#10 Il fait beau dehors, n'est-ce pas? [ft. Woody]

Un t-shirt trop large, des chaussettes montantes, des cernes qui donneraient l'impression que je me suis battue la veille, des cheveux en bataille et surtout, un pétard en main. C'est comme ça que j'accueille le prétendant de Charlie. "Euh salut? Charlie n'est pas encore rentrée." lui dis-je, tirant une latte de plus. Je le regarde comme ça, un peu dans le vide avant de reprendre mes esprits et réaliser que je ne suis toujours pas seule. "Ha euh... Tu veux peut-être laisser un message?" Je marque une pause. "Ou... Ou tu peux rester ici en... l'attendant?" lui proposais-je en tirant un peu la porte pour qu'il puisse faire les premiers pas si besoin. "Tu veux un truc à boire?" demandais-je.

Avec cette chaleur, dans la condition physique de Woody, c’était lourd. Très lourd. Sa fatigue n’en était que décuplée, il avait du mal à se traîner, et ses maux de tête se faisaient plus violents. Il aurait probablement dû rester chez lui, à l’ombre, à l’air climatisé, sans avoir à faire le maigre effort de se déplacer par ces températures extrêmes. Mais Charlie lui avait proposé de passer chez lui et, têtu et fier comme il était, il n’avait pas voulu lui admettre que la canicule le mettait à risque. Il s’était donc rendu jusqu’à chez elle, mettant davantage de poids sur sa canne qu’à l’habitude. Il toqua à la porte et fut surpris de tomber sur sa colocataire, Billie. Généralement, quand elle l’attendait, c’était Charlie qui venait elle-même l’accueillir. Woody comprit bien vite pourquoi, puisque la brunette lui affirma que la pâtissière n’était pas encore rentrée. « Oh. » Lâcha-t-il en regardant sa montre. Pourtant, il n’était pas en avance. Il balaya la fumée de cigarette d’un geste plus ou moins discret. Laisser un message ou rester ici ? L’idée de repartir et de revenir plus tard ne l’égayait guère. Ça lui avait tout pris de faire le trajet. « Ouais, enfin, si ça te dérange pas. J’peux l’attendre dans le salon, j’te dérangerai pas. » Répondit Woody en rentrant quand elle tira davantage la porte pour lui donner la place. « Je te prendrais bien un verre d’eau, avec cette chaleur … Tu devrais boire aussi d’ailleurs. » Il marqua une pause. « Enfin, j’dis ça comme ça. C’est recommandé. » Réflexe de professionnel de la santé, ou quelque chose du genre.

Un hochement de tête. "Tu devras me coltiner, je reste dans le salon aussi alors." Je le laisse passer avant de refermer derrière lui. Cuisine, un verre d'eau avec des glaçons, je me sers exactement la même chose. "De mon côté c'est surtout la pâteuse qui me donne soif." Il s'en fout mais je balance ce qui me traverse l'esprit. Je bois plusieurs gorgées en le regardant fixement. "Alors comme ça, toi et Charlie... C'est du sérieux?" lui demandais-je dans un premier temps. "Tu es bien avec? Non vu que vous vous voyez souvent quand même, je pense qu'il y a un certain feeling non?" Je me dirige vers le salon, lui faisant un signe de la main pour qu'il me suive. Je m'affale, tire une latte et lui tend le joint. "Tiens, tu as l'air nerveux, ça va te détendre." Quelques gorgées encore. "Tu sais, fut pas avoir honte de ses sentiments hein." dit la fille qui est la plus flippée de savoir qu'elle s'attache à quelqu'un.

Le malaise, il s’en voulut de ne pas avoir proposé d’attendre dans le jardin ou dans la cuisine. En même temps, c’était l’option la plus logique, et surtout il n’avait pas envie de rester sous le soleil une minute de plus. « Oh, j’peux attendre ailleurs aussi, comme j’ai dit j’veux pas déranger. » Avec un peu de chance elle lui proposerait d’attendre Charlie dans la cuisine ou dans sa chambre. Mais non, il apprendrait bien vite que Billie avait d’autres plans, et beaucoup de questions. En attendant, il se permit de demander un verre d’eau, puisqu’ils devraient tous les deux être en train de s’hydrater de toute façon. Woody la suivit jusqu’à la cuisine, de son pas lent et faible. « Ouais, j't'envie. » Dit-il avec un demi-sourire parce que le cannabis était bien une des seules choses qui endormait correctement sa douleur. Même les médicaments ne faisaient pas le même effet. Le trentenaire la remercia pour le verre qu’il prit dans sa main. Il n’avait même pas pris une gorgée qu’elle rentrait déjà dans les grosses questions. « Tu perds pas de temps, toi. » Elle renchérit, supposant qu’ils étaient bien ensemble, se voyaient souvent et avaient donc forcément un feeling entre eux. Il haussa les épaules, inconfortable avec ce genre de discussion, surtout quand la principale intéressée n’était pas l’interlocutrice. « I guess … » Woody la suivit vers le salon, un peu à reculons. À son plus grand soulagement, elle le reprit sur sa demande de tout à l’heure et lui proposa un joint. Il le prit entre ses doigts et tira une latte pendant qu’elle lui disait qu’il fallait pas avoir honte de ses sentiments. Il eut un léger rire. « J’ai pas honte. J’ai juste pas quatorze ans. » Lâcha-t-il en lui retendant son joint.

J'étire un sourire lorsque je le vois récupérer le joint entre ses mains. Il n'est pas empoisonné, je vous assure et il n'y a pas de sérum de vérité non plus mais au moins, il sait se faire plaisir. Il a l'air assez propre sur lui et à le voir on pourrait même se dire qu'il a un balai bien placé mais qui sait? Peut-être pas finalement même s'il semble toujours réticent à répondre à mes questions. Un hochement de tête, je récupère les joints, souris une fois de plus. "C'est ma curiosité je suis navrée." lui répondis-je, amusée. "Mais du coup... Vous vous êtes rencontrés sur l'application de Bowen là hein? Tu as eu beaucoup de match ou pas? Et si oui, pourquoi Charlie plus qu'une autre?" Je n'allais certainement pas lâcher l'affaire. Il n'a pas l'air d'un méchant garçon mais bon, si je pouvais le cuisiner un petit peu plus pour savoir ses intentions. "Vous en êtes à votre combien rencard là? Echange de baisers y-a-t-il eu?" Je continue de lui sourire, joueuse un peu sur les bords. Il allait probablement en avoir marre et regretter d'être venu ici sans que la principale intéressée soit présente. Je ne suis même pas désolée de mon intrusion, comme ça-là.

Une fois le joint rendu à sa propriétaire, Woody se cala un peu plus dans le fauteuil, question de se mettre un peu plus confortable. Il avait peut-être l’air d’avoir un balai dans le cul mais il savait aussi se relaxer. Et il avait besoin de se relaxer, surtout avec ce genre de questions face auxquelles il risquait de se refermer comme une huître. Woody détestait parler de ses sentiments, il ne savait même les reconnaître encore alors mettre des mots dessus, c’était beaucoup lui demander. « Ouais, sur BBT … J’ai eu quelques matchs mais Charlie est pas mal la seule avec qui j’ai cliqué. » Pas besoin d’attendre que Billie pose la question du pourquoi, elle l’avait déjà posée dans son questionnement initial qui comportait trois questions en une. « J’sais pas, c’était une question de feeling … J’me suis inscrit et j’ai un peu lâché le truc pendant quelques semaines, quand je me suis reconnecté elle était la seule avec qui j’avais envie de poursuivre. Et j’ai été chanceux qu’elle m’en veuille pas de l’avoir … semi-ghostée. » Il haussa tout légèrement les épaules. Il savait que ça avait été nul d’entreprendre quelque chose avec elle et de ne plus donner signe de vie. En même temps, il y avait eu ce roadtrip avec Freja et quand il était question de Freja, Woody ne voyait plus grand-chose d’autre. Les deux prochaines questions de Billie le firent sourire. « On dirait mes sœurs quand on était ados. Tu veux connaître notre position sexuelle préférée, aussi, ou c’est bon ? » Il se pencha vers l’avant et tendit la main. « Si tu continues comme ça j’vais avoir besoin de quelques puffs de plus. » Lâcha-t-il. Au moins, il ne restait pas gêné trop longtemps. Mais quand même, il souhaita intérieurement que Charlie ne tarde pas trop non plus.

Je commence à avoir des petites explications et ça, c'est bon! Bon, pas grand chose mais je suppose que ce n'est que le début. Allez savoir. Je veux juste tout savoir de A à Z même si j'ai aussi -et surtout- les retours de Charlie. Non, c'est juste que je veux sa version. Non pas que je mette la version de Charlie en doute, non pas du tout mais savoir le ressenti de chacun, c'est mignon je trouve. Et en ce moment je suis en manque de truc romantique. Voilà. Je me marre à sa réflexion. "Si ça met un peu de piment oui pourquoi pas. Plutôt missionnaire ou cuillère ou encore levrette?" Je marque une pause, fronce légèrement les sourcils avant d'en arquer un. "Oh. Plutôt réservé, tu aimes les sensations fortes. Tu dois être plutôt penché sur la pénétration anale, c'est ça?" Je reste silencieuse quelques instants avant de lui sourire. Une négociation, mon sourire s'élargit encore plus au point de montrer les dents. "Je peux te faire un joint entier s'il le faut, mais il faut que tu m'assures que j'ai des réponses." Je lui tends le joint déjà entamé avant d'en rouler un nouveau. "Du coup, elle te fait tourner la tête? Vous avez déjà des projets d'avenir et ce genre de choses?" Un temps d'arrêt. "Tu en penses quoi du mariage et des enfants?" lui demandais-je en tournant ma trogne vers lui. "Et pour une nuit de noces, tu irais plutôt où?" Comment mettre la pression. Le joint seraa là pour le détendre.

Charlie et Woody ne s’étaient même pas rendus jusqu’à Z encore alors il serait difficile pour Billie de se rendre plus loin que la première moitié de l’alphabet. Ils hésitaient tellement à poser une étiquette sur ce qu’ils étaient, qu’au final, ils entretenaient ensemble ce flou autour de leur relation. Le fait que l’un et l’autre aient des fantômes du passé – Freja et Liam – n’aidait d’ailleurs pas à ce qu’ils regardent vers l’avant, côte à côte. Ce n’était pas une situation simple alors qu’une tierce personne tente de s’y immiscer, ça mettait Woody plutôt mal à l’aise. Blaguer sur le sexe c’était quand même déjà mieux que de trop parler de ses émotions. Il rit. « I don’t kiss and tell, j’sais pas si Charlie apprécierait que je partage avec toi tous ces détails. » Même si Woody avait découvert une facette pas mal moins timide de la pâtissière, depuis qu’ils avaient commencé à coucher ensemble, il ne savait pas si elle discutait de ça avec ses copines. Avec des copines comme Billie, c’était sans doute difficile de garder le secret, toutefois. Interprétant ses paroles comme de la réserve, la brunette supposa qu’il avait une préférence pour la pénétration anale. Il rit, penchant la tête vers l’arrière. « Si ça peut satisfaire ton imagination, pourquoi pas. » Parler sans rien dire, sans rien révéler. Peut-être que le joint supplémentaire lui délierait la langue, effectivement. « J’te donnerai des réponses. Peut-être pas celles que tu veux, mais j’t’en donnerai. » Woody prit le joint entamé et le garda pour lui, puisque Billie s’en roulait un autre. Il écouta toutes ses questions, sur l’avenir, le mariage, les enfants. À tout ça, il répondit : « J’ai aucun projet d’avenir en général alors ce serait difficile d’en avoir quelqu’un d’autre. » Ou plutôt, il n’avait pas vraiment d’avenir, Woody. Avec sa maladie, il était condamné à vieillir en fauteuil roulant, avec un corps défaillant. « Si on parle hypothétiquement, les Maldives, c’est un grand classique, non ? Charlie aime les classiques ou bien il faudrait que je la surprenne avec une proposition inusitée ? » Tant qu’à faire, aussi bien en profiter pour apprendre à connaître Charlie à travers les yeux de son amie.

Un petit sourire amusé se pose sur mes lèvres. Je n'ai bien évidemment pas envie de savoir tous les détails. De toute façon, même si je n'en veux pas, j'ai tout de même le droit d'avoir certaines informations. C'est leur jardin privé, je ne vais pas leur en priver. "Oui enfin, si je pose des questions, j'attends d'avoir des réponses adéquates quand même." J'me marre. J'allume le nouveau joint, le fais tourner. "Oh tu sais, Charlie c'est une romantique mais elle aime l'originalité donc pense peut-être à autre chose je pense." Un petit sourire avant de revenir sur l'un de ses premières réponses. "Pourquoi tu n'as aucun projet d'avenir? Tu es du genre à vivre au jour le jour c'est ça?" Je prends une gorgée d'eau. "Tu te vois où dans 5 ans toi?" Quitte à rester dans le thème. Je le laisse me répondre, écoutant attentivement ce qu'il a à dire et hoche la tête. "Parlons d'amour. Tu as quel âge? 40 ans, un truc comme ça? Un peu moins peut-être. Tu n'as jamais été marié et ce genre de choses? Des enfants cachés?" Autant s'assurer de son passé.

Le problème avec Woody, c’était que son jardin privé s’étendait sur toute sa personne. Il détestait parler de lui, dès que ça devenait trop personnel, trop intime, dès qu’on quittait le superficiel, il se braquait. Il ne donnait accès à son être qu’à très peu de personnes. « Au pire tu ne sauras pas si elles sont vraies ou pas, mes réponses … » Il esquissa un sourire amusé. Ça lui procurait quand même un certain plaisir, de jouer à ce petit jeu-là avec Billie. C’était un jeu auquel il n’avait pas joué depuis un moment, sans doute parce que ses proches s’étaient habitués à sa personnalité dorénavant marabout, et qu’ils ne poussaient plus trop. « Va falloir m’aider à trouver mieux, alors. C’est à ça que tu sers, non ? » Un autre rire, tout léger. Billie revint sur les projets d’avenir qu’il prétendait ne pas avoir, et son regard s’assombrit, tout comme son sourire qui se fana. Où se voyait-il dans cinq ans ? C’était difficile à dire, considérant qu’il ne savait pas ce que son corps lui permettrait d’accomplir dans un an. « Au jour le jour, on peut dire ça comme ça, oui. Je me projette pas aussi loin, j’sais pas de quoi sera fait demain alors comment savoir dans aussi longtemps … Tu vois aussi loin que ça, toi ? » La vérité était que Woody aurait aimé voir aussi loin, mais il n’avait plus ce luxe, ou plutôt, il refusait d’imaginer ses malheurs à venir. Le jeune homme haussa les sourcils, limite offusqué, en l’entendant supposer qu’il avait quarante ans. « Merci pour le coup de vieux. J’ai passé le cap du 30 y’a pas si longtemps et déjà tu m’amènes à la quarantaine, ça fait plaisir. » Ajouta-t-il, sarcastique. « Non, rien de tout ça. » Il avait failli en avoir un, enfant, avec Freja. Mais ils l’avaient perdu, au même moment où ils s’étaient perdus.