Le grand soir [Théo]

Le Délirium. Il y était, et il allait donc pouvoir voir le spectacle de Théo. Il ne pouvait même pas dire enfin, puisqu'il avait eu bien d'autres choses à se préoccuper. Ecrire bien sûr, et en délaissant son pauvre Alice toujours englué dans la prostitution des boites sordides, des ruelles glauques et au monstre qui y vivait. Jamais un livre n'avait été si long à écrire, surtout lorsqu'il en écrivait un autre entre-temps qui lui avait été bâché en un temps record. Peut-être -et surtout !- parce qu'il était concis, quelques chapitres à peine, et parce qu'il avait été écrit rien que pour son éditeur... Le titre parlait de lui-même Autopsie d'un criminel. Il était sûr que Sanders allait en apprécier la lecture, mais pas tant que lui avait apprécié de l'écrire ! C'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour contrer la menace que faisait peser Sanders sur lui, avouer publiquement son crime en le publiant. Ou plutôt non, en demandant à Sanders de le publier. Et il était là à attendre sa réaction en cherchant à calmer sa nervosité avec l'émerveillement de la magie... S'il ne se faisait tout simplement pas virer par un Théo toujours excédé de leur dernière rencontre.

C'est que plus rien ne l'étonnait depuis que son frère l'avait littéralement engueulé sur les réseaux sociaux alors qu'il lui avait à peine décroché trois mots dans la vraie vie. Bien que là aussi, il avait réussi à l'engueuler en se  limitant au strict minimum, donnant de fait raison à Théo. Les gens ne l'attendaient plus après quatorze ans de disparition et il avait dû trouver du soutien ailleurs. Un soutien sans faille pour le coup, et il n'était évidemment pas question de s'imposer à nouveau à Théo. Il avait donc choisi la table la plus éloignée de la scène se fondant dans l'ombre, laissant les couples dans leurs habits de soirée se mettre en pleine lumière. Il avait cependant interpellé une des employées en lui demandant de transmettre à Théo un cadeau de la part d'un fan. "Si vous pouviez le lui donner après le spectacle, ce sera très bien. Je vous remercie." Alors qu'il lui présentait sous son regard interloqué un Rubik's Cube dont il n'avait bougé qu'une ligne et une colonne mais où il avait à nouveau déboité le petit carré du coin pour le remettre à l'envers, tranchant cette fois-ci carrément avec le reste des couleurs. Théo saurait de qui il venait mais il serait alors déjà parti. Ce qui était sans nul doute le mieux pour ne pas l'excéder davantage.

Les lumières se tamisant, il sut que le spectacle allait commencer et rangeant son téléphone -il serait toujours temps de voir à la fin du spectacle s'il avait enfin obtenu une réponse de la part de Sanders- il s'installa confortablement tout en regrettant de ne pas pouvoir s'asseoir à même le sol.

Theodore avait diminué son nombre d’apparitions sur la scène du Delirium, c’est que la sensation de revoir continuellement le même public commençait à le lasser. Il change régulièrement de tours pour ne pas lasser également le public qui pour sa part apprécie de voir que l’illusionniste ne cesse de se renouveler, alors qu’en réalité il ne fait que ressortir de vieux tours qu’il ne jouait plus depuis des années. Trop simples à son gout, mais suffisant pour Bowen. Il perd malgré lui le gout de ce qu’il fait, pourtant à chaque standing ovation il est heureux, une joie qui ne dure jamais assez longtemps. Son cœur est ailleurs, d’autant plus depuis qu’il a rencontré Perry Peach, il n’a jamais été aussi proche d’enfin connaitre sa fille. Sa vie est en plein changement, il se doit de l’accepter, d’envisager un avenir différent. Alors, il a diminué sa présence au Delirium, au profit de recherche d’appartement ou maison et de longues heures de réflexion avec sa nouvelle agent sur un projet pour s’implanter pour de bon à Bowen. Un nouveau tournant dans sa vie se prépare.

C’est allégé de toute pression qu’il se dirige vers la scène quand une employée l’interpelle pour se débarrasser d’un objet qu’on lui avait remit. Theodore a été longtemps habitué aux cadeaux de fans, beaucoup ont fini aux détritus malheureusement sans quoi il devrait dédier une pièce entière pour toutes ces babioles, dessins et lettres… A Bowen ce genre de geste s’est fait plus rare, tout comme le fait que l’on ose l’interpeller à quelques secondes avant qu’il ne monte sur scène. La vue de ce casse-tête le fit malgré tout sourire, il le prit en main et remarque le petit carré dans le mauvais sens. “ Jonas….” A t-il seulement soupiré, il ne serait pas capable de se remémorer exactement à quand remonte leurs retrouvailles, mais celles-ci ne se sont pas du tout achevées sur une note positive et ça il s’en souvient parfaitement. Il n’est pas un homme rancunier, mais plutôt du genre à juste passer à autre chose, il n’aime pas les conflits, à quoi bon en chercher ? S’ils ont pu se passer de l’autre pendant quatorze ans, ça peut bien se poursuivre ainsi, non ?

Theodore n’est pas le genre de magicien à monter sur scène vêtu d’un costume trois pièces, nœud papillon et chapeau haut de forme. Il porte une longue chemise noire, un pantalon de la même couleur et une paire de converses blanches. Sobre, parce qu’il n’a pas besoin d’artifice pour capter l’attention, c’est terriblement prétentieux de sa part et pourtant ça fonctionne. Pas s’assistante, pas de jolie fille en robe, non pas que ça lui déplaît, mais il sait occuper la scène tout seul, doublement prétentieux. Dans la main, il a ce cube multicolore tandis qu’il entre dans la lumière sous les applaudissements de certains qui ont fait le déplacement pour lui. L’air sérieux, mais avec ce léger sourire en coin qui a le don de faire des ravages. La beauté de sa simplicité pour réaliser de l’extraordinaire.

Il salue son publique avant de commencer par quelques numéros simple qui pour certains firent même rire l’audience en raison des expression du faciès du magicien et de son humour sarcastique. “ Avant de partir, je devrait peut-être faire quelque chose avec ce que j’ai apporté au tout début, non ? “ Il repris le rubiks’cube qu’il avait posé sur la table noire devant lui et l’envoie en l’air à grande hauteur pour le rattraper avec le pli du coude dans un geste semble être très flegmatique, mais demande la précision de savoir faire en matière de jonglerie. Il replace le cube mal placé à l’abris des regard avec sa dextérité unique en faisant mine de mélanger les bandes de cubes ce qu’il fait de manière très stratégique pour la réussite de la suite. Il montre casse-tête mélangé à l’ensemble du public qui n’a encore jamais assisté à ce tour. Merci Jonas. Theodore le lance à nouveau, beaucoup moins haut et lorsqu’il atterrit dans son coude le casse-tête est résolu… Comme par magie. Cela eut le mérite de bluffer la salle qui applaudit fortement le magicien qui dépose le casse-tête sur sa tête, en réalité il n’y a que 4 faces de parfaitement alignées, mais il se passe de dévoiler la supercherie… et balayera même l’objet en déposant dessus un morceau de tissus qui semblent le gêner pour la suite, mais qui sert uniquement à protéger le secret.

Place au dernier numéro, le clou du spectacle, quelque chose qui vous fait oublier tous les tours de passe-passe un peu plus tôt, puisque le final est un clin d’œil au propriétaire des lieux qui est lanceur de couteau. Theodore s’expérimente comme fakir en faisant venir sur scène une grande épée, c’est un tour qu’il a exécuté de nombreuses fois à Vegas et qui lui demande beaucoup de concentration, une certaine forme physique et surtout le bon matériel pour.... Cette fois deux assistants sont nécessaires pour porter le magicien au-dessus de la pointe de l’épée d'arrivée vers le ciel. Theodore tient alors miraculeusement allongé sur la pointe de l’épée pendant une dizaine de secondes avant qu’il ne descende de plusieurs centimètre et ait l’air empalé sur la lame. Pour plus de drame et de réalisme ; ses bras, ses jambes et sa tête pendent comme s’il était sans vie, il ne bouge pas, bercé par des cris pour le moins horrifiés et surpris. Quelques dizaines de secondes plus tard, les assistants viennent soulever le magicien poids plume, qui une fois à nouveau verticalisé est parfaitement en vie et souriant, saluant les personnes présentes.

Ensuite disparait sous les applaudissement alors que les assistants poussent le matériel jusqu’aux coulisses.

Après ça, le lanceur de couteau entre sur scène et Theodore troque ses vêtements pour des jeans-t-shirt et filer en direction du bar s’offrir un cocktail russe à base de Vodka. Il a beau savoir que Jonas est probablement quelque part dans la salle, il se voit mal se mettre à sa recherche, il se contente de se rendre visible au risque de déranger la prestation de Sacha, mais il sait le russe capable de capter l’attention du public pour que personne ne le remarque, mis à part peut-être Jonas s’il est vraiment venu pour le voir lui.

Son Rubik's Cube était censé être donné à la fin du spectacle, et non au début de celui-ci. Pourtant Théo entra en scène avec son Rubik's Cube dans les mains et il se fondit davantage dans la pénombre.  Pour cependant rapidement tout oublier devant les tours qui se succédaient, se moquant bien de savoir que tout cela ne fonctionnait que grâce à des trucages. Sauf pour le dernier numéro où il fut plutôt content de savoir qu'il allait -normalement- retrouver Théo sur ses deux jambes une fois le tour fini ! Et lorsque ce fut fait -oui, il avait tenu à s'assurer que Théo était toujours bel et bien entier- il se leva discrètement pour aller aux toilettes et sortir son téléphone.

...Toujours rien.

Même avec le décalage horaire, Sanders aurait dû recevoir son mail et il ne savait juste pas comment prendre ce silence pour le moins préoccupant. Mais ce n'était pas non plus comme s'il pouvait faire quelque chose de plus en cet instant. Il prit donc le temps de se passer le visage à l'eau histoire de se réveiller de ce cauchemar parce qu'après Davis, il en était à s'occuper de Sanders. Et il se demandait bien quant tout ceci prendrait fin, et surtout où était passé le gentil Jonas qui n'aurait jamais voulu faire du mal à qui que ce soit... Sauf que Jonas était censé être six pieds sous terre, et tellement mort qu'il ne devait surtout pas déranger les vivants. Et alors qu'il retournait dans la salle où un type était toujours à jouer avec ses couteaux, ce qui ne l'intéressai absolument pas, il pouvait voir Théo assis au bar. Et il n'était pas assis seul au comptoir par hasard, surtout que le spectacle n'était pas fini...

Comprenant le message subliminal, il alla le rejoindre au bar où il se commanda un soda sans sucre avant de s'asseoir sur un des tabourets sans lui porter davantage attention. C'est qu'il avait compris -et même appris à la dure parce que ça avait été une leçon plutôt amère à avaler- qu'il lui fallait garder de la distance avec son passé, et Théo faisait partie au même titre que son frère de celui-ci. Restait à trouver la bonne distance, et pour cela il n'avait pas d'autres choix que de tester en y allant sur des œufs. Mais c'était après tout, quelque chose qu'il avait l'habitude de faire... "Chouette spectacle, j'ai vraiment été impressionné." Quoiqu'il supposait qu'il était un public facile à ne jamais chercher les trucages et à juste s'émerveiller de ce qu'il voyait. Et d'autant plus qu'il n'avait pas eu beaucoup l'occasion de s'émerveiller ces quatorze dernières années... Même si maintenant, il le faisait pour à peu près tout, que ce soit le simple fait de pouvoir sentir le vent sur son visage ou juste la douceur de son tapis sous ses pieds. Mais il en restait des plus merveilleuses que d'autres parce qu'elles rendaient les choses impossibles possibles, et les tours de magie de Théo en faisaient définitivement partie. "Notamment par le truc du Rubik's Cube parce que tu pouvais pas savoir, tu n'as donc pas pu préparer ça à l'avance..." Remerciant le serveur qui lui donnait sa boisson, il se tourna enfin vers Théo. "J'étais curieux de voir ton spectacle mais t'étais censé avoir le Rubik's Cube à la fin de celui-ci, pas au début. Mais ce que tu as fait avec, c'était... Vraiment bien." C'était plus une constatation qu'un réel reproche tant il avait été soufflé -comme toute l'assistance d'ailleurs- par le numéro effectué. Ca avait été du grand art et il ne cachait pas son admiration.

Trouvant le temps long, parce que Theodore est de ces personnes qui s’ennuient très vite, il se mit à observer Sacha et son talent de lanceur de couteau. C’est un numéro impressionnant, Theodore n’ose imaginer les heures d’entrainement pour acquérir ce genre de dextérité, la force nécessaire pour lancer aussi loin et de manière parfaitement précise. Une discipline respectable aux yeux de Theodore, qui en réalité apprécie tous les métiers de la scène. Quelqu’un vint finalement s’asseoir près de lui, Theodore voulu voir le dernier lancé de son ami avant de s’intéresser à celui qui venait de se commander un soda diète et qui le complimente sur sa prestation.

La maladresse des compliments fit sourire l’illusionniste avec cette tendresse qu’il ne réserve qu’à peu de personne. Même s’ils se sont quitté sur une dispute, le brun n’est pas une personne rancunière et il a tendance à se focaliser sur les aspects positifs des choses. Non pas qu’il soit un horrible optimiste, mais c’est sa manière à lui de traverser le négatif. Sourire, être heureux. C’est ce qu’il s’est toujours efforcé d’être ou de renvoyer comme image, cela date de son enfance et il n’est pas près de changer. C’est probablement pour cela qu’il est capable de perdre patience face à quelqu’un qui ne fait que de se lamenter sur son triste sort… Surtout lorsque lui-même ne se sentait pas au top de sa santé mentale.

“ Content que ça t’ai plu. “ Même s’il n’échappe pas à son lot de haters, parce que pas assez conventionnel, parce que ceci ou cela. Theodore n’écoute pas vraiment les critiques sur son style, mais uniquement celle qui visent à améliorer ses performances, ce qui est rarement le cas venant du public. “ C’était un beau cadeau, merci. Mais il va falloir perdre cette fâcheuse manie de saboter le casse-tête, hm ? “ Il lui sourit à nouveau, lui adressant au passage un clin d’œil presque complice, il porte son verre à ses lèvres en relevant le regard vers le barman prit en flagrant délit d’espionnage indiscret. Gêné, il s’en part nettoyer des verres déjà propres un peu plus loin. Theodore lève les yeux au ciel, dieu que les gens idiots peuvent l’ennuyer, même après toutes ces années dans le showbiz, il ne s’y fera jamais !

“ J’ai lu tes bouquins… “ Il faut croire que chacun a fait sa B.A, l’un en allant voir le spectacle de l’autre et lui avec un peu de lecture. Il reporte son regard vers son ami d’enfance. “ Plutôt sombre comme univers, j’imagine que ça reflète malheureusement une part de vécu. “ Il n’est pas en train de le plaindre, c’est pas dans sa nature, mais Teddy fait beaucoup d’efforts question empathie ces derniers temps et il est sincère. Dans le fond ça l’étonne pas d’avoir un Jonas à moitié dépressif en face de lui, mais cultiver sa noirceur dans des livres, ça ne lui semble pas être particulièrement sain comme procédé. “ C’est très bien écris… Mais je ne pense pas en lire un troisième, à moins que tu m’assure que ton prochain opus soit un peu plus léger. “ Franchement, il ne voit pas l’intérêt de lire des trucs aussi tristes à part pour avoir le cafard, pour nourrir la déprime. Theodore n’est pas un fanatique d’histoire à l’eau de rose qui finissent bien, mais le juste milieu lui est préférable, avec un peu d’humour c’est ce qu’il préfère. “ En fait, je lis rarement… En dehors des revues scientifiques, ouais... Je suis toujours ce même intello ennuyeux... “ Il accompagne cette révélation d’une moue grimaçante avant d’hausser les épaules, coupable d’être une tête d’ampoule relativement cool.

Que le Rubik's Cube soit un beau cadeau, il ne le pensait pas mais qu'il soit saboté, il ne pouvait pas dire le contraire ! "Si je ne le fais pas, c'est trop facile pour toi." Et l'excuse valait à elle seule tous les sabotages qui pourraient être faits. "D'ailleurs, t'as réussi à le résoudre juste en le jetant en l'air." Et il se moquait bien de savoir qu'il puisse y avoir un truc là-dessous. Parfois, il ne vous restait plus que le rêve pour vous maintenir en vie, et pour rien au monde il n'aurait voulu perdre cela. Même si en vérité, cette "capacité" s'évaporait à la façon d'une poignée de sable entre ses doigts ouverts. Parce que quatorze ans avaient passé, parce qu'il fallait regarder les choses en face et parce qu'on ne rattrapait pas le passé...

Et s'il sourit au clin d'oeil, il ne répondit cependant pas à la question sous-jacente. Ah quoi bon puisque la réponse était déjà contenue dans la question non formulée... Et puis, il s'était déjà ouvert. Trop ouvert. A la façon d'un gamin rentrant d'un long mois de colonie de vacances et sachant que son retour était attendu de pied ferme par toute la famille avec embrassades et câlins à la clé alors qu'il aurait toutes ses aventures accrochées à la bouche. Sauf qu'un décès et quatorze années d'absence ne donnait pas tout à fait le même résultat, même pour ceux n'ayant pas su qu'il avait été déclaré comme mort... Il avait été incroyablement naïf, le monde avait changé. Et lui-même avait changé, et suffisamment pour avoir endossé un autre nom à la place du sien. Il en haussa donc les épaules tout en admettant bien volontiers. "C'est sûr que ce n'est pas La petite maison dans la prairie mais ça avait déjà été écrit alors j'ai dû faire autre chose." Ce n'était même pas ironique. Juste résigné avec une note d'indifférence qui le laissait totalement imperméable aux critiques. Ce qu'on pouvait penser de ses livres n'avait aucune importance à ses yeux, et en vérité il avait toujours du mal avec l'idée qu'il soit acheté et lu. "Autopsie d'un criminel... Je viens de le finir et j'essaie de le faire éditer. Mais t'as raison, t'as pas besoin de lire ça. Comme aucun de mes autres livres d'ailleurs." Ecrit ou pas encore écrit. Ses livres n'avaient de toute façon toujours été écris que pour lui. L'édition était une chose annexe qui avait été décidée pour lui et dont il se serait bien passé au vu de ce que ça lui avait coûté. Sa dernière part d'innocence sans doute...

Et il sut que jamais son "Alice" serait achevé. Parce qu'Alice, c'était lui et que maintenant qu'il n'avait plus de bouteilles à la mer à lancer, il pouvait juste refermer en douceur cette porte là et arrêter d'écrire... Et là encore, la réalisation venait de Théo. "Je crois que tu as raison, je vais arrêter d'écrire. C'est mieux qu'Alice ne prenne jamais vie autre part que dans mon esprit... Et je ne t'avais jamais trouvé ennuyeux." D'autant qu'à l'époque, ils partageaient une vraie amitié malgré leur différence d'âge. "Et c'est bien de savoir qu'il y a des choses qui n'ont pas changées... C'est rare. Tout s'est tellement transformé en quatorze ans que souvent, je ne reconnais plus rien." Rare et donc précieux. Sauf qu'à l'époque, Théo créait du rêve devant ses yeux émerveillés alors que maintenant, il détruisait son monde onirique à chaque nouvelle rencontre... Et s'il ne parvenait pas à lui en vouloir pour ça, il se demandait tout de même ce qui li resterait à la fin. Visiblement, pas grand-chose...

Un casse-tête tellement facile qu’il l’a résolu en le jetant en l’air, c’est ce que pensent les gens qui ne cherchent pas le “truc”. Certains n’assistent à ce genre de spectacle uniquement pour essayer de desceller les secrets de magie, mais la plupart se laissent transporter par l’instant, c’est pour ces gens-là qu’il performe. Les autres… Il s’en moque.

L’australien ne pu contenir un léger rire alors que Jonas lui répond que la petite maison dans la prairie était déjà pris, cette répartie amusa vraiment l’illusionniste. Le prochain titre semble tout aussi macabre que les autres opus, alors il sent qu’il va passer son tour même s’il a apprécié la qualité d’écriture de son interlocuteur. “ Pourquoi tu ne te ferais pas éditer celui-là ? T’as l’air assez connu dans le domaine. “ Les maisons d’éditions doivent sans aucun doute s’arracher les auteurs en vogue, comme les agents et les salles de spectacles de Vegas pouvaient parfois se battre pour lui. Ici, il a moins de choix, l’offre et la demande n’est clairement pas la même. Au final, ça ne le dérange pas… C’est en trainant à Bowen qu’il retrouve le plaisir d’être relativement anonyme, c’est une liberté qu’il n’avait pas eut depuis si longtemps. Tout comme le fait de se faire des amis pour ce qu’il est et non pas parce qu’il est Monsieur Teddy Kelly.

Ses sourcils s’envolent quand Jonas affirme qu’il va arrêter d’écrire. “ Je ne t’ai pas dis d’arrêter… Tu dois écrire, si c’est ce que t’as envie de faire. Même si c’est glauque, si c’est ce que t’aime écrire, pourquoi t’arrêterais ou changerait de registre ? “ Parce qu’il a donné son avis ? Theodore doute que son point de vue puisse tant compter à ses yeux. “ Tu peux faire tout c’que tu veux… Tout. “ Il le pense, comme il le pensait quand ils étaient mômes.

Theodore bu une nouvelle gorgée de sa boisson alcoolisée avant de déclarer à Jonas “ Moi j’vais arrêter… J’vais rester ici et j’pense pas gagner ma vie en faisant quelques dates au Délirium. “ C’est surtout qu’il s’ennuie, la lassitude est son pire ennemi. “ Je ferais encore de la magie, de temps ici, et à l’hôpital. Il est temps pour moi de faire quelque chose de nouveau. Et... J’aurais peut-être besoin d’aide pour mon prochain projet, un coup de pouce de quelqu’un qui sait écrire des scenarii. “  Il n’aurait clairement jamais pensé demander à Jonas de l’aider dans son futur projet, mais puisqu’il l’a devant lui, il se dit pourquoi pas après tout ? Il ne veut cependant pas lui forcer la main ou le mettre au pied du mur et puis son projet n’est vraiment qu’une ébauche, il a encore le temps de se pencher sur la question. “ Alors, as-tu aussi trouvé une bonne raison de rester ici ? “ Même si Teddy n’a pas précisé encore ce qui l’a fiat revenir et qui surtout le fait rester dans cette ville qu’il a abandonné il y a quatorze ans déjà.

S'il avait craint un instant ne pas savoir quels sujets aborder avec Théo pour ne le froisser, il s'avéra rapidement qu'il pouvait parler de lui. Ce qui rendait les choses tout de suite plus faciles, même si là encore il faisait attention à ne pas trop s'étendre. D'ailleurs, l'entendre rire à sa remarque sur La petite maison de le prairie lui permit de se repositionner de façon un peu moins tendue sur le tabouret, tout en regrettant cependant de ne pas pouvoir s'asseoir à même le sol. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, et il en avait d'ailleurs été le premier surpris, c'était ce qui restait le plus difficile à retrouver. Même davantage encore que le fait de se mettre à jour sur les "nouveautés" du monde, chose qu'il était loin d'avoir totalement fait parce que dès qu'il se penchait sur internet ou allumait la télé sur les chaînes d'infos en continu, la somme des choses qu'il avait à apprendre lui donnait juste le tournis. Mais habituer son corps et son esprit à vivre au-dessus du niveau du sol restait définitivement la chose la plus compliquée à faire... Il avait donc tenté de se mettre un peu plus à son aise alors qu'il expliquait un peu la situation. "Le truc c'est que j'ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête à cause de mon connard d'éditeur. J'ai pas tenu compte de ses menaces et mon livre, c'est... Une déclaration de guerre que je lui fais. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour le contrer, tout révéler moi-même dans un livre que je lui demande de publier... Il risque de ne pas trop apprécier la manœuvre. Mais je m'en fous, c'est pas comme si j'avais beaucoup à perdre de toute façon." "Tout révéler" était sans doute un bien grand mot puisque toute l'action du livre ne se limitait qu'aux événements qui s'étaient déroulés au niveau de l'escalier au moment de la chute. Même si certaines choses se devinaient facilement en sous-texte, il s'était assuré que ça ne reste que des suppositions et des hypothèses.

Un livre donc, écrit sous l'impulsion du moment et avec la frénésie de celui qui clamait sa vérité. Bien loin donc d'Alice et de son atmosphère glauque qui engluait tout, jusqu'à ses mains tapant sur le clavier. "Non, ce n'est pas toi. C'est juste que... Alice est certainement le plus personnel de mes livres et je ne sais pas quelle direction lui donner. Ce que j'ai déjà écrit est bon mais là, je bloque donc je crois que je vais laisser Alice à son sort pour un moment et je verrais plus tard si je le reprends ou pas." Ou même s'il aurait le temps ou la possibilité de le reprendre. Parce que tout dépendrait certainement de l'enquête de police et des suites qui seraient données à celle-ci. Et peut-être même selon la façon dont Sanders allait prendre sa demande de publication quant à ce dernier livre. "Et puis j'ai trouvé un emploi à temps partiel." Enfin, peut-être un peu plus qu'à temps partiel pour lui vu sa condition physique. Mais il était libre de gérer les choses comme il le souhaitait et passer quelques heures de plus dehors non pas cette fois-ci à errer à travers la ville recherchant ce qui pouvait y rester de son passé mais à travailler, ne pourrait que lui être bénéfique. "Bien que c'était surtout un logement que je cherchais mais ça allait avec. Du coup, j'ai pris et me voilà devenu gardien de propriété. La dame qui occupait la maison de maître est partie en maison de retraite et en échange d'un logement dans un local à l'arrière de la maison, je dois m'occuper des extérieurs." Un travail qu'il n'aurait jamais pensé faire un jour mais qu'il allait tenter de faire au mieux histoire de ne pas se retrouver soudainement à la rue.  

Et apparemment il en était de même pour Théo, puisque celui-ci parlait d'arrêter les spectacles de magie. Et il y avait de quoi être surpris.  Il était vrai que le Délirium n'était définitivement pas Las Vegas mais de là à arrêter les spectacles... Quoique ce n'était pas tout arrêter puisque Théo parlait d'hôpital -sans doute pour les enfants malades- et il trouvait que c'était tout à son honneur. "Je suppose que c'est mûrement réfléchi mais ça reste... Surprenant. Bien qu'après toutes les scènes de Las Vegas, le Délirium doit te sembler très restreint... En tout cas quoi que tu veuilles faire, si tu as besoin de moi je serais là. Et ce sera avec plaisir." Parce qu'ils avaient beau se disputer, et Théo garder jalousement sa vie loin de lui -et il n'était après tout pas le premier à le faire- il n'allait certainement pas le laisser tomber s'il avait besoin de lui. "Mais il va falloir que tu m'en dises un peu plus si tu veux que je t'aide..." Parce qu'il pouvait garder sa curiosité pour lui mais là, Théo allait devoir lui parler un minimum de son projet qui l'intriguait fortement. Parce que des scénarii ? Et connaissant Théo, ça avait toutes les chances d'être lié à une scène... Du moins, il n'en serait pas étonné.

Quant à sa question, il resta un instant à y réfléchir les yeux levés vers le plafond. "J'ai promis que je resterai pour l'enquête de police, donc je reste. Et puis, je veux pouvoir récupérer mon identité." A défaut de pouvoir récupérer sa famille mais ça, il n'avait pas de prise dessus. Il pouvait juste accepter la décision de son abruti de frère. "Et où j'irais de toute façon ? Personne ne m'attend nul part... Au moins ici, je connais un peu la ville." Il se doutait que sa réponse pas assez assurée même à ses propres oreilles, n'allait pas plaire à Théo. Mais il faisait avec ce qu'il avait, et pour le moment il n'avait pas grand-chose. A part Moz, bien sûr. Mais avec Moz, la question ne se posait pas. Il le suivrait où il irait, et l'idée eut de quoi le faire sourire avec douceur.

“ Pourquoi tu ne publie pas chez un autre éditeur ? “ Cela semble évident pour Theodore. “ Aucun contrat d’exclusivité est réellement impossible à défaire, je sais de quoi je parle. “ Teddy n’est pas du genre à partir fâché, il se concentre sur le positif alors il a pardonné à l’Italie depuis bien longtemps. Mais quand il a voulu partir, la salle où il se produisait a exigé de lui ses secrets et l’interdiction de produire ses numéros crée ici dans un autre endroit. L'illusionniste leur a bien ris au nez et obtenu gain de cause avec un bon avocat. Si ce n’est que ça, il peut lui suggérer de prendre contact avec son avocate, Theodore ne supporte pas ces rapaces qui accaparent les talents d’un artiste. Un artiste est fait pour être libre et écrire, c’est une sorte d’art quelque part. Jonas aurait bien besoin d’enfin se libérer...

“ Ah bon ? “ Non pas que ça l’intéresse vraiment de savoir quel travail Jonas a bien pu se dégoter, non pas que Jonas ne l’intéresse pas ! Mais souvent, le job des gens est d’un ennui mortel, ce n’est pas qu’une légende que Theodore Kelly supporte mal l’ennui. Cela s’avéra bien plus intéressant qu’il ne le pensait, non pas que gardien soit une carrière palpitante, c’est le côté inattendu qui parvient à capter l’attention de l’homme de scène. “ Eh bien, félicitation pour ce travail… “ Même si c’est du gâchis aux yeux de Theodore, exploiter ses capacités c’est ça qui donne sens à la vie, en faisant du jardinage, il doute que Jonas exploite grand-chose, mais il s’abstient d’être le connard condescendant qu’il est beaucoup trop souvent. À la place, il bois un peu et évoque le fait que lui aussi aura un changement de carrière et sous-entend qu’il pourrait avoir besoin de son ami d’enfance… Ça sera toujours plus palpitant que de planter des tulipes dans le jardin d’une maison inoccupée.

“ J’vais avoir besoin de me libérer du temps et de créer quelque chose de nouveau. “ Il prend note que Jonas est volontaire pour l’aider, ce à quoi il ajoute. “ Je t’en dirais plus quand j’aurais les études de faisabilité du projet, mais je serais ravi de… De t’offrir un travail... “ C’est un peu gênant, mais il est persuadé que le poste qu’il pourrait proposer à Jonas conviendrait beaucoup plus à celui-ci qu’un emploi de gardien ! “ Je peux seulement te dire que c’est un travail qui alliera talent d’écriture et où tu pourra t’amuser. Je suis certain que ça te plaira, alors… Reste dans le secteur. “ Cela pourrait être une motivation supplémentaire pour le blond de rester à Bowen. Le magicien n’est pas certain que Jonas sache ce que c’est que de s’amuser au travail, Teddy a bien envie de lui tendre la main, mais il ne veut pas lui vendre quelque chose que la ville ne lui autorisera peut-être pas. Patience.

Après la réponse un peu déprimante de Jonas, Theodore fit signe au barman de le resservir. “ J’imagine que c’est long ce genre d’enquête…” Une fois le barman éloigné, Theo ne touche pas immédiatement à son verre mais se tourne plus franchement vers son interlocuteur. “ Ton rubicks’cube… Si tu veux bien, j’vais l’offrir à quelqu’un de spécial pour moi. “ Il a passé des heures à se demander ce qu’il pourrait bien offrir à Penny le jour où il la rencontrerais enfin, il ne connait rien d’elle, il ne sait rien de ses gouts. Mais elle est sa chair et son sang… Il doit miser sur ce qui lui aime, c’est tout ce qu’il peut lui offrir dans un premier temps.

“ Quatorze ans… C’est long… “ Il sait que Jonas peut comprendre ça, à quel point c’est une éternité. Quatorze fichues années ! “ C’est l’âge de ma fille… Et je ne le savais même pas. “ Qu’est-ce qu’il est censé faire de ses émotions lorsqu’il parle d’elle ? Theodore n’en a pas la moindre idée, il aimerait voir disparaitre son anxiété comme il peut faire disparaitre un jeu de cartes, mais la vie est beaucoup plus difficile. Pourtant, à le regarder on n’imagine pas à quel point il souffre à cet instant, il a l’air d’un type tellement fort et noble, un type qui arrive à tout surmonter, qui gère tout, même ça. C’est ce qu’il renvoie alors qu’à l’intérieur il a juste envie d’exploser comme il l’a fait sur le quai de gare l’autre jour. Personne ne gratte au-delà de la surface, il a assez de charisme pour que les gens n’aient pas envie de le repousser dans ses retranchement. Teddy est juste là, posé, le regardant dans les yeux, ajoutant le plus naturellement du monde “ Je me dis que ça pourrait lui faire plaire, je ne la connais pas vraiment encore et je n’ai pas besoin de deux. “

Changer d'éditeur... Ca semblait si simple dit comme ça. La réalité était autrement plus complexe parce qu'il doutait que Sanders accepte de perdre la poule aux oeufs d'or si facilement. "Parce que j'ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Parce qu'il aurait les moyens de me faire extrader vers les Etats-Unis et me mettre en prison pour trente ans si je tente de lui échapper ?" Bien qu'il aurait sans doute des circonstances atténuantes mais c'était les Etats-Unis, et là-bas on ne plaisantait pas avec la loi. Mais remise de peine ou pas, il ne comptait pas se laisser à nouveau enfermer. Jamais. "Fuir vers un autre éditeur n'est pas une solution. Il fera jouer le contrat d'exclusivité, et si je demande à un avocat de le révoquer, il mettra sa menace à exécution. Il n'a rien à perdre lui." Et quelles preuves pourrait-il apporter ? Ses romans ? Ce n'était que ça, des romans. La cave ? Il en était malade rien qu'à l'idée que quelqu'un puisse y descendre à nouveau. Et surtout, il n'oubliait pas que Davis avait été un ancien agent de la police locale, ce qui ne pourrait que faire mauvaise presse... D'où cette déclaration de guerre par roman interposé. C'était encore le mieux qu'il avait pu trouver.

Tout comme son premier emploi d'ailleurs, parce que ça restait tout de même son premier emploi. Même s'il était un peu tombé du ciel, qu'il restait lié à son logement et qu'il était finalement très libre dans les contraintes puisqu'il n'avait pas d'horaires, ni de patron à contenter. Juste un notaire qui était censé donner son accord pour les devis que ce soit de réparation ou autres nécessités. Et surtout, parce qu'écrire avait été tout sauf un véritable travail. Le "Merci." lui coula naturellement des lèvres alors que son attention se portait sur l'ébauche de proposition que lui faisait Théo. Et comme vraisemblablement il n'en saurait guère plus, il se contenta d'acquiescer à sa demande de rester dans le secteur. Et ce d'autant plus facilement qu'il était de toute façon "coincé" ici le temps de l'enquête. "Tu n'auras qu'à me faire signe quand ce sera bon pour toi. Et tu m'expliqueras les choses." Parce qu'il n'était pas contre du tout pour s'amuser mais encore fallait-il savoir de quoi il était question ! Mais il supposait qu'il saurait tout ça en temps voulu.

Quant au rubicks’cube, il en sourit devant cette demande pour le moins étrange. "Bien sûr que tu peux en faire ce que tu veux ! Et d'autant plus si c'est pour l'offrir à quelqu'un d'important pour toi." Et il ne pensait pas si bien dire puisque Théo avait une nouvelle à lui annoncer qui le scotcha littéralement. Parce que oui, quatorze ans c'était long. C'était même toute une vie... Et plus que jamais cette affirmation prenait tout son sens... "Ok... Tu as donc lâché Las Vegas pour ta fille. Wow... Sacré changement de vie." Surtout quatorze ans après ! De quoi donc effectivement faire une crise d'angoisse à la gare. Et pas seulement à la gare vu son regard qui ne lâchait pas le sien. Et qui dénotait totalement avec son attitude, au point de presque penser que c'était le reflet de son propre regard qu'il voyait dans les yeux de Théo. "C'est un beau cadeau je trouve... Et qui a du sens. Mais n'oublie pas de lui présenter ton propre rubicks’cube qu'elle comprenne d'où ça vient, et la filiation qu'il y a derrière ce geste." Parce qu'est-ce qu'on offrait à un petit frère qu'on n'avait jamais vu ? Et qu'on ne verrait peut-être jamais d'ailleurs... Foutue promesse ! Il faudrait qu'il pense un jour d'arrêter de promettre tout et n'importe quoi... "T'en as de la chance... Tu l'as déjà vue ? Elle te ressemble ? C'est cool que tu puisses la connaitre..." Clairement, il était enthousiaste pour deux et surtout il en était heureux pour Théo. Parce que lui avait une chance que lui-même n'aurait peut-être jamais, et par sa seule bêtise. Mais on ne faisait pas avec un jeune enfant comme on faisait avec une adolescente. Il ne pouvait pas donner tort à Judas là-dessus.

On pouvait dire que Théo avait le chic pour le faire réagir, même lorsqu'il s'était promis de ne plus prendre à cœur ce qu'il pourrait lui dire. Mais leur vie était comme une photo et son négatif, où Théo avait connu la gloire et le succès pendant quatorze années aux States alors que lui avait été enfermé dans une cave, et une fois revenu alors que lui ne connaissait que le nom et l'âge de son petit frère qui le croyait mort, Théo lui faisait connaissance avec sa fille... Il n'était pas jaloux, il en était même heureux pour Théo. "Bien sûr de la chance ! Une foutue chance de pouvoir entrer dans sa vie, de la connaitre et de vivre des choses avec elle ! Tu peux faire tout ça. Il ne tient qu'à toi de vous créer une belle relation, de vivre des tas de trucs ensembles et de faire en sorte à ce que tu deviennes quelqu'un d'important pour elle. C'est tellement... énorme !" Et c'était surtout une chose que lui n'avait pas. Du moins pour le moment, et il se raccrochait à ce petit bout de phrase. Pour le moment... Tant que Judas n'aurait pas digéré son retour, ce qui risquait de prendre encore pas mal de temps. Parce qu'il s'agissait de faire les choses bien pour tout le monde et ne pas débarquer soudainement avec un Coucou, en fait j'étais pas mort ! "Tu as une fille qui sait que tu existes, et que tu as rencontré... Tu vas pouvoir négocier avec sa mère pour l'avoir au moins un peu avec toi." Parce que c'était l'autre pan de l'histoire que Théo ne parlait pas. Mais ne voulant pas le bousculer, ou plutôt ne voulant pas le bousculer davantage qu'il ne le faisait déjà, il ne posa aucune question sur celle-ci préférant demander. "Et elle s'appelle comment cette petite ?" Parce que l'âge, il le savait mais son prénom ?

Mais si lui y mettait tout l'enthousiasme qu'il ne pouvait pas mettre pour Ralph, il sentait bien qu'il n'en était pas de même pour Théo. Et il savait exactement pourquoi. "Tu sais que c'est toi qui m'a appris qu'on ne rattrapait pas le passé ? Tout ce que tu peux faire, c'est de construire un avenir avec elle. Elle n'a que quatorze ans, c'est encore une "petite" même si ça, il vaut mieux ne pas le lui dire ! Mais... Imagine le jour de son mariage où tu l'auras à ton bras pour la conduire à l'autel... Et tout le chemin que vous aurez parcouru ensemble depuis aujourd'hui." Est-ce qu'il était ridicule à vouloir ainsi se focaliser sur le positif ? Alors qu'il serrait les dents et priait tous les jours pour que Judas finisse par accepter son retour... Comment avait-il seulement pu avoir la naïveté de croire qu'il serait accueilli à bras ouverts par sa famille ? "J'ai un petit frère, Ralph, il a six ans. C'est tout ce que je sais de lui. Ralph, six ans. Je... Je n'ai même pas vu une photo de lui. Il me croit toujours mort, tout comme mes parents d'ailleurs." Mais comment pouvait-il revenir "à la vie" à leur yeux ? En frappant à leur porte ? En leur téléphonant ? Ou même en leur envoyant une lettre ? Tout semblait tellement... Improbable ! Alors oui, Judas restait sa meilleure porte d'entrée pour revenir dans sa famille. Mais il fallait déjà que celui-ci commence par accepter son retour "à la vie".

Finalement au vu des sujets abordés, le secret sur son projet ne semblait plus si important pour Théo et ça le fit sourire alors qu'il promettait avec la meilleure volonté du monde. "Ok, je garderai ça pour moi." Et d'autant plus facilement qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il parlait ! "Euh...J'en suis à Youtube." Comme s'il y avait des niveaux à monter... Mais c'était surtout le nom du centre de loisirs qui l'interpellait. Escape game... Jeu d'évasion. Littéralement. Et il ne savait pas quoi en penser alors qu'il fixait Théo en quête de réponses. Pourquoi lui assurait-il qu'il s'y amuserait ? Et il n'eut pas le temps d'approfondir davantage la question alors que son téléphone vibrait, le rappelant à l'ordre quant à Sanders.  Et il fut presque étonné lorsqu'il prit son téléphone en main que c'était bel et bien lui. "Ah désolé, il faut que je réponde à ça... C'est mon connard d'éditeur et..." Et il en haussa un sourcil à la lecture du message. "Bon... Il veut rien faire par écrit, il veut que je l'appelle...." L'envie était grande de fermer le téléphone et de le faire patienter. Après tout, lui avait bien patienté toute la soirée... Mais c'était surtout qu'il avait tablé sur des messages, juste des mots écrits et pas une conversation où il n'aurait plus manqué que l'image pour l'avoir en face de lui. Et ça, ça restait compliqué. "C'est con que l'alcool me soit interdit, j'aurais bien bu un verre..." Il sentait l'angoisse monter et ses mains devenir moites alors qu'il les essuyait sur ses cuisses dans un geste devenu nerveux. "Bon, eh bien je vais pas devoir m'éterniser de trop si je veux pouvoir trouver de quoi enregistrer cette conversation. Tu sais où est-ce que je pourrais trouver ça ?" Parce qu'il comptait bien enregistrer ce qui allait se dire ! Peut-être que ça pourrait être utile à Manwë et à l'officier Da Silva ? Mais surtout, il comptait pour une fois jouer à armes égales avec Sanders.