je l'ai rêvé si fort que les draps s'en souviennent (pecho/poncho)

Entre le Texas et l’Australie, on ne peut pas dire que la neige ait vraiment fait partie du quotidien de Perry. Il peut arriver parfois qu’il y ait un peu de neige à Austin mais ça reste plutôt anecdotique, en dehors de la vague de froid de février dernier qui reste exceptionnelle. Cependant, lorsqu’il était plus jeune, ses parents les emmenaient, lui et sa sœur, à Aspen en hiver. Il se souvient avoir appris à skier là-bas et qu’il aimait beaucoup jouer dans la neige et faire des batailles de boules de neige. Cependant, dès qu’il est rentré dans l’adolescence et qu’il a commencé à être plus intéressé par draguer en haut des pistes plutôt que de les descendre à toute vitesse, il n’a plus beaucoup pratiqué. Et même s’il ne déteste pas le froid, il préfère tout de même les climats doux ou chauds comme celui de Bowen. Du coup ça fait plusieurs années qu’il n’a pas mis les pieds à la montagne. Mais quand il a entendu la nouvelle comme quoi des voyages étaient offerts aux habitants de Bowen qui le souhaitaient, il a vite saisi l’opportunité. Il était sûre que ça plairait beaucoup à Penny et il voulait lui faire plaisir. Ils auraient pu partir tous les deux sans l’événement mais grâce à lui elle pouvait se retrouver avec ses amis et pas juste son père. Et puis il pouvait partir avec Concho et ses enfants. Ils avaient pris un petit chalet tous ensemble. C’était parfois un peu le bazar avec les enfants surexcités à l’idée d’aller jouer dans la neige mais au final pas beaucoup plus que d’habitude. Chacun avaient confié ses enfants soit à l’école de ski, soit à la garderie pour pouvoir aller descendre les pistes sans avoir à se soucier d’où se trouve leur petite troupe. Leur choix pour commencer se portait sur une piste bleue. Perry avait peut être été un peu trop ambitieux, une piste verte aurait peut être été plus approprié pour se remettre en selle. Arrivés en haut de la piste, il se sentait moins confiant en voyant la pente. Des types plutôt fort les dépassaient et descendaient la piste à toute allure, presque en ligne droite. Même des enfants qui devaient avoir l’âge de Penny, avaient un niveau qu’il jugeait incroyable. « Au pire on va au refuge juste à côté. » dit-il en étant à deux doigts de se défiler pour aller boire un chocolat chaud. Enfin ce n’est que remettre à plus tard l’échéance, il faudra bien la descendre cette piste.

J’étais excité comme un enfant le matin de Noël, mais je n’étais plus un enfant et Noël était déjà passé, depuis quelques jours à peine cependant. J’avais beau avoir des racines européennes, je n’avais mis les pieds en Irlande qu’une seule fois et c’était tout. Plus jeune, avec ma mère, on n’avait jamais eu l’argent pour un tel périple. Et même plus tard, adulte et salarié, j’avais mis mon argent de côté pour arrêter de stresser financièrement. Les voyages n’étaient pas vraiment ma priorité. Puis, quand j’avais gagné un énorme montant d’argent qui m’aurait certainement permis de faire le tour du monde, j’avais préféré ouvrir un organisme pour une cause qui me tenait franchement à cœur. Bref, tout ça pour dire que l’Europe, je n’y connaissais rien, son climat encore moins. On se les gelait, ici ! Heureusement que j’avais pu emprunter des vêtements chauds à des potes, comme ça je n’étais pas l’imbécile mal vêtu en haut des pentes. J’avais tout fait pour venir à Chamonix, même avec les complications engendrées par l’arrivée de Maxwell quelques jours avant Noël, et son départ la veille du réveillon du Nouvel an. Il arrivait à Bowen mais repartait à partir de la France. Ça avait été un vrai casse-tête. Heureusement, j’avais pu arranger tout de même son vol France-États-Unis avec une agente de bord qui allait l’accompagner dans tout le processus jusqu’à ce qu’il soit confié à Ally, à New-York. Elle l’attendrait à l’aéroport là-bas, tout comme moi j’attendrais ici jusqu’à ce que son avion décolle et que je le sache en sécurité. Mon petit bonhomme allait devenir un grand voyageur, à force de prendre l’avion seul comme ça. Bref, c’est donc sans trop de nervosité que je le confiai pour la matinée à un professeur de ski. Maxwell avait son groupe d’apprentis-skieurs et je savais qu’il allait être un pro. Lara, elle, bien trop jeune, avait été confiée à la petite garderie de l’hôtel. Évidemment, comme je n’avais pas trop la chance de me retrouver avec mes deux enfants en même temps, je n’allais pas les faire garder tout le long du voyage. Mais ce matin, avec Perry, on avait eu envie de se retrouver sans enfants pour quelques heures, et dévaler les pistes. Les dévaler sur nos skis, de préférence, et pas sur nos fesses. Mes jambes tremblaient, en haut de la pente désignée par un carré bleu. « Va falloir qu’on redescende quand même après alors rendu là, j’préfère passer ce mauvais quart d’heure en premier. » Visiblement, je regrettais de ne pas avoir commencé par la piste des tout-petits. « Rappelle-moi pourquoi on n’a pas décidé de passer ce précieux moment entre adultes à découvrir les bars et les restos de la ville ? »

Il avait été peut-être, sans doute, un peu trop confiant en voulant directement faire une piste bleue. Pour quelqu’un d’habitué à skier, recommencer une saison par une piste bleue c’est une petite balade de santé. Mais pour quelqu’un comme Perry qui n’en a pas fait depuis des années et n’était pas très doué déjà quand il était habitué et Concho qui n’est peut-être jamais monté en haut d’une piste, ce n’est pas la même histoire. En plus suivant les massifs, la cotation des pistes ne veut pas dire la même chose, une piste bleue dans les alpes sera rouge dans des massifs plus petits. Arrivé en haut du télé-siège, le jeune homme se défilait en voyant la pente qui les attendait mais il faudra bien qu’il la descende un jour. Essayer de repousser l’échéance ne changera rien à la difficulté de la tâche qui les attend et Concho l’a bien compris. Il préfère d’abord descendre la piste et ensuite aller au refuge, en se disant qu’ils ne referont plus jamais de descente de leur vie. « Nan mais au pire on reprend le télé-siège dans l’autre sens. » proposa Perry qui cherchait toutes les excuses pour ne pas descendre la piste. Après tout il a déjà vu des gens à pieds ou des saisonniers le faire alors pourquoi pas eux. Ils auraient peut être l’air un peu débile avec leurs skis mais il préfère passer pour un con, ce dont il a l’habitude, plutôt que de se lancer dans la pente. Le courage n’est pas vraiment une de ses qualités. « Parce qu’on est dans une station de skis et qu’on s’est dit que ça serait bien d’essayer un peu d’en faire...mais maintenant je regrette. » Mais c’est un peu trop tard pour ça. Posté près du début de la piste, tout un tas de gens les doublent et n’hésitent pas, eux, à se lancer, même les enfants, même les grands-parents. Il n’y a qu’eux à flipper comme ça, enfin c’est l’impression qu’a Perry. Au moins la piste est large alors s’ils se lancent ils risquent moins de rentrer dans des gens ou de finir par faire du hors piste contre leur volonté.

Quand Perry me proposa de reprendre le télésiège dans l’autre sens, je tournai la tête vers lui d’un mouvement brusque. « Ça se fait ? » Quel imbécile, pourquoi ça ne se ferait pas ? C’est comme si dans ma tête tu pouvais monter sans problème, assis bien confortablement – bon pas tant que ça – mais que dès que le siège faisait le tour en haut, c’était terminé, finito, une mort certaine t’attendait si tu décidais de passer de l’autre côté et de te rasseoir pour la descente. Comme si le siège devenait tout d’un coup hyper dangereux juste parce qu’il descendait plutôt que de monter. Pourtant c’était la même chose, j’avais juste jamais capté que ça pouvait être autorisé, vu que je n’avais jamais croisé qui que ce soit en contre-sens. Enfin, jamais, c’était un bien grand mot à utiliser sachant que c’était la première fois que je montais une aussi haute pente de ski. C’est juste qu’on aurait l’air de deux dégonflés qui redescendent par la voie la plus facile qui soit. Si Maxwell était en train d’apprendre, un peu plus bas, à dévaler les pistes … son papa en ferait de même ! Mais je remettais quand même en question notre choix d’activité, à Perry et moi. « Faudrait s’rappeler que quand on essaie de faire la bonne chose, c’est rarement une bonne idée. » Généralement, nos meilleurs plans et nos meilleurs moments étaient ceux face auxquels les autres nous disaient vous êtes sûrs ? Alors que ce matin, nos amis nous avaient encouragés à aller essayer ! Bande d’ignorants. Ils auraient dû se douter qu’on figerait une fois en haut. « Bon, quand faut y’aller, faut y’aller … ! On se reverra de l’autre côté ! » Et quand je parlais de côté je ne parlais pas d’en bas des pentes, je parlais de l’autre monde, l’après-vie, parce que clairement je chutais vers ma mort. J’y allai très lentement, mes skis en pointe de tarte. Alors que je pensais avoir fait au moins le tiers de la piste, je devais être à moins de deux mètres de Perry qui me regardait aller.

Ils étaient tous les deux prêts à se dégonfler et à prendre le télé-siège dans l’autre sens et à ne plus jamais entendre parler de pistes de skis. Concho se demandait si ça se faisait vraiment de reprendre le télésiège dans l’autre sens « Oui mais bon on aurait un peu la honte quoi. » Comme si c’était le genre de trucs qui les arrêtaient. En général c’est même plutôt ce qui les encourage. De toute façon, en descendant la piste sur des skis, ils auraient aussi l’air débiles. Chacun était en train de remettre en question tous les choix qu’ils avaient faits pour les mener en haut de cette piste de ski, bien trop au dessus de leur niveau même si accessible pour des débutants. « Pour une fois qu’on essaie de faire comme les autres ! » ajouta Perry en riant. C’est pas trop leur genre de faire les choses comme il faut. La preuve à trente ans passé ils vivent encore en colocation, avec leurs enfants et aux yeux des autres ils ont davantage l’air d’un vieux couple que de coloc de vingt ans, ce que eux imaginent dans leur tête. Des deux, Concho fut le plus courageux même s’il n’était clairement pas serein, il s’élança. Perry ne put s’empêcher de rire face à la position du jeune homme qui était plutôt ridicule et qui n’avait au final pas fait deux mètres. Il fallait qu’il se lance aussi, ce qu’il fit, en poussant sur ses bâtons, une fois dans la pente il glissa tout droit, en criant, essayant de ralentir sans trop y parvenir. Heureusement un moment de plat dans la pente réussit à l’arrêter en le faisant tomber dans la neige. Il ne savait pas comment Concho avait fini par s’en sortir mais il espérait mieux que lui. Il se releva, ayant perdu un ski dans sa chute qui devait sans doute être ridicule. Maintenant il devait le retrouver. Il le vit, tout seul, un peu plus bas sur la piste. Il se maudit de ne pas être descendu par le télésiège.

« Je préfère avoir la honte cinq minutes que de perdre mes jambes. » Dis-je pour relativiser. Dans ma tête, si je m’élançais sur cette pente de ski, c’est ce qui se produirait : je perdrais mes jambes. Je perdrais le contrôle – je l’avais déjà perdu en fait – et j’irais terminer ma course contre un tronc d’arbre centenaire, broyant mes jambes contre l’écorce ou un truc du genre. Ou alors, j’allais faire un saut périlleux – dans ma tête – et je perdrais mes skis en plein vol. Ces mêmes skis me retomberaient ensuite sur les jambes, les sciant en deux, et pas juste la métaphore. Ces visions m’embêtaient et me donnaient de plus en plus envie de rebrousser chemin. « On aurait dû savoir qu’on n’sera jamais comme les autres, Perry ! » Je secouai la tête de gauche à droite, avant de faire mes adieux à mon meilleur ami, m’abandonnant corps et âme à cette piste de ski. Dans ma tête, ça faisait une scène hyper dramatique, mais en fait j’allais tellement lentement avec mes skis en pointe de tarte qu’au final, c’était surtout d’un grand ridicule. J’entendis mon ami s’élancer à son tour, derrière moi, et quand je tournai la tête il était déjà en train de dévaler la piste sans tourner, sans freiner sa course, tout droit et en criant. « PERRY ! » Criais-je comme si j’étais en train de perdre l’homme de ma vie. J’allai un peu plus vite, pour suivre sa cadence mais franchement je n’étais pas inconscient comme lui, je continuais à faire mes petits virages pour ralentir le rythme de descente. Je le vis tomber et j’essayai de m’arrêter à côté de lui, mais clairement je n’avais pas encore les capacités nécessaires pour contrôler à ce point mon mouvement. Je continuai donc à descendre, sans même le vouloir, essayant de planter mes bâtons dans la neige pour m’arrêter, en vain. Ça me faisait juste perdre mon équilibre. « Non, non, pas par là. » Dis-je alors que la piste bifurquait vers la gauche mais que moi, j’allais plutôt un peu plus vers la droite, vers le boisé. « Aide-moi ! » Criais-je à Perry alors que je le savais pourtant encore couché au sol après sa chute.

Ils auraient préféré perdre leur dignité et avoir l’air ridicule plutôt que de mourir sur les pistes. Enfin, il y a peu de gens qui se blessent vraiment à ski, non ? La neige ça amortit les chocs ? C’est ce que Perry essayait de se dire pour se rassurer, ce qui fonctionnait un peu. Il rit quand son coloc lui dit qu’ils auraient dû se douter qu’ils ne seraient jamais comme tout le monde. C’est certain et pas seulement pour le ski. Tous les deux ils ne fitent pas vraiment dans les normes de la société, même si elles évoluent. Mais eux ça leur va bien de ne pas être dans les standards. « Mais on est trop cons aussi ! » répondit-il en riant. Et un peu inconscient aussi sans doute. Ils finirent par s’élancer, Concho lentement d’abord et Perry plus rapidement, sans contrôler sa vitesse ni sa direction. Il entendit son ami crier son nom tandis qu’il criait lui-même, jusqu’à ce qu’il se retrouve les fesses sur le sol, un ski en moins. Tandis qu’il essayait de se relever, un seul ski encore aux pieds, il vit son ami passer devant lui, tout aussi perdu que lui dans la gestion des directions. Il le vit se diriger du mauvais sens et lui demander de l’aide. Mais de là où il était, avec son niveau en ski, il était bien impuissant. « Essaie de faire un câlin à l’arbre ! » cria-t-il à travers la piste, sans certitude d’être entendu. En tout cas des touristes assistaient à leur spectacle catastrophique. Une personne bien plus expérimentée que lui vint à son secours, l’aidant à se relever et à déchausser son ski. Il la remercia et entrepris de descendre la piste, à pied, un ski en main, pour retrouver le deuxième, et Concho au passage. Il fit une partie du trajet sur les fesses, par manque d’équilibre et pour plus de rapidité, même s’il a vu que ce n’était pas toujours la meilleure option. Son ski l’attendait, posé sur la neige, il ne manquait plus que son coloc. Enfin, il leur faudrait encore descendre un bon bout de piste avant d’être sauvés de l’enfer du ski. Ils auraient dû faire des raquettes, c’est plus tranquille les raquettes, en tout cas ça va moins vite.

Effectivement, Perry et moi étions cons, très cons, trop cons. La preuve : nous avions l’air de deux clowns trois minutes top chrono après nous être élancés sur la piste. Pourtant, ce n’était pas un double losange noir, non plus. Il n’y avait pas de sauts, pas de glace, pas de virages à n’en plus finir. Le dénivelé était juste correct, correct pour la moyenne des gens. Mais Perry et moi n’étions pas dans la moyenne, nous étions un petit en-dessous, niveau débilité. Lui avait les fesses à terre et un ski manquant, que je vis d’ailleurs glisser à côté de moi jusqu’à un peu plus bas sur la piste. J’aurais bien voulu aller le récupérer pour lui, afin de le lui ramener en mode le prince ramène à Cendrillon sa chaussure de verre, malheureusement mon agilité ne me permit pas de prendre la bonne direction. À la place, je m’enlignai vers le boisé. J’entendis, perdue dans le vent, la voix de Perry me proposer de faire un câlin à un arbre. « Rendu là, ouais, aussi bien accueillir mon sort à bras ouverts. » Murmurais-je pour moi-même puisque Perry était trop loin pour m’entendre. Et comme j’étais de dos, même si je le criais, ma voix ne porterait jamais jusqu’à lui. J’ouvris les bras et tentai d’amortir la collision en bombant le ventre. C’est dans ces moments-là que ma forme physique d’autrefois m’aurait été utile ! Je me cognai contre le tronc d’arbre et tombai vers l’arrière, un peu sonné, mais pas assez pour qu’on appelle les secouristes, quoi. Perry me rejoignit en glissant sur les fesses, un ski encore attaché à sa botte, l’autre dans ses mains. « J’suis mort. Ramène mon corps à ma famille, s’te-plaît, Harry. » Dis-je, les yeux fermés, l’imaginant faire voler son Portoloin jusqu’à nous pour nous ramener au chalet. C’aurait été quand même plus simple comme ça qu’en skiant. J’ouvris finalement les yeux et me relevai sur mes coudes. « Je vote pour un changement d’activité. » Tant pis pour la location de ski de quatre heures, qui n’en aurait même pas duré une.

Les voilà partis depuis à peine quelques minutes du télé-siège, l’un a déjà perdu un ski et se retrouve à marcher sur le bord de la piste et le deuxième s’est pris un arbre en n’arrivant pas à se diriger. Ils auraient dû prendre des cours, avec les enfants dans le parc pour débutant avec les petits cerceaux à passer et les petits plots. Là-bas la pente est quasi nulle, aucun risque de prendre ses skis ou de se prendre un arbre par erreur. Ou même juste prendre un cours avec un prof particulier, ce n’est pas comme si Perry ne pouvait pas se payer ce genre de trucs. Mais non ils avaient voulu faire ça par eux même, comme des grands. Pourtant ils devraient savoir depuis le temps qu’ils n’ont rien de grandes personnes et que sans la supervision d’un adulte, un vrai adulte, ils font n’importe quoi. Le jeune homme arriva finalement, tenant ses skis dans ses bras maladroitement, à la hauteur de Concho qui se retrouvait étalé sur le sol, non loin de l’arbre qu’il n’avait pas pu éviter. De toute façon s’il avait évité le premier il se serait sûrement pris le suivant. Perry s’approcha de son ami qui déclara, les yeux fermés, être mort et qu’il fallait ramener son corps à sa famille. « Oh non il délire complètement ! J’vais essayer de te ranimer, j’vais t’faire un bouche à bouche ! » dit-il pour rire, se disant que ce genre de phrase fera sans doute réagir son ami, prouvant qu’il va bien. Perry s’assit à côté de lui, demandant malgré tout « Ça va ? » Parce qu’il a beau faire des blagues, il n’est pas moins inquiet qu’il y ait pu arriver quelque chose à son cher coloc. Celui-ci voulait changer d’activité. « Alors j’dis pas non mais faut quand même qu’on arrive en bas de la piste. » Là, suivant où se trouvait l’arrivée ils pourraient ravaler toute fierté et prendre le télésiège en sens inverse ou bien arriver directement à la station. Ce n’est pas comme s’ils s’étaient grandement renseignés sur l’itinéraire à prendre avant de se lancer dans cette expédition ski.

J’essayai, j’essayai fort, de garder mon sérieux et mes yeux fermés alors que Perry annonçait qu’il allait me ranimer par le bouche à bouche. Je pouvais presque le sentir se pencher sur moi, alors qu’il était peut-être encore debout avec ses skis dans les mains, je l’ignorais, je n’arrivais pas à identifier les bruits quand ils étaient amortis par la neige. C’était juste mon imagination qui me créait cette image de Perry penché vers moi, ses pulpeuses bien bombées vers moi pour pouvoir en profiter à fond. Je secouai la tête en me relevant, agitant mes mains devant mon visage pour chasser Perry qui n’était même pas aussi près que ça. « Non non non ! Ça te ferait bien trop plaisir ! Toi et ton fantasme de m’avoir dans ton lit. Ça s’en rapprocherait trop ! » Je n’avais pas envie d’alimenter les envies de Perry à propos de nous deux. J’avais beau l’aimer fort, très très fort, ça n’irait pas plus loin que nos petites soirées côte à côte, presque collés sur le canapé, à regarder des trucs à la télé. Perry s’assit à côté de moi et me demanda si ça allait, l’air réellement soucieux cette fois. « Ça va. J’vais peut-être être tout bleu demain matin, partout ici, tho. » Lâchais-je en désignant tout le long de mon corps, presque au centre, là où je m’étais pris le tronc, du haut du torse jusqu’au genou gauche. Une grande lignée d’ecchymoses m’attendait. « Et toi ? C’était quand même une sacrée débarque. » Dis-je en le regardant. Puis, après m’être assuré que lui non plus n’avait rien de cassé, je proposai qu’on change d’activité. On n’allait quand même pas retourner dans le télésiège après ce qui venait de se produire dans la descente ! « Quoi, on n’est pas en bas ? » M’étonnais-je en regardant la piste, qui était devenue plus plate. Je n’imaginais pas que c’était un simple plateau. Je croyais que c’était la fin. Je me relevai, difficilement puisque par miracle mes skis étaient restés bien attachés à mes bottes. Je me tins bien droit sur mes bâtons. « Bon, donne-moi un objectif pour me rendre en bas. Une carotte, quoi, mais en mieux. » Une bière ou un chocolat chaud qui m’attendait en bas, une sortie dans un club de strip-tease français, une raclette pour le dîner, n’importe quoi à m’agiter au bout du nez pour que je puise la motivation nécessaire en-dedans de moi !

L’évocation d’un bouche à bouche eut l’effet escompté puisque Concho se leva d’un seul coup, bien trop effrayé à l’idée que Perry soit déjà prêt à l’embrasser avec passion, dans le seul but de le ranimer bien sûr. Mais il n’a pas tord, ça lui plairait bien de l’embrasser. C’est sur que si Concho n’avait pas été aussi hétéro, ils auraient bien fini dans un lit tous les deux. Enfin c’est ce que le jeune homme se dit. De toute façon son meilleur ami lui a assuré que si jamais un jour il a envie de faire une expérience homosexuelle, c’est lui qu’il choisira et ça suffit amplement à Perry. « Je sais que tu ne veux que mon malheur. » répondit-il un peu boudeur pour l’embêter. Comme si c’était la raison pour laquelle il ne voulait pas l’embrasser. Cependant il ne bouda pas bien longtemps, s’inquiétant pour son ami. Celui-ci lui répondit qu’il sera sans doute pas mal bleu mais que ça ira. « Tu pourras faire un cosplay de Schtroumpf, faut en profiter ! » Ce n’est pas vraiment son genre de voir le négatif dans les choses. Même si faire un cosplay de personnage de dessin animé en pleine montagne n’est pas vraiment une activité très répandue. « Ça va, la neige ça amortit bien. » Il a eu un peu mal aux fesses en tombant mais à part ça, il ne s’est pas pris d’arbres comme son colocataire alors il s’en sort pas si mal. Celui-ci fut d’ailleurs étonné d’apprendre qu’ils n’avaient pas encore fini la piste, ce qui fit rire Perry. « Genre deux carottes ? » plaisanta-t-il lorsque son ami lui demanda une motivation pour arriver en bas. « Par exemple pas mourir de froid dévoré par des loups ? J’ai vu un film qui se passe dans un télésiège en pleine nuit, bah ça se finit pas très bien pour les gens. » Pas vraiment le meilleur truc à dire alors il essaie de se rattraper « On ira dans un bar pour boire un truc en arrivant et on pourra faire comme si on avait fait un exploit énorme et qu’on mérite bien cette pause. » Il remit au sol ses skis et tapa avec un équilibre précaire le dessous de ses chaussures comme le monsieur de la location lui avait expliqué, pour retirer l’amas de neige qui s’y était accroché. Il chaussa ensuite avec un peu de mal ses skis, à présent prêt à repartir.

J’avais effectivement déjà affirmé à Perry que si un jour, j’avais envie de vivre une expérience homosexuelle, ce serait avec lui, point final. Je savais que ça lui ferait énormément plaisir et, surtout, je me disais à l’époque que peut-être que ça m’éviterait les sous-entendus qu’il faisait, parfois. Et si j’avais promis ça, c’est surtout parce que je savais que ça ne se produirait jamais. Sur l’échelle de Kinsley, j’étais pile sur le zéro, même, plus bas que le zéro encore. Bon, ça c’était sans rentrer dans l’interprétation selon laquelle une personne exclusivement hétérosexuelle n’accepterait même pas de donner un baiser sur la joue d’une personne du même sexe ou une connerie du genre. J’étais sur le zéro dans le sens où  je ne m’imaginais pas du tout avoir un contact sensuel, romantique, sexuel, bref dans cette catégorie-là, avec un homme. Après, prendre la main de Perry pour déconner, ça avait dû arriver quelques fois au courant de notre amitié. « Comme si l’fait de pas m’embrasser allait vraiment causer ton malheur. » Dis-je, sachant fort bien que je n’avais pas ce pouvoir. De toute façon, à ce que je sache, Perry avait quand même un petit quelqu’un de spécial dans sa vie même s’il ne semblait pas être prêt à l’admettre. Ça faisait plus d’un an maintenant que je croisais parfois Jackson à l’appartement, qui filait en douce avant que les enfants ne soient debout. J’avais mon heure précise de petit pipi matinal et lui avait la même heure de fuite à l’aube. C’était la première fois que je reconnaissais aussi souvent le même visage, sur une aussi longue période. Nan, Perry n’avait définitivement plus besoin de rêver de m’embrasser. Il ne le savait juste pas encore. « Y’a une activité de cosplay de prévue et j’le sais pas, ou … ? » Demandais-je naïvement, me disant que si c’était le cas, ça pourrait effectivement le faire. « Depuis quand des carottes c’est une motivation ? J’sais trop bien ce que sont les régimes et crois-moi, les légumes, ça m’a jamais fait rêver. » Dis-je en poussant légèrement Perry, aussi pour me donner un élan pour  me relever. Sa prochaine proposition était déjà plus stimulante. J’accrochai cependant plus sur le détail dont on se fout généralement : « Le film complet se passe dans un télésiège ? What the fuck, qu’est-ce que tu regardes ? » Le genre de film qui passe à trois heures du matin parce que ce n’est pas très populaire. « Ouais, peut-être qu’en ayant l’air de grands skieurs, on pourra se trouver de belles françaises, enfin ou des français … À qui montrer les saveurs d’Australie ! » Lâchais-je comme un gros beauf – expression que j’avais apprise ici.

Il en faudrait un peu plus à Perry pour qu’il soit malheureux. Il ne pleure pas chaque soir tout la douche parce que son meilleur ami est à 100 % hétérosexuel, qui même pour rire n’a jamais voulu l’embrasser. Il se remet de cette déception. De toute façon il est presque sûr que ça serait très bizarre s’il y avait un truc sexuel entre eux un jour, même juste un bon gros baiser. Il se dit qu’ils sont bien trop amis pour que ça arrive. Enfin, il se disait ça aussi avec Ruby et ils ont fini par coucher ensemble et après ça plus rien n’allait. Donc ouais, au final vaut mieux que Concho ne soit pas trop into it. « Même si c’était le cas tu le ferai pas de toute façon. » dit-il d’un air boudeur. Enfin, peut être que si on lui mettait un pistolet sur la tempe il accepterait d’embrasser son ami, enfin il espère sinon il trouve ça un peu extrême tout de même. Le jeune homme en profita pour plaisanter sur les futurs bleus de son ami, celui se demandant s’il y avait vraiment un événement déguisé de prévu. « J’crois pas mais bon ça doit bien se trouver en vrai. J’pourrais être ta schtroumpfette. » répondit-il, ne manquant pas une occasion pour en remettre une couche. Heureusement que Concho a une bonne résistance à la lourdeur de son meilleur ami sinon ça ferait un bon moment qu’il ne le supporterait plus. Que ce soit une carotte ou plusieurs il en faudra un peu plus pour que le jeune homme se décide à finir la piste. Perry en profite donc pour évoquer Frozen, pas la reine des neiges mais un film d’horreur se passant dans un télé-siège. Certainement pas le film le plus réussi du monde mais au moins il semble plutôt bien à propos pour ce genre de situation. Ne pas se faire dévorer par les loups ou le froid ça semble pas être trop mal pour se motiver à finir cette piste bleue des enfers. « Oui bah ça va on fait pas toujours les bons choix dans la vie. J’ai vu la bande annonce, j’avais la flemme de chercher un truc, voilà quoi. Mais dedans y’a des persos encore plus débiles que moi j’te juge j’pensais pas que c’était possible ! » se défendit-il. Mais ce qui motiva surtout Concho c’est l’après-ski, se retrouver dans un bar à se plaindre de leur aventure misérable et prétendre qu’il s’agit de quelque chose d’extraordinaire. Celui-ci ajouta qu’ils pourraient peut être même trouver quelqu’un, chacun, et faire jouer leur charme australien. Enfin plutôt américain en ce qui concerne Perry mais ça reste le même genre de chose. « Tu sais moi t’avais pas besoin de me convaincre de finir la piste ! Mais bon t’as cru que j’allais aller là-bas juste pour boire un chocolat chaud ? » demanda-t-il en riant. « Bon, on y va ? Et essaie d’éviter les sapins cette fois ! »

L’affirmation de Perry me fit réellement réfléchir. S’il était malheureux, déprimé, découragé, et que mon seul baiser pouvait le sortir de cette torpeur, est-ce que je le ferais ? Un petit bec sec, sans doute que je ferais ça, pour lui, pour mon meilleur ami. Un baiser langoureux ? Ça demandait un peu plus de temps pour répondre à la question. Il est vrai que ça pourrait changer pas mal de trucs entre nous. Quand la langue se mêle d’un baiser, ça devient forcément un peu sensuel, et rien que de penser à Perry de cette façon-là, ça me mettait mal à l’aise, alors s’il fallait que je vive avec le souvenir réel du moment, je ne sais pas si j’arriverais à le revoir comme avant. Et une relation comme la nôtre, il ne fallait pas gâcher ça. « Faudrait que j’y réfléchisse en tout cas. Ça dépendrait de plusieurs facteurs. » Répondis-je  bien honnêtement, et puisque ça m’avait pris plusieurs secondes et une mine pensive pour en arriver à ces mots, on sentait que ça provenait d’une profonde réflexion. Un autre truc qui me demanda de me faire aller le cerveau, c’était de savoir s’il y avait réellement un événement cosplay d’organisé, ou si Perry me disait juste de me déguiser comme ça, pour aucune raison. Visiblement, c’était la deuxième option. « Va falloir que tu t’prennes un arbre en pleine gueule toi aussi alors, si tu veux être ma Schtroumpfette. Faut qu’on ait le même make-up. » De toute façon, si on devait se lancer de nouveau sur les pistes, sans doute qu’on n’aurait même pas à se forcer pour que ça arrive. Perry avait bien failli finir dans la forêt, lui aussi, il était juste tombé avant de s’y rendre, ce qui n’était pas forcément mieux. On aurait été mieux de rester dans le télésiège, au risque d’y rester toute la nuit coincés, comme dans le film débile dont me parlait mon colocataire. « Ta paresse me surprendra toujours. Genre, t’es trop lâche pour chercher deux minutes de plus un meilleur film, mais pas trop lâche pour regarder quatre-vingt-dix minutes de n’importe quoi. » Il aurait pu me remettre en pleine face mes propres pertes de temps de télévision : Too Hot To Handle, Love Is Blind, toutes ces téléréalités de merde que je regardais et qu’on interdisait à Penny de regarder avec moi. Il fallait toujours que j’attende qu’elle soit couchée et endormie pour que je puisse les débuter. Ça m’empêchait de binge-watcher, au moins. Bon, c’était bien cette petite conversation, mais nous avions l’air un peu idiots de rester par terre. On se releva donc, prêts à reprendre d’assaut les pistes – ou pas. « Non j’sais que t’as toujours d’autres idées derrière la tête ! » Je souris. « Ouais, j’vais essayer … Je pense qu’au pire j’vais finir tout ça sur les fesses, comme ça, j’suis déjà par terre. » Je me donnai quand même une seconde chance de la descendre debout sur mes skis, en glissant comme tout le monde, mais rapidement la peur reprit le dessus alors je me mis en petit bonhomme. Ce que je n’avais pas gardé en tête, c’est que ça augmenta ma vitesse et que je n’avais aucune possibilité de faire des virages. Je dévalai à toute allure la pente, heureusement en ligne droite. Au moins, le calvaire allait durer mon longtemps !

Voyant son meilleur ami réfléchir un moment à la question, Perry se dit que la réponse serait peut-être un peu plus sérieuse que ce à quoi il s’attendait et ce fut le cas. Concho déclara que tout dépendrait de la situation, en d’autres termes ce n’était pas un non définitif. Il ne laisserait pas tomber son coloc s’il était vraiment mal. Enfin est-ce que refuser de l’embrasser c’est vraiment le laisser tomber ? C’est un autre débat. En tout cas le jeune homme sourit à cette réponse, plutôt satisfait et se disant que peut-être un jour il aurait le droit à un baiser furtif de son meilleur ami. En attendant de passer aux choses sérieuses tous les deux, Perry proposa d’accompagner le cosplay hypothétique de son ami en son double féminin, qui est un peu aussi la copine de tous les Schtroumpf du village vu que c’est la seule femme et qu’il n’a pas vraiment eu l’impression qu’il soit rempli de mecs gays. Autant dire que ça doit être un peu weird pour elle tout ça. « Nan mais sinon je mettrai du maquillage. » répondit-il, n’ayant pas franchement envie de se prendre un arbre pour faire comme Concho. Après ce n’est pas comme s’il pouvait beaucoup choisir, vu ses talents en ski, ce n’est pas trop lui qui décide de finir ou non dans les sapins. Il expliqua ensuite comment il était tombé sur ce fameux Frozen, ce dont son ami se moqua, alors qu’au fond il n’est pas forcément mieux dans ses choix. « Tu sais bien que la flemme l’emporte toujours ! Regarde, à la base j’devais regarder juste cinq minutes de Too Hot To Handle avec toi et finalement j’suis resté pour tous les épisodes. » Il est peut-être resté aussi parce qu’il s’identifiait un peu trop aux personnes représentées. Un peu trop penché sur le sexe, pas du tout du genre à être dans une relation sérieuse et pas un qi très très élevé. Mais actuellement ils sont loin du cadre paradisiaque de la série et s’ils veulent retrouver un peu de chaleur il faudra bien finir de descendre la piste. Ils se motivèrent à se mettre en route, notamment en pensant à ce qui les attendaient en bas. Concho commença à descendre, suivi de Perry. Le premier prit de la vitesse, sans doute plus que ce qu’il aurait voulu et le second tentait des virages approximatifs qu’il loupait une fois sur deux. Résultat, la vitesse entre eux deux ne faisait qu’augmenter. Mais Perry aperçu en bas de la pente la station et donc la fin de la piste et leur calvaire. Encore fallait-il arriver là-bas sans un drame. Ayant perdu de vu son ami, il se contenta d’essayer d’arriver correctement en bas, essayant éviter au mieux les gens des autres pistes qui convergeaient tous vers la même pente. Enfin, c’était plutôt eux qui l’évitaient que l’inverse. Plusieurs fois il faillit tomber mais en plantant son bâton dans le sol il réussit à garder un semblant d’équilibre. C’est ainsi qu’il arriva en bas de la piste. Il tenta un virage pour s’arrêter mais tomba à nouveau par terre. Le jeune homme décida de rester ainsi, cherchant son ami des yeux.