heart to heart (livio)

Je me garai dans l’allée de notre ancienne maison un lundi soir, et non un dimanche comme il était de coutume, chaque fois que je prenais mon tour avec les enfants. J’avais eu un empêchement, la veille. Le caprice d’un client qui m’avait forcé à repousser notre rendez-vous hebdomadaire. J’avais ce drôle de sentiment d’être en retard, quand bien même Livio et moi nous étions arrangé. Mon travail m’avait privé d’une journée avec mes enfants et cela me laissait une impression amère. Leandro et Milla était sans doute déjà couché et cela me peinait de de devoir me privé plus longtemps de leur sourire communicatif et de l’odeur rassurante de leur cheveux fins. Quand je passais le pas de la porte, Marlowe vint aussitôt me saluer, s’il y avait bien une chose qui restait inchangé dans cette maison, c’était sans doute l’enthousiasme débordant de ce chien, à l’instar de la nonchalance de Minerva, ma chatte noire et blanche. « Hey, salut mon beau » je soufflai, tout en me baissant pour caresser le poil long du chien de Livio. La joie communicative de l’animal me mit du baume au coeur, néanmoins, je finis pas me redresser. J’avançai dans le hall, tendant la nuque pour tenter d’apercevoir le père de mes enfants. « Livio ? Tu es là ? »  

@livio manzoni

En entendant la voiture d'Aura se garer dans l'allée, Livio était directement parti dans sa chambre afin de récupérer son sac d'affaires. Il n'avait pas vraiment envie de s'attarder ce soir. Il sentait qu'il y avait quelques tensions entre son ex-femme et lui. Son dernier message, comme quoi elle se passait de ses remarques, ça l'avait un peu titillé. Non, il n'était pas susceptible – un peu, si – mais il s'était surtout rendu compte qu'elle avait raison. Il n'avait plus son mot à dire. « J'arrive. » dit-il quand elle l'interpella, arrivant dans l'entrée de leur ancienne maison commune. « Milla est couchée et dort déjà. Par contre, Leandro attend après toi. Il a eu du mal à comprendre pourquoi maman ne venait pas après deux dodos, mais trois dodos. » Il concevait bien qu'elle ait du travail, une entreprise à gérer, mais là, il sentait que cela avait affecté leur fils. Il tenta malgré tout de ne pas faire passer cela pour un reproche, c'était juste un cœur de papa qui se serrait en voyant son fils déstabilisé. Leandro allait probablement coller sa mère, les prochains jours. « Tu as pu faire tout ce que tu devais faire ? » demanda-t-il néanmoins, posant son sac sur le meuble de l'entrée.

Je culpabilisais d’avoir passé une journée de plus loin de mes enfants. Moi qui avait déjà du mal à supporter le rythme de la garde partagée, devoir imputer ma semaine à cause d’une obligation professionnelle me faisait mal. J’avais adouci cette corvée en faisant participer mon amie Arielle, qui avait accepter de m’accompagner dans mon périple. Cela m’avait fait oublié - au moins un peu - que je tronquais le temps précieux que je passais avec Leandro et Milla. Cependant, la remarque de Livio fit instantanément remonter tout ce que j’avais, jusqu’à présent, réussi à étouffer. Mon estomac se serra et ma gorge se noua aussitôt. Je serrai les dents, et ne répondis pas tout de suite. Je posais mon sac sur la table du salon, puis me dirigeais vers la chambre de mon fils, non sans avoir gratifier Livio d’un regard noir. Je pensais un moment avec Leandro, pris mon temps pour le border et lui promis des pancakes au petit-déjeuner pour obtenir de lui qu’il essaye de s’endormir. Quand je revins dans la pièce principale, Livio était encore là. « Merci…de m’avoir rendu service. » je lançais. « Tu n’es pas obligée de rester, je suis là maintenant. »

Le fait qu'elle ne réponde pas à sa question – qu'il envisageait comme un calumet de la paix – et que, pire, elle l'affubla d'un regard noir resserra cette boule à l'estomac, nourrie de colère et de tristesse. Le duo d'émotions qu'il détestait par-dessus tout. Il leva les yeux au ciel, la laissant rejoindre Leandro dans sa chambre qui devait encore avoir les yeux grands ouverts, dans l'attente de voir sa mère. Milla, elle, dormait déjà à poings fermés, bien loin des tracas relationnels de ses parents. Alors que Livio aurait pu s'éclipser, il prit néanmoins l'initiative de plier le linge des enfants. Pour laisser une maison propre, rangée et bien organisée. Pour que les enfants puissent profiter de leur mère dès le premier jour. Parce qu'il se doutait qu'elle avait eu un week-end bien chargé. Mais quand son ex-femme revint dans le salon, il hocha d'abord la tête quand elle le remercia pour le service. Passer un jour de plus avec ses enfants, c'était davantage un plaisir qu'un service. Là aussi, ils auraient pu en rester là, mais la dernière phrase de Aura le fit dégoupiller. Il montra la pile de linge qu'il avait sur ses genoux. « Tu me laisses au moins finir de ranger les affaires des petits avant de me foutre à la porte ? » Le ton n'était pas des plus sympathiques et ce qui suivit ne l'était pas mieux : « Je te signale que je suis encore chez moi, ici. Du moins, jusqu'à ce qu'on arrive à la vendre, cette foutue maison. » Il était fatigué, à cran et la moindre petite phrase pouvait lui faire dire des choses qui dépassaient sa pensée.

Le rituel du coucher était un moment privilégier avec Leandro, Milla étant encore un peu trop petite pour qu’on en instaure un. J’étais heureuse, ce soir, que Livio m’ait laisser le partager avec mon fils, aussi le ton acerbe qui sorti de ma bouche ensuite fut totalement incompréhensible. Peut-être s’agissait-il là d’un mécanisme de défense, incontrôlable au fond. En tout cas, cela amorça quelques choses que je n’avais pas souhaité au départ. Mais avant que je n’ai le temps de regretter, Livio entra dans l’engrenage et je savais qu’il n’existait rien qui pourrait stopper le mécanisme une fois lancé. La réplique de mon ex-mari me piqua lorsqu’il évoqua les affaires des enfants qu’il était en train de plier. J’eus l’impression de passer pour une mégère et le sentiment n’était clairement pas plaisant. La suite, termina de mettre de l’huile sur le feu. « Tu remets ça sur le tapis ? Sérieusement ? » Un rire nerveux éructa de ma bouche. « Je croyais qu’on s’était mis d’accord, qu’on se laissait du temps… » Je secouai la tête tandis que la rage s’insinuait petit à petit dans mes veines. « Vends-la donc ta putain de maison ! J’ai rien le droit de dire de toute façon, exactement comme quand TU as décidé de foutre notre vie en l’air ! »

Il aurait voulu que l'échange se passe bien, qu'ils discutent tranquillement avant qu'il ne quitte la maison. Seulement il fallait croire que les malentendus étaient de mise, ce soir,en agissant comme de l'huile sur le feu. Les mots de Livio furent mal interprétés par Aura. Le regard noir de son ex-femme vint attiser cette boule de tension qu'il avait sur l'estomac, depuis plusieurs jours. Il aurait mieux fait de récupérer ses affaires, de s'en aller. La fuite était, parfois, la meilleure solution. Seulement, quand Aura revint dans la pièce, le mettant presque à la porte (était-ce un simple ressenti), Livio dégoupilla. Puis Aura dégoupilla. « Se laisser du temps ? On l'a pris notre putain de temps, tu ne crois pas ?! » Les mots qui suivirent, en revanche, le touchèrent en plein cœur. « J'ai foutu notre vie en l'air ? C'est comme ça que tu le vois ? » demanda-t-il, plus par tristesse que colère. « Tu crois que je suis heureux de la situation ? Tu crois que je suis heureux d'avoir gâché notre mariage ? Tu crois que ça me plaît de faire ce qu'on fait, là, une semaine sur deux ? Tu crois que j'aime te passer le flambeau rapidement, tous les dimanche soir en te parlant à peine, alors que j'aimerai juste te prendre dans mes bras, passer des soirées comme avant ?! » Il secoua la tête. « Tu ne le comprends peut-être pas encore. Le divorce, je ne l'ai demandé parce que je ne t'aimais plus.» Pas alors qu'il l'aimait tant, encore. « J'ai eu peur de ne plus rien t'offrir. »

Livio et moi ne nous étions pas séparés dans les cris, il n’y avait pas eu d’engueulades époumonées, ni de vaisselles cassées. Pour moi, cela avait été un choc d’abord, et puis la résignation. Comme si je ne pouvais rien y faire, que la décision était prise. J’avais ressenti un immense rejet et, même plusieurs mois après, j’en ressentais encore la douleur cuisante dans le creux de ma poitrine. J’avais encaissée, en silence, gardant au fond de moi ma rancoeur et ma peine.  Et puis vint le moment inévitable, celui où tout explosa. Je l’avais redouté, j’avais refréné mes émotions jusqu’à ce soir, où la coupe était pleine. Et comme souvent dans ce genre de situation, il n’avait suffit que d’une minuscule goutte d’eau pour que tout déborde. Je regrettai immédiatement les mots qui étaient sortis de ma bouche mais il était trop tard, ils avaient touché leur cible. Livio avait accusé le coup et ce qu’il avança ensuite me fit monter les larmes aux yeux. Je serrai les dents, une vive émotion me vrillant l’estomac. Incapable de parler, je demeurai interdite un instant, avant de recentrer mon attention sur Livio. « Comment… » Au moment où je commençai ma phrase, ma voix se gorgea de trémolo. Je me coupai, fermai les yeux, inspirai puis repris, le regard humide. « Comment tu as pu pensé une chose pareille ? Livio, je…on a l’impression que tu as cessé de croire en nous… » À nouveau je marquai une pause. Je n’avais pas envie que mon discours sonne comme un reproche, mais j’avais besoin de dire les choses que j’avais sur le coeur. « Tu n’arrêtais pas de dire que tu étais un poids pour nous, tu étais constamment de mauvaise humeur et tu me rejetais…je ne savais pas quoi faire, j’étais démunie, mais à aucun moment j’ai eu le sentiment que tu ne pouvais plus rien m’offrir.  Et…quand bien même je n’attendais rien de plus que ton amour. »