it's like the more money we come across, the more problems we see (teddy)

Ce n’était jamais de bons plans, d’arriver au casino avec déjà quelques verres dans le nez. Heureusement, Elmo avait réussi à marcher droit et à ne pas trop loucher du regard en rentrant dans le casino. S’il avait eu un comportement dérangeant dès les premières minutes, dès les premiers pas, probablement l’aurait-on reviré de bord bien assez vite. Probablement auraient-ils eu raison de le faire. Ce ne fut cependant pas le cas et avec les deux amis en sa compagnie, ils se dirigèrent vers le bar comme premier arrêt. Après ça, ce serait les tables et les machines. Ils passèrent quinze bonnes minutes à s’enfiler des shots en riant et en criant trop fort, sous les regards dérangés des joueurs plus sérieux. Ils commandaient également des verres d’alcool fort qui allaient très certainement ruiner autant le foie que le portefeuille du barista. Bella aurait fait une crise de panique si elle l’avait vu, en ce moment. Ils ne faisaient pas assez d’argent pour avoir ce train-train de vie là, ils s’étaient disputés à propos de l’instabilité de leur vie financière actuelle, mais ce soir Elmo n’en avait rien à foutre. En fait, dès qu’il buvait ou fumait un peu trop, Elmo, ses responsabilités, il les foutait aux culs de tout le monde.

Next stop, ils débarquèrent à une table de blackjack. Il ne restait que deux places, alors le troisième comparse s’en alla jouer à la roulette pendant ce temps-là. Elmo avait déposé son verre sur le tapis vert de la table et, à peine trente secondes après avoir reçu ses cartes, son coude vint accrocher le verre ce qui le renversa sur toute la table. « Ooooh woups ! J’ai fait un p’tit accident, m’sieur. » S’exclama-t-il en regardant le croupier, de son air hilare. Ça l’amusait bien, lui, d’avoir interrompu ce début de partie, mais ça ne faisait pas l’affaire de tous. Il se leva. « J’vais aller voir ailleurs si j’y suis l’bienvenu. » Il laissa son ami là puisqu’il avait l’air de vouloir rester, et se dirigea vers les machines à sous. Il s’assit en face de l’écran et commença à activer la manivelle, encore et encore, en blasphémant à n’en plus finir plus les sous disparaissaient dans la machine sans en sortir de surplus.

Les jetons se perdaient dans la fine craque de la machine qui avalait tout ce qu’il restait des économies d’Elmo. Il ne voyait pas où elles atterrissaient, ces pièces, ça rendait la perte un peu moins concrète. Il ne voyait pas la pile de jetons augmenter à l’intérieur de cette petite boîte qui contenait davantage que le compte en banque de l’italien. Alors il continuait à tout foutre en l’air. C’était tout ce qu’il savait faire, de toute façon. L’esprit embrumé par l’alcool ingéré avant d’arriver ici, Elmo se parlait tout seul, ou plutôt il parlait à la machine à sous, dérangeant tout le monde autour de lui avec ses blasphèmes. Il était pathétique. Les regards se tournaient vers lui et les machines occupées à ses côtés étaient rapidement délaissées. Les gens n’avaient pas envie de se faire casser les oreilles par un mec de vingt-et-quelques années intoxiqué et déplacé. Un employé du casino décida d’ailleurs que c’était le moment de remettre Elmo à sa place. Ce dernier leva les yeux vers le brun, pas mal plus grand et musclé que lui. Un regard dur. « Une certaine contenance ? » Demanda Elmo en haussant les sourcils, pivotant sur son tabouret non sans perdre l’équilibre. Il se retint après la manivelle de la machine, l’abaissant du même coup sans avoir calculé le moment précis pour aligner les trucs à l’écran. « Ah bah bravo, vous venez de me faire perdre cinq dollars ! C’est ça votre truc, d’importuner ceux qui commencent à trop gagner et qui risquent de faire perdre de l’argent au casino ? Pffffffff, fuck this, comme si vous étiez pas assez riches comme ça. » Il s’adressait à l’agent de sécurité comme s’il était le casino en lui-même. Surtout, il parlait comme s’il était en train de ruiner l’établissement alors qu’au contraire, c’était Elmo qui se ruinait et par lui-même en plus. Ce cinq dollars de perdu, c’était presque rien comparativement à tout ce qu’il avait perdu depuis le début de la soirée. « Vous allez me payer un autre tour j’espère ? » Demanda-t-il en désignant la machine.

Il était le seul à blâmer, Elmo, pour tout ce qui était en train de lui arriver. Il avait trop bu. Il avait trop joué d’argent. Il avait l’impression que le monde s’écroulait autour de lui mais c’était entièrement sa faute. Ses mauvais choix de vie l’avaient mené jusqu’ici, jusqu’à ce triste moment où il perdait même la face devant un agent de sécurité du casino. Il avait rarement eu l’air aussi imbécile, Elmo, et pourtant il y avait bien du matériel dans lequel choisir. Il avait souvent eu l’air ridicule, parfois c’était voulu, d’autres fois non. Mais là, ce n’était pas juste d’avoir l’air con, c’était de l’être, du début jusqu’à la fin. Il n’avait plus de contenance, cet homme face à lui avait raison. Pourtant, Elmo continuait à s’enfoncer, en jetant même le blâme sur l’agent de sécurité qui n’avait rien demandé de ça. Quand l’homme lui affirma sans explication qu’il n’allait pas lui payer un autre tour, l’italien haussa les sourcils, ouvrit grand les yeux et recula légèrement la tête. « Oook. Et on fait quoi du client a toujours raison ? » Dans un restaurant de bord d’autoroute, peut-être, mais ça ne passerait probablement pas dans un casino. Surtout qu’Elmo était loin d’être un client V.I.P. ou important. L’établissement se passerait assez facilement de lui. Sans doute que le staff n’attendait que ça, ce soir, d’ailleurs. Qu’Elmo foute le camp. « Je suis très calme. C’est vous qui êtes venu me voir pour aucune raison et là vous me menacez de m’expulser. Sur quelles bases vous feriez ça de toute façon hein ? » Il croisa ses bras, au moins comme ça il avait de un l’air plus menaçant – lol -, et de deux il ne pouvait pas faire d’autre gaffe avec la machine à sous. Heureusement il n’avait pas encore remis d’argent dedans.

Clairement, Elmo ne méritait pas qu’on mette en application cette phrase. Il n’avait que bien rarement raison, en fait, surtout quand il avait quelques verres au compteur sanguin. Le jeune homme se montrait déraisonnable ce soir, et sans doute que demain matin, il ne serait même pas en mesure de justifier un tel comportement. Ça, c’était s’il se souvenait de sa soirée … ce qui n’était pas gagné d’avance. L’agent de sécurité ne répliqua rien à propos de cette histoire de client, ce qui démontrait que l’homme n’en avait rien à faire qu’Elmo soit le visiteur ici, et lui l’employé. L’italien demanda alors à savoir sur quelles bases il aurait pu être expulsé. Hormis faire un peu de bruit, il ne pensait pas avoir fait quoi que ce soit de mal. Et puis, faire du bruit, est-ce que c’était interdit ? Ce casino était de base tellement bruyant, on n’entendait probablement même pas Elmo à travers ce brouhaha (ça, c’est ce qu’il croyait). L’agent de sécurité lui expliqua les motifs de cet avertissement : un verre renversé et des réactions démesurées. « Bon, le verre, c’était un accident, hein. Vous avez jamais échappé un verre de votre vie ? J’vous lève mon chapeau ! » Il porta sa main à sa tête avant de rire. « J’en ai pas, d’chapeau ! » Il secoua ensuite la tête. « Vous allez me dire que je viens d’avoir une réaction démesurée, là ? Vous avez juste pas d’humour ! » Se défendit-il. Il était arrogant et irrespectueux, Elmo. Il cherchait les embrouilles. Impassible, l’agent lui répondit que si tout se passait bien lorsqu’il tournerait le dos au jeune homme, ce serait leur dernière conversation de la soirée. Un petit sourire moqueur aux lèvres, Elmo le regarda. « À plus tard alors ! » Ça lui donnait un certain sentiment de contrôle, ça. Contrôle qu’il n’avait plus du tout sur aucune sphère de sa vie. Même sa relation amoureuse volait en éclats.

Elmo regarda l’agent de sécurité s’éloigner, puis, quand soixante secondes complètes au moins furent écoulées et qu’il n’y eut plus d’échange de regards entre eux, l’italien se tourna de nouveau face à sa machine à sous et continua à jouer. Une, deux, trois parties. Il soupira. Il était lassé, maintenant. Blasé. Il avait juste voulu avoir un peu de plaisir, juste voulu oublier le temps d’une soirée que sa vie en générale n’avait plus beaucoup de sens. Et le voilà qui s’attirait des ennuis, le voilà qui avait une boule de culpabilité au creux du ventre. Il avait envie de le faire taire, ce sentiment. Il tenta de se convaincre à nouveau qu’il n’avait rien fait de mal, qu’il n’était pas pire qu’un autre. Il regarda les gens autour de lui. Il y avait beaucoup de groupe d’amis. Quelques couples, aussi. Puis des gens comme lui, seuls, qui avaient l’air tellement tristes et pathétiques. Oh God. Il se sentit tout d’un coup tellement pathétique, pris d’assaut par une vague de sentiments négatifs. Il se leva, abandonna sa machine à sous et se rendit de nouveau au bar. Il commanda un verre de rhum et s’assit au comptoir du bar, sur un haut tabouret, pour le boire en silence. Au moins, il ne faisait plus de grabuges, c’était bien pour l’autre imbécile – qui ne faisait que son travail. Sauf que le barman lui apporta sa facture et Elmo bredouilla : « Euh ... J’ai pas d’argent pour payer … » Lâcha-t-il en ouvrant son portefeuille pour constater qu’il ne lui restait aucun billet. Et pas question qu’il prenne sa carte, il ne lui restait qu’un peu dans son compte-épargne et il s’était promis de ne pas y toucher. « Voyez j’ai plus rien là-dedans ! » Dit-il au barman en lui ouvrant la pochette du portefeuille contenant généralement les billets, mais là il n’y avait rien d’autre que de vieilles factures chiffonnées. Il ne se gêna cependant pas pour terminer son verre d'un trait, avant qu'on ne le lui reprenne. Il sentait que sa visite au casino allait rapidement être écourtée.

Le barman s’éclipsa un moment et Elmo le suivit du regard alors qu’il parlait à voix basse avec quelqu’un. Ce quelqu’un parla ensuite dans son petit truc, là, son walkie-talkie comme quand l’italien avait cinq ans. Le jeune homme soupira et c’est là qu’il avala son verre d’un trait, alors que le barman revenait vers lui. « Ok, ça c’est le signal pour que je foute le camp. » Murmura-t-il pour lui-même – d’une voix un peu moins basse que prévu. Il se leva de son tabouret, manqua de se ramasser le nez premier par terre parce qu’il s’était pris le pied dans l’un des barreaux de la chaise-haute, mais il arriva à se retenir et à se tenir debout. En pivotant afin de faire face à la sortie, il tomba nez-à-nez avec l’agent de sécurité avec qui il avait si gentiment conversé quinze minutes plus tôt. Elmo releva les yeux vers lui et l’écouta lui dire que sa soirée devait prendre fin ici. « Euh, vous allez pas me dire quoi faire. Je m’en allais, hein, de toute façon, alors faites pas genre c’est grâce à vous que je pars enfin. J’allais déjà quitter. Regardez, je faisais face à la sortie, je quittais de mon propre choix. » Dit-il en pointant les grandes portes du casino, au loin. Il se mit à marcher et sortit son téléphone portable pour voir à combien de minutes de marche il se trouvait de chez lui. Il n’allait pas prendre le bus, à cette heure-ci la fréquence de passage était réduite et il ne savait même pas si le dernier trajet était déjà passé ou non. Et il n'avait effectivement pas assez d'argent pour un taxi. Fuck, son téléphone n’avait plus de pile. Il soupira et se tourna vers l’agent de sécurité. « Si j’vous donne une adresse vous pouvez me dire c’est combien de temps pour m’y rendre à pieds ? » Et à ce trajet, on pourrait rajouter quinze-vingt minutes supplémentaires, vu son état et le look de sa démarche. Il avait du mal à mettre un pied devant l’autre, l’ivrogne.  

Il croyait probablement s’être débarrassé d’Elmo, il criait sans doute victoire dans sa tête, il avait sans doute envie de faire une danse de fête mais se retenait pour le côté professionnel et sérieux de la job … jusqu’à ce que le jeune homme fasse demi-tour pour aller le retrouver, retrouvant assez facilement son agent de sécurité préféré – ou pas. Cependant, si Elmo avait décidé d’aller reparler à cet air bête, ce n’était certainement pas par envie mais surtout parce qu’il n’avait plus de téléphone et qu’il lui fallait au moins évaluer combien de temps ça lui prendrait rentrer chez lui. Peut-être même que Google Maps pourrait lui indiquer le chemin le plus rapide à prendre à pieds, qui sait. Elmo ne connaissait pas encore tous les raccourcis de Bowen, même s’il y vivait depuis cinq ans maintenant. L’italien fronça les sourcils en voyant l’agent de sécurité rester debout, stoïque, ne sortant pas son téléphone portable. Il ouvrit la bouche, s’apprêtant à dire faut que je vous le demande dans une autre langue ou une autre remarque irrespectueuse du genre, mais le grand brun le devança en affirmant qu’il allait lui appeler un taxi. « Woh, woh, woh, j’dois vous rappeler que j’ai pas d’argent ? » Pour illustrer ses propos, il tapota les poches de son pantalon. Il n’allait quand même pas en sortir le tissu pour montrer qu’il n’y avait effectivement rien dedans, parce qu’il risquait de dévoiler toutes les factures roulées en petite boule et les mouchoirs souillés restés dans ses poches. « Pas d’verre, pas d’taxi non plus. » Il avait pourtant suivi l’agent de sécurité jusqu’à l’extérieur, comme s’il en ressentait l’obligation. Il s’arrêta net sur le bord du trottoir. « J’ai compris. Vous en avez pas, de téléphone. Vous êtes un robot en fait, c’est ça ? Mais justement les robots, ils sont pas supposés tout savoir ? Vous devriez pouvoir me dire le temps de marche jusqu’à chez moi sans avoir à chercher du coup … » Encore fallait-il lui donner son adresse, ce qu’il n’avait pas eu le temps de faire.

Le truc avec Elmo c’est qu’il avait toujours été un enfant pourri gâté. Ses parents lui avaient tout donné, tout offert et tout payé, dans sa jeunesse. Malgré ça il avait voulu voler de ses propres ailes, trouver son indépendance, dès l’âge de dix-huit ans. Ça, c’est parce qu’il ignorait le carnage qui l’attendait à la majorité. Papa et maman l’avaient tellement couvé que l’italien ne connaissait pas la valeur de l’argent. Pour lui, budgéter, c’était un peu comme une magie qui faisait en sorte qu’à la fin du mois tout balançait sans effort. Foutaises. S’il avait réussi à plus ou moins garder le cap quand il étudiait encore en soins infirmiers – ses nombreux cours et séances de révision lui enlevant du temps pour dépenser -, maintenant que l’homme avait lâché l’université sans plan de vie, il vivait au-dessus de ses moyens et perdait le nord. Il avait toujours eu ce côté irresponsable, Elmo, mais il avait atteint le sommet, ou plutôt, le fond. À la suite de sa blague à propos du comportement robotique de l’agent de sécurité, ce dernier ne sembla pas du tout amusé et lui répondit sèchement. « What … mais … » Il s’éloignait déjà, le grand gaillard. Elmo haussa les épaules. « Thanks for nothing, hein ! » Lui cria-t-il, avant de lâcher au chauffeur de taxi qu’il n’avait finalement pas besoin d’un transport. Heureusement que ce chauffeur était garé juste à côté – comme toute cette lignée de taxis qui attendait des mecs comme lui. L’italien débuta sa marche jusqu’à chez lui, légèrement désorienté, légèrement honteux, aussi. Ce soir, il avait pris conscience de la vacuité de son existence et ça lui foutait les jetons.

FIN