we are under the same sun. feel it through the leaves, underneath the sycamore (lys)

Aujourd’hui, t’avais demandé ta journée de congé, ce que tu ne faisais que rarement. On te l’avait donc accordée sans trop rechigner, après tout ça ferait bientôt deux ans que tu bossais aux Jardins de Circé, sans jamais avoir causé de problèmes d’absentéisme ou autre connerie. Bon, t’étais certes pas le serveur le plus compétent en ville, mais tu te débrouillais. Tout ça pour dire que t’avais pris ton vendredi off parce que Lys t’avait proposé de la rejoindre à la maison de son père, sa maison à elle désormais, afin de pique-niquer dans le jardin. La proposition était alléchante et comme Lys n’était pas disponible pendant tes deux prochaines journées de congé, t’avais décidé de t’offrir ce petit plaisir-là avec elle. Vos petits moments à deux se faisaient trop rares à ton goût, alors dès que l’occasion se présenter de passer quelques heures à ses côtés, tu t’arrangeais pour que ça fonctionne. De ton côté, t’avais préparé quelques petites bouchées, une inspiration des tapas que ta mamá préparait souvent lors de vos grosses réunions familiales dans le jardin chez ton oncle, le père de Liam. Ce dernier t’en voudrait de ne pas pouvoir goûter à tes tapas la première fois que tu te décidais à en cuisiner depuis que vous étiez à Bowen. Tu te promis de les inviter un soir, Pippa et lui, et de leur cuisiner une bonne paella comme celle de Loretta Reyes. Pour aujourd’hui, ce privilège-là était réservé à Lys. Enfin, privilège … ça, c’était si t’avais bien réussi ton coup. On pouvait en douter. T’avais téléphoné à ta mère pour avoir les recettes et les directives, mais quand même, t’avais pas ses mains magiques et son dosage approximatif. Tu te garas – très mal – devant la maison de Lys et tu te dirigeas directement vers la cour, poussant la porte du jardin pour te retrouver derrière la maison. « Lys ? » Tu fis quelques pas de plus. « Je suis arrivé ! » Elle était peut-être à l’intérieur. Tu te permis quand même d’aller porter tes sacs dans le jardin, elle te verrait peut-être par la fenêtre.

J’avais passé dans cette maison les meilleurs moments de mon enfance. Une période que mon père s’était échiné à rendre la plus joyeuse possible, chose qu’il avait pleinement réussi. Je n’avais jamais manqué de rien et son amour avait été le plus beau des moteurs pour moi. Il me manquait. Terriblement. Cela faisait presque six ans, maintenant. Cette maison était à moi depuis autant de temps et pourtant, je n’y mettais que très peu les pieds, non parce qu’elle me rappelait des souvenirs douloureux, mais parce qu’elle me renvoyait son absence. Je l’avais fais vider de ses meubles la première année, ne souhaitant pas laisser cette maison avec des pièces fantômes. Les éléments les plus chers à mon coeur étaient désormais dans mon appartement de Bowen, ne restait ici que les murs qui m’avait vu grandir. J’arrivais sur les lieux un peu avant Jackson, profitant du calme de la demeure, ouvrant les fenêtre en grand, au rez-de-chaussée, et à l’étage. Je passai dans mon ancienne chambre et ses murs colorés qui avaient été mes toutes premières toiles, je m’accroupis au sol et observait mon oeuvres géante avec nostalgie. Mon père m’avait laissé exprimer mon art très tôt et n’avait jamais vu d’inconvénient à ce que les murs me servent d’entrainement. Si mon style avait évolué depuis, je devais admettre que ça n’était pas si mal quand même. Quand la voix de Jackson me parvint, un sourire marqua mon visage. Je passai la tête par la fenêtre et l’appelait.
— Jacks, par ici !
Je le gratifiai d’un grand sourire, heureuse qu’il me rejoigne ici.
— Bouge pas, je descends.
Je quittai ma chambre d’enfant, dévalai à toute vitesse les escaliers et rejoignis l’acrobate dans le jardin. J’accourrai jusqu’à lui et le serrai dans mes bras. Avant de me dégager, j’embrassai sa nuque, puis baissai le nez sur le sac qu’il tenait à la main.
— Qu’est-ce que tu nous a fait de beau ? Je suis passée chez Imogen pour les desserts, moi, et je nous ai pris une petite bouteille de rosé aussi…on pourra la boire autour de la piscine.
Je lançai un regard derrière moi.
— Bon…elle est complètement verte mais…ça peut avoir son charme.

À l’étage, un mouvement attira ton attention sur les murs extérieurs de la maison. La voix de Lys qui t’appelait aussi, venue du ciel, te confirma que c’était bien elle que t’avais vue du coin de l’œil. Tu levas la tête vers là-haut et aperçus Lys, qui avait passé sa tête par la fenêtre ouverte. Son grand sourire contagieux illumina rapidement ton propre visage alors que tu lui envoyais la main, d’ici-bas. « Ok, prends ton temps, j’m’installe ! » Lui crias-tu en rebaissant la tête. Tu ne t’installas pas vraiment, tu fis plutôt le tour du jardin, balayant du regard les endroits potentiels où vous pourriez vous asseoir pour votre pique-nique. C’était magnifique, ce terrain. Tu avais du mal à comprendre que Lys possède ces lieux et qu’elle n’en profite pas davantage. Cela dit, tu n’avais jamais perdu un être cher – pas par la mort. T’avais perdu un tas de personnes par le passage du temps et l’évolution de ton identité, mais si l’envie te prenait de les revoir, ils étaient toujours là, à quelque part dans ce monde entre l’Espagne et l’Angleterre, en faisant de grands détours par tous les endroits que t’avais visité à bord de Cirkaös. En moins de trente secondes, Lys te rejoignit au jardin. T’avais même pas déposé ton sac contenant les tapas. La brunette t’enlaça, déposa un baiser sur ta nuque, sous tes rires heureux de la retrouver. Avant de répondre à sa question, ton regard se posa sur ladite piscine verte. Tu ris. « Ça a son charme tant qu’on reste autour et pas dedans … C’est pas, genre, plein de bactéries là-dedans ? » Demandas-tu, n’y connaissant rien aux raisons biochimiques expliquant cette couleur verdâtre. Tu te tournas finalement vers Lys et ouvris ton sac, pour en sortir les quelques contenants. « J’ai cuisiné quelques tapas. J’espère ne pas nous empoisonner. Ce sont les recettes de ma mamá alors ça devrait aller. » Tu souris. Avec la bouteille de rosé de Lys et les desserts de chez Imogen, votre pique-nique serait complet et délicieux. « C’est vraiment beau, ici. J’peux pas croire que c’est la première fois que je viens. » Notas-tu.

Ca m’avait fait bizarre de passer cette porte, de retrouver cette maison de mon enfance, ces murs qui avaient accueillit mes joies et mes peines, bien plus de joies que de peine, d’ailleurs, si j’y réfléchissais bien. J’avais mis du temps, avant de me décidé à revenir ici, et maintenant que j’avais fait ce premier pas, je me sentais bien. Bien mieux que ce que je n’aurais cru. Ce fut donc le sourire aux lèvres que je rejoignis Jackson dans la cour. Le jardin était assez intimiste et très calme. C’est là que je m’étais souvent installé, plus jeune, pour peindre dans cette bulle de verdure, et même aujourd’hui, malgré le manque d’entretiens, il avait conservé son charme. La piscine était, par contre, complètement verte. Jackson et moi nous en amusâmes.
— J’y connais rien, reconnus-je en riant doucement, mais ouais…je ne m’y risquerai pas, ça doit être bourré de bactérie comme tu dis.
Nous nous installâmes pour le pique-nique alors que Jackson me détaillait ce qu’il nous avait préparer. J’étais touchée qu’il ait fait cet effort de sortir les recettes de sa mère.
— Ca a l’air bon en tout cas, dis-je alors qu’il sortais de son sac ce qu’il avait préparer, ça me donne faim !
Je lui souris, puis attrapai moi-même la bouteille de rosé que j’avais rapportée. Je l’ouvris et nous servis un verre à chacun, je tendis le sien à Jacks, puis m’emparai du mien. Je souris à la remarque de Jackson, levai les yeux vers la maison puis soupirai avec nostalgie.
— Je sais…j’ai grandi là mais…
Je poussai un nouveau soupir en replongeant mon attention sur Jackson.
— Depuis la mort de mon père, j’ai assez peu remis les pieds ici...Ca me faisait peur…Bêtement.

Ce jardin avec un certain cachet. C’était féérique, toute cette verdure, ces arbres aux branches bien garnies, ces arbustes qui poussaient un peu comme bon leur semblait par manque d’entretien. C’était encore plus joli quand ce n’était pas taillé au millimètre près, à ton avis. « Dommage, c’aurait été une belle place pour un bain de minuit … de jour. » Tu souris, avant de te reprendre. « Est-ce que c’est déplacé de dire ça dans la cour de ton enfance ? » Demandas-tu. Déjà que les visites de Lys se faisaient visiblement rares par ici, il ne faudrait pas qu’en plus tu en gâches ses souvenirs. Tu présentas ensuite tous les petits tapas que tu avais préparé en suivant à la lettre les recettes espagnoles de ta mère. Lys semblait ravie de tes choix. Tu souris, fier, en déposant le tout au sol, bien réparti autour de vous. Tu commenças à enlever les couvercles pendant que Lys ouvrait la bouteille de rosé et vous servait des coupes. « Merciii ! » Chantonnas-tu simplement, avant de commenter sur cette maison que tu visitais pour la toute première fois aujourd’hui – enfin, le jardin seulement pour l’instant. Pourtant, t’avais retrouvé Lys rapidement, à Bowen, y’avait de ça deux ans. « C’est pas bête. Ça te fait encore bizarre, aujourd’hui ? » Elle y était rentrée avant ton arrivée, puisqu’elle se trouvait à l’étage lorsque t’avais débarqué au jardin. Peut-être commençait-elle à s’habituer à retrouver tous ses souvenirs sans la présence de son père. Tu pouvais pas vraiment comparer avec quoi que ce soit, ta maison d’enfance, t’avais jamais vraiment eu l’impression que c’était chez toi. Ta maison à toi, c’était Cirkaös. Ta maison elle était démontée, rangée, oubliée.

Au moment où Jackson évoqua le bain de minuit et où il s’en excusa juste après en respect de mon jardin d’enfance, j’explosai de rire.
— Oh tu sais…ce jardin en a vu…
Je plissai les yeux puis pointai du doigt le saule pleureur qui donnait un ombrage important sur le côté de la maison, et offrait une cachette parfaite à l’abris des regards.
— Tu vois ce coin là-bas, c’est là que j’ai fais l’amour pour la première fois…et plusieurs autres aussi.
Je ris de plus belle en nous servant nos verres. Jackson ne devait pas avoir peur de dénaturer mes souvenirs. Mon père était souvent parti en déplacement et j’avais su profiter de la maison vide plus d’une fois. Ainsi, à côté de la piscine malheureusement inexploitable nous commençâmes notre pique-nique. Quand j’expliquai à Jackson que j’avais peu souvent mis les pieds dans cette maison depuis la mort de mon père, il me demanda si cela me faisait bizarre d’y venir aujourd’hui. Je pris un moment pour réfléchir avant de répondre.
— Ca me fait plus de bien que je ne l’aurais cru en réalité…
L’avouer me fit beaucoup de bien aussi. C’était comme d’arracher un pansement. J’avais tardé, sans doute, mais aujourd’hui la cicatrice n’était pas si vive et c’était peut-être tout aussi bien.

T’ouvris la bouche en un rond de surprise quand t’appris que ce jardin avait été témoin d’actes bien moins chastes que votre doux pique-nique. Tu tournas la tête vers le saule pleureur alors que Lys t’expliquait qu’elle avait fait l’amour pour la toute première fois, en-dessous de ses longues branches et feuilles qui retombaient parfaitement autour, offrant la meilleure des cachettes. « Ta première fois était sous un arbre, les fesses dans la terre et le gazon, t’es sérieuse ? » Tu secouas la tête en riant. « Pas surprenant qu’aujourd’hui tu veuilles encore faire ça dans des lieux inusités. » Soulignas-tu, amusé et moqueur. Tu pris le verre de vin rosé qu’elle te tendait et en bus une gorgée sans attendre. Il était bon, il était froid, ça descendait dans ta gorge avec légèreté. Peut-être que quand il te monterait à la tête, toi aussi t’aurais envie d’explorer l’ombre de ce saule pleureur. Pour le moment toutefois, la conversation prit une tonalité un peu plus sérieuse alors que Lys t’avouait que remettre les pieds ici l’avait longtemps effrayée, et que tu la questionnais sur ses sentiments actuels par rapport à sa visite. « Assez de bien pour que t’aies envie de me partager un bout de tes souvenirs en me faisant visiter ? » Demandas-tu avec tes yeux de biche. T’avais envie de tout connaître de Lys, et aujourd’hui tu avais l’occasion parfaite de rentrer dans ses mémoires d’enfance en marchant les mêmes planchers que la mini-Lys avait marchés. Évidemment, si tu ressentais l’hésitation chez elle, tu n’insisterais pas. Tout ça, ça lui appartenait. C’était déjà bien que tu puisses profiter de ce magnifique extérieur. Tu pris une petite toast de fromage de chèvre catalan et de tomates fraîches que tu te fourras dans la bouche avec appétit.

C’était quand même une sacrée étape pour moi de rouvrir les portes de cette maison qui m’avait vu grandir, et si j’avais éprouvé moins de difficulté que je ne l’aurais cru, si de prime abord, c’était surtout les bons souvenirs qui remontaient, ça n’était pas complètement anodin non plus. Mon ami s’en inquiéta et je lui assurai que tout allait bien. Je me sentais remuée et émue, cela allait sans dire, mais j’étais, d’un autre côté, extrêmement heureuse d’être là et de lui ouvrir les portes de mon jardin secret. Je lui dévoilai même une de mes anecdotes les plus intime. Je ris en l’écoutant dépeindre mon souvenir.
— Noooon, on avait un grand plaide quand même ! rigolai-je. Et puis…plains-toi va. Je mets du piment dans ta vie sexuelle, au moins !
J’étais à peu près sûre que Jackson n’avait clairement pas besoin de moi pour ça, évidemment mais c’était histoire de le taquiner, comme il le faisait avec moi. Je ris doucement, avant de boire une gorgée de rosé et de me choisir un des tapas que Jacks avait préparé pour nous. Je le félicitai pour ses talents de cuisinier et pris une nouvelle bouchée. Jackson me questionna au sujet de la maison et rapidement me demanda si je me sentais suffisamment bien pour lui ouvrir un peu plus la porte de mon jardin secret. Un sourire illumina mon visage.
— Tu préfères qu’on commence ou qu’on termine par le saule pleureur ? lui demandai-je avec malice.

Tu éclatas de rire quand Lys affirma que t’avais pas à te plaindre du piquant qu’elle mettait dans ta vie sexuelle. « Du vrai Carolina Reaper, ça ouais ! » Elle était quand même chanceuse, Lys, d’avoir tout un tas de souvenirs vers lesquels elle pouvait se tourner et réimaginer. Ce saule pleureur, il se tenait encore debout, beau grand et fort dans la cour-arrière de sa maison d’enfance. Toi, tes souvenirs même d’adolescence étaient éparpillés un peu partout dans ce monde, si bien que parfois, tu ne pouvais t’empêcher de croire que le temps les avait peut-être déformés, effacés. « Elle vit encore ici, la personne avec qui t’as eu ta première fois ? T’es encore en contact avec ? » Osas-tu demander. De ton côté, c’était une femme dont t’avais croisé la route au tout début des tournées de Cirkaös, t’étais encore qu’un gosse, et elle était repartie aussi vite que toi t’étais venu en elle. Tu te pris un second tapas que tu fourras dans ta bouche, sous les compliments de Lys qui avait également goûté à ta cuisine. « Merci ! » Lâchas-tu la bouche pleine. Elle te parla ensuite de ce sentiment qui l’avait habitée en remettant les pieds dans cette maison, et tu tentas d’en ouvrir un peu plus la porte pour qu’elle y laisse rentrer tes pas, à toi aussi. T’aurais adoré te plonger dans l’enfance de Lys. Tu ris à sa question. « Mais pas de plaide cette fois. Faut quand même que ce soit un peu différent de ta première fois. Plus à notre image, aussi. » Tu souris largement. Vous n’étiez pas connus pour l’extrême confort dans les positions et les lieux choisis pour vos ébats. Vous y alliez selon vos envies et souvent, vos envies étaient bien trop pressantes pour que vous puissiez vous rendre dans une chambre à coucher.

J’arquai un sourcil et eus une moue flattée.
— Un Caroline Reaper, carrément ? relevai-je.
Je prenais le compliment. Jackson avait raison sur ce point, c’était souvent très chaud entre nous, ce piment que j’avais évoqué pouvait parfaitement être comparé à celui qui été considéré comme le plus piquant du Monde. Cela nous représentait assez, quand on y songeait. Mon histoire de saule pleureur semblait avoir intrigué mon ami acrobate. Je lui souris en coin, tandis qu’il chercha à savoir si j’étais toujours en relation avec le garçon qui m’avait connue vierge.
— C’était…mon ami d’enfance, avouai-je tandis que mon sourire s’élargissait, ouiiii bon…j’ai une fâcheuse tendance à coucher avec mes meilleurs potes, j’avoue !
Je parti dans un rire franc, plaisantant de bon coeur sur le sujet. La frontière était si mince, selon moi, entre l’amitié, l’amour et le désir. Mon désir pour une personne se développait en général au même titre que l’estime que je nourrissais pour cette même personne. Cela n’avait donc rien d’étonnant que j’en vienne à partager des moments intimes avec ceux que j’appréciais le plus sur terre.
Après avoir complimenté Jackson sur ses efforts culinaires, j’attrapai, moi aussi, un nouveau tapas pour le fourrer dans ma bouche. On envisagea ensuite de faire le tour du propriétaire, avec pour point d’ancrage le saule pleureur. La réponse de Jackson fasse à ma demande me fit sourire.
— Bah ça tombe bien, dis-je, je ne sais pas ce que j’ai foutu de mon plaid !
Je toisai Jackson d’un regard suggestif, avant de me relever. Je lui tandis la main pour l’inviter à me suivre. Je l’amenai dans la maison de mon enfance et lui présentait pièce après pièce. Le grand salon, la cuisine, le bureau de mon père, puis nous montâmes à l’étage et terminâmes notre course dans mon ancienne chambre. J’ouvis la fenêtre en grand et présentai la vue à mon ami, d’un geste un peu théatrale, ouvrant grand les bras.
— Tadaaaaaam !
En contrebas, on appervait la piscine, toujours aussi verte, l’endroit où nous avions établi notre pique-nique et, plus loin, le saule pleureur.
— Alors, conquis ? demandai-je. Bon…c’est vide, évidemment. Il faut imaginer tout ça avec des meubles, de la vie…tout ça tout ça.

Tu hochas la tête de façon déterminée. « Et rien de moins ! » Entre Lys et toi, c'était caliente, c'était chaud, bouillant, brûlant, c'était même assez étonnant que ça n'ait jamais explosé. Vous étiez en parfaite symbiose et malgré l'intensité particulière de votre relation en ce qui avait trait à la sexualité, vous n'aviez pas ce tempérament entre vous. C'était juste doux et beau, vous deux. Ce le serait sous ce saule pleureur, aussi. Mais avant, t'avais envie d'en savoir un peu plus sur le passé de Lys, et comme elle avait ouvert la porte à sa première fois, tu y rentras un peu plus. Tu n'avais pas pu développer un lien unique avec cette personne qui avait touché ton corps de cette manière-là pour la toute première fois, alors tu voulais savoir comment ça s'était passé du côté de l'artiste.

Tu ris à sa constatation. « Au moins t'es cohérente depuis longtemps dans tes préférences ! » Dis-tu dans un rire. C'était surtout la preuve que Lys agissait aussi beaucoup avec la connexion émotive, plus que physique.  Elle avait besoin de ce contact spirituel là, aussi. Tu trouvais ça assez inspirant, en fait, même si elle le résumait à une plaisanterie sur le fait de coucher avec tous ses meilleurs potes. Elle n'ajouta cependant rien à propos de la présence de cette personne à Bowen. Était-elle encore en contact avec cet ami d'enfance ? Le connaissais-tu ?  Tu ne  posas pas davantage de question, tu ne voulais pas insister. Ça lui appartenait.  

« Maintenant on va juste prier pour l'absence d'herbe à puces ! » Blaguas-tu. Avoir les fesses qui piquent pendant des jours, c'était pas dans tes plans de la semaine. Tu mangeas un dernier tapas avant que Lys ne te tende la main pour aller à l'intérieur. Tu replaças les couvercles sur les plats, juste pour t'assurer que tes tapas ne deviennent pas un buffet à volonté pour les insectes du coin. Tu pris la main de ton amie et tu te levas, la suivant jusqu'à la maison. Une fois en haut, tu regardas l'étendue du jardin en bas. C'était grand ... la maison autant que la cour. Et vide, Lys le souligna bien. « J'ai jamais eu ça. Un grand espace comme ça. » Fis-tu remarquer en te retournant face à la grande pièce. « C'est beau. Ça devait être génial de grandir ici, d'avoir autant de place pour vivre, pour exister. » Ce n'était pas un grand manoir non plus mais on pouvait en comprendre que t'avais pas eu beaucoup d'espace, toi. Et puis, en ayant commencé si jeune à être acrobate pour un cirque, t'avais pas eu un endroit pour toi pendant plusieurs années. « Je suis conquis, oui. » Conclus-tu en tournant la tête vers Lys.    

Je ris encore de la comparaison qu’avait faite Jackson entre nos ébats sexuels et le piment le plus spicy de la planète. En soi, cela faisait complètement sens, ce qui existait entre Jackson et moi était si rare, et ensemble, il nous arrivait de faire drastiquement monter la température. Après avoir mis les tapas à l’abris, je guidai mon ami pour une visite de ma maison d’enfance. Quand nous arrivâmes dans mon ancienne chambre - bien vide, malgré les souvenirs qui semblaient encore imprégner les murs - Jackson en profita pour observer le jardin depuis ma fenêtre. Puis se tourna à nouveau pour faire face à la pièce vide et assuma que grandir dans un lieu pareil avait été agréable. Il avait raison. Je souris.
— Mon père a fait en sorte que chaque jour de ma vie soit joyeux, déclarai-je avec émotion. Il était…tout seul. J’imagine qu’il se sentait obligé de compenser l’absence de ma mère.
J’eus un bref silence et replongeai très brièvement dans mes souvenirs.
— Je n’ai manqué de rien, j’ai même été trop gâtée je crois…Pourtant, mes meilleurs souvenirs sont des moments simples, comme les soirs où on s’allongeait sur les transat au bord de la piscine…
Je lâchai un rire.
— Ils étaient en meilleur état qu’aujourd’hui, je t’assure, rigolai-je avant de reprendre, Donc, on s’allongeait et il me racontait des histoires à propos des constellations qu’on observait.
Je désignai d’un geste vague les murs de mon ancienne chambre.
— C’est pour ça que j’en ai peint un peu partout. Ca et…pleins d’autres trucs.
Mon rire redoubla tant que j’observai les mûrs qui nous entouraient. Ils étaient tous colorés, comme de parfaits témoins de mes expérimentations artistiques.
— Il m’a laissé prendre la place que je voulais, terminai-je, pensive, il m’a permis de m’exprimer, presque sans restriction. Il y avait des règles bien sûr, mais jamais quand ça concernait la créativité. Je crois que c’est ce que j’ai envie de transmettre avec cette maison, en faire un lieu où l’on viendrait pour dire qui on est, pour laisser jaillir tout ce qu’on a un l’intérieur de soi. Je suis persuadée que l’art est une thérapie incroyable, et je voudrais apporter un peu de bien-être aux gens avec ce centre que j’ai envie de bâtir ici.

Tu écoutas Lys parler de son père, de son enfance, de tous les sacrifices qu’il avait dû faire en père monoparental, des souvenirs de pur bonheur qu’elle gardait. Tu souriais, t’avais rien d’autre à faire que de sourire, adossé au mur tout près de la fenêtre donnant sur le jardin. Tes mains dans les poches, tu laissais ton cœur se remplir d’un peu de joie que Lys te transmettait en t’envoyant les étoiles qu’elle avait dans les yeux. Tu rigolas à propos des transats, sans pour autant ajouter quoi que ce soit. Tu sentais que Lys était encore plongée dans ses souvenirs et tu voulais qu’elle aille jusqu’au bout de ceux-ci. Tu ne voulais pas perturber ce doux moment avec elle-même, dont elle te faisait également cadeau. Tu regardas les murs qu’elle désignait, ces murs peinturés de constellations. Tu l’imaginas, elle et son père, en train de regarder le ciel brillant d’espoir, son père pointant les différents dessins en pointillés sur le grand voile obscur, nommant chaque constellation au-dessus de leurs têtes. T’aurais aimé partager de tels moments avec ton père. Tu te surpris à sentir les larmes te monter aux yeux, nostalgique d’une enfance que tu n’avais même pas eue. « C’est vraiment … une merveilleuse idée, Lys. » Lâchas-tu, ému. « Ton père a l’air d’avoir eu une si belle influence sur toi. Il t’a laissé la liberté de te construire comme tu le voulais, j’trouve ça vraiment beau. Et si tu peux avoir ce rôle-là pour d’autres en leur laissant leur place pour s’exprimer et se réinventer, ici … » Tu haussas les épaules, un sourire aux lèvres. « C’est le plus bel hommage que tu pourrais lui faire, j’pense. » Conclus-tu.

Cela faisait longtemps que l’idée me trottait en tête. Cela faisait plusieurs années que j’y songeai en réalité, à réhabiliter la maison de mon père, MA maison, puisqu’elle m’appartenait complètement depuis sa mort, et en faire, non un simple lieu d’habituation, mais un endroit qui permettrait aux gens d’exprimer pleinement leur art, de se construire, de lâcher les vannes, un endroit safe pour tous. Un endroit qui, comme le comprit Jackson, rendrait hommage à celui qui m’avait élevée, mais pas seulement. Je souhaitais aussi insuffler à cette maison un peu de mon âme propre, y délayer mon amour de l’art et ma fascination pour la psyché humaine. En faire quelque chose à mon image.
Je souris à Jackson, l’émotion gagnant peu à peu mon visage.
— Il t’aurait adoré, confiai-je d’une voix qui trembla malgré moi. Mon père
Je fondis soudain sur Jackson, m’engouffrant dans ses bras pour décharger l’émotion qui me prit soudain. Je restai un moment, émue et silencieuse, contre lui. L’étreinte fut douce et salvatrice et quand je me dégageai doucement de l’acrobate un sourire était accroché à mes lèvres.
— Je me sens infiniment chanceuse de t’avoir dans ma vie, Jacks…  

Les paroles de Lys te percutèrent pas comme le ciel étoilé artificiel au-dessus de vous mais comme un météore qui aurait traversé le plafond pour venir s’écraser sur ton cœur. Ça te touchait de savoir que son père t’aurait aimé, c’était con que ça vienne autant te chercher, tu n’avais pas besoin de l’approbation de qui que ce soit pour être l’ami, l’amant de Lys. Tu n’étais pas son special someone pour toujours et à jamais. Mais de savoir qu’un être qui avait tant compté pour elle, t’aurait aimé, ça te faisait du bien. T’eus à peine le temps d’esquisser un sourire de remerciements que Lys éclatait en pleurs, dans tes bras, enfouissant son visage dans ton chandail. « Oh, love … Laisse tout sortir. Je suis là. » Tu l’étreignis un peu plus encore, pour donner un sens à tes paroles. Tu la berças un moment, debout, de courts mouvements à droite et à gauche, presque imperceptibles. Brisant le silence, dégagée de toi, Lys acheva ton cœur qui n’en avait pas fini de se serrer d’émotions. « Je pense que c’est pas anodin qu’on s’retrouve là en-dessous des étoiles. J’suis persuadé que si j’cherchais un peu, j’trouverais Jackson & Lys écrit à quelque part là-dedans. » Parce que ouais, votre amitié, cet amour inconditionnel que vous aviez l’un pour l’autre, c’était écrit dans le ciel. « Plus j’y pense et plus j’crois fermement que c’était une évidence, toi et moi. Que c’était certain qu’on se retrouverait à quelque part, un jour ou l’autre. » Et c’est à Bowen que vos chemins s’étaient recroisés, scellant cette fois vos vies à tout jamais. « J’t’aime, Lys. » Tu embrassas le dessus de sa tête, tendrement.