"What will it be?" - Marcus & Yani

En plus de dix ans, le Elm Street avait bien changé et en même temps il était resté le même. Quand Marcus avait racheté le bar, il était clairement défraîchi, son vieux patron n’avait jamais vraiment fait d’efforts d’entretien ou de quelconque rénovation. Alors O’Brian avait investi pas mal de ses économies pour le moderniser un peu. Il avait arraché l’enseigne qui tenait de travers et qui, par je-ne-sais quel miracle, n’était jamais tombée sur personne et il en avait fait poser une toute neuve. Il avait refait les peintures, arraché la veille tapisserie usée. Ce bar avait un passé, certes peu glorieux, mais il faisait partie de son histoire, alors l’idée n’était pas d’en faire le nouvel endroit à la mode, mais plutôt de le rendre agréable tout en gardant son âme. Il avait fait patiner le bois du vieux comptoir, mais celui-là, il y tenait. Bref, le Elm était toujours le même que celui qu’il avait connu adolescent, mais en mieux et Marc en était plutôt fier. Il s’y sentait si bien, jamais il n’avait regretté d’avoir tout plaqué pour le racheter. Même si la raison qui l’avait poussé à faire ça n’était pas la meilleure, même s’il était en détresse à cette époque, plaqué par sa femme, terriblement malheureux, c’était le fait de racheter ce bar qui l’avait sauvé. Alors si pour certains ce n’était qu’un lieu et barman qu’un job, pour lui, c'était bien plus que ça. Ce soir-là le bar était plutôt calme, on était lundi, la semaine commençait à peine, O’Brian en profitait pour discuter avec ses clients. Même s’il adorait voir ce lieu rempli de vie, courir dans tous les sens pour prendre les commandes, il appréciait également les soirées plus cools durant lesquelles il avait davantage de temps pour sociabiliser. Il ne remarqua pas tout de suite la femme qui venait de pousser la porte, trop occupé à commenter avec une cliente le dernier match en date de l’équipe de rugby locale. Il s’approcha distraitement de la nouvelle venue avant de reporter son attention sur elle pour prendre sa commande. Oh merde ! Yani ! Je crois voir un fantôme. Mais qu’est-ce que tu fous là ?! Yani, bordel, c’était bien la dernière personne que Marcus s’attendait à voir ce soir. Il ne l’avait pas vue depuis, quoi ? Dix, quinze ans ? Il fit le tour du comptoir et, avec sa bonhommie naturelle, la prit dans ses bras pour un vrai bon câlin de retrouvailles. Il était toujours heureux de retrouver d’anciens amis et Yani en faisait définitivement partie.

Marcus avait connu pas mal de départs dans sa vie. Sa naissance avait commencé par un départ, celui de sa mère, morte quelques minutes après l'accouchement. Puis son père, quelques heures plus tard, incapable d'affronter ses responsabilités face à l'adversité. Deux abandons à même pas un jour de vie, c'était un sacré bagage, pour un si petit bébé qui n'avait rien demandé. Heureusement il avait grandi entouré d'amour, avec sa grand-mère bien aimée, ses cousin.e.s qui étaient presque comme des frère et sœurs. Il n'avait manqué de rien, en soi. Il avait développé une sorte de résilience, comme une philosophie de vie qui faisait des années qu'il profitait de chaque instant, même le plus simple, sans se prendre la tête. Il n'avait pas de grandes aspirations, il ne mettait personne sur un piédestal non plus. Ses amis étaient libres d'aller et venir, de suivre leur chemin, quel qu'il soit. Évidemment il y avait eu des exceptions, Penny ou Ann en avaient été la preuve, parce qu'elles étaient plus que des amies et la perte de Penny notamment, lui avait fait comprendre qu'il avait une réelle peur de l'abandon, elle l'avait détruit, il n'y avait pas d'autre mot. Mais Dani, ce n'était pas pareil, Dani était son amie, sa pote et quand elle était partie, certes elle avait laissé un vide, des questions sans réponses aussi, mais il espérait qu'elle soit heureuse. C'était tout ce qui comptait. Il l'écoutait avec un large sourire. T'as voulu retrouver la maison ! Il tapait son bon vieux comptoir du plat de la main, ce bar c'était chez lui, mais aussi le point de repère de beaucoup d'autres. On peut dire ça, oui. Quoique ça a toujours été une partie de ma vie, j'en ai juste fait ma priorité. Il avait commencé comme serveur à dix-huit ans, comme job étudiant pour se faire de l'argent, mais même avant ça, ce bar l'obsédait. Et même s'il était promis à une grande carrière de physicien, il était mille fois plus heureux derrière son comptoir que dans sa blouse blanche. Toujours ton éternel milkshake ! Tu sais quoi, je vais te faire ton horrible breuvage, j'me prends une bière et on discute. Ma serveuse peut continuer sans moi. Va t'asseoir, fait comme chez toi, j'arrive ! Il retourna derrière le bar, dit quelques mots à ses clients en préparant les verres. Demanda à Sierra de prendre le relais et que personne ne l'embête ce soir, puis rejoint Yani avec leurs boissons. Alors, comment je dois t'appeler, admiral, lieutenant, captain Daii ?! Il lançait des grades au hasard, il n'y connaissait rien, O'Brian, c'était un vrai pacifiste.