i'm no superman (marcus)

Passé l’enthousiasme des premiers jours, Charly sent que sa vocation n’est pas d’être professeur. Ses collègues sont très sympathiques, il leur parle régulièrement lorsqu’ils se retrouvent ensemble dans leur salle de pause mais ce n’est pas ce qui fait tout. Il s’investit tout de même beaucoup pour proposer à ses étudiants de cours de qualité, à la hauteur de sa réputation mais il est également content de rentrer chez lui le soir ou d’aller aux entraînements de rugby. Sa petite mallette contenant quelques cours, un ordinateur et des stylos en tout genre, à la main, il traverse la ville à pied. Il ne fera sans doute pas ça tous les jours mais ça lui permet de découvrir un peu plus Bowen. Il s’autorise même quelques détours pour ne pas faire tout le temps le même trajet. Il observe les façades des immeubles, les gens qu’il croise, sans avoir l’air trop bizarre, les oiseaux, un peu tout. Il tente de s’émerveiller des petites choses de la vie comme sa psy lui a conseillé. Même si ce n’est pas en écoutant le chant d’un oiseau qu’il va oublier Jamie, justement, il ne compte pas l’oublier mais il y sera peut être contraint. Charly sort de ses pensées lorsqu’un type a l’air visiblement paniqué est passé à deux doigts de lui rentrer dedans de plein fouet. Il a évité l’impact de justesse, réflexe de rugbyman. D’une humeur plutôt généreuse, il lui demande « Ça va ? Vous avez l’air un peu perdu. » En réalité il pense davantage à paniqué que perdu mais comme il ne sait pas comment pourrait réagir l’homme en face de lui, il préfère ne pas trop le brusquer. D’autant plus qu’il a l’air assez baraqué, si le jeune homme ne doute pas de sa force, faisant pas mal de sport depuis son enfance, il n’a quand même pas envie de se prendre une droite de ce type.

Newton s'était barré. En règle générale l'animal faisait sa vie, il vadrouillait dans les rues de Bowen, les gens du quartier le connaissaient bien, il tapait parfois à différentes portes pour avoir de quoi manger ou juste pour quémander des caresses, il avait ses habitudes. Et puis il rentrait au bercail. C'était un chat après tout, un chat de gouttière comme on dit, il devait être né dans la rue et il avait choisi d'adopter le Elm et Marcus, un jour pas fait comme un autre. Depuis il était devenu officiellement son chat, il était pucé, il avait droit à ses rendez-vous chez le vétérinaire, il avait une identité. Mais il faisait sa vie, il était indépendant et ça convenait tout aussi bien à son maître qu'au félin. Sauf que depuis quelque jour il était en observation, il avait été renversé par une voiture la semaine précédente, rien de grave, heureusement, mais il fallait faire attention à lui et puis il avait une patte bandée qui nécessitait des soins. Sauf que l'animal était têtu et très mauvais malade, il en faisait des tonnes, il avait horreur que Marcus le soigne. Ce soir on venait de le prévenir qu'il s'était battu avec un autre chat et depuis, Newton s'était fait la malle. C'était bien sa veine, à Marcus, à cette heure-là, où le bar allait se remplir petit à petit, c'était le pire moment. Il avait pourtant abandonné son comptoir à Leo et il était parti à la recherche de son chat. Il avait fini par le retrouver, au fond d'une allée, mais quand il avait voulu l'attraper, Newton l'avait griffé et s'était enfui en sautant par dessus un mur. Clairement il n'aurait pas sa dose de croquettes de rab ce soir, non mais ! O'Brian avait soupiré, puis s'était mis à courir, un peu paniqué, parce qu'il avait peur que dans cet état là son chat se fasse renverser à nouveau. Il ne regardait pas vraiment où il allait, trop occupé à scruter tous les recoins où la bête pouvait se cacher. Et c'est à ce moment là qu'il failli percuter un homme. Le choc, ou du moins la façon dont l'autre l'avait esquivé lui avait fait perdre l'équilibre, il se rattrapa tant bien que mal et réussi à ne pas s'étaler sur le sol. Ca va ... oui. Il était un peu paumé là, il fallait l'admettre. Je ne suis pas perdu, non. J'ai perdu mon chat. Vous l'avez peut-être vu passer, un chat gris tigré avec un bandage à une patte ? Tiens, qui sait, peut-être que cet homme allait pouvoir l'aider.

Charly aurait très bien pu continuer son chemin et laisser cet homme paniqué à ses angoisses mais depuis quelques temps il a à cœur de racheter ses mauvaises actions passées. Il ne veut plus être cet homme qui défend des coupables coûte que coûte. S’il tient beaucoup à la justice et que chaque personne, coupable ou non, ait droit à un procès équitable et à une défense, il sait aussi que son esprit de compétition à souvent pris le dessus et qu’il a accepté des clients uniquement par défi, finissant par faire acquitter des coupables. Il n’a jamais été avocat de meurtrier, il aurait sans doute fini par mal vivre d’avoir permis la libération d’une personne qu’il sait coupable. Il a malgré tout fait économiser des millions à des entreprises peu regardantes sur l’environnement ou le droit des travailleurs, pas franchement de quoi être bien fier de lui maintenant qu’il y repense. Mais tout ça c’est du passé pour lui, il en a fait du chemin depuis et est devenu un homme meilleur même s’il n’a pas fait disparaître ses défauts pour autant. Le type paniqué lui explique que son chat a disparu et lui en donne une description. Charly voit tout de suite ça comme un défi, va-t-il réussir à aider cet homme ? A remettre la main sur son chat ? Il réfléchit à son parcours, aux personnes qu’il a croisé mais aussi aux animaux qui ont pu croiser sa route. A-t-il vu un chat avec un bandage ? Ça l’aurait peut être un peu plus marqué qu’un autre chat. Mais rien ne lui vient. « Non je ne l’ai pas croisé, désolé. » répond-il, un peu triste pour cet homme qui a l’air de tant tenir à son animal de compagnie. « Mais je peux vous aider à chercher. » Ce n’est pas comme s’il avait beaucoup de choses à faire chez lui de toute façon. « J’ai vu plusieurs chats passer qui allaient vers le petit parc là-bas, il y est peut être ? » tente-t-il alors. Il n’est pas totalement sûr qu’ils allaient vers le parc mais en tout cas, il a vu plusieurs chats se diriger dans la même direction durant sa balade, c’est qu’il doit y avoir un truc intéressant par là-bas.

Il fallait bien avouer que voir ce grand gaillard paniquer comme un gamin parce qu'il avait perdu son chat, ça devait être un spectacle peu commun et peut-être risible, un peu. Mais vu l'état dans lequel il était, Marcus s'en foutait totalement. Il avait quitté le Elm juste pour le chercher et s'était aventuré bien plus loin que ce qu'il aurait pensé, pour arriver dans un quartier résidentiel. Il n'était même pas au courant que l'animal était capable de s'éloigner à ce point de son foyer habituel, mais il fallait croire qu'il le connaissait mal et que Newton faisait clairement sa vie sans en informer son propriétaire. Chat ingrat. C'était bien sa veine d'avoir faillir percuter cet inconnu, le pauvre homme devait se demander qui était ce fou sorti de l'asile, mais visiblement il en fallait plus pour l'effrayer. Bon, il n'avait pas vu le félin, mais il lui proposait son aide. Sur le coup, O'Brian se senti décontenancé, il n'était pas contre, mais qu'est ce qu'ils allaient faire, tous les deux prendre un bloc et ratisser le quartier ? Ce gars avait sûrement bien mieux à faire. C'est sympa, vraiment, mais ça ira. Pourtant l'autre lui proposait déjà une piste. Il fallait avouer que le barman ne connaissait pas bien le quartier, mais peut-être que le brun y vivait, autant en profiter. Et puis son idée n'était pas idiote. Genre, réunion des félins anonymes ? On peut essayer. Et ils se mirent en marche vers ledit parc. Effectivement il y avait du beau monde dans les allées, des chats roux, des tigrés, des chatons, des matous, une belle brochette de poilus qui se mettaient sur la gueule pour … une boite de thon. Evidemment, quelqu'un les nourrissait, voilà pourquoi il y avait toute cette troupe. Et dans le lot, Newton n'était pas en reste, au diable sa patte en vrac, il faisait son mâle dominant sans se laisser marcher dessus. Sur le coup Marcus fut soulagé de le voir et même un peu fier que son animal soit du genre caïd, ça gonflait presque son égo, ce qui était totalement stupide. Il est là, bien joué ! Maintenant il faut que j'arrive à l'attraper. Et ce ne serait pas simple, il le savait, surtout si le chat avait faim. Il tenta une approche mais le félin se fit la male, une nouvelle fois. Merde ! Il vient vers vous ! Essayez de l'attraper ! Quelle aventure, ils avaient l'air bête, tous les deux, néanmoins l'inconnu jouait le jeu, une nouvelle fois.

Spoiler:

Comme pour rattraper ses erreurs passées, Charles proposait son aide à cet inconnu paniqué ayant perdu son chat. Il y a encore quelques mois ou quelques années maintenant, il serait passé devant ce type sans voir sa détresse ni s’y intéresser. Il aurait sûrement été le nez dans son téléphone à travailler, à penser aux dossiers qu’ils gèrent. Mais il a changé depuis, il veut se racheter. Déjà, il a arrêté sa carrière d’avocat et surtout de défendre des entreprises peu scrupuleuses qui auraient eu toutes les raisons d’être condamnées s’il n’y avait pas eu un vice de procédure ou une information obtenue de manière non légale dans le dossier. C’était ça son quotidien, trouver la petite bête et faire éviter à des entreprises de payer des millions de dollars de dommages et intérêts. L’éthique n’était pas la chose la plus importante pour lui, la compétition a toujours tout dépassé, peu importe qu’il veuille innocenter des coupables, il voulait surtout gagner et écraser la concurrence. Même si son nouveau travail de professeur à l’université n’est pas sa passion, il a l’impression d’être davantage utile et de faire un peu plus le bien autour de lui. Il décide de le faire un peu plus en aidant cet homme à retrouver son chat disparu. Celui-ci refuse d’avoir l’aide de Charly, avant de finalement accepter lorsqu’il lui donne une piste à suivre. Il a déjà vu plusieurs chats filer vers le parc alors si c’est un lieu de rendez-vous, ils trouveront peut être quelque chose là-bas. « Oui quelque chose comme ça. » répond-il en hochant la tête avant de partir en direction du parc avec le propriétaire du chat. Ils ne mettent pas longtemps à découvrir ce qui attire autant les chats du quartier, la nourriture bien évidemment. Le jeune homme reconnaît son chat mais le plus dur reste à faire, il faut l’attraper. Même avec une pâte blessé, il risque d’être rapide. En voyant le chat se diriger vers lui, Charly n’hésite pas une seconde, il plonge, ses réflexes de joueur de rugby n’étant jamais loin. Mais l’animal est plus rapide et agile qu’un rugbyman de troisième ligne. Le jeune homme s’étale donc par terre, prêt à sacrifier sa belle chemise pour attraper le chat mais celui-ci ne se laisse pas attraper et file. « Je crois qu’il va falloir lui donner à manger si on veut qu’il nous fuit pas. » dit-il en se relevant, époussetant sa tenue qui de toute façon sera bonne à partir à la machine.

hj : pas de soucis

Les heures de la journée s'enchaînaient rapidement lorsque Marcus poussait la porte du Elm Street. Il pouvait passer un jour entier sans voir la lumière du soleil à une certaine époque de l'année, il sortait rapidement se fumer une clope de temps en temps, mais lorsqu'il y avait foule il ne s'occupait pas de lui. Et encore moins de son chat. Animal et propriétaire cohabitaient bien, ils faisaient chacun leur vie et ne se préoccupaient pas tellement de l'autre. Généralement c'était en fin de journée que le chat venait traîner brièvement dans les pattes de son maître, il venait quémander un peu de lait, quelques croquettes, parfois même une caresse et puis il repartait. C'était le compagnon parfait pour celui qui donnait sa vie à son bar. Mieux qu'une femme, même, il était bien moins exigeant. Mais en ce moment O'Brian devait s'occuper un peu plus de son félin, à cause de sa blessure, il avait réussi à le faire dormir à l'appartement tous les soirs, pour éviter qu'il ne se batte, il prenait soin de lui. Mais voilà que ce soir, l'ingrat lui préférait une boite de thon. Il ne pouvait pas rivaliser, il fallait voir la vérité en face ! Une fois que les deux hommes avaient repéré la scène, le plan se mit tout seul en place, il n'était pas bien compliqué, mais Newton était du genre rapide, malgré sa blessure. Et quand Marcus comprit ce que l'inconnu allait faire il chercha à l'en empêcher. Laissez tomber, ne sautez pas ! Mais déjà l'autre venait de plonger, le geste était beau, sur un terrain de rugby ça aurait sûrement fonctionné. Mais avec un chat c'était perdu d'avance. Oh le con ! Il vit au devant de lui pour l'aider à se relever, sur les gravillons du parc ce genre de saut devait piquer. Vous ne vous êtes pas fait mal ? Clairement donner à manger à ce chat n'était pas une mauvaise idée, mais le barman ne se baladait pas avec son paquet de croquettes dans la poche. Ouais, vous savez quoi ? Il n'est visiblement pas à plaindre ni en danger. On va le laisser faire sa vie, il connait le chemin de la maison, je lui mettrais un peu de thon dans sa gamelle et il reviendra quand il voudra. On ne va pas lui courir après toute la nuit. vous avez autre chose à faire. Et lui aussi en fait ! Je peux vous offrir un verre pour vous remercier d'avoir ruiné votre chemise ? Je possède un bar dans le centre, à quelques rues d'ici, si ça vous tente. Une bonne bière nous ferait du bien. Comme ça Marcus retrouverait ses clients et il se sentirait un peu moins redevable auprès de cet homme.

Même si Charly n’a pas d’animal chez lui et qu’il n’en a jamais eu, il peut comprendre ce que peut ressentir cet homme perdu lorsqu’il ne retrouve pas son chat, qui est en plus blessé. Il s’est donc décidé à l’aider et à revêtir sa casquette d’enquêteur en herbe pour le retrouver. Ils ne mettent pas longtemps à le trouver, avec d’autres chats autour d’une boîte de nourriture. Forcément, il faut bien de la bouffe pour les attirer. Le jeune homme tente un plaquage de rugbyman pour empêcher le chat de s’enfuir mais il a une carrure bien plus agile et fine que les meilleurs coureurs qu’il a pu voir, forcément, il arrive à filer entre ses bras. Il se relève en en frottant un peu sa chemise et son pantalon qui n’ont pas trop appréciés le passage au sol non prévu. L’homme au chat lui demande s’il va bien. « Ça va, j’ai connu pire atterrissage ! » explique-t-il simplement. Le sol d’un terrain de rugby est certes plus mou mais les joueurs qui le foulent sont un peu plus agressifs qu’un chat. Il n’est pas rare qu’il sorte de match avec des bleus sur le corps, qu’il se fasse marcher dessus ou qu’il se prenne des coups, le plus souvent pas volontairement. Il espère seulement que ses vêtements vont réussir à être détachés par la machine ou le pressing, c’est la seule chose qui l’inquiète un peu. Le jeune homme lui explique que le chat a l’air d’aller plutôt bien et qu’il rentrera quand il voudra, ils ne vont pas le pourchasser jusqu’à pas d’heure. Pour remercier Charly de son aide, il lui propose de lui offrir une bière dans son bar, se trouvant non loin. « Oui au moins vous savez où il risque de se retrouver si jamais il ne rentre pas. » C’est à dire autour d’une boîte de thon laissée par quelqu’un dans le parc. « Ma chemise va s’en sortir vous inquiétez pas ! » Il n’a pas envie qu’il se sente obligé de lui offrir quelque chose pour le remercier. Il n’a pas fait ça pour ça. Certes son idée est surtout de racheter ses pêchés passés pour avoir bonne conscience donc ce n’est pas forcément mieux, mais il n’a pas envie d’imposer sa présence à cet homme. Après un moment d’hésitation il dit « Mais bon allons-y pour le verre ! » Il a besoin de voir un peu de monde, de se sociabiliser.

A la façon dont cet inconnu s’était jeté, sans hésiter, sur le chat, on devinait qu’il était athlétique, rugbyman, sûrement, il y en avait beaucoup en Australie. Lui, Marcus, n’avait jamais été trop sportif et encore moins dans les sports d’équipe. En école d’ingénieur il avait fait un peu de tennis, mais ça ne le passionnait pas. Il s’était trouvé un défouloir dans la salle de sport, quelques fois dans la semaine, selon son emploi du temps, mais ce n’était pas une passion non plus. Marcus c’était plus le genre cérébral, qui préférait faire fumer ses méninges que chauffer ses muscles. Clairement, lui aurait réfléchi à deux fois avant de plonger de la sorte, même pour son chat ! Ouais mais j’suis pas sûr que le jeu en valait la chandelle là ! L’autre n’avait pas l’air très inquiet, tant mieux. De toute façon ils avaient fait leur maximum, Newton s’était déjà fait la malle et là, vu l’état dans lequel il était, on ne le reverrait pas de sitôt, il n’était pas bête. Le chat reviendrait donc quand il voudrait, de toute façon il revenait toujours, l’appel du ventre ! C’est ça, il a sa bande de potes, au moins je sais qu’il a une vie sociale, c’est déjà ça. C’était même presque mieux que son propriétaire, lui au moins il sortait, il profitait de sa vie de chat, ce n’était pas forcément le cas de Marcus ! Il rit dans sa barbe. Si je m’inquiétais tant que ça pour la chemise je vous aurais proposé de vous en offrir une nouvelle. Mais, visiblement, elle survivrait. Par contre cet homme avait perdu son temps pour Marcus, ça c’était plus important selon lui. Ne vous en faites pas, c’est pas un rancard bizarre, moi je sers les bières, vous vous dégustez, rien qui vous engage à quoi que ce soit ! Il sourit, visiblement monsieur rugby n'était pas super à l'aise en société. Au fait, moi c’est Marcus ! Et ils se mirent en marche, le bar n’était pas bien loin, en deux minutes ils y seraient.

Oui Charly avait sans doute foncé sans réfléchir, ce ne serait pas la première fois. Il ne réfléchit pas toujours avant d’agir, un peu du genre impulsif. Alors forcément ça pouvait être étonnant de le voir bondir ainsi pour tenter d’attraper un chat. Même si le chat s’est enfui, son propriétaire est rassuré de voir qu’il va bien et qu’il reviendra sûrement au même endroit dès qu’ils auront filé, pour venir continuer à manger. « Oui, même si je pense que face à la nourriture, il n’y a plus trop d’amis qui tiennent. » répondit-il en souriant. Avec sa bande de potes à lui, c’est plutôt au poker où l’amitié ne compte plus. En même temps ce n’est pas vraiment le genre de jeu où les sentiments peuvent avoir trop de place. Ils discutent tout de même pendant les parties, sinon l’ambiance serait bien morose. La chemise de Charly n’était plus très propre mais rien de bien inquiétant. Si le propriétaire du chat avait voulu lui en racheter une du même type, il se serait sans doute ravisé en voyant le prix. Si le jeune homme n’étale pas sa richesse à coup de montre de luxe et de marques mises en évidence, il prend tout de même plaisir à acheter des vêtements plutôt chics et ne regarde pas trop à la dépense de manière générale. C’est au moins l’avantage d’avoir défendu les accusés lors de procès écologiques : ils paient bien, très bien, parce qu’ils ont davantage à perdre en perdant le procès qu’en payant cher leur avocat. « Si c’est pour moi que vous vous inquiétez, ça va. » lui assura-t-il. Cependant il accepta la proposition d’aller boire une bière. Le jeune homme le rassura, il ne s’agit pas d’un rendez-vous. Heureusement sinon il aurait sans doute trouvé une excuse pour fuir. « Je ne m’inquiète pas pour ça. » Il n’imaginait pas de trucs bizarres avant que celui qui se présente comme Marcus, ne lui en parle. « Et moi Charly. » répondit-il avec un sourire amical. « Donc comme ça vous avez un bar ? Lequel ? » questionna-t-il tandis qu’ils se mettaient en route.

Jamais Marcus ne s'était trop posé la question de ce que son chat faisait lorsqu'il ne traînait pas dans ses pattes, c'est à dire, le plus clair de son temps finalement ! Il avait sûrement songé qu'il chassait deux, trois bestioles par-ci par-là, mais surtout qu'il se trouvait un endroit tranquille où lézarder au soleil, comme il aimait le faire devant le Elm lorsque le soleil inondait le trottoir, puis changer de trottoir lorsque la lumière passait de l'autre côté. Une vie de rêve pour un félin en somme ! Mais finalement il fallait croire qu'il y avait tout un univers auquel il ne pensait pas, fait d'autres de son espèce, peut-être bien de tout un ordre et une place dans cette société que Newton semblait s'être faite. Quoi que le rugbyman le fit redescendre un peu sur terre, il avait raison, face à la nourriture, il n'y avait pas de pote chat qui tienne, c'était probablement chacun pour soi. Pour O'Brian, solitaire qu'il était, les amis c'était important et bien qu'il soit discret, ils savaient toujours où le trouver et qu'ils pouvaient compter sur lui, même pour enterrer un cadavre, du moins il imaginait, ça n'était jamais arrivé en vrai. Effectivement, s'il avait bien regardé, il aurait remarqué que la chemise de cet homme était particulièrement bien coupée et le tissu d'une qualité hautement supérieur à celles qu'l avait l'habitude de porter. Quoi qu'il ne portait quasiment jamais de chemise, sauf évènement important. Dans tous les cas il ne prenait pas forcément de plaisir à faire de shopping ou à s'offrir de beaux vêtements, il allait généralement dans les enseignes de prêt à porter classiques que vous trouviez dans toutes les villes et faisait son plein de polos, t-shirt et jeans lorsqu'il en avait besoin. Seules les chaussures étaient importantes pour lui, parce qu'il aimait qu'elles soient élégantes et aussi confortables pour supporter de piétiner tous les jours. M'inquiéter, c'est un grand mot, vous m'avez l'air d'avoir tenu le choc ! Sa petite blague eut au moins pour effet de détendre le dénommé Charly, il se doutait bien que l'autre n'avait pas cru qu'il le draguait, mais dans le doute, il avait préféré faire de l'humour. Je tiens le Elm Street, dans le centre. Il est assez connu des locaux. Vous n'êtes pas d'ici, je me trompe ? Non pas que Charly devait le connaître, bien que le Elm soit tout de même suffisamment réputé depuis le temps qu'il existait, mais il trouvait étrange de ne jamais l'avoir vu venir prendre un verre.

Il en faut plus qu’un bond sur le sol, pour tenter d’attraper un chat, pour ébranler Charles. Il est costaud et suffisamment solide pour supporter bien plus. Il a néanmoins l’habitude de finir les matchs avec des bleus et parfois quelques blessures mineures. Il lui est déjà arrivé de se blesser plus durement mais rien qui ne l’a empêché de retourner sur le terrain une fois rétabli, et même un peu avant, trop têtu pour écouter les conseils avisés des médecins. Si physiquement il est plutôt solide, encaissant les chocs sans grand mal, psychologiquement, c’est plus dur. Après cinq ans il n’a toujours pas digéré son divorce, persuadé qu’une réconciliation est possible avec son ex-femme malgré leurs retrouvailles houleuses. Il n’arrive pas à se relever de cette histoire aussi facilement qu’il y arrive avec un placage sur un terrain de rugby. Mais avec le temps, il apprendra à s’en remettre, mais pas maintenant. Marcus lui propose de venir boire un verre dans le bar qu’il tient, pour le remercier de son aide, même si elle n’a pas aidé à attraper le chat bien trop agile pour eux. Il lui explique être le patron du Elm Street. Charly en a entendu parler, forcément, même si Bowen possède une bonne proportion de bars par rapport au nombre d’habitants, il n’y en a pas une infinité non plus. Il y est allé une ou deux fois mais clairement pas de quoi marquer les esprits du patron. « Non, je suis arrivé il y a peu. J’étais déjà venu en vacances, mais cette fois c’est pour de bon. » expliqua-t-il en marchant. Il y est venu voir sa petite sœur avec sa famille à plusieurs reprises et finalement, dans l’idée de reconquérir Jamie, il a décidé de venir s’y installer pour de bon, une place de professeur à l’université s’étant libérée. « Du coup vous, vous êtes du coin j’imagine ? » En tout cas il est là depuis plus longtemps que Charles, puisqu’il y tient un bar connu des gens de la ville.

Effectivement, Marcus ne pouvait se fier qu'à ce qu'il avait vu ce soir, cet homme lui avait tout l'air d'être solide et de foncer dans le tas, mais il s'il pouvait être un roc physiquement, il pouvait également être brisé et foutu à l'intérieur. On portait tous notre croix, Marcus, quand sa femme était partie, il avait foncé tête baissée dans le travail pas celui auquel tout le monde avait pensé pour lui, il n'avait pas aligné les formules scientifiques en s'enfermant dans son labo, non, il avait préféré plaqué tout ça et s'adonner à sa vraie passion, aligner les verres sur un bar, plutôt. C'était surprenait pour un garçon qui passait pour un rat de laboratoire, mais en vérité, derrière son comptoir il était tout autre, il se révélait, il rayonnait. Il avait souffert du départ de Penny, mais sans le Elm il ne se serait jamais relevé, il en était certain. Ce lieu avait toujours été son phare, du plus loin qu'il s'en souvienne. Humm, on a de belles plages oui, c'est vrai, c'est une chouette bourgade pour des vacances. Mais de là à venir s'y installer, c'est un sacré pas. Lui, O'Brian, il était né ici, il n'avait toujours connu que Bowen, il n'avait même jamais voyagé, excepté ses années d'études dont il avait dû faire une partie à Brisbane, par obligation. Il ne s'imaginait nulle part ailleurs, seulement il était conscient que Bowen n'était pas la ville la plus attractive du coin. A moins devenir d'une ville encore plus paumée. Qu'est ce qui vous a décidé à vous installer, le travail ? En soi, il ne voyait que ça finalement. Ils poussaient la lourde porte du bar pour entrer dans une atmosphère sombre et tamisée qui fleurait le houblon, le vieux bois verni et le malte, avec une arrière odeur de cigarette, vestige des nombreuses années où les clients fumaient dans le bar, malgré le temps, les murs en étaient toujours imprégnés, mais ça faisait le charme du lieu. Marcus fut salué par des habitués et des clients qui l'avaient vu courir après son chat tout à l'heure. Alors Marc, il est où le matou ? L'apostropha l'un d'eux. Marcus lui sourit en haussant les épaules alors qu'il se dirigeait vers son comptoir. Il nous a échappé, j'avais pourtant un rugbyman sur le coup, mais cette bête est une tête de mule. Il invita Charles à prendre place sur l'un des tabourets face à lui, son attitude était bien plus assurée à présent qu'il avait repris son rôle. Oui, je suis d'ici, un vrai produit du terroir ! Alors, qu'est ce que je t'offre ? On notera qu'il l'avait tutoyé, le plus naturellement du monde, avec un sourire franc maintenant qu'il lui faisait face, attendant sa commande.

S’il n’y avait pas eu Jamie, jamais il ne serait venu s’installer à Bowen. Il serait venu aux vacances, pour recoller les morceaux avec Ashlee, sa sœur, mais rien de plus. Il est habitué à l’animation des grandes villes, ayant toujours vécu à Perth et ayant pas mal voyagé dans sa vie. Mais son obsession a fait qu’il a finalement décidé de venir dans cette petite ville perdue. Au fond c’est aussi l’occasion pour lui de couper les ponts avec son ancien travail et même s’il a du mal à se l’avouer, à changer de vie et peut-être un jour vivre de sa passion la cuisine. Marcus lui demanda la raison de sa venue en ville, supposant que cela devait être pour le travail. Charly ne se sentait pas d’avouer qu’il était là pour reconquérir son ex-femme à qui il n’a pas parlé depuis des années et qui visiblement a refait sa vie. Il en parle à ses amis, mais à des inconnus, il a tout de même peur de se faire juger parce qu’il sait que beaucoup ne comprennent pas ses choix, à raison. « Oui, j’ai eu une opportunité de changer de travail et de ville alors je me suis dit pourquoi pas. » mentit-il. L’avantage d’avoir été l’avocat de la défense pendant des années, c’est qu’il n’a pas de mal à mentir. En soir sa réponse n’est pas totalement fausse puisqu’il a réellement eu une opportunité d’emploi en temps que professeur à l’université mais il n’a pas choisi Bowen par hasard non plus. Les deux hommes arrivèrent au bar tenu par Marcus. Celui-ci fut salué par plusieurs clients, chose qui étonna Charly, peu habitué à ce qu’il y ait une proximité entre les clients et le propriétaire d’un bar. Lui est toujours resté plutôt distant, n’étant jamais personnel avec ses clients, restant toujours totalement professionnel, n’allant jamais dans le sentimental. Ce côté froid lui a beaucoup servi à une époque mais aujourd’hui il regrette de ne pas avoir été plus proche de certaines personnes. « J’aurai dû faire de la gymnastique ça aurait pu nous aider. » répondit-il en souriant. Il manquait d’agilité mais face à un chat il est dur de rivaliser. Le jeune homme demanda ensuite au barman si lui venait d’ici ou s’il a aussi fini par s’installer pour une quelconque raison. « Vous n’avez jamais eu envie de partir ? » demanda-t-il alors. Après tout pas mal de gens partent de leur ville natale durant leurs études et n’en reviennent pas forcément. « Une bière, peu importe laquelle. » dit-il pour sa commande. On lui offre à boire, il ne va quand même pas être trop exigent non plus.