After all this time, we're become different personn (Mateo)

Ces derniers jours avaient été stressants pour Jean. Il était revenu dans sa vie, sept ans après il avait donné un signe de vie Matéo. Elle avait mit cet homme dans une petite boîte, fermée avec double tour. Elle ne l’ouvrait que très rarement, ça arrivait des fois quand Elea faisait une moue qui ressemblait à son père biologique. Ça arrivait quand elle lui posait des questions sur lui, ignorant qu’il n’était pas juste le donneur de sperme dont sa mère aimait rappeler. Il avait été bien plus que ça, mais finalement, il les avait laissé, les deux femmes. Jamais il ne s’était inquiété, continuant sa carrière de sportif. Il avait arrêté quelques années après mais Jean n’avait pas espéré qu’il vienne, ce n’était pas un rêve, c’était un fait. Mateo avait fait son choix, alors pourquoi revenait-il après toutes ces années. Elle avait proposé un café mais vu l’heure et le stresse, Jean allait sûrement prendre un verre de vin. Evidemment qu’elle savait à quoi il ressemblait, il n’avait pas dû changer tant que ça. Peut-être quelques rides et un peu plus de maturité, mais il serait le même. Tout le corps de Jean était angoissé et elle n’avait pas prévenu personne. Demain elle parlerait à Romy parce qu’elle avait besoin d’une amie, d’une personne de confiance qui comprenait ce que la jeune maman traversait. Elle n’avait pas prit le temps de se changer, pas le temps de se faire belle. De toute façon ce n’était pas un rendez-vous galant, ce n’était que des retrouvailles. Jean offrait un trou minuscule à Mateo dans lequel il pouvait entrer, mais ça ne serait pas facile. Elle sortait du travail, habituellement elle allait récupérer Elea chez ses parents. Elles passeraient la soirée ensemble, les deux femmes feraient à manger et Elea lui raconterait sa journée. Elles finiraient la soirée devant un petit film ou un petit dessin animé, avant que la petite aille se coucher. C’était à ce moment-là que Jean avait du temps pour elle, soit pour prendre un bain, soit pour lire un livre. Mais ce soir, les plans changeaient et il était là. Elle avait raison, il n’avait pas changé. Sept ans qu’ils ne s’étaient pas vu, un exploit puisque que Bowen était une petite ville. « Salut ! » Disait-elle timidement, perdant un peu ses moyens. « Je ne pensais pas te revoir un jour. » Elle était honnête Jean mais aussi perturbée par cette rencontre.

C'était culotté. Culotté de rappliquer sept ans plus tard, après n'avoir donné aucunes nouvelles, après les avoir lâché brutalement, lâchement. Mais son temps était compté, à Mateo. Son cœur qui s'éteignait avait été l'électrochoc. Sa maladie l'affaiblissait physiquement, mais étrangement, elle le renforçait psychologiquement. Cette nouvelle lui avait donné le courage de faire ce qu'il n'avait pas osé faire les années précédentes : reprendre contact avec Jean. Il en avait eu envie, à plusieurs reprises, mais il s'était dégonflé à chaque fois. Aujourd'hui, il n'avait plus rien à perdre. Il était prêt à s'expliquer, à prendre ses responsabilités en main, à prendre les foudres de Jean, à parler à cœur ouvert. Il était prêt à tout cela parce qu'il se rendait compte de la chance qu'il avait : elle avait accepté de le revoir, là où elle aurait pu l'envoyer valser. Elle lui donnait une chance, une infime chance de se rattraper, même s'il savait que la route serait longue, très longue. Mais elle le méritait. Elle n'avait pas été une conquête lambda. Elle avait été importante pour lui, très importante. Mais il avait pris peur face à l'ampleur de ses sentiments et avait préféré fuir. Qu'il était con ! En route vers le Wojna's – à l'heure, lui qui était tout le temps en retard – il sentait l'anxiété s'emparer de lui. Au fil de son existence, Mateo avait appris à canaliser ses peurs, ses angoisses, ses doutes, à ne rien laisser transparaître sur son visage. Mais aujourd'hui, il n'y parvenait pas. Cela le touchait profondément. Et quand il passa la porte du bar, son rythme cardiaque s'emballa de plus belle alors que ses yeux si noirs balayaient la salle, à la recherche de ce visage connu. Il savait qu'il la reconnaîtrait. Et ce fut le cas. Sept ans plus tard, il retrouva ces deux yeux bleus qui l'avaient tant de fois fait chavirer. C'était étrange de la revoir après tant d'années, lui qui avait fui Bowen comme il le pouvait, ne revenant que pour les repas de famille, en coup de vent. « Salut. » répondit-il, sur le même ton timide, ne pouvant néanmoins dissimuler son petit sourire sur le bout des lèvres. Ce n'était pas le sourire de vainqueur, non, c'était plutôt un sourire de soulagement. Cela lui faisait du bien de la voir, c'était indéniable. Il prit place à ses côtés, hochant la tête face à ses mots : « ça a dû être un choc pour toi... » Il avait tout fait pour lui faire croire qu'elle ne le reverrait jamais. « Je suis désolé d'être revenu aussi brutalement. Mais il fallait que je le fasse. » Il marqua un temps d'arrêt. « Je suis revenu vivre à Bowen depuis peu. Je ne voulais pas que l'on tombe l'un sur l'autre, par hasard, dans la rue. » Cela aurait été plus choquant pour elle. « C'est la raison pour laquelle je suis allé voir ta mère, même si elle a dû me prendre pour un psychopathe sur les premières minutes. » Il esquissa un sourire, ajoutant doucement : « Je voulais faire les choses bien pour une fois... » Même s'il avait tant à rattraper. « Je tenais d'abord à te remercier d'accepter de me voir. » C'était important de le préciser.

Il n’y avait pas beaucoup de secret dans la vie de Jean avant Mateo. Ses amis, ses parents et son frère connaissaient à peu près tout d’elle avec quand même un petit jardin secret comme ses sentiments les plus profonds. Mateo avait fait partie de ce petit jardin secret parce qu’il lui faisait du bien à une époque. Elle ne voulait pas le partager et raconter leur histoire, de peur de briser ces instants parfaits. Puis il était partit la laissant seule face à la tâche la plus difficile mais également la plus belle qui l’attendait. La maternité. Elle l’avait détester pendant longtemps pour l’avoir si naturellement lâché. Et pour quoi au final ? Une vie de débauche et de célibat ? Peut-être qu’il se plaisait ainsi. Personne à part Romy ne savait qu’il était le père d’Eléa et ça lui convenait à Jean. Loin de Bowen, à arpenter les courts et le monde, elle ne se sentait pas enfermer. Mais il était revenu à Bowen et dans sa vie. Le secret ne pourrait tenir encore des années tant elle voyait Mateo en Eléa. Evidemment, la petite fille avait hérité de ses yeux à elle et de sa couleur de cheveux. Mais le reste ne trahissait pas et elle avait peur que la ressemblance soit trop frappante une fois que le père et la fille seront réunis. Sauf qu’elle ne pouvait, pas maintenant. Mateo avait perdu la confiance qu’elle lui avait donné et pour la retrouver il lui faudrait autant d’année qu’elle a vécu sans lui. Jean à la différence de son ex s’était concentrée dans sa vie professionnelle et familiale abandonnant l’idée de construire une relation. Elle n’avait juste pas le temps. Parfois, elle rencontrait un homme, il se voyait quelques semaines avant qu’il s’en aille. Une mère célibataire ce n’était pas forcément attrayant, surtout quand il n’y avait pas de père. Ça voulait dire que quoi qu’il arrive il y aurait toujours sa fille, tous les ans, tous les mois, toutes les semaines, tous les week-ends et tous les jours. Elle le reconnut sans aucune difficulté. Il souriait mais elle non, essayant de garder son calme. La nervosité était bien présente, elle ne l’avait pas revu depuis sept ans. Il était toujours aussi beau et charismatique. Il ne la laissa pas parler, se lançant dans un monologue comme pour inciter Jean à l’écouter jusqu’au bout. Peut-être qu’il avait peur qu’elle s’en aille, peut-être qu’elle le ferait. Elle ne parlait pas pendant un instant parce qu’elle ne savait tout simplement pas commencer Jean. Puis elle soupirait. « Personne n’est au courant que tu es le père d’Eléa. » Elle lui devait la vérité, ils étaient là pour parler après tout. « Je suis désolée … » Désolée qu’elle n’ai jamais dis qu’il était le père. « Je t’en ai voulu tu sais … Je pensais vraiment qu’il y avait un truc. » Elle pensait qu’il n’y avait pas que leur passion pour le sport qui les réunissait. Mais elle s’était trompée Jean, maintenant c’était du passé.

Quand Jean avait accepté de le revoir, que la date et le lieu étaient calés, Mateo avait senti une bouffée de stress s'emparer de lui. Le jour-même, et alors qu'il était chez ses parents, ces derniers avaient senti que leur aîné n'était pas complètement là. Il avait mal dormi, disait-il comme excuse. Mais en réalité, il tournait, retournait tout ce qu'il voulait dire à Jean. Il en avait des choses à dire mais il avait peur de se dégonfler au dernier moment. Il avait peur qu'elle ne le laisse pas parler, qu'elle ne veuille même pas l'écouter. Ce serait légitime, après tout. Il débarquait, sept ans après lui avoir fait la pire crasse possible, et lui annonçait qu'il voulait se rattraper. Mais était-ce encore rattrapable ? Il n'en savait rien. Mais il se devait de le faire. C'était là, dans ses tripes. Quand il arriva au Wojna's, il n'en menait pas large. Très vite, ses yeux se posèrent sur elle, comme s'ils étaient destinés à la retrouver, peu importe l'endroit, peu importe les années passées. Jean, c'était une des rencontres les plus importantes de sa vie et le temps qui passe ne changerait en rien cela. Mais elle était aussi l'une des rencontres qui l'intimidaient le plus. Déjà, en interview, elle le maîtrisait avec ses mots tranchants, ses commentaires qui allaient droit au but. Puis, dans la vie personnelle, elle l'intimidait quand elle parlait avec passion de n'importe quel sujet, quand elle refaisait le monde à sa manière, quand ses yeux bleus se posaient sur lui et le couvaient avec douceur. Oui, cette femme-là, elle était ancrée en lui. Et aujourd'hui ne dérogeait pas à la règle. Il était bien loin le Mateo plein d'assurance, qui affrontait les courts et les caméras sans aucune peur. Là, il était juste l'homme, l'homme timide qui traînait ses regrets. L'homme intimidé face à cette femme qui savait tant de lui. Et sans doute son anxiété se laissa entrevoir quand il s'élança avec urgence dans un monologue. Il craignait qu'elle s'en aille, oui, qu'elle se rende compte que c'était une mauvaise idée de le revoir. Il craignait qu'elle ne croit pas en lui, en ses intentions qui pourtant ne lui voulaient que du bien. En revenant ici, il avait voulu faire les choses bien. Il ne voulait pas qu'elle le rencontre par hasard. Aller voir sa mère était culotté, évidemment, mais en faisant cela, il lui avait donné l'opportunité de se préparer à une éventuelle rencontre avec lui. Il était sans doute passé pour l'amoureux transi, rejeté auprès de Madame Appleton, mais il s'en contrefichait. Cela avait fonctionné. Jean était là, devant lui, aujourd'hui. Brisant le silence qui s'était instauré après son discours, Jean lui souffla que personne savait qu'il était le père. Il s'en doutait, oui. Mais là, à cet instant, on vit une autre émotion s'afficher sur son visage. Une émotion étrangement joyeuse. « Eléa ? » répéta-t-il, apprenant ainsi le prénom de sa fille. « C'est si beau. » Il secoua la tête, tentant de reprendre contenance avant de répondre : « Tu n'as pas à être désolée. C'est parfaitement compréhensible. » C'était évident qu'elle dissimulerait son identité. Il n'était qu'un fuyard qui les avait lâché. Mais sa dernière phrase lui causa un pincement au cœur. « Il y avait un truc. » commença-t-il à dire, voulant rétablir la vérité. « C'était même plus qu'un truc... » Pour se tourner autour pendant cinq ans, il y avait forcément des sentiments en jeu. « Je te dois des excuses. Je sais que ça ne changera rien, mais je te dois la vérité. J'ai pris peur, Jean. Sur le coup, c'est comme si mes neurones avaient cessé de fonctionner, comme s'il n'y avait plus aucune raison en moi. Fuir comme un lâche semblait être la meilleure solution sur le coup. » Ne lui demandez même pas pourquoi, lui-même était incapable de justifier son acte. « Mais je l'ai regretté, tu sais... Énormément, même.. »

Elle avait pensé qu’elle avait enterré cette histoire. Mateo n’était plus qu’un lointain souvenir dans sa vie, un doux rêve brisé par une réalité trop brutale. Il n’était plus et pourtant aujourd’hui il était devant elle. Il n’avait pas changé, peut-être un peu mûri affichant quelques rides sur le coin de ses yeux et quelques bribes de blanc rappelant que le temps s’écoulait. Mais il restait beau, il restait Mateo. Elle aurait pu flancher Jean, après tant d’année. Seulement voilà, elle savait à quel point son absence avait pesé et maintenant que le vide était presque refermé, elle ne pouvait se permettre de les rouvrir. Puis il y avait Eléa, sa princesse. Petite brune émerveillée qui ressemblait à son papa. Aussi sportive que ces deux parents, elle avait toute les chances pour détrôner son papa de la compétition officielle. Mais Jean ne lui avait jamais proposé le tennis, de peur que la ressemblance avec son père soit flagrante. Personne ne savait à part Romy qui était le papa d’Eléa. Jean aimait dire qu’elle avait choisi un beau brun sur un catalogue de donneur de sperme. Ça rendait l’homme mystérieux et hors d’atteinte. Pourquoi s’excusait-elle Jean ? Après tout, c’était lui qui était partie, lui qui avait abandonné sa fille au profit d’une raquette de tennis et d’une balle jaune. Il ne connaissait pas le prénom, c’était la première fois qui l’entendait. « Merci ! » Répondait la jeune femme presque rougissante mais gardant son sang froid face à l’homme. Elle commandait un gin tonic, voulant un alcool fort pour apaiser cette tension entre les deux. Il lui fallait quelque chose qui aseptise la douleur de cette rencontre après tant d’année. Elle avait presque envie de pleurer, repensant à ces cinq années de simplicité. Qu’est-ce qu’il s’était passé dans la vie de Mateo pour qu’il abandonne cette douce relation. « Alors pourquoi ? » Elle voulait savoir pourquoi sa personne et celle d’Eléa n’avait pas suffit au tennis. Elle voulait le croire, mais c’était dur. Les regrets c’étaient faciles. « Tu aurais pu revenir à n’importe quel moment ! » Lui avouait-elle. « J’avais besoin d’aide quand j’ai dû l’élever seule ! » Mais maintenant c’était trop tard, elles avaient leur vie à deux. Mateo n’avait plus rien à faire dedans, mais c’était peut-être égoïste, après tout elle avait le droit de le connaître son père. « Pourquoi tu reviens maintenant ? » C’était une vraie question, pourquoi après tout ce temps il avait décidé de revenir. Jean avait dû mal à croire que la maturité l’avait gagné puisqu’il y avait eu l’occasion plusieurs fois.

Il avait imaginé des retrouvailles à plusieurs reprises, Mateo. Il s'était imaginé les regards noirs, la froideur, le malaise ou la gêne. Bien loin de la réalité. Même si la gêne était là, oui, il y avait aussi cette douce chaleur qui s'emparait de lui. Revoir Jean après tant d'années, voir son regard si bleu qui l'avait tant de fois fait chavirer, déstabilisait notre tennisman. Même après sept ans, elle avait encore ce pouvoir sur lui, preuve étant qu'elle était toujours là, dans un coin de sa tête, dans un coin de son cœur. Mais il n'avait pas le droit de penser à cela. Il n'en avait plus le droit. Aujourd'hui, il venait pour en savoir plus cet enfant qui partageait ses gènes. Une enfant au joli nom d'Eléa. Entendre le prénom de sa fille – parce qu'elle était sa fille, quoiqu'on puisse dire – causa un pincement au cœur de Mateo. Il se rendait compte de tout ce qu'il avait raté. Pour quoi ? Pour de la peur, pour un putain de manque de maturité et un égoïsme latent. Alors que les explications s'apprêtaient à tomber, le serveur les interrompit pour prendre la commande. Quelques secondes de répit supplémentaire qui n'aidaient absolument pas. Bière commandée, Mateo regarda le serveur s'éloigner avant de reporter son attention sur Jean. Jean qui remettait en doute ce truc entre eux. Un truc qui était bien plus qu'un truc. Il y avait eu de l'amour entre eux, même si l'un et l'autre n'avaient jamais mis le mot dessus. Ce qu'il avait tant aimé chez Jean, à l'époque, c'était son indépendance et sa liberté. Il avait eu peur, en parlant d'exclusivité, en parlant de relation sérieuse, de lui couper les ailes. De se couper les ailes, aussi. Alors quand ce bébé était arrivé, il avait perdu toute raison et avait fui, sans réelle explication. Même lui ne savait même pas pourquoi il était parti. Il ne se sentait pas capable d'être un père ? D'être un pilier pour elle ? Il était bon comme tennisman, mais en homme, il avait encore de sérieux efforts à faire. Il avait toujours vécu pour son sport, pour sa passion, oubliant sa vie personnelle. « Je ne sais pas ! Je commençais à grimper dans le classement, on me mettait la pression, pour mes scores, pour mes contrats, pour tout, Jean. L'annonce de ta grossesse... ça m'a fait vriller. » Il se souvenait de ce coup de chaud, de cette sensation d'être noyé par ces charges sur ses épaules. La grossesse de Jean lui avait paru, sur le coup, comme la goutte de trop et l'avait poussé à partir. Quelques jours plus tard, il s'en était mordu les doigts, se rendant compte qu'il avait mis de côté la personne qui lui faisait le plus de bien dans ce monde. Il aurait voulu revenir, mais il s'était dégonflé. Alors, l'entendre dire qu'il aurait pu revenir, qu'il aurait pu être là pour elle, pour l'aider alors qu'elle était seule, l'anéantit. « J'ai voulu revenir, mais à chaque fois, il y avait quelque chose qui me remettait le doute. Et à force de me poser des questions chaque jour, ces jours sont devenus des semaines, puis des mois, et des années. » Il voulait qu'elle sache qu'il avait voulu revenir. « Je suis désolé de t'avoir laissé seul. Je m'en veux terriblement. » dit-il avec sincérité, voulant être le plus honnête avec elle. Il était là pour mettre les choses à plat, aussi douloureux cela puisse-t-il était. Mais il y avait un point, un point sur lequel il allait devoir mentir. Et Jean mit le doigt dessus. Pourquoi revenait-il maintenant ? Parce que je suis malade, parce que je peux claquer à tout moment n'était décidément pas la meilleure réponse. Il n'avait aucune envie d'instaurer de la pitié. « Parce que je suis arrivé à un stade de ma vie où il faut que j'arrête de prendre peur à la moindre occasion. Parce que je veux rattraper mes erreurs. » Il s'arrêta un instant, ému et lâcha l'argument qui le rongeait jusqu'aux tripes : « … parce que je veux la connaître. Ça ne rattrapera jamais les sept premières années, je le sais, mais je veux être là pour elle, maintenant, pour les années à venir. Je sais qu'elle ne sait rien de moi, mais j'ai envie qu'elle sache qu'elle a un père pas loin d'elle, prêt à tout pour elle. » Le dire à voix haute le délesta d'un poids qui l'étouffait jusqu'à présent. Peut-être que Jean n'en sera pas sensible, mais Mateo avait parlé à cœur ouvert. « Tu lui as dit quoi à propos de son père ? » se permit-il de demander.

Elle n’avait connu que deux amours dans sa vie. Matéo en avait été un. Les cinq années à ses côtés avaient été un pur bonheur, une liberté à deux. Tout ce qu’ils avaient vécu avaient été intenses, les baisers sauvages et volés entre deux interviews et la maîtrise de Jean pour montrer son impartialité avaient rendu cette relation si particulière. Jamais ils ne s’étaient dit qu’ils s’aimaient mais elle y avait cru. Jusqu’à ce que son deuxième amour arrive et que Matéo décide d’abandonner cette histoire. Eléa était son nouvel amour, celui qu’elle n’avait gardé que pour elle. Oui, elle l’avait détesté Matéo parce qu’il l’avait laissé elle et Eléa. Du jour au lendemain, Jean n’était plus rien à ses yeux et que le tennis était le premier amour de Matéo. Elle aurait pu ne pas lui en vouloir, comprenant cette passion, mais quand même, pour une fois elle aurait aimé être choisie. Elle aurait aimé qu’elle soit plus importante que les compétitions et que l’argent. Eléa ne comptait pas non plus puisqu’elle l’avait élevé seule tout en continuant de travailler avec ardeur. Jean avait besoin de savoir. Pourquoi il revenait aujourd’hui alors qu’il y a huit ans, il ne voulait pas de cette vie. La vérité lui fit mal à Jean. Ses yeux se baissèrent de tristesse. Tout ce dont elle avait cru, que le tennis était le premier amour de Matéo s’avérait vrai. L’entendre était bien plus difficile que ce qu’elle pensait. « Tu sais, je ne t’avais rien demandé… » Ils en avaient même pas discuté, il lui avait laissé porté toutes la responsabilité des choix. « Je te l’ai annoncé et tu es parti sans aucune explication. » C’était peut-être ça qui blessait le plus Jean, c’était ce silence. Avec des cris, elle s’en serait remis bien plus vite. Pendant des mois, elle avait attendu qu’il revienne, qu’ils discutent comme elle l’avait souhaité. Mais jamais il n’était revenu avant ces dernières semaines. Peut-être qu’il avait voulu, mais la volonté ne faisait pas tout et Jean aurait préféré qu’il voit grandir Eléa. Elle aurait voulu qu’il entende ses premiers mots et qu’il voit ses premiers pas. « Peut-être, mais ça ne change rien. Tu n’es pas revenu. » C’était plutôt froid et sec comme parole, mais c’était la vérité. La culpabilité ne servait à rien, ils avaient fait leur choix et aujourd’hui, ils étaient de nouvelles personnes. Jean avait besoin de savoir pourquoi il revenait aujourd’hui, huit ans plus tard alors que mère et fille avaient enfin trouvé un équilibre à deux. Elle voulait savoir pourquoi il revenait dans leur vie. Peut-être qu’il n’en avait pas eu le courage avant mais pourquoi aujourd’hui il l’avait. C’était sincère et même si elle n’avait pas ces yeux pendant des années, elle pouvait encore les lire. Il souffrait de cette situation Matéo et ça fit mal à Jean. Il n’aurait fallu qu’un peu de courage pour qu’aujourd’hui la conversation soit totalement différente. Sa gorge était toute sèche, se sentant mal à l’aise de révéler à Matéo ce qu’elle disait de lui. « Je lui ai dis que t’étais un don de sperme. » Elle avait dû mal à avaler sa salive, faisant peser un lourd silence entre eux deux. « Je ne voulais pas qu’à l’adolescence elle cherche une personne qui ne voulait pas d’elle. » Il n’avait pas voulu d’elle au départ, jamais Jean aurait imaginé qu’il décide de revenir, et elle s’en voulait presque après ses paroles.

Il y avait tout un tas de questions qui attendaient des réponses. Des réponses qui devaient expliquer l'inexplicable. Il n'était pas le premier – ni le dernier – à partir à l'annonce d'une grossesse, mais cela ne ressemblait pas à Mateo. Ce n'était pas lui. Il n'avait pas choisi le tennis, loin de là. Oui, c'était sa passion, mais c'était aussi une source de stress, d'angoisses et d'enjeux qui le dépassaient. Quand elle lui avait annoncé sa grossesse, il avait vu cela comme une montagne. C'était une période où il ne se reconnaissait plus. Il était énervé et très dur envers lui. Il s'était mis une pression monstre, à vouloir plaire à tout le monde, à vouloir montrer qu'on pouvait avoir confiance en lui et en ses compétences. La grossesse de Jean était le point qui l'avait fait exploser. Cela aurait pu être n'importe quoi d'autres, une dispute, une remarque, une question mal placée. Mais c'était cette annonce qui l'avait fait déraper. Et il s'en mordait les doigts parce qu'il savait que c'était le genre de nouvelles qui aurait pu l'apaiser, lui donner une force nouvelle, avec l'envie de se dépasser, de rendre fière leur progéniture. Alors non, au fond de lui, il n'avait pas choisi le tennis. Pourtant, il vit la tristesse dans le regard de Jean et il comprit qu'elle ne croyait pas en ses mots. Qu'elle pensait réellement passer après le tennis. « Je suis parti comme un lâche, je le sais. Mais je n'avais pas d'explications. Sur le coup, je n'en avais absolument pas. » Avec le recul, il savait ce qu'il aurait dû faire. Il aurait sûrement dû mettre de côté le tennis et vivre pour lui, et pour sa famille. Chose qu'il ne faisait pas depuis tant d'années et qui l'avait miné tant de fois. Trop de fois. Mais comme le disait Jean, il aurait pu revenir, mais il ne l'avait pas fait. C'était froid, c'était sec, oui, mais c'était criant de vérité. « Je donnerai tout pour changer ça. » Ses yeux laissèrent voir sa tristesse, la teneur de ses regrets. Parce qu'il regrettait tout cela, amèrement. Mais il comprenait aussi sa méfiance, les doutes qui la poussaient sûrement à se demander ce qu'il faisait là, maintenant. S'il n'allait pas de nouveau disparaître sans un mot. Il savait que cela prendrait du temps pour lui prouver sa bonne foi et il attendrait autant de temps qu'il le faudrait. Même s'il avait fauté une fois, Jean connaissait Mateo. Elle savait qu'il n'avait pas mauvais fond. Elle pouvait lire à quel point il était sincère aujourd'hui. A quel point il souffrait de la situation. Elle ne disait rien mais il eut l'impression qu'elle n'était pas complètement fermée à ce qu'il disait. Il finit ensuite par poser une question qui lui brûlait les lèvres, la question de sa paternité, de ce qu'elle avait à la petite Eléa. Il la sentit soudainement mal-à-l'aise, comme si la raison qu'elle allait lui donner était honteuse. Quand elle lui avoua qu'elle l'avait fait passer pour un don de sperme, Mateo garda son regard sur elle, l'écoutant donner ses raisons. Des raisons complètement valables. « Oui je comprends. Rien ne laissait paraître que je reviendrai un jour. Tu as fait ça pour la préserver et je trouve que c'est la raison la plus valable qui puisse exister. » Il ne lui en voulait pas, Mateo. De toute façon, il n'était pas bien placé pour lui en vouloir. « Tout le monde t'a cru ? Même ton frère ? » Sauf si sa famille connaissait la vérité...

Pendant cinq ans, ils avaient profité de cette douce histoire, des baisers entre deux interviews, des rencontres secrètes dans les hôtels et surtout une belle histoire qu’ils racontaient. Ç’avait toujours été simple, ils n’avaient jamais déterminé ce qu’était leur relation. Mais il n’y avait pas eu de doute, ils s’aimaient. En tout cas Jean l’avait aimé. Elle n’était pas narcissique au point de penser qu’elle était la personne la plus important dans la vie de Mateo, mais elle aurait aimé qu’elle ne soit pas celle qui se fasse rejeter à cause d’un bébé. A combien de femme ce genre de choses arrivait ? Elle avait été heureuse de cette grossesse, même si elle était accidentelle. Eléa était un vrai rayon de soleil et elle ne regrettait pas son choix. Seulement, elle aurait voulu que sa fille connaisse l’homme avec qui elle l’avait eu. L’amour il y en avait eu, mais ils étaient peut-être trop jeunes et trop instables. En tout cas, Mateo avait mit fin à cette relation, perdant Jean et le bébé qui allait naître. Elle lui en avait voulu et cette rancune ne s’apaisait pas. Pourtant, elle avait gagné en maturité Jean, et les seconde chances existaient. « C’est du passé Mateo, on ne peut pas revenir en arrière. » Et même s’il rentrait de nouveau dans sa vie, il aurait loupé les premiers sourires, les premiers mots, et toute les premières fois d’Eléa. Et c’était ainsi, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’avait pas le droit d’entrer à présent dans la vie de sa fille. Il aurait pu revenir, mais elle le voyait, réussir sa carrière, gagner des matchs, faire la une des journaux. C’était un homme connu à Bowen, et même si elle ne voulait pas suivre, elle avait été obligé de suivre les histoires de son ex. « Ce qui est fait est fait. Puis tu as eu des moments heureux. » C’était un peu avec amertume qu’elle lui disait ça, elle aurait préféré ne pas savoir, mais ce n’était pas le cas. Tout ce qui l’importait aujourd’hui, c’était Eléa. Sa fille adorée devait être protégée des médias, de cette histoire qui ne la concernait pas. Elle lui offrit tout de même un léger sourire. Mateo, elle le connaissait. Dans ses yeux, elle pouvait lire vérité. Ce n’était pas un étranger et elle connaissait sa sincérité. Il regrettait mais c’était ainsi, le passé ne pouvait pas être modifié. Tout ce qui importait c’était le présent et ce qu’ils allaient en faire maintenant. Jean avait ce qu’elle semblait bien, c’était peut-être des choix égoïstes, mais après la séparation avec Mateo, elle n’avait trouvé que ces solutions. « Merci. » Disait-elle avec sincérité. « Elle pose des questions … » Eléa était intelligente et éveillée. Curieuse, elle voulait toujours tout savoir. « Personne ne sait … enfin à part une amie. Mais William ne sait pas. » Il pouvait comprendre à quel point Jean s’était sentie seule, n’en parlant même pas à son frère. Mais il n’était pas idiot, la grossesse avait été rapide après sa séparation avec Mateo.

C'était leur belle histoire qu'il regrettait le plus. Il y avait très vite eu cette complicité entre eux, ces provocations, cette répartie qui le faisait craquer. Et puis cette fougue, cette passion qu'ils laissaient entrevoir à la fin de leurs interviews quand tout le monde avait le dos tourné. Ces visites secrètes dans sa chambre d'hôtel et qui causaient des retards de livraison de ses articles. Et parallèlement, il y avait eu ces rencontres avec leurs familles respectives qui donnaient du cachet à leur relation, quelque chose de sérieux que ni l'un ni l'autre ne nommaient. Ils avaient été en couple Jean et Mateo. Ils n'avaient simplement pas mis le nom dessus, mais pour tous ceux qui les connaissaient, ils les savaient ensemble et heureux ensemble. Beaucoup de ses proches avaient vu en Jean l'amour avec un grand A pour Mateo. Et personne n'avait compris la raison de leur rupture, si floue. Il ne donnait pas de détails, Mateo, parce qu'il savait qu'il avait fait la plus grosse connerie de sa vie. Et sept ans plus tard, il ne s'en était jamais vraiment remis, se complaisant dans son célibat endurci. Jean, il l'avait dans la peau. Et il l'aurait toujours dans la peau. Et c'était sûrement l'une des raisons pour lesquelles il se flagellait, pour lesquelles il n'arrivait pas à tourner la page du passé et de ses regrets. Jean, elle, était bien plus carrée, lui répétant plusieurs que c'était du passé et qu'ils ne pouvaient revenir en arrière. Il ne savait pas comment prendre la chose, s'il y avait une volonté de se tourner vers l'avenir ou si elle lui fermait clairement la porte. S'il avait le droit à une seconde chance et si Eléa lui donnerait aussi cette seconde chance. Le chemin était encore long, sinueux, mais il attendrait et persévérerait. Quand Jean lui lâcha qu'il avait eu ses moments heureux, loin d'elles, il sentit l'amertume dans ses mots. Elle avait raison, il avait eu ses moments de bonheur, ses victoires, mais il restait toujours sur sa faim. Il s'était toujours senti incomplet. « Peut-être. Mais il me manquait quelque chose, quand même. » avoua-t-il, néanmoins. Avec le recul et le spectre de sa maladie sur lui, Mateo avait fait une rétrospective. Oui, il était connu. Oui, il était riche, il pouvait voyager, s'acheter ce qu'il voulait sans avoir peur des fins de mois. Oui, il pouvait  enchaîner les conquêtes grâce à son nom. Mais il n'était pas heureux, loin de là. Il n'était pas heureux comme à l'époque où Jean était dans sa vie. Le bonheur, ça ne s'achetait ni avec l'argent, ni avec la célébrité. Dommage que son égoïsme ait dissimulé cette vérité pendant tant d'années et causait tant de dommages collatéraux. Il avait dû pousser Jean à mentir, à mentir à sa fille pour la protéger, à mentir à son entourage. Elle avait sûrement utilisé la meilleure des excuses. Elle avait dû cogiter pendant des heures, des jours, des semaines à se demander ce qu'il fallait dire ou non. Alors il n'avait pas le droit de juger ce qu'elle avait fait. Elle avait fait le choix qu'elle voulait et c'était quelque chose qu'il respectait pleinement. Mais cela mettait aussi en évidence autre chose : en parlant de don de sperme, elle avait gardé son secret pour elle, devant rebondir et répondre aux questions de ses proches. Personne ne savait la vérité, à part une amie. Même William avait été éloigné de la vérité. « Tu as donc vécu tout ça toute seule ? » demanda-t-il avec douceur. Non, il ne la prenait pas pour une petite chose fragile. Il savait à quel point elle était forte et indépendante. Mais elle avait dû vivre ça, seule, sans avoir à qui confier ses peurs, ses doutes et ses ressentis. « Tu n'as jamais voulu dire la vérité à tes parents, à ton frère ? Quitte à garder le secret auprès d'Eléa. »

Le retour de Mateo l’avait chamboulé. Pendant des années, elle avait tout fait pour l’éviter. Ça lui avait fait mal à Jean cette séparation. Mateo, il n’avait pas été seulement cet homme qu’elle voyait entre deux interviews. Ils se voyaient, aimaient se cacher à l’abris de tous les regards. Dans cette petite bulle, Jean se sentait libre et elle-même, c’était l’aventure, Mateo avait été son aventure. Leur proche ils les savaient amoureux, c’était une évidence pour tout le monde qu’ils étaient fait pour être ensemble. Malheureusement, la vie les avait séparé et Jean gardait de la rancœur à cette relation. Tout avait été dur ces années là. Jean avait été épuisée par la grossesse et les premiers mois d’Eléa. Puis son beau portugais lui manquait, horriblement. Souvent, elle avait pleuré, fatiguée de devoir tout faire seule. Mais très vite cette colère disparaissait pour laisser place à de la colère quand elle voyait son ex dans les bras d’une femme bien plus belle qu’elle. Jean n’avait été que la journaliste, une aventure de cinq ans qui avait été brisé en un instant. Alors pourquoi il revenait aujourd’hui ? Pendant huit ans, elle n’avait pas bougé et il avait eu tout le temps pour revenir. Elle l’aurait accueilli parce qu’elle l’avait aimé et qu’Eléa méritait de grandir avec deux parents. Finalement, elle avait arrêté d’espérer parce qu’il ne revenait pas. Elle essayait Jean d’être ouverte et d’accepter le dialogue. « Ah ? Les bimbos et les célébrités ne sont pas assez ? » Merde Jean. C’était sortit tout seul, sa langue n’avait pas attendu que la raison l’arrête. C’était peut-être du passé, Jean restait quand même un peu blessé. Pourtant, elle n’était pas méchante Jean, loin de là. Ça ne lui ressemblait pas vraiment à la journaliste d’être comme ça. Ils s’étaient provoqués pendant des années, mais jamais ils n’avaient franchi certaines limites. Et aujourd’hui, il n’y avait pas de raison d’être provocante, ils avaient vieilli. « Pardon ... » Disait-elle un peu honteuse en baissant la tête. Son regard évitait celui de son ex, il y avait beaucoup de choses à dire entre eux, des sortes de vérités et surtout un état des lieux des dernières années. Eléa était surtout le sujet central. Elle avait gardé secret la paternité de sa fille, sans vraiment avoir de réelles raisons. Le don de sperme avait été la première idée qui lui était passée par la tête. Plus tôt dans la journée, elle avait lu un article dessus, et Jean avait trouvé que cela ferait une bonne excuse. Sa relation avec Mateo venait de se terminer et si le jeune homme ne voulait pas être père, il n’y avait aucune raison pour que les personnes soient au courant. Elle croisait le regard de Mateo. Il ne mentait pas, il était vraiment désolé pour elle, ses yeux étaient remplis de culpabilité. Alors Jean se disait qu’ils pouvaient parler. Elle prit une gorgée de sa boisson. « Non, je n’étais pas seule. J’ai été bien entourée pendant la grossesse. » Personne ne savait qui était le père, mais Jean n’avait pas été jugée, ses proches avaient été présent comme le ferait n’importe quelle famille. Jean soufflait. « Sur le moment je ne savais pas quoi faire. Je pense que je voulais t’éloigner de ma vie le plus possible et si on savait que tu étais le père, alors ton spectre aurait toujours été là. » Répondait-elle avec honnêteté. Elle avait peser le pour et le contre et finalement, garder ce secret allait peut-être moins dur que d’avouer la vérité. « Si je ne le disais pas, ce n’était pas réel, enfin c’est ce que je croyais. C'était bête.» Mais tout été bien réel et même après huit ans, Mateo restait toujours dans son cerveau. Il n’était jamais loin et encore plus maintenant qu’Eléa lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.

Il essayait de se rattraper, Mateo. Il essayait de prouver sa bonne foi en lâchant tout ce qu'il avait sur le cœur, avec une sincérité déconcertante. Il essayait de mettre des mots sur des raisons que, lui-même, n'arrivaient pas à expliquer. Il ne savait pas ce qui lui était passé par la tête à ce moment-là. Mais il regrettait. Il regrettait tant. Depuis qu'il avait quitté Jean, il avait eu ses moments de bonheur, oui, mais au fond, il n'avait jamais réussi à retrouver en une autre la joie qu'elle lui donnait, elle. Qu'Eléa et elle auraient pu lui donner. Il fronça néanmoins les sourcils quand elle parla de bimbos et célébrités qu'il aurait pu fréquenter. « Ne dis pas n'importe quoi, Jean ! » dit-il, pour le coup, plus direct. S'il y en avait bien un qui n'étalait pas sa vie privée, c'était lui. Et si elle l'avait vu avec des femmes, c'était probablement des joueuses, des protégées ou de simples amis. Elle se ravisa néanmoins, en lui lâchant un pardon auquel il répondit par un simple haussement d'épaules. Elle pouvait le traiter de connard, de lâche, de fuyard, mais pas de coureur de jupons. Il ne savait donc pas comment prendre cette provocation. Il n'avait pas envie de croire que de telles images avaient pu affecter la brune, ne voulant pas avoir espoir en le fait qu'il y avait toujours une petite flamme entre eux. Alors, ils revinrent au sujet principal, à savoir Eléa. Il était là pour elle, aujourd'hui. Il n'en voulait pas à Jean d'occulter sa paternité. Au contraire. En faisant cela, elle avait protégé la petite et s'était elle-même protégée de questions qui la ramèneraient sans doute vers lui. Elle avait été seule à garder ce secret, à voir de jour en jour son ventre s'arrondir par un bébé qui n'avait pas été accepté par le père, à faire le deuil de leur belle relation. « Je me doutais que ta famille était là. » dit-il d'abord, avec un léger sourire. Elle avait une belle famille, Jean. « C'est juste que tu as dû garder le secret pour toi-même. Et que ça n'a pas dû être toujours facile. » Mais en faisant cela, elle avait eu l'espoir de l'effacer. En le nommant comme le père d'Eléa, il aurait toujours été là à planer sur elle, alors qu'elle ne voulait qu'avancer. « Oui, je comprends. Tu avais besoin d'avancer. » Il acceptait pleinement qu'elle n'ait pas voulu de son spectre. « Je ne trouve pas ça bête. » répondit-il ensuite. « Parfois, on essaye de berner son cerveau pour pouvoir avancer. » Il se rendait surtout compte qu'en revenant là, avec fracas, il anéantissait les efforts de Jean. « Je te promets de ne pas ruiner tout ce que tu as fait ces dernières années... » dit-il avec douceur, avec cette bienveillance qui le caractérisait tant. Il n'était pas là en terrain conquis et il voulait vraiment qu'elle le comprenne. Tous ces mots enfin dits, les âmes un peu plus légères, ils pouvaient désormais avancer avec plus de sérénité. Et, il l'espérait, pouvoir réengager, à terme, une confiance mutuelle. Après tout, il ne lui voulait que du bien...