je l'ai rêvé si fort que les draps s'en souviennent (pecho/poncho)

« Ce serait pas aussi naturel que moi. » Lâchais-je tout simplement à propos de son maquillage de Schtroumpfette. La conversation s’en tint pas mal à ça, en même temps pourquoi épiloguer sur un événement de Cosplay qui n’avait même pas lieu ? Cela dit, ce n’était pas forcément plus pertinent de discuter de ce film manquant franchement de contenu. En plus, je savais que Perry en profiterait pour me remettre Too Hot To Handle en pleine face – en même temps, pour ce choix-là précisément, mon meilleur ami n’avait pas grand-chose à me dire puisqu’il avait tout regardé avec moi. On était d’ailleurs en retard sur la nouvelle saison, là. « Ouais mais c’parce que tu trouvais tout le monde sexy, c’est pas pareil, t’étais là juste pour te rincer l’œil. » Et moi, pour ne rien comprendre à ce jeu et juger tout le monde. Je ne comprenais pas qu’on puisse perdre trois mille dollars américains rien que pour un baiser. Genre, ces gens n’avaient aucune retenue ? Il ne m’était pas encore passé par la tête que Perry aurait vraiment été un candidat parfait pour cette émission et qu’il aurait été celui à faire perdre tout le butin au groupe. Bordel, voilà ce dont ils avaient besoin : une participation à cette téléréalité. Les ateliers de développement personnel pourraient peut-être l’aider un peu à passer à un autre stade. Qui sait, peut-être que Lana déciderait que c’était lui qui avait le plus cheminé pendant l’aventure. Mais bon, Perry n’avait pas vraiment besoin de l’argent au bout de la ligne. Alors sans doute se ficherait-il des règles même après tout ce parcours. Bref, trêve d’analyse, Perry et moi on décida de mettre un terme à cette activité de ski mais pour ce faire, on devait quand même arriver au bas de la pente. En petit bonhomme, à une vitesse grand V, j’arrivai au bas de la pente et je ne m’arrêtai que grâce à un filet orange au bas de la piste dans lequel je m’empêtrai. J’arrivai à m’en défaire sous des regards moqueurs et je cherchai Perry des yeux. Il était à quelques mètres, par terre lui aussi, mais au moins pas emmêlé dans un filet orange. J’enlevai mes skis avec soulagement et marchai jusqu’à mon colocataire. « Qu’on soit vivants ça relève quand même du miracle. » Je rendis les skis et les bâtons au centre de location, me promettant de ne plus jamais retenter l’expérience. « Bon t’as eu le temps de connaître les bons spots en ville depuis qu’on est arrivés ou bien on explore ? » Demandais-je en prenant la direction opposée des pentes de ski.

La volonté de Perry est bien faible lorsqu’il s’agit de lever ses fesses du canapé pour aller faire quelque chose d’un peu plus productif. Forcément quand son coloc a lancé Too hot to handle, chacun savait que les cinq minutes où Perry devait rester n’arriverait jamais et qu’il finirait par tout regarder. Pour Concho c’est parce qu’il en profitait pour se rincer l’œil. Il n’a pas totalement tord, tout le monde était en permanence en maillot de bain et les plus courts et moulants possibles, à se demander vraiment à quoi ils servaient au final. « Parce que toi tu regardais pour l’intrigue peut-être ? » Parce qu’on parle quand même d’une télé-réalité sur des célibataires qui n’aiment pas s’attacher, à part pendant leurs parties de jambes en l’air, et qui ont interdiction de faire le moindre bisou et plus si affinité, pas d’un Oscar du meilleur scénario. « Mais bon, j’vois pas pourquoi je m’embêterai à mater des gens si t’es juste à côté de moi. » dit-il pour continuer à le taquiner. Il trouvait ça vraiment drôle toutes ces allusions. Surtout qu’il ne passe pas sa vie à le mater non plus. Forcément s’il se ramène torse nu devant lui il va bien jeter un coup d’œil mais il ne l’observe pas en permanence non plus, c’est pas un psychopathe. Après cette petite interlude cinéma et télé, ils furent bien obligés de se remettre en route pour arriver en bas de la piste et être débarrassées du ski jusqu’à la fin du voyage. Chacun prit des directions différentes, étant donné qu’ils n’arrivaient pas vraiment à se diriger, pour finalement arriver en bas de la piste en un seul morceau. Perry était resté par terre, à la recherche de Concho qui se dirigeait vers lui. Il se leva à son tour pour défaire ses skis. « Ouais on va arrêter de prendre des risques maintenant. » dit-il avant qu’ils n’aillent effectivement rendre leurs skis au loueur étonné de les voir revenir si vite. « Non j’ai pas fait tous les bars de la ville. J’me fais pas une tournée des bars partout où je vais tu sais. » dit-il en riant. Enfin, il sort quand même pas mal, que ce soit à Bowen ou ailleurs mais là il n’a pas trop exploré. Déjà parce qu’ils sont arrivés il y a peu mais aussi parce que le soir il préfère retrouver Jackson que des inconnus dans un bar. « Va falloir piffer un peu. » ajouta-t-il en marchant vers la partie un peu plus village de la station.

Perry me relança la balle en semblant fortement douter que je puisse avoir regardé Too Hot To Handle pour l’intrigue, l’histoire, le contenu. J’admets que du contenu, intellectuel en tout cas, il n’y en avait pas tellement. C’était plutôt le côté visuel de la téléréalité qui devait expliquer sa popularité. « Bah ouais c’est une expérience sociologique en quelque sorte. » Me défendis-je. Y’avait une part de vérité. Ça me fascinait ce genre de concept. Mais Perry n’avait pas tort non plus, voir des femmes en maillot de bain trop complexes pour exister et qui laissent peu de place à l’imagination, ça ne me déplaisait pas. « Mais j’dois avouer que Francesca et Rhonda rendaient ça un peu mieux. » Je souris comme un imbécile, sourire qui se déforma un peu en voyant la pente qu’il nous restait à affronter avant d’enfin arriver au bas de la montagne. Heureusement que l’appel de la bière était généralement assez fort chez moi, surtout en état de découragement total. Je me positionnai donc en petit bonhomme, pensant que c’était la meilleure technique pour y arriver sans souffrance. Spoiler alert : je me trompais. Embourbé dans les filets oranges de sécurité, je me débattis pour sortir mes skis, mes bâtons et mes membres des trous du filet, pour ensuite aller rejoindre Perry qui était dans une meilleure position que moi mais pas tant que ça non plus. À la réponse de mon meilleur ami à propos de la tournée des bars, je sourcillai. « Ah non ? J’suis déçu. T’as pourtant toujours été ma référence et voilà que tu me dis que t’étais pas un connaisseur tant que ça. » Je ne savais pas qu’il avait passé les dernières soirées à Chamonix à se faufiler dans la chambre d’un mec, moi. Je le pensais toujours sorti avec des potes à découvrir la ville. « On va y aller selon la vibe de la place alors. » Clairement si c’était un bar avec que des vieux ou au contraire des gens tellement jeunes que leur âge était un peu trop flou, on allait passer notre chemin. On quitta donc la station vers le centre-ville et, après cette petite marche pas mal plus sécuritaire à pieds qu’en ski, on arriva sur une rue assez animée. Je m'arrêtai devant un bistro. « Ici ça a l’air assez bien et c’est pas trop bondé non plus. » J’avais envie de m’asseoir, après toutes ces péripéties, pas d’attendre debout au bar pendant vingt minutes pour une bière. Je n'avais plus vingt ans, quoi.

Avoir Concho qui regarde une télé-réalité stupide donne une bonne raison à son coloc d’en faire de même. Il ne manque jamais une occasion de voir des gens en maillot de bain, même s’il préfère les voir en vrai que sur un écran. Le jeune homme tente de justifier son visionnage en évoquant l’aspect sociologique de l’expérience mais Perry n’est pas dupe. Enfin il imagine bien son coloc regarder en partie pour ça, il est du genre plus intellectuel que lui, ce qui n’est pas très dur, mais si l’expérience avait été faite avec des personnes du troisième âge pas sûr qu’il aurait été aussi assidu dans son visionnage. Face à la mou dubitative de son ami, Concho avoue tout de même que le physique avantageux des candidats, surtout que candidates, a aidé. « Ouais, j’me disais aussi. Moi c’est plutôt Harry. » En le voyant il a un peu vu son double. Perry et Harry ensemble ça aurait ressemblé à deux enfants qui couchent ensemble plus souvent que des lapins. Sauf qu’à première vu Harry n’est pas intéressé par les hommes. Perry de son côté ne serait jamais tombé amoureux de Francesca, déjà parce qu’elle n’est pas vraiment son genre, enfin s’il avait vraiment un genre défini, mais aussi parce que s’il devait s’imaginer avec quelqu’un, ce serait plus avec un homme qu’avec une femme. Pourtant si on y regarde bien, la seule personne avec qui il a été en couple est une femme. Au fond, parmi toutes les raisons qui ont mis fin à leur histoire, le fait que Perry préfère les hommes pour quelque chose de durable n’y est peut-être pas pour rien. Mais il préfère ne pas trop se questionner là-dessus, surtout qu’ils ont encore un bout de pente à redescendre. Ils s’en sortent de manière approximative et décident d’aller dans un bar pour continuer leur escapade, histoire de continuer sur quelque chose de plus tranquille. Ils rendent tout leur attirail de ski pour retrouver le confort de leurs chaussures. Concho semble étonné que son ami n’ait pas fait la tournée des bars en arrivant. « Tu sais j’me fais vieux, c’est plus de mon âge ces trucs là ! » Mais il ne pense pas être vieux, il n’a pas envie de vieillir et prend toujours très mal les réflexions sur son âge. Il arrive à faire un peu d’auto-dérision dessus mais le sujet reste relativement sensible pour lui, surtout à l’aube de ses trente-deux ans. Ils décident d’y aller un peu au hasard suivant ce que l’endroit leur inspire. « De toute façon moi temps qu’il y a des mojitos et des personnes sympas, ça me va. » Il n’est pas vraiment difficile. Rapidement ils trouvent un bar qui correspond à leurs critères. Ils vont s’installer à une table libre. « On est quand même mieux ici que sur les pistes. P’t’être que les gens font du ski un peu juste pour pouvoir après aller boire un verre et se dire que c’est quand même vachement que de se geler dehors. »

En apprenant que le choix #1 de Perry à Too Hot To Handle était Harry, je levai les yeux au ciel. « On s’demande pourquoi. » Lâchais-je. Déjà que leurs prénoms étaient assez similaires, il fallait qu’en plus ils aient à peu près le même genre de personnalité … et de méthodes de séduction. Pour ma part je ne le trouvais même pas si beau que ça, clairement Francesca aurait pu faire mieux – genre moi. De mon côté, ce que j’aurais pu faire mieux, c’était de descendre la dernière section de la piste de ski. Ce fut un véritable fiasco mais je m’en sortis vivant, ce qui n’était déjà pas trop mal. Je laissai quelques bris dans le filet de sécurité orange, un trou par-ci et par-là, où mes skis et mes bâtons s’étaient enfoncés. Je m’en éloignai donc le plus vite possible, ni vu ni connu, allant rejoindre Perry en bas de la pente. Le bar nous appelait en hurlant – ou bien c’est moi qui avais hurlé pendant ma descente ? Dans tous les cas, on alla en direction de la rue la plus passante de Chamonix, où on trouverait sans doute une valeur sûre malgré le manque de connaissances et d’explorations de Perry. « Pfff, même à soixante ans on te retrouvera en train de draguer sur le coin d’un comptoir de bar. » Je n’avais jamais trop imaginé Perry se caser, même quand il fréquentait plus longuement quelqu’un comme c’était le cas dernièrement, je me disais qu’il finirait par se lasser, par passer à quelqu’un-e d’autre comme il le faisait tout le temps. Il y avait de ces gens qui ne cherchaient pas l’amour à tout prix, contrairement à moi, et c’était très bien comme ça aussi. J’hochai la tête quand Perry présenta ses deux critères pour un bon bar : des mojitos et des gens sympas. Ça ne devrait pas être trop compliqué. On s’installa donc à une table libre de l’un des premiers bars assez relax qu’on croisa. « J’crois que si j’ai à adopter ce mode de pensée, je vais plutôt me mettre au ski de fond ou à la raquette, ça me semble beaucoup plus sécuritaire. » Heureusement qu’en Australie, la question se posait beaucoup moins, même s’il y avait certains endroits où skier. Je me sentais mieux dans le confort du complexe sportif. « Bon sinon t’as quoi d'autre de prévu pour les jours qu'il reste ? » Demandais-je en ouvrant la carte des alcools.

Forcément Concho n’est pas étonné du choix de son colocataire parmi les candidats de Too Hot To Handle. Même quelqu’un qui le connaîtrait beaucoup moins bien aurait sûrement pu deviner qui parmi les candidats serait le meilleur fit. L’avantage c’est qu’avec leurs choix ils n’ont qu’à faire rompre un couple et pas briser tous ceux qui auraient pu commencer à se former. Entre deux frayeurs sur la piste, la conversation revint à l’amour, ou plutôt la drague puisque l’amour de type couple ne fait pas franchement parti de la vie de Perry. « C’est sûrement vrai. » répondit-il avant d’ajouter « Dans ma tête ça serait plutôt cool mais j’crois qu’en vrai ça serait méga creepy. » Un vieux qui drague des petit.e.s jeunes de même pas trente ans parce qu’il a encore leur âge dans sa tête, dans la vraie vie ça passe moyen. Déjà qu’à trente ans passé maintenant il se fait refouler à cause de son âge, alors il ne préfère pas imaginer à soixante. Bien sûr il pourrait draguer des personnes de son âge mais il se dit qu’il sera sans doute en décalage avec eux, question mentalités. Dans tous les cas il préfère ne pas trop se projeter sur le futur. Il vit plutôt dans l’instant présent, sans trop penser à la suite. C’est pour cette raison que la vie de couple et une relation amoureuse lui semblent encore bien lointain même si elles pourraient arriver bien plus vite qu’il ne l’imagine. « Plus safe mais ça doit être sacrément chiant. » Marcher dans la neige lui semble pas être l’activité la plus palpitante du monde et skier une activité bien trop palpitante justement, il faudrait un juste milieu, genre un toboggan dans la neige. Concho lui demande ensuite ce qu’il a prévu pour les jours qui leurs restent. « Je sais pas trop...ça dépend de ce que Penny veut faire aussi, j’ai envie qu’on passe du temps tous les deux avant de rentrer. » Depuis que son père biologique a débarqué dans sa vie, il a envie de passer davantage de moments avec sa fille, ayant trop peur qu’elle ne le laisse du jour au lendemain pour partir avec son vrai père. Comme souvent il n’a pas vraiment de programme, il improvise même s’il sait déjà où il risque de passer ses nuits, si les choses continuent comme elles ont commencé depuis le début du séjour. « Et toi ? » demanda-t-il en survolant la carte, sachant très bien qu’il va finir par prendre un mojito.

L’image d’un homme de soixante ans qui drague sembla paraître creepy selon ce qu’en disait Perry. J’haussai les épaules. « Les hommes de soixante et plus ont aussi le droit à l’amour. » Et je disais ça sûrement un peu parce que parti comme c’est là, j’allais moi aussi encore être dans la séduction à ce stade-là de ma vie, pas parce que je n’arrivais pas à m’engager, mais parce que je n’arrivais pas à trouver une femme qui ne me friendzonait pas direct ou qui ne me laissait pas pour son choix numéro un après avoir fait grandir l’espoir en moi. Je soupirai à cette pensée, sans pour autant partager à Perry mes inquiétudes personnelles. Contrairement à mon meilleur ami, je me projetais un peu trop dans le futur et comme je n’y voyais pas grand-chose de différent que ce que je vivais actuellement, ça me faisait un peu flipper. « Ouais, c’est clair, tant qu’à marcher dans la neige j’vais y aller avec mes propres pieds, pas avec de gros trucs encombrants. » Ça valait autant pour les skis que les raquettes. Je n’avais pas compris le principe que l’un permettait d’aller un peu plus vite et que l’autre permettait de ne pas caler lorsqu’il y avait une bonne épaisseur de neige. On se doutait, à nous entendre Perry et moi, que notre séjour à Chamonix n’allait pas être des plus sportifs. Justement, je lui demandai ce qu’il avait de prévu, puisque ce ne serait sûrement pas du ski à tous les jours. « J’te souhaite qu’elle ne veuille pas faire du ski ! » Plaisantais-je en survolant moi aussi la carte des boissons, sachant fort bien que ce serait une bière. Perry et moi étions tellement prévisibles dans nos choix de consommation. Mon colocataire me renvoya la question. « Pareil j’vais voir avec Max’ ce qu’il veut faire, mais quand il sera au ski, j’vais probablement faire tout ce que le guide touristique de la région propose et qui n’implique rien de trop casse-cou. Au moins si c’est toujours des activités très fréquentées, on risque pas de me retrouver mort gelé dans un trou de neige. » Je commandai ma bière au serveur quand il passa près de nous.

Perry ne doute pas que les hommes, et les femmes, plus âgés aient aussi le droit de vivre des histoires d’amour. C’est seulement que lui à soixante ans, s’il est toujours célibataire, ce qui n’est pas du tout improbable, il n’ira peut-être pas vers des personnes de son âge. « Ouais mais j’me connais, j’vais continuer à draguer des mecs de vingt-cinq ans et là ça sera un peu creepy. » Parce qu’il commence à comprendre que si lui il s’en fout de draguer un gars de vingt ans ou cinquante temps que le feeling est là, d’un point de vu extérieur, les choses ne sont pas aussi bien vues. Leur aventure sur les pistes ne leur a pas laissé un excellent souvenir, si bien qu’ils réfléchissent déjà à d’autres activités un peu moins dangereuses et plus tranquilles. Les raquettes ou le ski de font n’emballent pas vraiment Perry qui risque plutôt de rester errer dans la ville de bar en bar. « Ou sinon autant pas marcher dans la neige ! » Quand il s’agit de donner des conseils de vie, il n’est clairement pas le meilleur. Surtout que ce serait bien dommage de ne pas profiter de la montagne et de la neige, chose relativement absente de Bowen. Pour un gars comme lui qui peut bouger relativement librement et prendre l’avion sans que cela ne fasse de trou dans son budget, il s’en fiche un peu de ne pas profiter pleinement d’un lieu puisqu’il pourra probablement y retourner. Concho lui demanda ce qu’il comptait faire du reste du séjour, en dehors de filer en douce la nuit, mais ça il n’en parle pas. Le jeune homme a envie de profiter des moments qu’il peut passer avec sa fille, se rendant compte qu’en grandissant ils se voient de moins en moins et avec l’arrivée de Theodore il a peur de la voir définitivement s’éloigner de lui. « Je la mets à l’école de ski si jamais elle a envie, mais moi je remonte pas sur les pistes ! » répondit-il en riant. Concho lui préférait se tourner vers des activités safe et fréquentées histoire de ne pas mourir au fin fond d’une forêt dans l’indifférence générale. « On te retrouvera pas mort gelé parce qu’un homme dévoué viendra sauver son meilleur ami pour ne pas se retrouver seul à devoir gérer quatre enfants à lui tout seul. » Cette projection de devoir s’occuper des enfants n’est pas la pire pour Perry mais devoir le faire sans son coloc et meilleur ami, ça c’est vraiment une vision horrible. Ils habitent ensemble depuis trop longtemps maintenant pour qu’il puisse imaginer ne plus l’avoir autour de lui.

J’hochai la tête en haussant les sourcils quand Perry affirma qu’il ne draguerait sûrement pas des gens de son âge, mais plutôt des gars de vingt-cinq ans. Déjà là on commençait à se faire vieux pour les vingt-cinq ans, alors je ne voulais pas imaginer dans trente ans. « Boh, peut-être bien qu’il y en aurait plusieurs dans le lot qui ne seraient pas contre avoir un sugar daddy. » Comment ça c’était un sujet récurrent quand il était question de Perry ? Parce qu’il était plein de cash ! Bref, on parla ensuite de toutes les autres activités qu’on pourrait faire et qui n’impliqueraient pas d’être dans la neige. Pourtant, c’était beau la neige, c’était un peu froid oui mais c’était joli. C’est juste que je préférais les batailles de boule de neige ou faire des bonhommes de neige. Tiens, ça pourrait être quelque chose de drôle à proposer à Maxwell. « Ouais enfin si la neige est tapée ça va mais si y’en a pour un km d’épaisseur c’est là que c’est problématique ouais. » Jamais dans l’excès. Pour le moment je me disais que j’allais plutôt m’en tenir aux activités touristiques, au moins comme ça je m’assurais de ne pas me retrouver dans des situations pas possibles, tout seul, dans un pays dont la langue m’était étrangère. Et puis sûrement que lors d’activités en groupe, je me retrouverais avec d’autres Boweniens, ce qui était un peu rassurant. Vous l’aurez compris, je ne raffolais pas d’être dépaysé. « Elle risquerait d’être meilleure que toi, de toute façon, la honte ! » Dis-je en riant. Quand je lui partageai mon idée d’aller que dans les endroits connus pour pas mourir de froid, perdu somewhere, Perry m’assura en parlant de lui à la troisième personne qu’il viendrait me sauver pour pas gérer tous nos enfants seul. « Tu sais que si je meurs, c’est pas toi qui auras la garde de Max et de Lara, hein ? Zelda et Ally les prendrait à temps plein. » Cette vision-là me fit de la peine, d’ailleurs un éclair de tristesse traversa mon regard en y songeant. C’est vrai que Perry et moi on était devenu une famille, à force. C’était difficile d’imaginer qu’il ne soit plus trop impliqué dans la vie de mes enfants, si quelque chose m’arrivait. Il faudrait que j’en glisse un mot à Ally et à Zelda.

Perry préférait ne pas s’imaginer vieux, au risque de faire une crise de panique. Il tient beaucoup trop à rester un éternel beau gosse dragueur et charmant. Il n’a pas envie que les gens se sentent mal à l’aise en le voyant débarquer à côté d’eux dans un bar, il tient beaucoup trop à son ego pour ça. Concho le rassura, en quelque sorte, en lui disant qu’il y en aurait sûrement qui pourraient accepter de coucher avec lui pour son argent. « Ouais, pas trop mon truc. » Il n’a pas envie que son argent rentre en ligne de compte dans ces cas-là. Ça a bien dû arriver sans qu’il s’en rende compte. Après tout il a une chaîne youtube plutôt populaire et dirige une entreprise à Bowen, son statut financier n’est pas franchement un secret pour quiconque se renseigne un peu à son sujet. Il se rassure en se disant que si la personne à l’intention de coucher avec lui pour lui prendre un peu d’argent en échange, finalement elle le fera de bon cœur en voyant quel homme séduisant il est. On se rassure comme on peut. Ce n’est pas ce que Concho fit ensuite puisqu’il se moqua de lui et de ses talents pour le ski comparativement à sa fille. « J’suis habitué. Moi j’trouverai ça stylé qu’elle soit forte d’abord. » répliqua-t-il tel un enfant. Penny grandit et déjà quand elle était petite elle le dépassait dans bien des domaines mais à présent le nombre ne fait qu’augmenter. Et puis son coloc n’était pas mieux puisqu’il avait peur de s’aventurer dehors, dans des endroits un peu moins touristiques et bien protégés. Mais l’idée qu’il lui arrive quelque chose faisait beaucoup de peine à Perry. Un monde sans Concho ce n’est plus vraiment la même chose. Il s’imaginait déjà avec quatre enfants à charge, tel un mari ayant perdu son mari. C’est un peu ce qu’ils sont, un couple platonique libre en fait. Mais son ami le coupa dans ses idées lui disant que ce n’est pas lui qui assurerait la garde de Lara et Maxwell mais leurs mères. « Oh….oui. » Il était aussi un peu triste à cette éventualité. Il s’était habitué à voir les enfants donc se retrouver seul sans eux ni Concho, ça serait vraiment trop. Oui il ne s’imagine pas déménager, à part si son ami le suit. « Mais tu vas pas mourir donc tout va bien. » Vaut mieux éviter de penser au pire. « T’imagines si un jour un de nous deux déménage ? » Parce que lui il n’arrive pas à l’imaginer.

Moi non plus, l’idée d’être un sugar daddy, ce n’était pas trop mon truc. Je ne voulais pas qu’on soit avec moi pour l’argent, j’étais bien trop romantique pour ça, je voulais qu’on veuille de moi pour qui j’étais, pour ma personne, pour ma personnalité. Bon, de toute façon, la question ne se poserait même pas. Si j’avais un jour été millionnaire, il ne me restait pas vraiment de tout cet argent-là, et maintenant je vivais comme tout directeur d’organisme communautaire, grâce aux subventions et aux dons. Rien de bien fou. « Ça changerait pas grand-chose de ce que tu fais déjà. » Fis-je quand même remarquer à Perry, qui dépensait souvent beaucoup pour ses dates. C’était pas un reproche, juste une constatation. Tout comme on constata par la suite que le ski ce n’était pas pour nous, et qu’on ne se sacrifierait pas une seconde fois lors de ce voyage, pas même pour nos enfants – quels terribles parents nous étions. « T’as raison, faut que je pense pareil, pour Lara. Tant qu’elle me bat pas en danse, tho. Dans tout le reste, je l’encouragerai. » Je souris. En vérité, j’aurais plutôt aimé que Lara soit bonne en danse, oui. Dès qu’elle aurait l’âge, d’ailleurs, j’avais convenu avec Zelda qu’on l’inscrirait à des cours. Maxwell m’avait déjà confirmé qu’il n’en avait rien à foutre de la danse alors je respectais le côté plus sport d’équipe de mon fils. J’allais devenir un soccer dad et ça me rendait très fier, ça aussi. Je préférais penser à ce genre de choses plutôt que de m’imaginer mourir, laissant mes deux enfants sans père … même si Perry s’imaginait déjà jouer un peu ce rôle-là de tuteur, alors que ce serait plutôt Ally et Zelda qui assureraient là-dedans. Tout ça me rendait assez triste, même pas seulement l’idée de mourir, mais même juste de déménager. « On n’en est pas là du tout. Alors j’y pense pas. J’aime pas ça y penser. » Je levai ma bière. « On deviendra vieux garçons ensemble, c’est tout. À nous ! » Et je bus une gorgée après avoir cogné son petit verre de mojito. On continua à papoter, à boire, à dire n’importe quoi comme d’hab, avant de rentrer au chalet pour le repas et la routine du dodo.

FIN