a horse with no name (amara)

Quatre heures trente le matin. Le last-call était passé depuis belle lurette et pourtant ce n’était pas signe de fin de soirée pour Elmo et ses anciens collègues d’université. Il ne fréquentait peut-être plus les mêmes classes qu’eux, d’ailleurs la plupart en étaient déjà rendus à leurs stages à l’hôpital de Bowen, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il ne faisait plus partie de la bande. Elmo n’était pas du genre à s’éclipser d’une bonne bande d’amis juste parce qu’il n’était plus étudiant. Il travaillait à temps plein comme barista mais il avait encore son cœur d’étudiant, avec les fêtes qui venaient avec. La veille était l’anniversaire d’un de ses premiers amis en débarquant à Bowen, et ils avaient fêté comme il se doit avec cinq-six autres gars. Ils avaient eu dix-huit ans all over again. Après la fermeture des bars, ils s’étaient ramassés dans des sentiers de la forêt, longeant les champs et les routes de campagne. Ils faisaient pas mal de bruit en riant et en parlant fort, mais au moins ils étaient éloignés des quartiers résidentiels.

Cinq heures et quart le matin. « Dude, on a marché jusqu’au Horseshoe Riding !? Fuck ça va nous prendre trois heures revenir au centre-ville. » Remarqua un des amis d’Elmo. Ce dernier lui répondit : « On pourrait revenir à cheval. » Ils éclatèrent de rire. « Yo j’suis sérieux guys ! » Renchérit l’italien qui clairement ne songeait pas à toutes les conséquences de sa proposition. Malheureusement, le mal était fait, et l’idée étant lancée il s’avérait maintenant trop difficile pour Elmo de rebrousser chemin. Les paris étaient lancés : les potes d’Elmo débutaient leur retour à pieds vers leurs voitures garées sur la rue commerçante, et il fallait qu’Elmo se débrouille pour aller prendre un cheval à l’écurie et revenir à cheval à sa voiture et ce, avant ses amis. Sachant fort bien que ce serait impossible d’être à cheval dans les rues de quartier en passant inaperçu, Elmo n’allait malgré cela pas décliner le défi. Ce n’était pas son genre.

Laissé à lui-même devant les enclos de chevaux, le jeune homme arriva de peine et de misère à grimper sur un cheval, la selle installée de manière aléatoire au préalable. Il avait les pieds dans les étriers, c’était déjà un bon départ. Mais un pro verrait rapidement qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il foutait et que la selle ne tiendrait pas plus de deux minutes avant de glisser d’un côté ou de l’autre, parce qu’il l’avait mal ajustée. Il sortit quand même de l’enclos à dos de ce cheval dont il ne connaissait même pas le petit nom, et s’engagea dans les sentiers, peinant à se tenir droit. La fatigue, l’alcool, les nausées maintenant qu’il était là-dessus … pas une fière image alors que le soleil se levait paresseusement à l’horizon.  

Il avait mal calculé, Elmo. Dans l'équation, le mouvement du cheval était très smooth, comme s'il se déplaçait sur un nuage, presque. Ce n'était pas tout à fait ça. Son corps balançait légèrement de droite à gauche, surtout parce qu'il n'avait aucun tonus après la nuit qu'il venait de passer. Ses nausées se faisaient de plus en plus présentes. Il avait le sentiment que d'ici cinq minutes, s'il ne cessait pas d'avoir le mal de ... le mal de cheval, il allait vomir sur le poil du dos de la pauvre bête. Ça, c'était si Elmo ne s'était pas déjà ramassé par terre, cela dit. La selle glissait de plus en plus sur la gauche, parce qu'il ne l'avait même pas attachée comme il le fallait. Pas attachée du tout, en fait. Le jeune homme avait été capable de rentrer dans le box par la fenêtre alors que tout le reste était verrouillé, c'était déjà un exploit en soit. Et une fois à l'intérieur, en ressortir était plus facile, ça se débarrait bien de l'intérieur, une écurie. Enfin, c'est ce qu'il avait constaté par lui-même.

Le jeune homme faillit mourir d'une crise cardiaque quand il entendit la voix d'une jeune femme l'interpeller. Il sursauta si fort qu'il faillit tomber par en arrière. Ce geste brusque incommoda également le cheval qui se mit à tourner sur lui-même. « Wow, wow, wow, putain, calme-toi. » Il tirait sur les enrênements mais comme il ne connaissait absolument rien à la mécanique, il n'aidait pas du tout la situation. La jeune femme s'approcha. « Ah  tu trouves que j'ai l'air de pas savoir ce que je fais ? » Par miracle, ou avec l'aide de la jeune femme, il n'avait pas trop compris la récente chaîne d'événements, le cheval se calma. Elmo ferma les yeux en essayant de calmer ses nausées, mais même sur ses paupières le monde semblait tourner dans tous les sens. La jeune femme fit remarquer l'installation assez moyenne de la selle. Elmo rigola, maintenant qu'il avait évité la catastrophe. « Heureusement que tu proposes d'installer correctement ma selle et non pas mes selles ! » Il continua de rire comme un con face à sa blague digne d'un enfant dans sa phase anale. Elmo pencha la tête sur le côté pour constater qu'effectivement, la selle était vraiment déplacée, là, encore plus après l'épisode du cheval fou. « Ça va prendre longtemps ? Parce que je suis attendu devant le Hendrix, à peu près. J'dois m'y rendre rapidement. » Il devait avoir l'air complètement perdu, mais au moins dans sa tête, il suivait sa réflexion très logique. Il aurait pu avoir oublié son objectif, mais non. Son sens de la compétition était plus fort qu'une gueule de bois.

C'est clair qu'actuellement, Elmo ne mesurait pas trop le danger auquel il faisait face de manière bien inconsciente. Et ses amis n'ont plus ne devaient pas être en train de réfléchir à la folie que représentait cette idée, en le laissant seul. Non seulement il était en train de foutre quelque chose d'illégal après avoir volé un cheval plutôt qu'emprunté - la notion d'emprunt impliquant généralement les deux parties consentantes -, mais il était aussi en train de risquer sa vie. Certaines chutes étaient effectivement mortelles, même pour des cavaliers expérimentés. Elmo n'avait absolument aucune expérience hormis une lointaine balade d'une époque dont il n'avait à peu près aucun souvenir. Heureusement que cette femme était arrivée, au fond. Heureusement qu'elle avait été assez folle pour se lever à une heure pareille et aller faire une randonnée équestre. Autrement, qui sait dans quel pétrin Santevenere se serait mis ! Il était peut-être un tantinet agacé d'être dérangé dans sa mission naturelle, là, mais il la remercierait bientôt, cette belle brune.

« Dur de faire d'la méditation pendant qu'il va dans tous les sens comme ça ! » Surtout que dès qu'Elmo fermait les yeux, ça tournait dans tous les sens et il perdrait l'équilibre à coup sûr. Encore plus que lorsqu'il avait les yeux ouverts. Malgré l'agitement de l'italien, le cheval arriva à se calmer. La jeune femme s'approcha ensuite pour s'assurer qu'il resterait dans cet état-là, en posant sa main sur l'étalon et en le caressant doucement. Elle avait l'air tellement connectée avec la bête, qu'Elmo posa lui aussi sa main sur le dos du cheval pour essayer de ressentir la même chose. Au lieu de ça, il eut juste des nausées plus vives encore, parce qu'il avait la tête penchée. « J'suis pas perdu, j'm'en vais par là ! » Affirma-t-il en pointant le sentier devant lui, sentier que ses amis avaient emprunté un peu plus tôt pour retourner en ville. La brunette lui proposa d'arranger sa selle qui était mal positionnée, et Elmo en profita pour glisser une blague scatophile toute en douceur. « Boh, matin, soir, y'a-t-il vraiment un moment mieux qu'un autre pour une blague de bon goût ? » Il esquissa un sourire. « La blague, le bon goût, pas ... » Il pouffa de rire. Il n'avait aucune retenue. Il avait cependant sa limite de temps qui elle, lui revint assez vite en tête. « Ah ouais t'es mieux hein de m'aider à remonter parce que ça a été l'étape la plus ardue, plus difficile que de rentrer dans l'écurie, alors ... » Il n'aurait sans doute pas dû parler de ça à n'importe qui, mais il n'avait pas vraiment ce discernement-là, actuellement. « Ah moi j'en ai juste besoin pour me rendre, après, le ramener, il s'arrange par lui-même le bonhomme. » Lâcha l'italien en donnant deux petites tapes sur le dessus de la tête du cheval qui ne sembla pas apprécier. « J'descends comment du coup ? Là-bas y'avait un p'tit tabouret. »

Jamais de toute sa réflexion Elmo ne songea au fait que cette femme aurait pu le dénoncer. D’ailleurs, si elle était aussi proche de l’écurie aussi tôt le matin, peut-être même en était-elle la propriétaire. Bon, elle avait l’air un peu trop jeune pour ça mais qui sait, elle avait peut-être bossé bien dur pour son rêve ou alors peut-être avait-elle hérité de la propriété. Il se pouvait aussi qu’elle ait été la fille des propriétaires et qu’elle ait couru voir papa ou maman pour trahir Elmo. Le jeune homme n’avait pas trop réfléchi avant de clairement laisser sous-entendre qu’il n’avait pas eu la permission de prendre ce cheval. De toute façon, il suffisait de le voir le monter pour comprendre que personne de sensé ne l’aurait laissé faire cette randonnée par lui-même. « Aaaah, les cercles vicieux, j’connais. C’est comme : plus je suis dans le trou financièrement, plus j’fuis les problèmes en sortant boire, mais plus j’sors boire et plus j’suis dans le trou financièrement. Un cercle vicieux ! » Lâcha-t-il. Au moins, penser à cet exemple lui avait permis de se calmer et de calmer le cheval, du même coup. Elmo partageait peut-être un peu trop de ses soucis personnels à cette inconnue. Il n’avait plus vraiment de filtre lorsqu’il avait un verre dans le nez et qu’il n’avait pas dormi depuis près de vingt-quatre heures. Au moins, il avait encore suffisamment le contrôle de ses pensées pour se souvenir qu’il était attendu au Hendrix. Il savait même quelle direction prendre pour s’y rendre ! Il la désigna à la jeune femme, comme pour lui prouver qu’elle avait tort. « J’en ai déjà monté un. » Se défendit l’italien. « J’avais sûrement, genre, dix ans. » Il ne se souvenait même pas de l’âge qu’il avait, alors encore moins de comment monter convenablement un cheval. Parlant d’âge, actuellement Elmo devait en avoir à peu près trois ou quatre d’âge mental. Avec sa blague sur les étrons, il était mal parti pour se faire une bonne réputation auprès de la brunette. « Tiens, un duo d’humoristes. Ça c’est une idée de carrière que j’avais encore jamais eue. » Il avait déjà plus de chances d’être reconnu comme batteur que comme humoriste. Au moins il avait le rythme, ce qui n’était pas forcément le cas de l’humour. La jeune femme, ayant confirmation de l’illégalité de l’acte, affirma que son père policier la cherchait. Imperturbable, Elmo répondit : « Ah ouais il te cherche ? Monte alors, j’t’emmène loin d’ici ! Ou plutôt … tu pourrais nous emmener loin d’ici. Ce serait plus safe, j’crois. » Plutôt que de partir en fuite tous les deux, la jeune femme proposa au barista de l’aider à descendre, pour qu’elle puisse replacer sa selle correctement. « Personne saura que c’est moi. » Lâcha Elmo avant tout, à propos de laisser le cheval sans surveillance. « Pis sinon, ma copine est avocate, elle va me sortir du pétrin. » Pauvre Bella, embarquée dans ses manigances sans son consentement. La brunette l’aida à descendre avec d’abord des instructions, puis une main tendue. Peu élégant, Elmo fit à nouveau preuve de maladresse et s’enfargea dans ses propres jambes, tombant à la renverse. Il doutait que la brunette soit capable d’amortir ça, elle n’était pas très costaude. Sait-on jamais …

Elmo avait bien des défauts – paresseux, immature, impatient, égoïste, boudeur, rancunier, tête en l’air -, il avait cependant une qualité : la loyauté. Il n’allait jamais dénoncer qui que ce soit de proche de lui ou lui ayant rendu service. Et ce matin, la brunette lui rendait service en le stoppant pour au moins lui apprendre à bien se tenir sur un cheval avant qu’il ne parte dans les sentiers. Elle était gentille, bienveillante et pas du tout moralisatrice. Elmo lui rendrait la pareille en ne dévoilant jamais, ô grand jamais, qu’elle l’avait aidé dans son escapade illégale. S’il se faisait prendre, l’italien raconterait l’histoire de A à Z, mais en éclipsant le personnage qu’il venait de rencontrer. Elle ne ferait pas partie de l’histoire, pas celle mise dans le rapport. Mais il se souviendrait sans doute d’elle, à moins de trop grands ravages de l’alcool ! Ce même alcool qui le mettait un peu dans le trou financièrement, parce qu’il n’arrivait pas à trouver l’équilibre, parce qu’il n’arrivait pas à dire non aux sorties entre potes qui s’accumulaient bien plus vite que l’argent dans son compte en banque. « Ouais, nan, moi non plus j’le souhaite à personne. » Dit-il en balayant l’air de la main. C’était pourtant une difficile situation qu’il vivait lui-même. Il continuait à se mettre les pieds dans les plats, coincé dans les mauvaises habitudes. Rien que de monter à cheval en état d’ébriété, c’était complètement inconscient et il aurait pu se faire très mal. « Tu penses que j’ai quel âge, cinquante-huit ans ? Ça fait pas siiiiii longtemps. » Treize ans, environ. C’était quand même pas mal d’années, pas mal d’années pour effacer de sa mémoire une petite randonnée de deux heures à tout casser. « Aaah, entre toi et moi, j’dirais que c’est plutôt moi qui les ai, les idées stupides, hein ? » Lâcha Elmo, se moquant de lui-même. L’italien fronça les sourcils quand la brunette affirma qu’il venait de lui donner une idée, celle de l’emmener à cheval au Hendrix et de ramener l’animal ensuite, ni vu ni connu, pendant qu’Elmo faisait le fier devant ses amis. « Mes amis vont voir que c’est une fille qui m’a amené, no thank you. » Refusa Elmo. Pourtant c’était assurément la meilleure idée de la journée. Il ne risquait pas de crever à mi-chemin écrasé sous le cheval, et il ne risquait pas non plus une amende. Elmo fit quand même déjà un premier pas pour faire plaisir à la jeune femme qui voulait tellement replacer sa selle, et il descendit du cheval. Enfin, descendre, façon de parler. Il tomba, plutôt, emmenant la brunette avec lui dans sa chute. « Arrhhgjijgijdf. » Se plaignit Elmo en tournant sur le sol. « Non. J’me porte comme un gant. » Répliqua-t-il malgré la grimace. « Désolé pour ça. J’espère que j’t’ai pas écrabouillée. » Il arriva à se lever, et par chance elle se releva aussi. Il n’aurait pas voulu la blesser, quand même.

Alors qu’elle parlait de leur âge qui devait être pas mal rapproché, Elmo la détailla du regard, les yeux légèrement plissés comme s’il était en grande et cruciale observation. « Mmh, je pense que t’es pas mal plus vieille que moi. » Pourtant non, et surtout, physiquement, il n’y avait rien qui puisse lui laisser croire cela. Si Elmo était venu à la conclusion que la jeune femme et lui n’étaient pas du même âge, c’était plutôt par rapport au niveau de maturité de la brunette. Elle semblait pas mal plus sage que lui. Malheureusement, ça, ce n’était pas un indicatif que la jeune femme était plus âgée que lui, mais bien qu’Elmo était beaucoup trop irresponsable et inconscient pour son âge. « J’demande qu’à voir les domaines dans lesquels t’as des plans foireux. Ça pourrait être drôle. » Elle était actuellement beaucoup trop sérieuse – probablement parce que l’italien se mettait réellement en danger avec son challenge de merde. Il avait du mal à croire que cette fille puisse être drôle et fofolle à d’autres moments. Comme il le disait, il ne demandait qu’à voir. Pour le moment cependant, elle sembla se froisser du fait qu’il ne veuille pas que ce soit une fille qui l’aide à se rendre à son point de rencontre. C’est que le défi, c’était qu’Elmo se rende à cheval jusque-là, par ses propres moyens. Pas avec l’aide de quelqu’un d’autre. Bon, certes, avec ses potes ils n’avaient pas vraiment pris le temps d’instaurer des règles, mais dans sa tête c’était ça. « Bon, j’te propose un deal. » Était-ce vraiment une situation nécessitant des négociations ? Probablement pas, mais lui, il était dans son petit monde. « Tu m’aides à m’rendre au Hendrix mais quand on sera presque arrivés, tu débarques juste le temps que mes amis me voient dessus. Après j’laisse le cheval là et tu peux aller le reprendre. » Dans son scénario, il ne s’imaginait pas que le cheval aurait peut-être le temps de s’enfuir ou bien que ses amis attendraient peut-être au coin de la rue en question et les verraient donc arriver. Il ne pensait pas trop, actuellement, Elmo. Vous l’aurez deviné. Vous aurez également deviné que la chute du cheval en essayant d’en descendre avait été inévitable. Il aurait juste préféré ne pas emmener la jeune femme avec lui, mais bon. « À te voir et t’entendre on dirait que tu montais à cheval avant d’apprendre à marcher … » Lui aurait dû apprendre à mieux se relever.  Avec bien peu de grâce, il se remit debout. Il était plein de terre. La brunette, elle, avait déjà fini de remettre la selle en place. « J’y étais presque. » Pensa-t-il en regardant comment c’aurait dû être installé dès le départ. Il en était bien loin.

Eh bien sans le savoir il avait quand même visé juste, Elmo ! Elle était plus âgée que lui. Juste … pas pas mal plus âgée. Deux petites années seulement de plus au compteur, ce n’était pas grand-chose, pas de quoi détecter des différences dans leurs comportements, dans la place qu’ils occupaient dans ce monde, dans leur parcours. Et pourtant … Elmo avait d’un coup l’impression qu’il était vraiment ailleurs, comparativement à la jeune femme. Évidemment, c’était toutes les inquiétudes et la honte des derniers mois qui enchaînaient des réflexions du genre. Il ne savait rien de la brunette. Il ne savait pas si elle bossait, si elle était sur la voie d’une brillante carrière, si elle était mariée, si elle avait une maison, si sa vie était toute bien tracée grâce à ses rêves qu’elle réalisait un à un. Peut-être était-elle juste mature et jolie, ce qui donnait l’impression qu’elle avait tout pour elle et qu’Elmo n’était qu’un moins que rien. Elle semblait avoir sa vie en main alors que celle de l’italien lui filait entre les doigts. Mais ce n’était qu’une impression, peut-être. Si ça se trouve, ils étaient dans le même bateau. Ou pas. Sûrement pas. « Eh bien … ça peut porter à confusion ! » Se défendit l’italien alors que ça ne faisait que l’enfoncer dans l’insulte. Jamais elle ne passerait pour une femme dans la quarantaine, c’était de tirer l’élastique trop loin. « C’est une invitation ? » Avait demandé l’ancien étudiant à propos de la soirée et des deux verres en trop. En vérité, ça lui plairait bien de voir ce côté-là de la brunette. Ce serait … surprenant. Tout comme l’était la réaction d’Elmo à propos de la proposition de la jeune femme de l’accompagner. On aurait cru un misogyne, à ne pas vouloir qu’une nana le sauve. C’était pas ça, c’était juste … sa fierté mal placée. Il proposa donc une contre-offre, espérant qu’elle accepte ce petit tour de magie devant lequel ses amis n’y verraient, on y croit, que du feu. « Ouais ben à l’origine tu débarquais pas aux premières lueurs du jour en mode héroïne. Sûrement que si t’avais été là depuis le début, le challenge aurait même pas été le même … y’aurait fallu que j’obtienne ton numéro ou que je t’invite à bruncher. » D’ailleurs, rien que d’imaginer des œufs et des légumes grillés, l’estomac du jeune homme gargouillait. « Ah ouais huit ans c’est jeune. » Commenta-t-il, simplement. Lui avait commencé le foot à cet âge-là. Il avait arrêté en débutant l’université en Australie. « Bon du coup comment on fait ? Qui embarque le premier ? Et … faut que je me mette derrière ? » Demanda-t-il en grimaçant.

En même temps, Elmo n’avait pas trop changé depuis son adolescence. Il avait eu sa poussée de croissance vers ses treize ou quatorze ans, plus jeune que la plupart de ses amis, devenant rapidement le grand maigre dans les corridors, celui qu’on reconnaît de très loin. Cela ne l’avait pas aidé à ne pas prendre la grosse tête. Il avait rapidement pris de la popularité grâce à cette grandeur qui faisait rêver la plupart des filles de son niveau, et des niveaux en-dessous. Et des niveaux au-dessus aussi, soyons honnêtes. Peut-être que si la brunette et lui avaient été à la même école, elle aussi n’aurait eu d’yeux que pour le p’tit jeune Santavenere. Depuis, hormis de développer une voix un peu plus grave et d’avoir quelques poils de plus, Elmo n’avait pas trop changé. Il aurait pu passer pour plus jeune que ses vingt-trois ans, sans aucun doute. La jeune femme, quant à elle, ne pouvaient certainement pas passer pour une femme de quarante ans. Il poussait le bouchon un peu trop loin, là, et elle le lui fit rapidement comprendre. Il rit. « C’est vrai. La trentaine tout au plus. » Et encore, à trente ans de ce qu’il pouvait voir les gens commençaient déjà à craquer de partout et à avoir quelques traces du temps sur le visage. Juste un peu, quoi. Juste pour dire que les belles années étaient derrière. Elmo redoutait ce moment, redoutait la trentaine. La cavalière qui lui faisait face n’en était pas là non plus, il le savait pertinemment. C’était juste drôle de la vexer pour le plaisir – à chacun ses passe-temps. Il faut dire que l’alcool dans son sang ne l’aidait pas trop à conserver une certaine retenue. « Yaaaaaaaaaasss. » Lâcha Elmo en frappant ses mains ensemble, ravi que cette rencontre inattendue se transforme en proposition de sortie bien arrosée. Il était toujours partant pour ça, Elmo. Il fallait juste qu’il n’oublie pas cette idée-là, dans trente minutes. Si ça se trouve, ils ne se reverraient jamais. Ils demeureraient l’un pour l’autre un souvenir un peu what the fuck de l’aube. « ÉVIDEMMENT que t’aurais accepté. Comment m’résister ? » Il se tourna légèrement sur le côté, prenant une pause qui se voulait sexy mais qui ne l’était pas, en faisant des lèvres de canard. Elmo s’intéressa finalement enfin à cette solution beaucoup plus raisonnable de la brunette, soit de monter à cheval avec elle et qu’elle ne le quitte que lorsqu’ils tourneraient le coin de rue du Hendrix. « T’es courageuse. J’vais peut-être te vomir dessus. » Lança Elmo, mais il était un peu tard pour changer d’idée, il était déjà en train de monter derrière la brune – avec très peu d’élégance, et très lentement, aussi. D’abord à plat ventre, forçant la jeune femme à se pencher vers l’avant puisqu’il la poussait de son corps, puis une jambe qui fit des acrobaties jusqu’à l’autre côté du cheval pour enfin se redresser. Il y avait peut-être eu un petit pet ou deux entre chaque mouvement, aussi. « Ok je suis prêt. » Affirma-t-il en se tenant comme un spaghetti trop cuit.