ce côté-là, tout était sous contrôle. Seulement, au toucher, son médecin n'avait pas réellement été satisfait de la cicatrice et y avait senti une toute petite bosse. Parfois, il ne s'agissait qu'un amas de peau qui se mettaient ensemble lors de la cicatrisation. Bénin, pas bien grave. Mais dans le cas de Nevaeh, ce qui s'était présenté comme bénin s'était finalement avéré plus grave que l'on avait pensé. Son médecin n’avait pas pris de chance et lui avait demandé de rester, au moins pour la nuit, le temps de lui passer une batterie de tests et une échographie d'urgence pour s'assurer que le kyste n'était pas revenu et ne s'était pas greffé autre part en elle.

Blouse d'hôpital à nouveau enfilé, elle envoyait un message rapide à Juliann pour le prévenir qu'elle ne pourrait pas passer à la caserne ce midi, tel que prévu, quand une voix vint lui faire relever la tête. Nevaeh fronçait les sourcils en reconnaissant CJ, entre la chambre et le couloir, qui dévisageait sa tenue. La brune soupira, appuyant furtivement sur envoyé, avant de poser le portable sur le lit. « Ça va », assurait-elle en cachant l'inquiétude qui la rongeait depuis qu'on lui avait appris qu'elle devrait encore jouer la patiente. « T'avais un colis à livrer ici? », répondit-elle moqueuse, cherchant à savoir ce qu'il faisait ici. Leurs retrouvailles ne s'étaient pas réellement bien passées, ils avaient beaucoup d'animosités, mais jamais elle ne lui souhaiterait du mal. Que pouvait-il bien faire ici?

Un. Deux. Deux. Un. Tu t'étais avancé d'un pas en avant, puis d'un autre avant de faire marche arrière. Elle ne t'avait pas vu et c'était peut-être l'occasion pour toi de t'éclipser avant qu'il ne soit trop tard. Pourtant, en la voyant ici, tu n'avais pas le courage de fuir. Pas le courage de te cacher. Elle était de retour à Bowen, tu allais devoir la croiser un jour ou l'autre alors autant arrêter de faire l'idiot et agir comme elle aurait aimé que tu le fasses avant. Elle reposait son téléphone, t'affirmant qu'elle allait bien. « On dirait pas, pas que je veuille t'offenser mais on va rarement bien quand on se trouve dans une chambre d'hôpital.. » Après peut-être qu'elle était là pour un check-up de routine, tu n'étais pas une femme donc tu ne savais pas vraiment ce qu'elle pouvait vivre comme examen au cours de sa vie. Mais tu avais côtoyé Nevaeh suffisamment longtemps pour bien te rendre compte que quelque chose clochait. Elle n'avait pas la même expression sur le visage que d'habitude. Après c'était aussi son droit de ne pas exposer ses soucis de santé à son ex qui n'avait pas su lui parler au moment venu et qui avait fini par aller voir ailleurs, parce que c'était plus simple ainsi. Et si elle te demandait de partir, tu le ferais sans insister, après tout, elle ne te devait rien. Mais ça n'enlèverait pas l'inquiétude qui te gagnait en la voyant ainsi. Ce fut son tour de te demander ce que tu faisais là, d'une manière un peu déguisé. Et d'un coup tu te sentais bête, sans savoir comment lui répondre. Il te fallu  une bonne minute avant de prendre la parole, un air idiot sur le visage. « Non.. Je.. J'accompagnais quelqu'un pour une échographie. » ajoutais-tu brièvement, avant de passer la main derrière ton crâne et de te frotter les cheveux. Si elle en doutait, maintenant elle pouvait en être sûre, tu étais étrange. Et il y a de quoi, il y a quelques jours à peine, tu découvrais la grande nouvelle, celle qui allait bousculer ta vie d'une façon inattendue. Celle que tu avais eu envie de crier sur tous les toits avant de te raviser. Il valait mieux attendre l'échographie du premier trimestre pour être sûr que tout allait bien. Maintenant, tu pouvais le crier sur tous les toits mais face à Nevaeh, tu semblais hésitant. « Je vais être papa ! » Tu ne savais pas pourquoi tu lui avais donné la nouvelle, elle serait sûrement heureuse pour toi mais elle n'en aurait peut-être rien à faire. Après tout, tu avais bien piétiné son coeur sans hésitation et maintenant tu venais te pavaner devant elle, avec une petite photo dans la poche de ta veste, bien loin d'imaginer que cette nouvelle pourrait la secouer beaucoup plus que tu ne pouvais l'imaginer.

Il n’avait pas tout à fait tort, CJ. En fait, il n’avait pas tort du tout. Ça n'allait pas. Il y avait de la panique dans ses yeux et les souvenirs de son opération ratée qui revenaient, sans doute que son ex pouvait le percevoir. Mais Nevaeh, en grande Nevaeh, faisait comme si tout allait bien parce qu'elle minimisait son malêtre. Encore plus devant CJ. D'abord, elle lui en voulait toujours un peu d'avoir envoyé valser la confiance qu'elle lui portait pour une nuit dans les bras d'une autre et, qui plus est, leur relation. Elle, elle l'avait réellement aimé. Elle, elle n'aurait pu faire quelque chose du genre. Mais le plus important, c'était qu'elle avait encore du mal à parler pleinement de cette opération qui lui avait enlevé la capacité à avoir des enfants comme toutes les femmes dites normales, qui l'avait rendu infirme et qui rendait sa future conception problématique. « Ça va », répétait-elle, peu convaincante avant de soupirer. « On m'a opéré en novembre. J'étais ici pour un suivi, mais mon médecin n'était pas rassuré par deux trois trucs. C'est sans doute rien de bien grave. Y'a seulement l'idée de dormir ici cette nuit qui me dérange, mais ça va. » Non, ça n'allait pas. Elle était morte de trouille. Et elle avait le coeur en miettes. Mais ça, elle n'allait tout de même pas le dire à CJ.

Mais alors lui, que faisait-il là ? C'était à son tour de répondre. Il n'était pas habillé d'une blouse bleue, il n'était donc pas un patient. Du moins, pas un patient actuel. Peut-être avait-il reçu la permission de sortir, de retourner à la maison. Pour Nevaeh, la solution la plus plausible, c'était qu'il était soit en visite pour un proche ou en livraison pour le boulot. Enfin, c'était de supposer qu'il était toujours facteur. Parce que ça, elle n'en savait rien, la brune, comme elle n'avait pas eu des nouvelles du Français depuis longtemps, depuis cette fois où il l'avait évité dans les rues de la ville. « Pour une échographie ? », demandait-elle en fronçant les sourcils, répétant les propres mots de CJ. Qui pouvait bien être cette quelqu'une qu'il accompagnait. Il n'avait pas de soeur. Peut-être une amie ? Sans doute une amie. Elle ne lui connaissait pas de petite amie, et ça se saurait su. Non ? Enfin, qu'est-ce que ça pouvait lui faire, de toute façon, qu'il soit en couple ? Peut-être l'attitude qu'il avait rendait Nevaeh étrange elle aussi, songeuse, pensive, curieuse. Mais la curiosité, elle ne dura pas longtemps. Juste le temps qu'il lui annonce finalement qu'il allait être papa. Nevaeh resta muette un instant, le dévisageant. « Tu veux rire ? » C'était une blague. C'était pas sérieux. Où était la caméra cachée ? Dans ses yeux, l'émotion s'installa sans même qu'elle puisse la contrôler. Mais elle affichait un sourire forcé, lui murmurant : « Félicitations... », mais tout son coeur venait de se briser. Pourquoi lui ? Et pourquoi elle, on lui avait retiré ce droit à cinquante pour cent ?