The perks of being a bookworm (polly)

Je lançai un bouquin dans ma valise avant de la fermer complètement. Je n’étais pas sûre de lire beaucoup à Chamonix mais c’était une manie de ma part, j’emmenai toujours de quoi lire, où que j’aille. Aujourd’hui, on pouvait lire n’importe où, depuis une liseuse, ou même depuis son téléphone, pourtant, j’étais attachée au format papier. J’aimais passer mes doigts sur une couverture, tourner les pages, utiliser un marque-page ou même parfois un banal ticket de caisse pour marquer l’endroit où j’avais stoppé ma lecture. Toutefois, il ne fallait pas se leurrer, j’allais à Chamonix pour skier, profiter de la neige et passer du temps avec mon mari. Liam et moi avions besoin de nous retrouver un peu tous les deux, loin de Bowen. Lire serait relayer au second plan de mes priorités.
Je jetai un oeil à ma petite soeur, que j’avais convié chez moi pour prendre un thé, le temps que je boucle mes bagages. Une tasse dans la main, assise sur mon fauteuil de lecture, elle feuilletait elle-même un livre, et pas n’importe lequel. Mon dernier roman, dont j’avais reçu quelques copies avant la sortie officielle, début Février et en avant première au salon du livre de New York à la mi-Janvier. Je souris en avançant vers Polly.
— J’ai à la fois peur et hâte que tu le lises, confiai-je alors.  

@polly burnett

Ses lunettes chaussées sur son nez, à peine a-t-elle eu le livre entre les mains qu’elle en est déjà à entamer sa lecture. Polly est chez sa grande sœur Pippa pour boire le thé mais aussi pour recevoir en avant-première un exemplaire du nouveau roman de celle-ci. Cela fait des mois qu’elle attend de pouvoir le lire, depuis qu’elle sait que sa sœur travaille dessus en réalité. En temps que fan de lecture, travaillant même quelques heures par semaine dans une librairie, elle ne pouvait pas vraiment attendre d’être rentrée chez elle pour l’entamer, même si elle adore parler avec sa sœur. Celle-ci est nerveuse à l’idée que Polly le lise. « Mon avis sera sans concessions….je vais adorer, j’en suis déjà sûre ! » Parce qu’elle a aimé les précédents et aussi parce qu’elle est sans doute, très probablement, biaisée par le fait qu’il soit écrit par sa grande sœur. Son esprit critique serait plus développée envers quelqu’un d’autre mais quand ça touche à sa famille, elle n’est plus vraiment impartiale. « Qui d’autre l’a déjà lu ? » lui demanda-t-elle, un peu curieuse de savoir si d’autres personnes ont pu en avoir un aperçu avant elle. « Maintenant que mes exams sont finis, j’vais pouvoir passer ma nuit à le dévorer ! » Et elle ne se sentira pas coupable le lendemain de ne pas pouvoir travailler puisqu’elle est en vacances.

Nous avions cela en commun, ma petite soeur Polly et moi, l’amour des livres. Entre autres choses, bien sûr, mais nous partagions cette grande passion. Sa bibliothèque et la mienne était chargé et il n’était pas rare que nous nous échangions nos livres. Il en allait de même pour les plantes, mon appartement, comme le sien était fourni, au point qu’on pouvait le qualifier de vraie jungle urbaine. J’avançai vers ma soeur, attrapai un coussin sur mon canapé et le jetai par terre, au pied du fauteuil qu’occupait Polly, pour m’y asseoir. Je posai ma joue sur le genoux de ma petite soeur et levai les yeux vers elle.
— Ouais, mais…y’a pas mal de scènes disons…
J’eus un petits mouvements de sourcils équivoque avant de rire.
— Ne te demande pas comment j’ai eu l’inspiration, c’est tout ce que je te demande, fis-je en riant encore. Et tu es l’une des premières à le lire, avant toi il n’y a eu que mon éditrice et mes bêtas-lecteurs.

Alors qu’elle n’avait lu que le début de la première page, Pippa mit en garde sa sœur sur le contenu parfois explicite du livre, ce qui fit rire Polly. C’est vrai que venant de sa sœur elle aurait peut-être préféré quelque chose de plus soft, histoire de ne pas avoir en tête tout un tas d’images trop bizarres. « On va dire que c’est uniquement parce que tu as beaucoup d’imagination et que ça vient pas du tout d’expériences vécues alors. » répondit-elle en souriant. De toute façon Polly n’est pas la plus friande de scènes de sexe, elle ce qui lui plaît le plus c’est l’amour, les liens sentimentaux et ce également dans les vraie vie. Ce n’est pas que ça lui fait rien mais si les deux personnages ne sont pas liées psychologiquement avant de passer à l’acte, elle va avoir du mal à ressentir de l’excitation. Mais bon ce n’est pas trop le genre de choses dont elle parle avec Pippa, même si elles sont très proches toutes les deux. « C’est un grand honneur alors ! » dit-elle solennellement, très contente d’être la première en dehors de son cercle de travail à pouvoir le lire. « Tu as déjà eu des précommandes ? » Elle referma le livre, elle aura toute la nuit pour le lire de toute façon. C’est le genre de livre qui se lit assez bien, elle le sait, le genre de roman pas prise de tête qui fait du bien.

Ce n’était pas toujours évident de faire lire ses écrits à ses proches, même si je commençais à y être habituée, depuis le temps. Cela faisait six ans, maintenant, que je publiais des romans, et celui qui sortait prochainement était le quatrième. Polly était toujours très enthousiaste, et son retour m’était précieux, seulement, cette fois, c’était légèrement différent. J’avais mis quelques éléments très personnels dans ce roman, notamment concernant ma relation avec Liam, mais aussi par rapport à ma position quant à mon désir d’enfant, ou mon non-désir d’enfant pour être précise. Si j’avais plusieurs fois abordé le sujet, notamment avec ma mère qui ne comprenait toujours pas, il demeurait une petite appréhension. Je ne savais pas comment les choses allaient être reçu. Même si, concernant Polly, je n’avais aucun doute. Ma soeur était d’une très jolie ouverture d’esprit.
— C’est ça, j’ai beaucoup d’imagination, dis-je.
Je n’étais pas vraiment prude, et cela ne me dérangeait pas le moindre du monde de parler de sexe, avec mes soeurs y compris. Plusieurs de mes podcasts abordaiebt même cette thématique qui, chez moi, n’avait strictement rien de tabou. Mais je préférais tout de même prévenir quand au contenu de mon nouveau roman.
— Je n’ai pas encore de détail, mais mon éditrice avait l’air contente ! On verra ça au salon de New York. J’aurais trop aimé que tu m’accompagnes d’ailleurs !

Polly ria lorsque sa sœur lui assura avoir beaucoup d’imagination. Elle se demandait tout de même ce qu’elle pourrait trouver dans ce roman. Est-ce qu’elle découvrirait des passions cachées de sa sœur pour certaines activités sexuelles ? Ou alors est-ce que ce serait juste plus explicite que les détails qu’elle peut lui raconter lorsqu’elles discutent toutes les deux ? En tout cas elle essaiera de faire abstraction de la partie inspirée de faits réels pour ne pas avoir des images qu’elle préférerait ne pas avoir en tête. Enfin, il est aussi possible qu’elle envoie des sms à sa sœur en pleine nuit tandis qu’elle lit son roman pour savoir si elle a vraiment fait tel ou tel truc. Une chose est certaine, la jeune femme ne doute pas que le roman de Pippa ait du succès, comme les précédents. Elle lui demande d’ailleurs si elle a eu des précommandes. Elle n’avait pas encore les chiffres mais cela semblait plutôt bon. Elle continua en évoquant le salon de New-York où elle présentera son nouveau livre. « Oui j’aurais adoré venir aussi mais j’ai cours et je peux pas vraiment sécher plusieurs jours de cours. » Enfin elle pourrait, si elle était du genre moins sérieuse qu’elle ne l’est. Mais pour Polly, louper un cours est impensable. Il faut vraiment qu’elle soit malade pour être absente. Et même si elle adore sa famille et que quelques jours à New-York avec Pippa aurait été génial, elle ne peut pas. « Tu y vas avec qui du coup finalement ? »

La frontière pouvait être mince entre la réalité d’un auteur et ce qu’il retranscrivait dans son roman. J’écrivais des fictions, mais il aurait été faux de dire que ma vie n’inspirait pas telle ou telle scène. On se nourrissait de nos expériences, de notre vécu, transformions parfois certaines anecdotes. Il n’était pas rare, d’ailleurs, que l’inspiration me vienne après un voyage. J’y vivais tout un tas d’expérience nouvelles, et souvent palpitante, j’apprenais énormément sur moi-même également, et cela donnait du grain à moudre pour l’autrice que j’étais. Si j’aimais cette aspect là, j’admettais qu’il était parfois étrange de savoir qu’un proche lisait nos écrits, de savoir qu’il pouvait nous reconnaitre dans certaine façon de pensé, dans un discours, une anecdote. L’acte d’écrire était parfois si intime, j’avais beau être habituée, cela me faisait toujours quelque chose. C’était paradoxale, mais à contrario, j’aimais célébrer les sorties et discuter de mes romans, en particulier avec ma bookworm préféré, à savoir Polly. J’aurais adoré qu’elle m’accompagne à l’avant-première de New-York, et je pinçai les lèvres lorsque Polly me rappela qu’elle avait bien trop de travail à l’université pour se permettre de prendre congé.
— Bien sûr, je comprends. Comment ça se passe, d’ailleurs, les études ?
En discutant avec ma soeur, j’étais parfois nostalgique de mes années d’étude. J’avais adoré, à l’époque, étudier la psychologie, quand bien même je n’avais pas ouvert mon cabinet par la suite - et l’envie me trottait en tête depuis quelque temps, mais tout cela n’avait pas encore pris le temps de mûrir.
— J’y vais avec mon éditrice, ça va être cool.

Il y a bien que quelqu’un comme Polly pour ne pas vouloir sécher quelques jours de cours afin de partir à New-York avec sa sœur. Mais pour elle, les études sont presque au dessus de tout et elle sait que Pippa n’a pas besoin d’elle pour très bien s’en sortir là-bas. De toute façon si elle a besoin d’un peu de soutien, elles pourront s’appeler ou s’échanger des sms, elles ne risquent pas de perdre le contact. Même en étant à Bowen toutes les deux, elles se parlent quasiment tous les jours. « J’ai pas mal de projets en ce moment, je passe ma vie à la BU ou sur mon bureau, je crois que je vais bientôt fusionner avec ma chaise. » expliqua-t-elle en soupirant. Pour pouvoir suivre le rythme elle a dû réduire son nombre d’heures à la librairie, pour les passer à travailler histoire de ne pas trop sacrifier son sommeil. Mais même si elle adore travailler, elle aimerait avoir un peu plus de temps libre pour décompresser. Elle regrette aussi un peu de ne pas être avec des partenaires de projet aussi assidus et impliqués qu’elle, ça l’agace un peu de devoir faire moitié du boulot d’un groupe de quatre ou trois quarts d’un groupe de deux. « Oui ! Tu m’enverras plein de photos ! En plus il fera froid là-bas, y’aura même peut-être de la neige ! Ça doit être trop bien. » Elle qui aime tant l’hiver, le froid et la neige, ça la peine encore un peu plus de ne pas pouvoir partir et voir New-York en hiver.

Pour Polly, les études étaient une priorité et si j’avais été moins rigoureuse que ma petite soeur à l’époque où j’occupais les bancs de l’université de psychologie, j’avais moi aussi été focus sur mes études. Je comprenais complètement qu’on y consacre tout son temps. Cela pouvait être passionnant, et Polly avait toujours eu un caractère responsable, cela allait de paire avec sa mignonnerie innée.
— Pour la fusion avec sa chaise de travail, je comprends parfaitement ! dis-je en riant.
En tant qu’autrice, et créatrice de podcast je passais un nombre d’heure incalculable sur ma chaise, devant un écran. Je songeai d’ailleurs, pour soulager mes maux de dos chroniques, à investir dans un chaise de gaming qui coûtait les yeux de la tête. Mais au fond, quand on y songeait cela restait mon outils de travail.
— Compte sur moi, je t’enverrais des photos style de moi, sur un rooftop avec vue sur les buildings ! plaisantai-je.
Nous passâmes, ma soeur et moi, le reste de l’après midi à discuter et à boire du thé, jusqu’à ce que Polly ne doive finalement partir, me laissant à ma valise.  

fini