run boy run, this world is not made for you (lincoln)

T’avais pas trop eu le choix de prendre la direction du Harlow, toi non plus. Bon, si, on a toujours un choix dans la vie. Mais si tu ne voulais pas rester derrière pendant que bon nombre de tes amis passait au bar d’à côté, il fallait que tu suives la parade. T’avais pas trop envie de retourner au Harlow, toi. T’y avais pas mis les pieds depuis l’année dernière, en fait, quand les choses s’étaient envenimées entre le propriétaire et toi. Pas de bagarre, pas de liste noire, rien de ça. T’avais pas ton visage affiché sur les murs pour rappeler que t’étais pas le bienvenue. C’est juste que t’avais eu une relation avec Lincoln, ledit propriétaire. Et t’étais vraiment, réellement tombé sous son charme … jusqu’à ce que tu découvres que derrière ses airs cools de barman-propriétaire, il était également trafiquant de drogues pour un assez grand réseau dans la région. Ça ne t’allumait pas trop, ça, Jacks, au contraire. Ça t’avait même donné une assez bonne douche froide. Tu n’aimais pas vraiment ce qui touchait au monde de la drogue. T’avais jamais essayé, d’abord. Boire de l’alcool était déjà un phénomène assez nouveau dans ta vie. Autrefois acrobate aérien pour un cirque, ton corps avait longtemps été ton gagne-pain, un temple à entretenir religieusement. Tu ne touchais donc ni à l’alcool ni aux drogues. Ce ne fut qu’en arrivant à Bowen il y a deux ans que tu avais commencé à consommer quelques verres par-ci par-là, sans jamais trop abuser non plus. C’est pourquoi, en découvrant dans quel monde d’illégalités baignait Lincoln, t’avais décidé de mettre fin à ce que vous aviez - peu importe ce que c’était. Il n’avait peut-être pas trop compris ton aversion pour son mode de vie, son second job, et il n’avait pas vraiment cherché à comprendre non plus. Ça aussi, ça t’avait fait mal. Depuis ce temps-là, pour te protéger, tu l’avais évité. Pour l’avoir fréquenté pendant quelques mois, tu savais dans quels lieux il traînait et si par malheur tu te retrouvais au même endroit, tu te faisais tout petit, discret. Y’avait pas grand monde qui te fasse sentir comme ça mais lui, il avait eu une certaine emprise sur toi, rien que par son regard, rien que par ses sourires et ses belles paroles. T’avais peur de ce que tu pourrais faire si jamais il entrait à nouveau dans ta vie. Heureusement que t’avais Perry à qui te raccrocher en pensées, même s’il n’y avait rien de concret entre vous deux, même si t’ignorais ce qu’il voulait de toi au final. Au moins, tu pouvais l’imaginer et chasser les autres doutes.

Tu suivis tes potes à l’intérieur du Harlow. La chance ! Il ne semblait pas être là ce soir. Sans doute en train de régler des affaires pas trop légales à quelque part à Bowen ou dans les environs. Tu allas t’installer à une table avec tes amis, tout d’un coup beaucoup plus léger. Tu te commandas une bière et tu discutas avec tout le monde autour de la table, ne te faisant pas petit, pas discret, pas plus que d’habitude.

Il y avait une pièce. Petite, exigüe, sans doute pas plus de cinq mètres sur cinq. Grise, complètement dénudée, froide et inhospitalière – mais elle n’avait pas besoin d'être accueillante. Au plafond pendait une ampoule blafarde dispensant une lumière poussiéreuse. Rien de très original là-dedans ; ça n’avait pas été conçu pour l’être après tout. Encastrée dans un mur, une simple porte. Et dans l’un des angles qui y faisait face, un homme adossé contre les quérons nus. Les bras croisés contre sa poitrine, il attendait patiemment. Semblait attendre patiemment tout du moins. Seuls les doigts de sa main droite pianotant avec insistance contre son avant-bras gauche trahissaient cette attitude en apparence complètement calme. Ses lunettes opaques cachaient un regard qui aurait immédiatement trahi son agacement difficilement contenu sous la surface. Il détestait attendre. Dans ces circonstances, dire que Lincoln était de mauvaise humeur relevait du plus bel euphémisme qui soit. Il était de très mauvaise humeur. Je veux dire, il avait ses hauts et ses bas comme tout le monde – quoique chez lui c’était sans doute pire quand on voyait comment il était capable de passer d’un extrême à l’autre en moins de vingt secondes – mais là, ça n’allait vraiment pas du tout. Bien sûr il n’y avait pas qu’une seule cause à ça, plutôt un amas de merde qui s’était amoncelé tout au long de la journée et de celle d’avant, et toutes les énoncer prendrait trop de temps pour pas assez d’utilité ; seules deux importaient réellement. La première, c’est qu’il s’est fait avoir par l’un de ses hommes. L’un des dealers travaillant pour son trafique. Ce dernier avait disparu et Linc’ devait faire la livraison lui-même, une chose qu’il ne pensait plus jamais avoir à faire maintenant qu’il était tout haut dans la chaîne du trafique. De là, on arrivait à la seconde cause importante de son état actuel, une marchandise qu’il attendait n’a pas pu arriver à bon port, et ça...ça ne pouvait que l’irriter.

Entre deux pensées ruminées, il s’était cependant fait un peu d’argent en vendait quelques grammes de cocaïnes à un nouvel oisillon pour lequel il avait attendu un peu trop longtemps ici-même, dans un immeuble désert. Un sourire carnassier vint se peindre sur ses lèvres alors qu’il refaisait le compte de sa vente et s’apercevait que la journée touchait déjà à sa fin. Au final rejouer lui-même au dealer n’était chose bien terrible. Ce n’était pas cela pourtant qui apaiser ses nerfs, mais plutôt le moment qui venait. Si on lui avait demandé quel moment de la journée il préférait, c’est sans hésitation qu’il aurait choisi le crépuscule. Une heure plus tard, et Lincoln poussait les portes de son bar déjà plein à craquer. Une populace qui faisait son affaire. Accoudé au bar, il observa de son point stratégique sa clientèle habituelle, mais aussi quelques nouvelles têtes. Il était surpris de reconnaitre un visage qu’il n’avait jamais pensé revoir un jour. Un sourire tendancieux s’agrippa à ses lèvres, avant qu’il ne décolle de ce comptoir et se dirige sans détours vers la table ou se trouvait ce brave Jackson. Dés qu’il se trouva à sa hauteur, sa main se posa sur son épaule, une main ferme et confiante, se penchant vers le jeune homme, s’en foutant royalement des autres présents à cette table. Dés que le regard de Jackson croisa le sien, Lincoln oublia presque sa pitoyable journée. « Si tu voulais me faire une surprise, sache qu’elle est réussie ! » Il était venu au Harlow, sérieux ? Après l’avoir évité tant de fois ? « Et t’as ramené du monde avec toi, à ce que je vois… » Son regard flotta sur les visages autour de lui, son ton présageant une suite n’incluant pourtant qu’une seule personne. « Pas cap de me rendre visite sans être accompagné ? » Sa main sur son épaule remontant doucement et subtilement jusqu’à la nuque de Jackson, son regard à la fois perçant et mystérieux.

T’avais pas vu Lincoln rentrer dans le bar. Si tu l’avais vu, t’aurais déjà glissé ton corps sous la table pour te faire oublier. T’aurais rampé entre les jambes des clients, sur le plancher collant de bière et autres alcools, t’aurais pris la fuite par en bas parce que tu savais que Lincoln gardait tellement la tête haute qu’il ne remarquerait pas ta fuite en niveau inférieur. Mais tu ne l’avais pas vu rentrer, Lincoln, alors t’étais toujours assis à ta table, droit et fier, reprenant enfin confiance en ces lieux qui n’accueillaient plus qu’angoisse de ta part à chaque fois que tu passais devant les grandes vitres de l’entrée. Tu passais toujours ton chemin. Tu gardais les yeux rivés vers l’avant pour t’assurer de ne pas croiser le regard de Lincoln s’il était à l’intérieur. Que ce soit le matin, le midi ou le soir, t’avais toujours l’impression que son fantôme te guetterait de l’autre côté de la vitre, et t’avais pas envie que son sourire fendant vienne faire trembler tes jambes de peur et de désir tout à la fois. Ce soir t’avais réussi à te persuader que s’il n’était pas là à ton arrivée, il ne le serait pas non plus du reste de la soirée. Comment t’avais pu être aussi stupide ? Lincoln était le propriétaire de l’endroit, il était plus que normal qu’il vienne faire son petit tour à l’improviste, lorsque l’aiguille de l’horloge approchait le douze.

T’étais de dos à lui, alors quand une main se posa sur ton épaule, tu redéposas ta pinte de bière et tu tournas la tête, tout sourire. Tu t’attendais à un pote. Tu t’attendais à n’importe qui sauf lui – ce qui était un peu imbécile sachant qu’il était probablement celui que tu risquais le plus de croiser en venant ici. Naïf et innocent, tu l’avais toujours été. T’aurais mille fois préféré croiser le regard de Lys, de Charlie, de Carter, mieux encore celui de Perry. Après tout, Perry et toi aviez fait une habitude de vous croiser dans n’importe quel contexte, sans prévenir. Mais non, c’était Lincoln, qui te regardait avec son déstabilisant sourire. « Euh, ouais, c’est … ce sont des potes à moi. Ils voulaient à tout prix venir au Harlow. Contrairement à moi. » Avais-tu déclaré en regardant Lincoln, te fichant bien que tes amis entendent. C’était foutu, de toute façon, ils allaient rapidement comprendre que quelque chose s’était passé entre vous deux. Ça ne servait à rien de faire semblant, t’en aurais été incapable de toute façon. Si tu arrivais à être bon acteur dans les airs, comme acrobate, il ne te restait rien de ce talent-là quand t’avais les deux pieds sur terre. Lincoln t’envoya une flèche sur le fait d’être venu ici accompagné, comme si t’étais incapable de l’affronter seul. Et il avait raison. « Pas envie, surtout. De te rendre visite tout court. » Sa main était remontée jusqu’à ta nuque, forme d’emprise sur toi et même si ce contact-là aurait pu être perçu comme autoritaire, toi, t’aimais ça. Mais ça te faisait aussi carrément flipper. « Je suis pas là pour toi. » Affirmas-tu ensuite, ton regard planté dans le sien. Tu te surprenais d’avoir le courage de lui dire ça aussi directement, mais c’était sans doute parce que tu cherchais à te convaincre toi-même.

Le jeune homme avait visiblement pris trop d’assurance au cours du temps, s’était offert trop de luxes et de privilèges pour être ignoré. Lincoln était surpris par ses réponses. En souvenir du bon vieux temps, Jackson ne semblait pas avoir trop de considération envers ce fait. Qu’il en soit ainsi, dans ce cas. Il murmura pour que Jackson soit le seul à l'entendre. « C’est tes nouvelles fréquentations qui t’ont rendu aussi con ou t’as réussi cet exploit tout seul ?» Provocation pure. Parce que Jackson, par ses réponses, le provoquait. Celle de Lincoln était peut-être inutile. Mais comme dit plus haut, Lincoln n'était pas d'humeur. Sa main quitta l’emprise qu’elle eut sur la nuque de Jackson. Non pas parce qu’il allait à présent le laisser tranquille. Tout le contraire, Lincoln poussait Jackson à lui faire de la place en s’invitant à cette table, prenant place à ses côtés et se collant volontairement à lui, pas qu’il avait le choix non plus vu que les banquettes étaient bien pleines. « Je ne suis pas d’humeur, Jacks » Lincoln ne prenait jamais la décision d’affronter une personne pouvant se montrer aussi redoutable que lui. Bien évidemment, c’est une réalité qu’il n’envisage même pas comme possible ou existante. Mais si tel devait être le cas, il ne se risquerait certainement pas à un jeu du même acabit qu’avec le jeune homme à ses côtés. A défaut, il préférerait s’en faire un allié, s’en faire un ami au lieu de se confronter à ce psychisme aussi calculateur et développé. Comportement lâche pour une personne sans limite et sans scrupule me direz-vous ? Je vous répondrai alors que dans la logique d’un baron de la drogue, cela n’est que la trace d’une véritable intelligence. En choisissant une telle lâcheté apparente, il prenait conscience de la voie à prendre pour réussir à se préserver. Jackson inspirait un intérêt supérieur à l’accoutumé, Jackson évoluait dans une direction très plaisante pour la sournoiserie de Lincoln. « Ecoutes, je veux bien applaudir le fait que tu aies fait tes dents, c’est mignon comme tout…mais ça ne marche pas avec moi ce genre de phrase, tu me connais mieux que ça ! » Et surtout, Lincoln le connaissait assez bien pour voir le malaise, et détecter l’effort de se convaincre d’une chose qu’il ne pensait pas forcément. « En souvenir du bon vieux temps, j’offre la prochaine tournée à toi et tes amis… Toujours pas content ? » Lincoln l'observait avec malice, son regard fixe sur le sien alors qu'il s'occupait à glisser un mystérieux petit sachet dans l'une des poches du pantalon de Jackson. Il claqua fermement sa main sur la poche, tout en lui déclarant. « Je peux offrir bien mieux » C’est de la coke qu’il venait de glisser dans la poche de Jackson, avant de quitter la banquette et de disparaître derrière son bar. Il savait que ce dernier allait s'en rendre compte et réagir, et c'est ce qu'il attendait avec impatience.

T’avais puisé une force en-dedans de toi, une confiance que tu n’avais jamais eue face à Lincoln. L’année dernière, t’avais l’impression d’être tout petit face à lui, à sa merci. Cet homme-là dégageait une telle assurance, il t’avait mis dans sa poche du premier coup. Tu n’avais offert aucune résistance. Ce soir, t’essayais que le mur de briques bâti entre toi et lui puisse tenir le coup. Tu l’avais érigé entre vous à l’insu de Lincoln, pour pouvoir t’enfuir de l’autre côté sans qu’il ne le remarque. Parce que s’il l’avait remarqué et qu’il avait voulu te retenir, shit, il aurait réussi en claquant des doigts. Pendant une année complète t’avais continué de fuir et tel un imbécile abruti par le temps qui passe, t’étais revenu ce soir dans la vulnérabilité la plus totale. Tes airs détachés, ce n’était qu’une façade, une façade qui ne tenait sur rien du tout. Le mur de briques, Lincoln s’apprêtait à le défaire brique par brique, de son calme légendaire. « J’espère que t’es pas venu jusqu’ici pour me traiter de con, Lincoln, parce que si c’est le cas je sais pas ce que tu t’attends à trouver, mais tu risques d’être déçu. » Lincoln se fit de la place sur la banquette déjà bien remplie. Son corps ne faisait pas qu’effleurer le tien, il lui rentrait dedans. Mais qu’est-ce qu’il te voulait, bordel ? Son regard figeait le sang dans ton corps, dans ton cœur. Tu ne pourrais pas garder ce semblant de contrôle bien longtemps. D’ailleurs, quand il te répondit qu’il n’était pas d’humeur, prononçant ton prénom, ou plutôt son raccourci, Jacks, tu avalas de travers. Tu ne répondis rien, tu l’écoutas. Tu retombais déjà dans tes vieilles habitudes auprès de lui. Il te rabaissait, avec sa tendre subtilité, te disant que c’était mignon que t’aies fait tes dents. Cet homme était toxique pour toi mais t’étais revenu, ce soir, et tu commençais à croire que ce n’était pas aussi innocent que tu le pensais. « Je ne pense pas vraiment te connaître, non, Lincoln. Je pense que tout ce que j’ai appris l’année dernière m’a bien fait comprendre que j’savais rien de toi, rien du tout … » Expliquas-tu. Tu te montrais moins ferme, plus blessé. Il parlait du souvenir du bon vieux temps, toi ça te ramenait dans un tourbillon de mixed feelings dont tu ne savais que faire. T’entendis juste tes amis se réjouir de cette tournée gratuite. Tu forças un sourire. « Merci, comme tu peux le voir, le geste semble apprécié. » Mais l’était-il de toi ? Non, pas vraiment. Tu savais que derrière cette tournée se cachait un autre objectif. Ce n’était pas qu’une gentillesse désintéressée. Lorsque Lincoln tapa sur la poche de ton pantalon, tu fronças les sourcils et le regarda s’éloigner. Discrètement, tu vérifias ce qu’il venait d’y glisser et en réalisant que c’était un sachet de poudre blanche, tu paniquas. « J’vais aux toilettes, j’reviens. » Avais-tu lancé à tes amis même si tu partis dans la direction opposée aux toilettes. Vers Lincoln. « À quoi tu joues ? Tu sais que je veux rien savoir de cette merde. » Et pourtant, le sachet était encore sur toi.

Pourquoi donc le blâmer et dire ne pas le connaitre ? Parce qu’il n’avait pas compris dès le départ que son vrai business, c’est la came ? Lincoln préfère dire que son boulot est de détendre, de calmer les malaises et les états de manque aussi bien poussé que léger. Dans sa petite machination personnelle pour entraîner aux portes de la déchéance, il avait pris quelques éléments comme fer de lance tant parce qu’ils s’étaient avérés talentueux que parce qu’ils avaient tous quelque chose de particulier, telle une innocence, semblant si pur que l’on rêve de corrompre et de pervertir. Un peu comme le fut Jackson. Lincoln aimait instrumentaliser les autres…En faire des instruments qui lui devraient tout, le respect comme la gloire, la réussite comme l'argent, son bonheur comme cette nouvelle vie que cela peut leur apporter. Certes, il ne laissait jamais réellement entrevoir les choses de cette manière, s’amusant bien trop à garder cette emprise imperceptible qu'il perpétuait car, que l'on le veuille ou non, Linc’ tirait les ficelles de ses ententes avec autrui selon son bon vouloir.

Et Jackson, en fait-il partie ? La réponse selon Lincoln est oui. Il n’y que voir comment ce dernier rapplique avec un ton réprobateur, mais sans pour autant lui rendre ce qu’il lui avait offert. Ce qu'offre Lincoln à ceux qui se frottent au diable, c'est le plaisir d’une vie que bon nombres rêvent sans pouvoir la goûter ou la toucher. Lincoln pouvait apporter une existence à part entière. Et ce genre de cadeau, ce genre d’offre, n’avait absolument aucun prix. Elle ne pouvait être remboursée d’un simple merci ou d’un petit service parmi tant d’autre ! Tout du moins, par pour le machiavélique homme qu'il était. « OK. Tu te calmes un peu, c’est la seconde fois en l’espace de quelques minutes que tu m’insultes….et j’apprécie moyennement ça ! » Oser dire que c’était de la merde est un outrage ! Lincoln a la meilleure qualité qui soit, personne n’a une meilleure marchandise que lui, personne ! Il tente de se calmer un peu, prenant un air à la fois ennuyé par convaincant. « T’en veux pas ? Relax, peut-être que l’un de tes potes se montrerait moins farouche… » Il jette un œil vers la table ou les amis de Jackson se trouvait, avant de ne se focaliser sur le jeune homme, se rapprochant de celui-ci, même si le bar posait une limite à ce fait. « T’as jamais essayé, Jacks. Alors évites de juger » Il lâche un soupire avant de n'ajouter. « Je ne reprends jamais ce que je donne, alors t’en fait ce que tu veux…et si ma gueule t’ennuies autant, t’as qu’à ne pas mettre les pieds dans mon bar, ou tu es certain de me voir » Si Lincoln aime jouer, ce n'est certainement pas à ce type de jeux. Et puis, il va s'en dire qu'il n'était pas d'humeur à jouer au psy. Sa journée avait été assez problématique ainsi pour qu'il se voit en rajouter une couche qui ne le concerne d'ailleurs probablement pas du tout.

T’avais essayé de couper, fil par fil, cette emprise que Lincoln avait eue sur toi. Si tu voulais fuir, il avait fallut que tu t’assures qu’une fois à des kilomètres de lui, il n’aurait pas qu’à tirer rien qu’un peu pour que tu reviennes en courant vers lui. T’avais été sa marionnette et lui le maître, le maître de tes pensées, de tes culpabilités, de tes actes. Le seul truc sur lequel t’avais jamais flanché, face à Lincoln, c’était la drogue. Et quand t’avais compris à quel point ce n’était pas que récréatif pour lui mais bien toute un business, t’avais ouvert les yeux. Comme si l’hypnotiseur qui te maintenait endormi jusque-là avait claqué des doigts en disant le mot magique. Sauf que tu pouvais pas avoir à la fois un hypnotiseur et un marionnettiste qui gérait ta vie, il fallait que tu prennes la responsabilité de tes propres décisions. Si t’étais resté aussi longtemps auprès de Lincoln c’est qu’une part de toi avait aimé le mystère, le risque, la sensation d’être contrôlé. Peut-être parce que t’avais connu que ça, le contrôle, la rigidité, et qu’en arrivant à Bowen t’avait goûté à un trop-plein de liberté, tout d’un coup. Quand t’étais au cirque, tu faisais ce qu’on te disait, tes numéros étaient parfois bien dangereux mais pour Cirkaös, tu te lançais dans le vide, littéralement. T’avais peut-être voulu retrouver ça, quelqu’un, quelque chose, une entité pour laquelle tu te serais jeté dans le vide. Mais tu t’étais réveillé juste à temps, juste avant la chute. Allais-tu pouvoir demeurer éveillé, cette fois ?

T’avais pas eu l’impression d’insulter Lincoln, c’était plus the other way around quand il t’avait traité de con, mais le propriétaire du bar te faisait comprendre le contraire. Tu te sentis coupable, tout d’un coup, peut-être même un peu angoissé à l’idée de l’avoir froissé. « Moi je t’ai insulté ? On n’a jamais eu les mêmes perceptions, sur quoi que ce soit, toi et moi, c’est vrai. » Ou alors, t’avais fait semblant que vous étiez sur la même longueur d’ondes, jusqu’à présent. De peur de le perdre. De peur qu’il se désintéresse de toi. Mais à quel point tout cela avait été malsain ! « Si moi j’ai pas envie d’en prendre j’vais certainement pas aller tenter un de mes amis … » Tu avais peur, des drogues. Tu trouvais que c’était de la cochonnerie, que ça pouvait trop rapidement briser quelqu’un. Tu ne souhaitais à personne d’y devenir dépendant. « J’ai pas besoin d’essayer, j’ai des yeux et des oreilles pour voir et entendre toutes les histoires que la drogue cause … » Murmuras-tu. T’avais la chienne qu’on t’entende. « You know damn well que ta gueule m’ennuie pas. Tu sais très bien que ça n’a jamais été ça, le problème. » Admis-tu alors que t’aurais jamais dû t’embarquer là-dedans. Il n'avait pas besoin de savoir, Lincoln, que sa gueule, t'y avais souvent pensée dans la dernière année.

Il y a une règle, être chasseur ou bien la proie. Règle fondamentale dans la vie de Lincoln. Et que l'on veuille ou non, le jeu du prédateur et de la proie se réalise à deux, et non tout seul. Il faut une certaine promptitude à ce que les deux parties prennent le rôle qui le sera défini. La culpabilité ne peut se retrouver sur les épaules d’une seule et même personne, aussi immorale et détestable soit-elle car sa malice n’aura de liberté que celle suggérer et autoriser par l’autre partie. Voilà pourquoi, dans ce simple petit échange Lincoln n’était pas le seul à devoir passer sur le banc des accusés. Il était le bourreau, mais ainsi se voulait-il attendu et désiré ! Oui, l’argument de l’espoir que le bourreau change pourra être mis en avant mais il n’en sera pas moins caduque. Car, face au cauchemar, nous ne plongeons pas la tête première en souhaitant un rêve meilleur. Mais nous plongeons en pleine connaissance de cause, qu’on le reconnaisse ouvertement ou non. Et si Lincoln a pris le soin de ne pas rétorquer la moindre chose à Jackson pour un petit bout de temps, il ne pouvait décidément pas passer à côté de cette dernière confession. Mieux encore, une merveilleuse invitation, et ce jeu-là qui pouvait se lancer maintenant, il l’aimait bien. « Qu’est ce que t’essayes de me dire, Jacks ? » Demandait-il, cherchant à agripper son regard pour qu’il ne se dérobe plus. « Qu’il t’ait déjà arrivé de fermer les yeux et de penser à moi ? » Un sourire plein de malice aux lèvres, et le voici qui fait l’effort de contourner le bar pour se mettre face à Jackson, plus de comptoir qui sépare leur chaleur. Plus de frontières. « Je maintiens mes propos, je ne reprends jamais ce que j’offre… » Sa tête bascule vers l’avant, pour se rapprocher de celle de Jackson, prendre la trajectoire de son cou ou il laissa son souffle caresser sa chair avant de ne murmurer à son oreille. « Mais si ça te dérange autant, je suis prêt à faire une exception…il faudra juste compenser ton refus par quelque chose… » Il se recule d’un pas, le toise du regard, et lui jette comme propos. « J’ai besoin d’air, tu sais ou me trouver lorsque t’auras pris une décision » Implicitement, il avait participé et choisi la conclusion de cette rencontre inattendue ou pas, qu’il pouvait tant ressentir avec tout autant de malaise que d’éventuelle envie. Un clin d’œil plus tard, et Lincoln était à l’arrière du bar, dans une ruelle étroite mais bien éclairée, fumant un joint qu’il s’était lui-même préparé…

T’avais l’impression de parler à un mur, à une statue qui t’observait sans broncher. Toi tu continuais de déblatérer ton non-sens parce que face à Lincoln, si tu gardais le silence et soutenais son regard, tu risquais de te liquéfier sur place. Parler, parler ça te changeait les idées, parler ça changeait ton attention de place et peut-être pourrais-tu un peu plus résister si les mots agissaient comme des bloqueurs, s’interposant entre le regard de Lincoln et le tien. Lorsqu’il ouvrit enfin la bouche ce fut évidemment pour relever le seul moment où t’avais laissé la brèche s’ouvrir un peu plus. Il avait vu un filament de lumière et il ne s’était pas contenté de rentrer, il avait tout fracassé, avec cette question qui te mettait mal à l’aise mais qui dévoilait également la vérité sur les pensées que t’avais pu avoir envers lui. Il n’y avait plus de comptoir pour vous séparer, t’étais fichu. Tes yeux descendirent sur le corps de Lincoln mais tu les relevas bien vite. Là, t’avais envie de fermer les yeux bien fort et de penser à Perry, à Perry qui aurait pu te donner le courage de te lever debout et de partir d’ici, mais tu savais, même sans essayer, que sur les parois de tes paupières il y aurait également l’ombre de Lincoln qui s’y dessinerait. « Ça te fait plaisir, n’est-ce pas ? D’savoir qu’il t’arrive de hanter mes pensées ? Que par moments j’avoue ça me manque de ne pas pouvoir te retrouver, te toucher, m’laisser aller à tes jeux de pouvoir ? » Tu soupiras discrètement. Comment pouvait-il être si cruel, de se réjouir d’être parfois l’objet de tes pensées tout en te faisant si mal du même fait ? « Qu’est-ce qui te fait croire que je peux pas juste aller flusher le contenu de ce sachet dans les toilettes ? Comme ça je ne pourris la vie de personne, et je n’ai pas à compenser pour quoi que ce soit auprès de toi … » Lincoln avait besoin d’air, qu’il te dit. Et il attendrait ta décision. Ne venais-tu pas tout juste de la prendre ? Non, il savait bien que non. Maintenant que l’offre était posée dans ta tête, il serait difficile de juste la balayer du revers de la main. Un clin d’œil et le voilà disparu, éclipsé, derrière le bar dans la ruelle d’à côté sans doute. Tu jetas un regard à tes amis. Ils continuaient de discuter et de rire comme si t’étais pas là. Dehors, il y avait Lincoln, qui peut-être t’attendait. Ou bien t’avait-il déjà mis de côté ? Relayé au second plan de ses pensées ? Tu t’énervas toi-même avec cette pensée. Tu te levas et tu suivis les pas imaginaires de Lincoln jusqu’à la ruelle derrière, où il se trouvait, adossé au mur de briques, son joint entre les lèvres. « Et si j’en fais une fois, rien qu’une fois, tu m’foutras la paix ensuite avec ça ? Tu m’laisseras faire ce que je veux ? » Demandas-tu. Mais, Jackson, le choix tu l’avais déjà. Tu voulais juste trop t’accorder aux désirs de Lincoln, dans ce besoin intarissable de lui plaire tout le temps, pour aucune bonne raison.