Soirée à la plage [Scarlet]

C'était bizarre de se retrouver là, dans un endroit si bien connu par le passé pour le découvrir aujourd'hui totalement inconnu. Partout où il passait, c'était le même étrange sentiment d'avoir fait un saut dans le temps alors qu'il se rappelait des lieux d'une façon différente et pourtant toujours présent, d'une façon ou d'une autre. Et le fameux bar de la plage n'échappait pas à la règle, bien qu'il se trouvait presque soulagé de ne pas le voir transformé en pressing ou magasin alimentaire de proximité. Mais passé cela, c'était un tout nouveau lieu avec un mobilier inconnu et une nouvelle implantation de celui-ci, le bar étant à l'opposé de ce qu'il avait connu par le passé. Et il y avait aussi nettement moins de monde que dans son souvenir mais là, c'était surtout dû à l'horaire spécialement choisi pour cela. Tout comme sa proposition d'aller faire une balade sur la plage lorsque celui-ci retrouverait sa fréquentation habituelle...

Pour l'heure, il s'installait à une table où il avait vue sur l'entrée après avoir fait le tour des lieux du regard, soulagé de ne pas encore y voir Scarlet. C'est qu'on ne faisait pas attendre une jolie femme, et encore moins Scarlet ! Et on pouvait dire qu'ils en avaient fait des jaloux son frère et lui à toujours traîner avec elle... Et plus d'un s'était posé la question de savoir avec lequel des deux Kirke, elle avait fricoté. Lorsqu'on ne partait pas du principe qu'elle s'était fait les deux, voire les deux en même temps ! Seulement, il savait qu'ils ne seraient pas là ce soir que pour parler de ce passé là, mais une autre bien plus douloureux. Et loin d'être derrière eux autant pour lui que pour la belle Scarlet qui faisait visiblement avec ses propres démons... Ce fut en levant son regard qu'il la vit apparaitre et venir aussitôt vers lui alors qu'il lui souriait, heureux de la voir. "Hey ! Ma belle... Ca va ?"

Donner rendez-vous à Scarlet et la voir arriver tout sourire était quelque chose qu'il n'aurait jamais cru possible il y a quelques semaines encore. Il n'avait aucune idée de ce que son coup de folie à vouloir voir Scarlet et le départ précipité qui avait suivit, allait entraîner mais pour le moment, il profitait. Et c'était tellement plaisant de faire semblant de croire qu'il était revenu sans que rien n'ait changé, si ce n'est l'ameublement de ce bar... Alors que rien n'était moins faux et que la discussion de ce soir promettait d'être difficile, autant pour Scarlet que pour lui. Mais pour le moment, il ne voulait pas y penser alors qu'il saluait celle-ci tout en répondant à ses questions. "Ca va, oui. Et non, je n'ai pas encore commandé, je viens juste d'arriver moi aussi." La serveuse ne fut d'ailleurs pas longue à venir à leur table prendre leur commande. "Un coca sans sucre, s'il vous plait." Laissant Scarlet commander sa propre boisson, il réfléchit à la meilleure façon d'aborder les choses, et il n'y en avait malheureusement pas trente-six.

Il attendit cependant que la serveuse ait tourné les talons pour soupirer et lever un regard gêné vers Scarlet. "Scarlet, ça va être compliqué pour moi ce soir parce que je voudrais pas te mentir, mais je ne suis pas sûr d'être prêt à tout dire non plus... Qu'est-ce que tu dirais qu'on se donne des jokers ? Juste pour les questions qui posent vraiment problèmes..." Il ne doutait de toute façon pas qu'elle devait se trouver confronter aux mêmes difficultés que lui. La drogue n'étant pas un sujet des plus faciles à aborder non plus. Et ils devaient pouvoir parler de cela s'ils voulaient ensuite rebâtir une relation sur des bases plus saines. "On se donne deux jokers chacun ?" Et avec des jokers, ça sonnait un peu comme un jeu. Ca ne rendait pas les choses plus faciles mais au moins ça leur laissait toujours une échappatoire, à défaut de mieux.

L'idée des jokers lui avait tout de suite semblé intéressante, autant pour Scarlet que pour lui. C'était un échappatoire qui leur permettrait de ne pas avoir à fuir cette soirée en catastrophe, et peut-être même leur relation, tout en les obligeant à poser des mots sur ce qui était difficile. Un bon compromis donc, chose que lui confirma Scarlet et si cela le rassura quant à la suite de la soirée, le blanc qui suivit lui prouva que ça n'allait pas être si simple. La serveuse venue leur apporter leur boisson coupa ce moment de gêne et à peine les talons tournés, Scarlet opta pour entrer dans le vif du sujet. Et pas avec la question la plus facile qui soit...

Il en soupira et se donna le temps de remplir son verre avant de reposer la canette sur la table, et de se décider à formuler tout ça. "La première année, j'ai cherché à m'enfuir. Je pensais qu'à ça, toutes les occasions étaient bonnes..." Et Dieu sait si elles n'étaient pas nombreuses vu comment il était surveillé comme du lait sur le feu. "Jusqu'au moment où je me suis retrouvé avec le canon de son arme sur mon front. Il plaisantait pas, il m'aurait tué si je poursuivais ça alors... Je me suis calmé. Je me suis accroché à la majorité de Joey, son neveu, vu que j'étais sous son identité. Je pensais... Que j'aurais pu claquer la porte et partir ? C'était tellement naïf ! Et puis il a commencé à perdre sérieusement la tête, enfin plus qu'il ne l'était déjà. Je vivais dans la peur que dans un éclair de folie, il décide de mettre fin à tout ça en me tuant. Jusqu'au jour où... Il est tombé dans l'escalier et... Je ne me suis pas enfui. Mon premier réflexe a été de fouiller la maison pour en savoir plus sur son neveu parce qu'on allait me poser des questions et qu'il me fallait entrer dans le rôle... En fait, je... J'avais peur de sortir..." Plus que cela même, il avait été terrorisé. Alors qu'il pouvait être enfin libre, il s'était reclus volontairement... Mais qui faisait ça ?! C'était tellement aberrant que lui-même ne voyait pas comment expliquer cela. En sachant que la suite n'allait guère être plus simple à expliquer elle aussi. Il en choisit donc prudemment ses mots. "C'est la venue de mon éditeur qui m'a fait un électrochoc. Il était totalement contre que je tente quoi que ce soit dans ce sens en me donnant tout un tas d'arguments tout à fait valables et j'ai fait mine d'être d'accord avec ça. Pour dès qu'il ait tourné les talons, jeter quelques affaires dans un sac et venir te trouver." La seule au monde qui savait qu'il était encore vivant...

Les choses enfin dites, il en avala une bonne gorgée de son coca alors qu'il laissait la tension s'échapper de ses épaules. "T'étais la seule à savoir que j'étais encore vivant. Je pouvais pas te perdre." Et c'était bien pour cela qu'il l'avait suivi jusqu'ici. Pour ne pas la perdre. Et pourtant, il se trouvait là à mettre cette relation en danger en posant les questions qui dérangeaient. "Et toi, ta consommation ? Tu prends quoi exactement ?" Histoire de faire un état des lieux et de juger de la situation. Parce qu'il n'était évidemment pas question de la laisser continuer à se détruire à petit feu. Et puis elle aussi méritait d'être libre, même si la liberté était une chose bien plus complexe que se débarrasser de ses chaînes, qu'elles soient physiques ou hallucinogènes.

Parler, raconter et expliquer étaient les buts de cette soirée. C'était donc normal qu'il le fasse mais il ne pensait juste pas en dire autant ! Parce que bien sûr qu'elle ne pouvait pas savoir tout ça... Ce ne fut d'ailleurs que lorsque Scarlet vint chercher sa main en signe de soutien qu'il réalisa que ce qu'il disait pouvait peut-être être choquant. Lui... S'y était fait. Et sans doute qu'il avait acquis une autre échelle de valeur parce que jusque-là, tout allait bien. Ce n'était clairement pas ses dernières vacances à Hawaï -où il n'avait d'ailleurs jamais mis les pieds- qu'il racontait mais ça restait ce qui était facile à dire. C'était ce qu'il y avait en surface alors que la seconde question de Scarlet le plongeait soudainement en eaux bien plus profondes. Et bien plus troubles surtout.

Il se félicitait donc qu'elle ait retirée sa main alors qu'il cherchait une manière acceptable de noyer le poisson. Il fallait croire que ce serait le soir au stratégies, et à celui qui déploierait la meilleure ! Et pour le moment, il lui fallait répondre à ça « Ton... éditeur, c'est qui pour eux ? » "Juste un éditeur ? Je ne sais même pas comment ils l'ont trouvé..." Et ce n'était vraiment pas le genre de choses qu'il avait envie d'évoquer avec Sanders lorsqu'ils se rencontraient ! "En fait, quand il m'a enfermé dans la cave alors que je cherchais encore à comprendre ce qui se passait, il m'a donné des feuilles et des crayons pour m'occuper. J'ai toujours été nul en dessin alors j'ai écrit. J'avais que ça à faire, et j'en ai noirci du papier... J'ai fini par faire une histoire et je pensais que tout ça partait ensuite à la poubelle. Mais il y avait une prof à la retraite qui venait rendre visite de temps en temps à Davis et elle est tombé sur ce que j'avais écrit. C'est d'ailleurs comme ça qu'il m'a donné l'identité de son neveu, pour expliquer les feuilles... Et c'est elle qui l'a convaincu de présenter ça à un éditeur." Avant ça, il était... rien ? Et c'était si facile de se débarrasser de quelque chose qui n'existait pas. On aurait même eu rien à lui reprocher puisqu'il était déjà considéré comme mort et enterré... Alors ça avait été une superbe avancée pour lui que de retrouver enfin un nom et l'ersatz de vie qui allait avec.

Secouant la tête, il temporisa aussitôt la culpabilité de Scarlet qui n'avait de toute façon pas lieu d'être. "Non, tu ne pouvais pas savoir... Mais Scarlet, c'est toi qui m'a maintenu en vie tout ce temps. Tout le monde me croyait mort sauf toi. Tu as été mon fil d'Ariane et je t'assure que je m'y accrochais avec l'énergie du désespoir. J'ai même fait des sales trucs pour..." Il s'arrêta net et fit un vague geste de la main comme pour mieux évacuer le sujet. "Enfin, bref. Juste, tu n'as pas à te sentir coupable de quoi que ce soit parce que tu m'as sauvé la vie." Il ne voulait vraiment pas que tout ça tourne au pathos mais l'émotion était tout de même là avec sa boule dans la gorge et les yeux qui piquaient.

Il dévia donc rapidement sur Scarlet avec une question qui le taraudait depuis que son regard était tombé sur le "bordel". "Si tu n'as jamais arrêté tout ça..." Là encore, les mots étaient choisis pour ne pas donner l'impression d'un quelconque jugement. Et d'autant moins qu'il s'en sentait le premier responsable. "C'est à cause de moi ?... Parce que c'était compliqué à gérer de me savoir encore vivant sans pouvoir rien dire à personne ?" Il n'attendait pas de longues explications alambiquées mais juste un Oui.

Avec des "Si" on refaisait le monde. Il le savait pour l'avoir lui-même fait un nombre incalculable de fois. Il aurait suffit d'un seul élément modifié pour que tout soit changé. Sauf qu'une chose en avait entraîné une autre, et ils en étaient arrivés à ça. Lui, Scarlet et même Judas... "Tu sais, c'est comme les structures qu'on fait enfant avec des dominos et une bille qui tourne dans un circuit faisant tomber les choses en cascade... Je me suis réveillé au sous-sol dans cette pièce de stockage je crois, en attendant qu'on s'occupe des corps... S'il y avait eu un escalier au bout de ce couloir, je serai monté et j'aurai fini par tomber sur quelqu'un, même en pleine nuit mais là, il y avait juste une porte qui menait sur l'extérieur et un parking quasi-vide. Je crois que je voulais retrouver le lieu de l'accident pour chercher Bart mais à la place, je suis tombé sur  Davis..." Avec tout ce qui en avait découlé. S'il avait su... Il n'était même pas sûr qu'il aurait pu y changer quoi que ce soit, comme la bille qui poursuivait sa course folle incapable d'arrêter les dominos qu'elle frappait.

Par contre, il sut arrêter d'un "Joker ?" la question bien trop dérangeante sur les sales trucs qu'il avait dû faire pour que ses lettres soient transmises à Scarlet. Merci à Sanders pour cela ! Mais il n'était pas question que Scarlet se sente responsable de ça alors qu'elle avait été son fil d'Ariane qui avait maintenu en vie Jonas Kirke, même mort et enterré, et même en ayant perdu son identité. Tant que quelqu'un savait qu'il était encore vivant quelque part, il n'était pas définitivement mort même avec une autre identité et une autre vie usurpée à un autre. "Je t'assure, il était complètement timbré. Il me croyait enfui d'un centre d'expérimentation humaine, malgré tout ce que je pouvais lui dire. Mais à sa décharge, il m'a retrouvé divaguant sur une route en chemise d'hôpital tâchée de sang parce que les points de suture de mon thorax n'étaient pas fait correctement. Et quand il a fait appel au Doc pour me soigner et que celui-ci s'est rendu compte qu'on m'avait prélevé des organes, ça n'a fait que renforcer leur croyance. Il était vraiment prêt à me tuer plutôt qu'à me laisser repartir "là-bas", et pour mon propre bien qu'il disait... En fait eux, c'était pas des mauvais bougres, ils étaient juste timbrés. Mais ils ne profitaient pas de la situation." Aussi étrange que ça pouvait être à entendre et même si Davis avait bien failli une fois appuyer sur la gâchette.

Mais hormis le fait qu'il avait déjà utilisé un joker, il estimait ne pas trop mal s'en sortir. En tout cas bien mieux que Scarlet qui semblait avoir bien des difficultés avec son problème de drogue. Il alla donc chercher sa main avec la sienne pour la serrer avec douceur. "Hey... Moi aussi, j'ai fait des sales trucs alors je ne te jugerai pas. Jamais. On a fait... Comme on a pu ? Donc ça va, d'accord ?..." Et il tenait vraiment à la rassurer là-dessus. D'autant que la question qui allait suivre risquer d'enfoncer davantage le clou. Mais quitte à percer l'abcès, autant le vider à fond. Ce serait certainement douloureux mais peut-être salutaire pour Scarlet ? Il ne pouvait que l'espérer en tout cas. "Pourquoi tu dis ce que je suis devenue ? Qu'est-ce qui ne te plait pas ?" Et il refusait de lâcher sa main.

Qui aurait pu croire que parler de tout ça avec Scarlet l'amènerait à sourire et même à rire ? Clairement pas lui, et pourtant il pouffait de rire à l'image si réaliste qu'elle en faisait. Un rire cependant quelque peu amer... "C'est dément quand on y pense mais oui, j'étais pieds nus et en chemise d'hôpital, j'ai traversé le parking et je me suis retrouvé à marcher sur une route à je sais pas quelle heure de la nuit... Par contre, j'ai pas été enlevé, je suis monté dans le pick-up quand Davis s'est arrêté à ma hauteur. Je sais pas, je crois que... Je croyais qu'il me ramènerait sur le lieu de l'accident pour que je puisse trouver Bart. Alors qu'il aurait dû être en toute logique à l'hôpital mais j'étais complètement à l'ouest. Et c'est quand il m'a ramené chez lui que les choses ont commencé à devenir mauvaises..." Son rire n'avait donc pas duré bien longtemps. D'autant qu'en toute logique, Scarlet s'insurgeait contre ce qui lui avait été fait alors que lui avait eu le temps au fil des années de comprendre comment Davis avait pu en arriver à ça... Mais il pouvait difficilement demander à Scarlet d'avoir la même vision des choses que lui. Même s'il essaya. "Tu sais, je crois que parfois il me prenait vraiment pour son petit-fils, comme s'il avait encore 7 ans. Il me ramenait des céréales pour enfant alors qu'il savait que j'étais diabétique, et une fois j'ai même eu droit à une boite de feutres... Il disait des trucs comme On restera toujours ensemble, hein Joe ? On laissera plus ta mère venir te chercher..." Sa voix s'était éraillée alors qu'il chassait les souvenirs pour reprendre un ton plus bas. "Et d'autres trucs comme ça... Je crois qu'il avait été détruit de ne plus le voir... J'avais beau lui dire que j'étais pas lui, je lui ai même hurlé à m'en casser les cordes vocales mais... Il était dans son monde." Il en haussa les épaules avec une fausse indifférence, pas sûr de vouloir revenir là-dessus.

Il ne fut cependant guère étonné du Joker sorti par Scarlet alors qu'elle rentrait dans sa coquille à chaque fois qu'il abordait le sujet de la drogue. Et pourtant, ce rendez-vous, ce jeu de questions-réponses avec les Jokers, et tout en fait, il l'avait mis en place pour elle. Pas pour lui. Soupirant, il tenta malgré tout une autre approche alors qu'il gardait toujours précieusement sa main dans la sienne. "Je sais que je suis traumatisé pour certains trucs. Mais toi, tu peux pas continuer avec la drogue Scarlet. C'est comme un suicide et... Je veux pas que tu meures." Ca, il ne le permettrait pas. Mais aller frontalement contre Scarlet ne l'aiderait pas parce qu'elle risquerait bien plus de se braquer qu'autre chose. Il grimaça avant de lancer son idée. "Qu'est-ce que tu dirais si... on se soignait en même temps ? Toi, tu arrêtes la drogue et moi... Je..." Il déglutit difficilement avant de reprendre sur un ton mortellement sérieux. "Et moi, je... Je fais face à Sanders et je... le vire de ma vie ?" Le penser était une chose, il avait l'habitude de se créer des histoires. Mais là, c'était... De la pure folie. "Je t'ai suivi ici sans savoir ce que j'allais faire mais maintenant... Je veux pas repartir là-bas... Et toi ? Tu veux continuer à te droguer ?" Ca faisait beaucoup de questions pour un seul Joker qui lui restait. Elle allait devoir donner une réponse, un "oui" ou un "non", mais quelque chose alors qu'il serrait davantage sa main autour de la sienne.

Scarlet avait raison, il le savait. N'importe qui aurait réagi ainsi mais pas Davis. Davis lui croyait que le gouvernement leur cachait des choses, il croyait que les codes barres étaient la marque de la bête -et il lui avait fallut d'ailleurs du temps pour comprendre que la bête était en fait le diable- et il pensait que les traces laissées par les avions dans le ciel était une substance dispersée dans le ciel pour rendre la population stérile... Entre autre. "Il m'a cru enfui d'un centre d'expérimentation humaine..." Il y avait de quoi se passer une main nerveuse dans les cheveux en faisant une grimace un peu gênée tant c'était... dément ? "J'avais toutes mes cicatrices et... C'est vrai qu'on m'a ouvert la cage thoracique pour en sortir mon poumon et... Puis j'avais plus mon pancréas non plus vu qu'il avait été perforé dans l'accident et... J'étais recousu un peu à la va-vite, enfin c'était... De son point de vue, ça pouvait sembler presque logique ?" Peut-être que Scarlet n'avait pas envie d'entendre tout ça. Ca ne devait pas être simple pour elle alors qu'elle aussi avait été à ses côtés dans la voiture, et qu'elle aussi en avait bien bavé sur le plan médical. Ils avaient été tellement cons à se croire invincibles, et maintenant ils galéraient pour seulement vivre à nouveau... "Tout le monde le savait qu'il était plus ou moins timbré, il ne voyait plus son petit-fils à cause de ça. Alors je suppose que personne ne s'est posé trop de question quand il m'a fait passer pour lui." Le petit-fils, écrivain en herbe, revenu des années après pour s'occuper de son grand-père... Tout le monde n'y avait vu que du feu. Et comment pouvait-il leur en tenir rigueur vu les circonstances ?

Mais surtout, il avait déjà dit qu'il n'était pas doué avec Scarlet ? Eh bien, il confirmait ! Il n'était pas doué, et tout ce qu'il parvenait à faire était de crisper davantage Scarlet. Alors qu'il cherchait juste à comprendre... Parce qu'il voulait lui tendre la main et l'aider mais encore fallait-il savoir où se situait le problème ! Sauf qu'elle ne le laisserait pas l'aider... Ayant soudainement perdu la main de Scarlet, il leva aussitôt ses propres mains en signe de reddition devant son ton qui s'était fait bien plus vindicatif. "Ok ! Je te crois ! Si tu me dis que c'est pas ça alors je suis soulagé... Je veux pas te perdre, d'accord ?" Parce que l'important était là. Scarlet avait toujours été son fil  d'Ariane, celle qui le reliait à son existence passée et qui pouvait juste par sa présence assurer qu'il avait bien eu une autre vie avant d'être Joe Davis. Il ne pouvait donc pas se permettre de la fâcher au risque d la voir partir et peut-être même le renier. Ca, il ne le supporterait pas. Pas une nouvelle fois, et pas après Bart. Pas Scarlet.

Scarlet qui ne comprenait pas sa situation, forcément. Mais de là à parler de ruse ? "...Une ruse ?" Il ne comprenait pas ce que venait faire la ruse là-dedans. Il savait que le monde avait changé. Son frère avait changé, même de prénom ! Et maintenant... Scarlet ? Mais que s'était-il passé en presque quinze ans pour que tout change comme ça ? Pour que Scarlet ne voit plus que de la ruse en lui ? "Pourquoi je ruserais ? J'ai toujours été très honnête, toujours..." Enfin... C'était vrai qu'il essayait d'échapper à ses responsabilités mais c'était pour ne pas être à nouveau enfermé. Il ne voulait plus être enfermé, il voulait... Vivre. "Scarlet, je ne peux pas me défaire de Sanders comme ça. Mes livres lui rapportent beaucoup d'argent et..." Et ce n'était pas seulement ses livres. Et dire qu'il venait juste de parler d'honnêteté... C'était compliqué parce qu'il avait toujours pensé en toute logique qu'il mettrait dans la confidence son frère et à Scarlet alors qu'en fait, c'était tout l'inverse qui se produisait. Il ne pouvait pas leur en parler. Le risque qu'ils changent de regard sur lui était bien trop grand... "Et j'ai fait un truc là-bas et ne me demande pas quoi, d'accord ?" En fait, ce n'était pas vraiment une question mais plus une demande qui n'appelait pas à être contredite. "Mais il en a la preuve. Et s'il montre ça aux autorités américaines, je serais envoyé en prison. Alors j'ai besoin de savoir si je peux être extradé vers les Etats-Unis s'il utilise ça et de façon plus générale, comment je peux faire pour me débarrasser de lui... En plus de casser le contrat qui nous lie. J'ai donc besoin d'un peu de temps." Et il ne pensait pas demander la lune. Il avait quatorze ans à rattraper et ça ne se faisait pas en un claquement de doigts, et juste parce qu'il le voulait. Pour preuve, son frère le considérait toujours comme mort...

Lorsqu'ils se droguaient plus jeune, c'était avant tout un usage récréatif. Qui n'empêchait malheureusement pas la dépendance mais ça ne représentait pas un échappatoire. Mais ce n'était plus la même situation pour Scarlet... Qui sans surprise montrait les crocs à la simple idée de devoir lâcher la drogue. Et qui sans surprise là non plus, se retournait contre lui. "Parce que tu crois que pour toi, ça sera simple ?... J'ai un avantage sur toi, c'est qu'il ne m'apporte rien de positif, et aucun sentiment de bien-être crois-moi ! Je sais qu'il faut que je m'en débarrasse. Le truc est de trouver comment." Parce qu'il ne pouvait tout de même pas aller le trouver avec un flingue pour le tuer ! Un meurtre à son actif était déjà bien suffisant... "Il a de quoi me mettre en taule pour trente ans alors le seul moyen que j'ai trouvé pour le contrer, ça a été d'aller voir moi-même la police..." Et à l'heure actuelle, il aurait été incapable de dire si ça avait été la bonne solution ou pas. Mais il voulait croire en Manwë, et à son troublant regard bien trop vert. D'autant que l'officier Da Silva semblait avoir été plutôt cool avec lui alors... Il voulait croire qu'il avait bien fait.

Il la poussait à bout, il pouvait le sentir par chaque pore de sa peau. Mais il ne pouvait pas la laisser se détruire sans rien faire. C'était... Scarlet ! Et il aurait agi exactement de même pour son frère. Alors elle pouvait bien le détester ou le maudire si elle voulait mais il ne comptait pas la laisser fuir si facilement. Même s'il en soupira alors que payant leurs consommations, il prit sa veste et sortit à sa suite en priant pour qu'elle n'ait pas couru il ne savait où parce qu'il serait bien incapable de la rattraper. Mais non, elle était là face à la mer qu'on distinguait par le seul bruit des vagues et la lueur blanchâtre de la pleine lune... S'approchant, il lui posa sa veste sur les épaules. "Il fait un peu frais... Je ne sais pas pourquoi tu continues à te droguer mais tu as le droit de ne pas me le dire. J'espère juste que ce n'est pas par ma faute, et ça me tord l'estomac de me dire que c'est peut-être à cause de moi. En tout cas, je t'aime trop pour te laisser continuer avec cette merde."

S'asseyant sur le sable froid, il tira sur sa main pour l'inciter à s'asseoir aussi avant qu'une fois à ses côtés, il ne la prenne dans ses bras. "Je suis revenu et je ne compte laisser personne me reprendre à nouveau ma liberté. Là, je veux récupérer mon nom, que Jonas Kirke revienne officiellement à la vie. Une fois que ce sera fait, je pourrais retourner voir mes parents et leur dire que tout ça n'était qu'une erreur. Et que j'ai toujours été vivant..." Y aller par étapes, comme un enfant qui apprenait à marcher, à parler et à devenir propre. Et ça ne se faisait pas du jour au lendemain mais jour après jour, jusqu'à l'autonomie complète. "Je veux retrouver ma vie et je la retrouverai... Et toi ? Tes projets ? Sans parler de la drogue, ça on laisse de côté..." Après tout, lui n'avait pas parlé de Sanders vu que ça restait la grande inconnue dans ses jolis plans. Mais il était tout de même sacrément curieux de connaitre sa réponse à ça.