where the heart is ✩ marcus

Neuf années de silence total, d’incompréhension, de questions sans réponses, de célibat forcé qui l’avait, au fond, peut-être arrangé, lui l’ours solitaire. Ou bien l’était-il devenu avec le temps, par la force des choses, seul, sauvage, renfermé sur lui-même, du moins hermétique à l’amour puisque le sien s’était fait la malle. Neuf ans c’était long, mais avec le temps il ne comptait plus, il s’était fait à l’idée qu’il n’aurait jamais ses réponses, que toute cette histoire devrait peut-être, finalement, rester belle dans son esprit, pour les quelques années de bonheur, inachevée, napée de mystère. Avec le temps il n’avait pas pardonné, mais il avait accepté, la douleur était moins vive, elle n’était même plus, il ne pensait plus à elle tous les jours. Et pourtant il avait suffi d’une semaine, quelques jours seulement, pour que tout cet équilibre se casse la gueule. Bowen était une petite bourgade et les rumeurs allaient bon train. Surtout quand on travaillait dans un bar. Alors c’était venu à ses oreilles, timidement, un client, puis deux, puis il n’avait plus compté le nombre de personnes qui lui avaient assuré avoir cru croiser Penelope. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, notamment une fois où on avait vu l’ainé Russell en compagnie d’une blonde qui pouvait faire penser, de loin, à sa sœur, seulement il s’était avéré qu’il s’agissait de sa copine de l’époque. Cette fois c’était différent, Marcus le sentait, il était fébrile, il dormait mal, quelque chose se tramait sans qu’il ne prenne encore la mesure de combien ça allait perturber sa vie bien rangée. Pour ne pas y penser, ni même avoir l’idée de la chercher, le barman se terrait dans son bar, tôt le matin, tard dans la nuit, il se foutait que Leo soit là pour faire les ouvertures ou les fermetures, il était là bien avant et bien après elle chaque jour. Il aurait presque pu dormir dans son antre, s’il n’avait pas eu un lit plus confortable juste de l’autre côté de la rue et le besoin de se doucher, quand même. Il esquivait toutes les discussions qui pouvaient mener à Penelope, au lieu de ça il parlait de l’actu, des potins, de la météo s’il fallait. Et surtout, il se confortait dans l’idée que tant qu’il ne l’avait pas vue son retour n’était pas réel, ça restait des rumeurs de comptoir.  Ce soir pourtant tout allait changer. Le Elm était bien plein en ce milieu de soirée, l’ambiance était bonne, il y avait surtout des habitués, qui tournèrent machinalement la tête lorsque la porte s’ouvrit. Aucun ne réagit en découvrant la blonde, les habitués d’aujourd’hui n’étaient plus ceux d’il y a dix ans. Pour Marcus ce fut différent, il sentit comme un vent glacial s’engouffrer dans la porte en même temps qu’elle, c’était étrange, l’été était pourtant bien chaud. Un regard à celle qui n’osait pas encore l’affronter, il avait compris. Un soupire, il servit la pinte de bière qu’il était entrain de tirer au client devant lui. Il laissa Penny s’installer et se retourna pour se donner une contenance. Il entreprit de préparer un cocktail, sans se presser, le temps de réfléchir à ce qu’il pouvait faire, dire, n’importe quoi. Mais rien ne vint. Nouveau soupire, il n’avait pas le choix, elle était là, peu importe ce qu’elle voulait, il ne pouvait pas l’ignorer. Il déposa le verre devant la blonde, une margarita, comme à la grande époque, sans savoir si c’était toujours son cocktail favori. Lui il se servit un shooter de rhum qu’il vida d’une traite avant d’oser vraiment la regarder. Elle n’avait pas tellement changé, les années étaient passées et avaient marqué son visage ça et là, mais elle était toujours aussi belle, avec ses longs cheveux blonds qui tombaient dans son dos. Il allait ouvrir la bouche pour dire quelque chose quand on l’interpella à l’autre bout du bar. Hey boss, une autre tournée s’il te plait ! Il baissa les yeux en souriant. On avait vu mieux comme retrouvailles, mais le méritaient-ils ? J’te fais ça Jo ! Il prépara deux nouvelles pintes pour ses clients, après tout, elle l'avait bien fait attendre neuf ans, elle pouvait patienter quelques minutes. Puis il retourna vers sa femme, machinalement il vérifia sa main gauche, elle ne portait plus son alliance. Lui non plus. Je ne sais pas ce que je suis sensé dire. Pour être honnête j’ai l’impression de voir un fantôme. Lui, si mauvais pour parler, pour exprimer ce qu'il ressentait, se trouvait bien bête à devoir faire le premier pas face à la femme qu'il pensait avoir perdu pour toujours.

Depuis l’arrivée de Penelope dans le bar l’atmosphère avait changé. L’ambiance était toujours détendue, bon enfant, conviviale, à l’image de son patron. C’était simple, Marcus n’avait que peu d’autres préoccupations que son pub, dans la vie, il ne vivait quasiment que pour lui et il s’y sentait bien. Mais que son ex débarque, comme ça, même si au fond de lui il s’y attendait, il n’était pas préparé. Et c’était synonyme d’emmerdes à l’horizon. Parce qu’on n’effaçait pas neuf années de silences et un départ inexpliqué avec quelques verres. Alors donc l’atmosphère s’était largement refroidie et, bien que les clients ne soient pas au fait de toute cette histoire, bien que ce visage si doux leur soit inconnu, ils remarquèrent que quelque chose avait changé une fois que leurs regards se furent croisés. Et ce fut sans un mot échangé que Marcus déposé, avec assurance, le cocktail face à la blonde. Elle fut surement surprise, mais pas autant qu’en le voyant s’envoyer, culs sec son shooter de rhum, sans vraiment s’en cacher. Il avait changé, le rat de laboratoire qui ne buvait qu’en soirée, il avait développé quelques addictions qui l’aidaient à tenir. Mais que personne ne dise qu’il était alcoolique, il ne supportait pas ce terme. Et puis il contrôlait sa consommation… De toute façon, dans ce cas précis, c’était plus une dose de courage qu’un besoin réel, du courage pour oser poser son regard sur elle et voir son monde s’écrouler, pour réaliser, enfin, qu’elle était bien là face à lui. En vérité rien ne s’écroula, elle était là, certes, mais lui aussi, ancré dans sa réalité, les mains sur son comptoir au bois vieilli. Le monde ne s’était pas arrêté de tourner, peut-être parce qu’ils n’étaient pas seuls, sûrement, il y avait tout un univers entre eux et des clients pour rappeler à Marcus quelle était sa place, à ce moment précis. Il se détourna alors aussi vite de Penny, parce qu’il avait été apostrophé par l’un d’eux qui réclamait ses verres. Même occupé par les autres il ne la quittait pas totalement du regard, du coin de l’œil il la vit boire quelques gorgées de son cocktail, comme si elle aussi avait besoin de courage, ça le rassurait un peu, elle était autant paumée que lui. Une fois qu’il fut revenu face à elle, essuyant un verre pour occuper ses mains, il ne s’attendait pas à sa question. Ca faisait si longtemps, comme s’il avait toujours été le boss ici, mais elle ne l’avait jamais connu dans ce rôle-là. Nouveau sourire un peu contrit. Le vieux Al a pris sa retraite quelques mois après … (ton départ) Que c’était dur, bon dieu que c’était dur de faire la conversation à cette femme-là comme si tout était normal. … J’ai saisi l’occasion, ça ne pouvait être que moi. Il ne le disait pas mais c’était logique, qu’il ait abandonné son brillant avenir de physicien et c’était sans aucune fierté dans la voix qu’il énonça cette vérité, ça ne pouvait qu’être lui, à la tête de ce bar, non pas qu’il soit meilleur qu’un autre, mais le Elm c’était son refuge depuis toujours. Il hocha la tête et se décida à se servir une bière, il avait envie de plus fort, mais ce ne serait pas raisonnable, il avait des clients à servir. J’ai quelques années de pratique. Il la fixa avec curiosité. C’est parce que mes margaritas te manquaient ? Que tu es revenue ? Il n’était même pas sûr de vouloir sa réponse. Et puis allait-elle vraiment le lui dire, comme ça, ici, alors qu’ils avaient tant de témoins qui n’étaient pas sensé se mêler de cette histoire.

Marcus faisait partie de ces personnes foncièrement gentilles. Il ne cherchait pas le conflit, ou très rarement, lorsqu’il n’avait pas le choix. Son bar était un havre de paix et les bagarres y étaient rares, i prenait à cœur de virer proprement tous ceux qui souhaitaient y foutre le bordel et, même s’il était la gentillesse incarnée, il savait très bien se montrer persuasif lorsque c’était nécessaire. Tout le monde était bienvenu au Elm, c’était, selon lui, l’essence même de ce lieu. Et par conséquent, Penny y avait sa place, elle aussi. Alors évidemment, au fond de lui c’était tout un cataclysme, de la voir accoudée à ce comptoir, de sentir son regard posé sur lui et d’enfin l’affronter. Mais il n’en montrait rien, se cachant toujours derrière son éternel sourire nonchalant. Je pense qu’on a déjà fusionné, pour être honnête. Il sourit en passant la main sur le vieux bois avec tendresse. Penelope avait la décence de ne pas demander ce qu’il était advenu de ses belles études. Il les avait abandonnés à cause d’elle, c’était un fait, mais, à bien y réfléchir, ce serait arrivé, tôt ou tard, parce que la physique ne le passionnait pas, parce qu’il avait beau être brillant, il n’était pas captivé, pas autant que par ce lieu, qui le faisait vibrer tous les jours. Il continua d’ailleurs son service, sous le regard timide mais attentif de son épouse. Parce que oui, elle était toujours sa femme, mine de rien. D’aucuns l’aurait d’ailleurs mise dehors, simplement pour la façon dont elle était partie, ou pour les années d’absence, ou même pour bien moins que ça. Mais pas Marcus, il n’était pas de ceux-là. Un jour ça serait sûrement compliqué, un jour ça le sera, mais pas ce soir. Leurs regards s’accrochèrent, ce serait mentir que de dire qu’il n’y avait pas d’électricité, le cœur du barman s’accéléra, manqua même un battement, mais il tenta de nier le fait que, malgré tout le mal qu’elle avait fait, ou les années écoulées, le fait qu’elle était devenue, à présent, une totale inconnue, elle lui faisait toujours autant d’effet. Sa question le heurta un peu, elle était pourtant légitime, logique. Si… je suis désolé pour votre famille. Joaquim lui avait dit, leur père était malade, mourant, même. Avec le temps et surtout l’absence, l’aîné des enfants Russell était devenu ami avec Marcus, très ami même, comme quoi, les épreuves pouvaient rapprocher les individus. Mais au fond, ce n’était pas sa question. Ses habitants… humm… Ce n’était pas ce que je voulais dire, en fait. Il la dévisagea en essayant d'avoir l'air sûr de lui, fort, mais, pour la première fois dans leur échange, on put lire la douleur dans son regard. Pourquoi tu es revenue ici ? Dans ce bar qui avait vu naître et grandir leur amour, celui qui avait aussi été témoin de leur perte.

Marcus avait connu le deuil, de bien des façons. La perte d’un proche lui était familière et il la respectait, il se souvenait trop des derniers jours de sa grand-mère, de son extrême fatigue, de ce corps épuisé qui avait rendu son dernier souffle. La famille Russell était unie, du moins jusqu’à ce que Penelope ne quitte Bowen, il l’avait cru. Aujourd’hui il ne savait plus, mais elle était revenue, pour son père, ça devait bien signifier quelque chose. La maladie du paternel avait beaucoup affecté son fils, Jo, tout plein de pudeur qu’il était, s’était confié à Marcus sur le sujet. Perdre son père, figure de sagesse, c’était une épreuve. O’Brian n’avait pas connu, du moins il n’avait pas connu son père, c’était plus simple. Mais pas moins douloureux, vivre avec l’absence, tous les jours, c’était quelque chose. Penny savait… pourtant elle était partie, sans rien dire, comme son père l’avait fait… ça avait été difficile à encaisser, ce parallèle là il l’avait fait, souvent, à l’époque. Aujourd’hui il était apaisé sur le sujet, sa vie était faite d’abandons, il l’avait accepté, sans chercher à analyser le pourquoi, sans partir dans le mélodramatique, il devait faire sans, en solitaire. De toute façon c’était ça ou couler. Ce à quoi il n’était cependant pas habitué, c’était aux retours. De ceux qui l’avaient laissé sur le carreau, personne n’était revenu, la mort avait quelque chose de définitif et son père, il ne s’était simplement jamais manifesté, peut-être lui aussi était-il passé de l’autre côté, il ne le saurait certainement jamais. Le regard que la blonde posa sur lui, cette confidence soufflée du bout des lèvres. C’était une belle raison de revenir, en effet, comme quoi, peut-être que neuf ans plus tard il était toujours son phare, quelque part. Mais ce fut une boule de colère qui noua son estomac et qui tira ses traits. Aujourd’hui elle avait besoin de lui, mais toutes ces années, avait-elle au moins pensé un peu à celui qu’elle avait abandonné ? Tout avait si bien commencé, tout était allé si vite, entre les deux jeunes amants, bientôt époux, un tourbillon de sentiments, le tourbillon de la vie qui les avait emportés à l’époque. Marcus n’avait jamais vraiment réfléchi à tout ça, cette femme, sa femme, la vie à deux, peut-être des enfants, tout ça il ne l’avait pas prévu, il vivait au jour le jour, c’était peut-être pour cela qu’il ne s’était jamais senti étouffer dans cette histoire. Si seulement il avait su tout ce que ressentait Penelope. Je n’ai jamais bougé… mais toi, tu n’as pas eu besoin de moi jusque-là. Bien des années plus tard tout avait changé, ce lieu, ces deux êtres. Marcus en voulait à Penny, terriblement, il s’en rendait compte, pourtant on comprenait que tout pouvait encore arriver. Il la sentit sur le départ, son attitude, sa dernière phrase. Dans un geste réflexe il posa sa main sur celle de son épouse. Attends. Il la fixa, nerveux, elle ne pouvait pas partir. Tort de quoi ? De revenir ce soir ? De partir ? De se confier ? Il était tellement paumé !

Maintenant que Penelope était là, comme l’éléphant dans la pièce, on ne pouvait pas la manquer, on sentait toute l’ambiance qui changeait petit à petit dans le bar. Les clients qui zieutaient cet échange peu habituel entre le patron et sa nouvelle cliente, l’attitude peu banale de celui qui se faisait en temps normal plus discret, ou bien plus enjoué. Là il avait pris un air grave qu’on ne lui connaissait pas. Il sentait, lui-même, qu’il était sur le point d’exploser. Il n’était pas du genre colérique, Marcus, plutôt calme, presque nonchalant sous certains aspects, détaché tout au moins, il s’emportait rarement. Seulement il sentait la colère monter en lui, gronder, prête à éclater tel l’orage un soir de grosse chaleur, ravageant tout sur son passage. Mais ce n’était pas le lieu pour ça et encore moins le moment, sous le regard de ses clients. Alors il se contenait, mal, incapable de savoir ce qui l’emporterait, dans ce mélange d’émotions, entre la colère, certes, mais aussi la tristesse, le manque et cette infinie tendresse qu’il ressentait encore envers celle qu’il avait aimé plus que tout. Il serra les mâchoires alors que Penny osait cette question insupportable. Elle n’avait pas le droit de la poser, elle le savait, il lui en voulu de le culpabiliser ainsi alors qu’elle était la seule coupable, elle était celle qui était partie. Elle ne savait pas, Russell, qu’il avait tenté de la chercher, qu’il avait remué ciel et terre pour la retrouver, pour comprendre, avant de se faire à l’idée, elle avait tout fait pour disparaître. Il ne répondit pas et elle prit ce silence pour une invitation à partir alors qu’il voulait qu’elle reste…. Enfin, il n’en savait rien, il était tellement perdu ce soir, dans un geste désespéré il la retint, sachant pertinemment qu’elle ferait ce qu’elle voudrait, comme toujours. Elle resta, entremêlant leurs doigts dans un geste qui fit plus de mal que de bien à son époux. Puis lui proposa de la rejoindre sur la plage. Bowen regorgeait de plages, de criques, pourtant il savait parfaitement où elle allait aller. Penny, elle, savait qu’il détestait la plage, mais c’était tout un symbole, cet endroit où ils s’étaient mariés, leur endroit. Il ne répondit pas, se faisant déjà happer par les demandes des clients, tout un groupe venait de faire son entrée au Elm. Il eut à peine le temps de les saluer que la blonde partait déjà. Il soupira et continua sa soirée, il servit des verres dans son ballet bien rodé, fit un brin de discussion avec certains, mais il n’était pas vraiment là. Sur les coups d’une heure du matin il ferma la porte du bar, sans avoir rangé, il verrait ça le lendemain. Il n’avait qu’une chose en tête, la rejoindre, sans savoir si c’était la bonne décision ou non, mais s’il n’y allait pas, il ne saurait jamais. Il était tard, il n’avait pas beaucoup d’espoir qu’elle soit encore là. La nuit était claire, la lune, presque pleine, le ciel étoilé, se reflétaient sur l’eau. Il retira ses chaussures pour macher pieds nus dans le sable et remarqua une silhouette sur le rivage. Son rythme cardiaque s’accéléra, c’était Penelope, elle l’avait attendu. Et cette vision le bouleversa. Il s’approcha d’elle, attendit qu’elle se retourne pour capter son regard. Qu’est ce que tu attends de moi ? Il ne demanda pas pourquoi elle était partie, il le saurait bien assez tôt. Ce soir il avait juste envie de n’être que cet homme, qui rencontre cette femme, le reste attendrait, le reste était trop douloureux, il le savait.

Il n’avait pas bougé, non. Pour aller où ? Marcus n’avait toujours connu que Bowen, ses rues animées lorsque la saison du surf battait son plein, ses habitants attachants. Il n’avait aucun repère ailleurs et même, pour être précis, il avait ses repères dans cette rue, celle qui l’avait vu grandir, dans cet appartement spacieux en face du Elm street, cette rue commerçante et joyeuse, qui avait connu quelques heures plus sombres. Elle avait été aussi le témoin silencieux de la vie de ce petit garçon qui avait grandi avec sa grand-mère, puis qui était devenu l’adolescent curieux qui se fascinait déjà pour le bar d’en face, sans trop savoir pourquoi. Témoin de ses amours passionnés avec cette jolie blonde délicate. Puis de sa descente aux enfers lorsqu’elle l’avait quitté brutalement. Témoin de sa reconstruction, lente et silencieuse, mois après mois, au sein de ce bar qui deviendrait finalement le sien. Il était ici chez lui, cette ville le connaissait par cœur et inversement, alors pourquoi la quitter, il était plutôt du genre fidèle.
Il y avait bien une chose, pourtant, qu’il n’aimait pas dans cette ville, c’était sa plage, enfin les plages en général, mais comme il n’avait jamais tellement bougé, il ne connaissait que celles de Bowen. Il n’aimait pas le sable entre les doigts de pied, ni qu’il lui brûle la voute plantaire lorsque le soleil chauffait trop fort. Il n’aimait pas la foule qui s’y massait pour se faire cuire la peau, ni les gamins qui vous balançaient du sable dans les yeux, il n’aimait pas non plus le goût du sel ni la sensation de celui-ci sur la peau. La plage il pouvait l’apprécier, au crépuscule, lorsqu’elle était calme et vidée de monde, lorsque l’eau se déchaînait parfois ou même si elle restait calme, pour l’observer, mais si ce spectacle en apaisait beaucoup, lui il l’angoissait presque, lorsqu’il pensait qu’il était là, si petit, si vulnérable face à cette force de la nature qui pouvait se montrer incontrôlable. Mais elle, Penelope, elle adorait la plage, elle aimait l’océan, alors il avait fait l’effort, bien des fois, simplement pour qu’elle ait le plaisir d’y aller à ses côtés, il avait même concédé à s’y marier. Et cette nuit il acceptait une nouvelle fois de l’y rejoindre. Alors qu’elle se retournait vers lui, O’Brian découvrit ce sourire qui éclairait tout son visage, Dieu qu’elle était belle. Il esquissa un sourire lorsqu’elle lui remémora que le temps passait, il n’était pas très doué avec les dates, mais il savait qu’on approchait des dix ans, effectivement. Je sais, oui. Que répondre d’autre ? Il remarqua qu’elle se détourna de lui, il avait déjà vu que ses yeux brillaient d’une lueur étrange, il sentait les larmes prêtes à déborder, celles qu’elle retenait avec peine et son cœur se serra quand il vit celle qui roula sur sa joue. Même avec tout ce temps la douleur était encore atrocement vive. Il encaissa sa requête, comme on pouvait se prendre un coup de poing dans le ventre, de ceux qui vous coupaient le souffle quelques secondes. Puis la força doucement à se retourner, il essuya sa joue humide du bout des doigts, osant toucher sa peau, la caresser, se faisant autant de bien que de mal. Il avait les sourcils froncés en la regardant, mais le regard emprunt de douceur. Pourquoi tu pleurs alors ? Si tu as parcouru tout ce chemin et réuni tout ton courage pour m’annoncer ça, pourquoi ça te rend si triste Penny ? A quoi bon crier, la retenir ? Il l’avait déjà perdue depuis bien longtemps.

Il les avait rêvés, ces retrouvailles, il en avait aussi fait des cauchemars. Des années à l’attendre, à la redouter, à la détester tout en l’aimant encore si fort. C’était une douce torture que de l’avoir ce soir, enfin face à lui. Quelque part Marcus avait toujours su que Penelope reviendrait, c’était inexplicable, mais il le sentait, tout au fond de lui. Mais il n’était pas prêt, malgré les centaines de nuits sans sommeil, il n’était pas préparé à cette vague d’émotions. Il avait tenté de l’oublier, de la haïr du plus profond de ses tripes, mais ça s’était avéré impossible. Peut-être parce qu’il n’avait pas les réponses à ces questions qui tournaient toujours en boucle, même après neuf ans, un peu moins fort, un peu moins souvent, mais toujours, dans un coin de sa tête, il était incapable de totalement tourner la page. Alors c’était ce soir que tout se jouait, le destin était brutal. Et la blonde ne lui facilitait pas la tâche, alors que ses larmes débordaient sur son visage. Il reçut un nouveau poing dans le ventre, elle l’aimait, encore, malgré tout. Ce furent alors les yeux d’O’Brian qui se mirent à briller d’émotion. Il lui en voulait tellement, terriblement, d’être partie, de l’avoir abandonner. Pourtant il ne pouvait rester insensible à ces quelques mots qui ramollirent son cœur amoché. Il était bien incapable de répondre quoi que ce soit, alors il la laissa poursuivre. Il l’aimait, certes, mais tout dans ses gestes le criaient déjà, pas besoin de formuler et ça ne ferait pas avancer leur situation. Alors il l’écouta, ses justifier sans savoir où elle voulait en venir, lui donner quelques bribes d’explication mais sans non plus tout dire, à mi-mot, c’en était presque frustrant, lui qui attendait des réponses depuis si longtemps. Il afficha un sourire triste, si triste. Le mariage ce n’était pas la finalité en soi, c’était juste un beau moment et une bague au bout de ton doigt. Mais ça ne changeait rien… enfin je dois me tromper. Quant aux enfants, rien ne nous obligeait à en avoir. Lui-même n’y avait songé que tard, sans vraiment savoir s’ils en auraient un jour, c’était plus une option qu’autre chose, la preuve, il n’en avait toujours pas et ça ne manquait pas à sa vie. Par contre si tu parles d’engagement… là-dessus je ne sais pas quoi dire … On dit que tu es partie avec un autre, c’est la rumeur la plus tenace. Il ne l’incriminait pas, mais il l’invitait à répondre, peut-être à lui donne, enfin, sa vérité, la bonne, la seule qui puisse trouver grâce à ses yeux.