Feisty patiente → Hestia Belloua

La journée avait filé à une vitesse folle. J'étais arrivé tôt à l'hôpital afin de pouvoir faire un tour dans mon service et voir tous mes petits patients. Peu de chefs de service prenaient le temps de faire cela, mais moi j'y tenais. C'était mon côté humain, nécessaire lorsque l'on travaillait avec les enfants. Je m'étais accordé un lunch tranquille à la cafétéria avant de m'installer dans mon box pour mes consultations. Je voyais des nouveaux nés, des adolescents, parfois même des jeunes adultes que je suivais depuis leurs plus tendres enfances. Mon boulot était excitant, passionnant, j'en apprenais un peu plus chaque jour et j'adorais ça.
Il était 18h passé, j'attendais ma dernière patiente, une jeune fille que je suivais depuis qu'elle était jeune, j'avais observé son évolution et je continuais à la voir malgré son âge. Elle était brillante en bien des points, mais son comportement avec ses paires n'était pas toujours très adapté - et dans cela je me retrouvais en elle -. Je profitais de son retard pour manger un snack, et quand enfin j'entendis des petits coups à ma porte, je me levais pour aller lui ouvrir.

« Enfin là Miss Belloua. » La taquinais-je en la laissant passer. J'avais eu mon lot d'adolescentes en rebellion à la maison, donc j'avais une carapace assez épaisse. Elle pouvait y aller si elle en ressentait le besoin.

Elle venait d’avoir 18 ans, alors dans la logique médicale elle devait se faire soigner par les médecins des adultes comme elle avait déjà entendu un bon nombre de fois, mais elle allait toujours autant voir le pédiatre qui avait commencé à la suivre dès qu’elle était arrivée en 2014 dans cette ville qu’elle ne connaissait pas. C’était certainement l’un des personnels médicaux qui pouvaient mieux la comprendre, de tout ceux qu’elle avait vu dans sa vie entière. C’était aussi pour ça qu’elle prenait encore des rendez-vous avec lui alors qu’elle ne devrait pas, peut-être qu’elle pouvait tout lui dire dans certaines situations. D’un sens, elle avait grandi trop vite. Elle était sourde d’une oreille, elle était surdouée, elle n’avait jamais eu le temps d’être une enfant à proprement parlé. Peut-être qu’elle avait simplement besoin de tout lâcher par moment à quelqu’un, et pas une personne dont elle était proche comme sa famille ou le peu d’ami qu’elle pouvait avoir dans sa vie. Enfin, en attendant elle était en retard à un rendez-vous, c’était bien la première fois qu’elle l’était. Elle s’était dépêchée une fois qu’elle était sortie de la voiture, à l’accueil on la connaissait déjà souvent, et puis elle irait faire les papiers nécessaires en sortant s’il le fallait. « Enfin là Miss Belloua. », c’était ce qu’elle avait entendu quand son pédiatre ouvrit la porte.

« Désolé, ce n’est pas dans mes habitudes d’être en retard ! »

Et ce n’était pas non plus son habitude d’avoir une grande conversation avec quelqu’un en dehors de ses proches, ou juste qu’elle se sentait quand même à l’aise avec la personne qu’elle avait en face d’elle. Elle parlait par « nécessité », surtout en connaissant son handicap. Enfin… elle n’était pas non plus la meilleure au niveau du social.

Hestia avait quelques minutes de retard et ça semblait la chambouler. Si je me mettais dans cet état à chaque fois que je n'arrivais pas à l'heure, je n'aurais plus de santé. Alors pour détendre l'atmosphère, je remettais gentiment les choses au clair. « Ne t'inquiètes pas. Je te taquine. Surtout que l'on sait tous les deux qu'en général c'est moi qui ne suis pas à l'heure. » Et grâce à elle, j'avais pu manger un gouter et remplir ma tasse de café. Celle ci était encore fumante et diffusait un arôme délicieux dans toute la pièce. Il ne manquait plus que la cigarette, mais ça ce n'était pas un plaisir que je m'accordais au travail.

Je lui fis signe d'aller vers l'endroit où je réalisais toujours les examens cliniques. Il y avait une table d'examen, une balance et une toise, le tout décoré pour les plus petits avec pleins d'animaux de toutes les couleurs. Les plus grands aimaient aussi, mais c'était surtout marrant de voir les bébés faire de grands sourires en posant leurs yeux sur cette décoration décalée. « On commence par quoi ? » Lui demandais-je. Je laissais toujours le choix pour mettre en confiance les enfants. Le poids, la taille, les constantes, l'examen clinique en lui même... J'étais le genre de pédiatre qui prenait son temps et qui était à l'écoute de ses patients. S'il fallait parler, je parlais, s'il fallait juste examiner, je savais faire aussi. « Ou tu veux peut être me raconter ce qu'il s'est passé aujourd'hui pour que tu arrives en retard. »

« Ne t’inquiètes pas. Je te taquine. Surtout que l’on sait tous les deux qu’en général c’est moi qui ne suit pas à l’heure. », il n’avait pas tort, mais quand les choses n’allaient pas dans le sens de la jeune femme, c’était une toute autre histoire pour elle. Elle n’aimait pas être en retard, elle était toujours celle qui était en avance et qui ne savait pas quoi faire d’autres derrière pour faire passer le temps quand l’avance était beaucoup trop énorme. Elle passa une main dans sa chevelure brune en essayant de se dire que ça servait à rien de se prendre la tête, le médecin lui-même venait de lui faire comprendre.

« Vous savez très bien que moi, j’ai un peu de mal avec le fait d’être en retard, il faut le noter dans un calendrier quand ça arrive surtout ! »

Bon, maintenant elle devait se concentrer, c’était peut-être la dernière consultation qu’elle allait faire avec lui alors autant en profiter d’avoir certainement le meilleur des pédiatres. Cette décoration n’avait jamais réellement fait rire ou sourire la jeune femme, peut-être parce qu’elle était trop dans un autre monde quand elle était plus jeune, maintenant elle pouvait se dire que c’était mignon pour les plus jeunes. « On commence par quoi ? », c’était une routine de bien tout vérifier, surtout quand elle était sourde et qu’on ne savait pas si quelque chose d’autre allait faire son apparition. « Ou tu veux peut-être me raconter ce qu’il s’est passé aujourd’hui pour que tu arrives en retard. », il était peut-être le seul à qui elle pouvait tout raconter, le secret professionnel quoi.

« Pour la première fois de ma vie j’ai pas fait attention, et vu que j’avais pas mes appareils je n’avais pas entendu mes parents hurler que j’allais être retard… Voilà ! »

La pauvre jeune fille n'arrivait pas à se détacher du fait qu'elle était arrivée un peu en retard. J'avais pourtant tenté de lui faire comprendre que ce n'était pas bien grave, elle s'obstinait à y penser. Alors elle m'expliqua ce qui lui été arrivée... Elle avait lâché prise, et c'était très bien au vu de ses pathologie. « Tu ne t'en rends peut être pas encore compte, mais c'est super... Tu as lâché un peu prise. C'est un petit pas dans la bonne direction. » Hestia ne le verrait surement pas comme ça, mais j'avais le don pour voir le positif dans la plupart des situations. Elle était une enfant brillante, sa surdité n'y changeait absolument rien, elle n'avait pas baissé les bras et avait appris à vivre avec. Elle avait réussi à s'inclure dans une société qui n'était pas du tout adaptée à son handicap. « J'ai juste une question. Pourquoi avais-tu retiré tes appareils ? » Pour garder le contrôle sur toutes sortes de situations, elle était quand même mieux avec. Le contrôle était important pour la jeune fille - et pour beaucoup d'autres enfants atteints de la même pathologie qu'elle d'ailleurs -.
Je m'assis sur la table d'examen, posant mon stéthoscope à ma droite, j'étais disponible pour elle. Elle était ma dernière patiente de la journée, alors si elle avait besoin de me parler de ses problèmes, je pouvais lui accorder de mon temps. Ce n'était pas comme si quelqu'un m'attendait à la maison, j'allais rentrer et me prendre un verre, commander à manger, fumer quelques cigarettes, peut être faire un tour dans ma salle de sport... Bref, rien de bien excitant.

« Tu ne t’en rends peut-être pas encore compte, mais c’est super… tu as lâché un peu prise. C’est un petit pas dans la bonne direction. », il était vrai que la jeune femme était du genre à toujours vouloir être sur tout, de tout contrôler, de faire tout dans la bonne direction. Il était rare que les choses changent, qu’elle ne fasse pas les mêmes choses à chaque fois. D’un sens, elle grandissait et il était normal qu’elle finisse par faire ce genre de chose. Bon, elle ne pouvait pas non plus oublier qu’elle était quand même en retard, pas dans ses habitudes. « J’ai juste une question. Pourquoi avais-tu retiré tes appareils ? », elle lâcha doucement un soupir, quand elle les enlevait, elle était dans son monde à elle, plus besoin de justifier des trucs, elle n’était pas dérangée par les autres et puis ses oreilles ne lui faisaient pas mal quand elle ne les avait pas sur elle.

« Parce que j’avais besoin d’un moment seule, et aussi parce que j’avais mal aux oreilles de les avoir, de temps en temps je les enlève parce que ça me soulage et puis que j’ai clairement pas envie d’être dérangé par ce qui se passe autour de moi. »

Elle était comme ça à présent, surtout depuis qu’elle avait commencé ses études surtout, elle voulait être tranquille dans sa chambre, comme toute jeune femme de son âge on pourrait dire, mais quand elle avait cette pression de tous les jours où elle n’était pas une jeune femme de son âge comme toutes les autres, il fallait bien qu’elle trouve un moment pour respirer convenablement dans son coin, enfin c’était ce qu’elle pensait sur le coup.

Dans mon métier, il fallait être à l'écoute. Parfois ça permettait aux enfants de vider ce qu'ils avaient sur le coeur, mais parfois ça permettait de détecter des choses un peu plus importantes comme aujourd'hui. Le port d'appareils auditifs ne devait pas être douloureux, désagréable tout au plus. Le fait qu'Hestia se dise algique m'avait mis la puce à l'oreille.

« C'est normal que tu en ai assez d'entendre parfois et tu as bien raison de te mettre dans ton monde quand ça arrive. » La rassurais-je. Tout le monde le faisait, d'une manière ou d'une autre. Pour ma part j'avais tendance à m'enfermer dans ma chambre, mettre de la musique et me plonger dans un bon livre. « Par contre, quand tu dis que ça te fais mal... Quand est ce que tu as changé tes prothèses pour la dernière fois ? Elles ne sont peut être plus à ta taille. » C'était un problème assez commun. Il arrivait parfois que les familles trainent un peu pour faire le changement à cause du coût, mais ça n'avait jamais été le cas des Belloua. « Je vais essayer de te caler un rendez vous rapidement avec un de nos prothésistes, ok ? »

Hestia était à une période charnière de sa vie, elle passait de l'adolescence à l'âge adulte et ce n'était pas simple. Elle pouvait aborder les situations différemment qu'une autre personne de son âge. Pour beaucoup cela était un défaut, j'y trouvais là plutôt une grande force que je l'encourageais toujours à exploiter. Cette gamine était une battante depuis que je la connaissais, un sacré caractère qui avait bien grandi depuis que je l'avais rencontré pour la première fois.

« Comment se passe tes études ? » Demandais-je en lui indiquant la balance et la toise au mur. J'aimais bien discuter pour faire passer plus facilement l'examen clinique.

Elle savait que c'était certainement la dernière fois qu'elle devrait venir voir son pédiatre et qu'elle devait aller voir un autre médecin à partir de maintenant, mais son pédiatre était quand même plutôt cool, et il connaissait sa condition médicale, pas besoin de tout expliquer ! « C'est normal que tu en ai assez d'entendre parfois et tu as bien raison de te mettre dans ton monde quand ça arrive. », ça pouvait la rassurer, parce qu'elle n'avait pas envie de passer pour une folle ou une fille qui n'en avait rien à faire de ce qu'on pouvait lui dire. « Par contre, quand tu dis que ça te fais mal... Quand est ce que tu as changé tes prothèses pour la dernière fois ? Elles ne sont peut être plus à ta taille. », elle se mit doucement à réfléchir par rapport à ça. « Je vais essayer de te caler un rendez vous rapidement avec un de nos prothésistes, ok ? », et il avait surtout une bonne réaction à ses problèmes, sauf que ses parents étaient beaucoup plus rapides que lui quand même.

« Presque deux ans je pense ? Mais mes parents ont déjà pris rendez-vous en tout cas, je vais bientôt avoir mes nouvelles prothèses même si pour le moment ça va je supporte quoi ! »

Elle parlait plus facilement avec lui, puis quand elle n'avait pas ses appareils, il prenait le temps de parler calmement pour qu'elle comprenne et qu'elle ne se sente pas trop mise sur le côté, c'était souvent comme ça quand elle était petite et qu'elle avait la tête en l'air à cause des choses qu'elle avait envie d'étudier, trop vite. « Comment se passe tes études ? », elle se leva pour aller vers la balance en prenant en compte de bien enlever ses chaussures avant de monter. Ses yeux étaient pétillants quand elle se mettait à parler de ses études, elle monta alors sur la balance.

« Tout se passe à merveille, je suis dans les premiers de la classe, les cours sont chouettes même si parfois les réponses de mes camarades laissent à désirer. Les professeurs s'adaptent quand j'ai des problèmes avec mes oreilles aussi. C'est plutôt cool même si on me juge beaucoup à cause de mon âge aussi. »