Hi lil' bro ! (Elias)

Elias bon sang, ce petit allait la rendre chèvre. Déjà qu'elle devait faire cas des soucis de comportement de son aîné maintenant son cadet s'y mettait aussi. Les Rutkowski en tenaient tout de même une sacré couche. Parce que bon, si on devait aussi parler d'Avery, on y passerait la soirée. La brune avait déjà ses propres problèmes à gérer, c'était difficile de suivre le drame familial. Entre le boulot, les séances de psy et le train-train quotidien, Nevaeh avait peine à sortir la tête de l'eau. Come on princess, straight your crown. Il fallait qu'elle prenne les devant, qu'elle remonte en selle, qu'elle soit la sœur que sa fratrie mérite. Elle avait donné rendez-vous à Elias à la patinoire, parce que bon, il faisait quand même vachement chaud à Bowen ces temps-ci, un peu d'air frais leur ferait le plus grand bien. Peut-être même que ça remettrait les idées en place à son petit frère. « Bah alors El ! Tu n'es pas content de voir ta grande sœur ?  » Demanda-t-elle en voyant la tête de son frère. Elle savait que c'était simplement parce qu'il ne l'avait pas encore vu dans la foule, mais il fallait bien qu'elle lui fasse remarquer la tête d'enterrement qu'il tirait. La brune ne laissa pas vraiment le temps à son frère de la serrer dans ses bras qu'elle le tira par le bras pour le faire entrer dans la grande bâtisse. Ils devaient essayer les chaussures, être sûr qu'ils soient bien à leur taille et Nev, comme tout grand enfant qui se respecte n'avait qu'une hâte, celle de mettre ses patins sur la glace.
Après avoir fermé sa petite veste, enfilée ses patins, Nevaeh la maladresse posa un patin avec précaution sur la glace. Elle ne voulait pas se ridiculiser si vite devant son petit frère. Certes, il la connaissait suffisamment pour savoir que tôt ou tard dans l'après-midi, elle allait se casser la figure, mais, elle ne voulait pas que ça arrive aussi vite. « Tu peux ne pas rester trop loin de moi, tu sais... Juste au cas où ? » Elle était confiante, mais plutôt réaliste alors avant de se lancer dans de grandes enjambées, elle se tenait prudemment à la rambarde le temps que son frère se décide enfin à la rejoindre.

Je me sentais au bord de l’implosion ces temps-ci. J’étais connu pour mon tempérament de feu, pour mon caractère impulsif, il m’arrivait très souvent de partir en vrille, parfois pour pas grand chose. Ces derniers temps, j’avais pourtant la sensation de vivre un véritable ascenseur émotionnel. Je n’avais pas su gérer le retrait de Woody, cette absence qui traduisait sa douleur, une douleur pour laquelle je me sentais impuissant. Un sentiment dont j’avais horreur. Il y avait eu Manny, une percée de soleil, dans mon quotidien terne. Mon appart qu’il avait fallu rendre, le déménagement express, le retour de Woody, les histoires sordides d’Avery. J’avais envie de crier, d’expulser le trop plein. J’allais nager plus qu’à l’accoutumée ces derniers temps et cela n’était pas pour rien. Alors quand ma soeur, Nev, m’avait proposé de l’accompagner à la patinoire aujourd’hui, je m’étais d’abord demandé ce que je pouvais bien aller foutre là-bas, avant d’accepter. Nevaeh avait, elle aussi, besoin de se vider la tête sans nul doute. Ca n’était pas facile pour elle non plus. Et puis, cela faisait longtemps que nous n’avions pas passer un moment rien que tous les deux. Perdu dans mes pensées, les mains dans les poches, j’arrivai devant la patinoire, quand la voix de ma soeur ainée m’interpela.
— Bien sûr que si, dis-je en collant un sourire sur mon visage.
Je n’eus pas le temps d’en dire plus que Nev m’attira avec elle dans l’établissement. Nous louâmes des patins, les chaussâmes puis nous dirigeâmes vers la glace. Un sourire en coin ourla mes lèvres lorsque Nevaeh s’assura que je reste près d’elle.
— I got your back ! lui assurai-je en avançant derrière elle.
Je n’étais pas plus à l’aise qu’elle sur des patins, mais j’allais tâcher de faire au mieux. Nous nous lançâmes enfin et je tâchai de trouver mon équilibre. Difficilement.
— C’est bien ton style de me trainer ici, tiens…tu pouvais pas choisir un truc plus safe, genre…un tour de pédalo, ou j’sais pas !

Nevaeh se mit à sourire, hormis les soucis de famille, c'était toujours un réel plaisir de passer du temps avec son frère. L'avantage avec les RutKowski c'est qu'il n'y avait que 5 ans qui séparaient le premier de la dernière. Elias et Nev étaient au milieu d'eux. Et même s'il était connu de tous que Nevaeh était plus proche de son aîné que de son petit frère et sa petite sœur, elle ne les aimait pas moins pour autant. Elle était aussi tout autant protectrice envers Woody que les deux autres et quiconque essayait de leur faire du mal se verrait marquer du seau de la mort par la jeune brune. C'était un peu excessif, mais, il n'en était pas moins qu'elle ne laisserait pas grand-chose passer de ces gens-là. «Allez Elias, fait pas cette tête ! L'air frais, ça fait du bien. Vois le bon côté des choses» Dit-elle en affichant son plus large sourire. Nevaeh était l'optimisme même. Elle essayait toujours de voir le bon côté des choses, et même si en ce moment sa vie perso partait dans tous les sens, elle savait parfaitement comment faire pour donner le change auprès de sa fratrie.
L'aîné des sœurs Rutkowski se mit alors a avancer ses pieds sur la glace, la confiance venait avec l'expérience. Et si Nevaeh n'était pas la personne la plus adroite de sa fratrie, elle n'en restait pas moins quelqu'un de fière alors, ce n'étaient pas quelques chutes qui allaient lui faire peur. Elle se glissa au milieu de la foule, heureusement, ce n'était pas la saison pour la patinoire et les gens étaient plutôt à la plage. Tant mieux, ça fera moins de témoins se pensa-t-elle. Après un rapide pour d’œil à sa droite, elle remarqua que son frère n'était pas loin. « Alors El ! Comment va la vie en ce moment dit ? » Demanda-t-elle non-hasardeuse. Elle connaissait son frère, elle connaissait ses penchants et puis, elle avait eu des échos de ses dernières frasques. Heureusement, la musique n'était pas trop forte et ils pouvaient ainsi aisément discuter dans un environnement neutre et aussi, s'amuser un peu. Elle voulait à tout prix ressortir de là avec un sourire accroché sur les lèvres de son frère.

Nevaeh avait ce tempérament typique des secondes, elle était au milieu, comme je l’étais, même si nous occupions ce rôle, l’un et l’autre, de manière totalement opposée. Elle était plus tempérante que moi, largement plus, et elle savait apaiser les tensions, du moins, elle s’y efforçait, ce qui n’était clairement pas chose aisé, entre Woody et moi. Puis il y avait Avery, qui faisait aussi des siennes ces derniers temps, qui avait besoin de vivre sans conscience des conséquences, ce que je comprenais, mais qu’il fallait gérer aussi par la suite. Pour quelqu’un comme Nev, qui avait besoin que tout soit calme et serein, j’admettais que c’était difficile. Je savais qu’elle voyait un psy, et pour le peu qu’elle m’en parlait, cela lui faisait du bien. Je n’étais pas résolu à faire de même, même si cela pouvait me faire du bien. Je n’eus pas le temps de serrer ma soeur dans mes bras qu’elle m’attira à l’intérieur de la patinoire, prétextant qu’un peu d’air me ferait du bien.
— De l’air dans un espace clos ? fis-je avec sarcasme.
Au moment où cette phrase passa la barrière de mes lèvres, je crus reconnaitre Woody dans mon intonation. Je n’avais pas envie d’être rabat-joie, pas avec Nevaeh qui faisait de son mieux, elle, pour garder sa bonne humeur malgré le chaos de nos vies. Je m’élançai sur la glace à sa suite, veillant à ne pas m’éloigner d’elle comme elle me le demanda.
— Tu me poses la question comme si on était deux étrangers, relevai-je.

Nevaeh soupira, elle qui aimait vivre dans le monde des bisounours ces temps-ci ce n'était pas chose facile et pourtant elle gardait le sourire, la tête haute. Du moins en apparence, ce n'était que seule chez elle qu'elle se plaisait à traîner en pyjama, le visage lavé de tout masque et maquillage et les cheveux en bataille. Non, Nevaeh n'était pas superficielle, elle était la reine de l'entourloupe ces temps-ci, comme si un peu de maquillage et quelques sourires laissaient à croire que tout allait bien à Nevaehland. Même si elle ne parlait que très peu de ses problèmes en famille, elle savait qu'ils n'étaient pas dupes. Elle savait qu'ils savaient. Hélas, ce n'était pas son rôle de s'effondrer, du moins, ce n'était pas le rôle qu'elle s'était donné. « La clim, c'est de l'air frais non ? » Ajouta-t-elle en arquant un sourcil. Elle était sûre d'elle la petite, enfin, elle savait que ce qu'elle venait de dire était ridicule, mais elle savait aussi qu'elle ne devait pas se laisser faire par le sarcasme de son frère. Ni même entrer en conflits avec lui, ça aussi, c'était le rôle qu'elle s'était donné. Le seul avec qui Nevaeh s'autorisait à être un peu moins stricte, c'était Woody. Et pour cause, il était son grand frère, alors certes, il n'était pas invincible et elle ne prenait pas juste ce qu'elle avait à prendre. C'était plutôt du donnant-donnant. Alors le sarcasme d'Elias ne risquait pas de la désarmer. Elle attrapa sa main pour patiner avec lui, pour un peu plus de sûreté, mais aussi pour lui faire comprendre qu'elle était là. Que cette après-midi n'était qu'à eux. « Je te pose cette question en toute connaissance de cause et surtout pour que les informations viennent de toi. » Elle le regarda avec tendresse avant de se prendre les pieds contre le rebord de la patinoire. Heureusement pour elle, Elias avait des réflexes plus aiguisés que les siens, et elle se cramponna au bord. « Tu me vois entamer une discussion en te disant : hé au trou du cul, qu'est-ce qui te prends en ce moment ? Non, c'est quand même mieux si je prends un peu de tes nouvelles avant » Elle hocha la tête comme pour lui faire comprendre ce qu'elle venait de lui dire. Elle se mit à rire ensuite, comme si elle venait enfin de réaliser qu'elle n'était pas passée loin de la chute. Déjà. Elle était téméraire Nevaeh, mais elle se rendait aussi vite compte que ces capacités n'étaient parfois pas aussi hautes que ses rêves.  

Je n’étais pas vraiment tendre avec Nev, elle ne méritait ni de subir ma mauvaise tête, ni que je lui parle sur ce ton là. Je culpabilisai un peu, mais c’était plus fort que moi, il fallait toujours que je me laisse envahir par mes émotions, la colère le plus souvent, comme s’était le cas aujourd’hui. Mais Nev me connaissait assez pour savoir que cette dernière ne s’exprimait pas en pleine puissance. Je pouvais entrer dans une rage noire quant à cela me prenait. Je n’avais aucune vraie raison de le faire aujourd’hui, cela dit, même si je sentais l’émotions bouillir à l’intérieur de moi. Nevaeh était une des rares personnes sur Terre à savoir me canaliser, même si cela lui demandait souvent du temps et un effort particulier. Elle avait cette sérénité en elle, cette aspiration au calme qui, au bout d’un moment, savait me gagner. Elle était patiente, Nev et c’était ce qui faisait sa force. Je la vois buter contre le rebord de la patinoire, et je m’approche d’elle. Les mains sur les hanches, je arque un sourcil.
— « Trou du cul » ?
Le dire à voix haute me fait sourire, puis je lâche un petit rire.
— Nev…ça va…je t’assure. J’ai besoin de digérer deux-trois trucs c’est tout. Et si tu veux parler de ça…
Je désigne mon arcade sourcilière qui cicatrise d’un coup que j’ai pris dans une bagarre.
— C’est rien, c’est presque guéri.

Nevaeh glissa une main plein de tendresse sur l'œil de son frère. Elle lui lança un petit sourire dont elle seule avait le secret. Son sourire remplie de tendresse et de bienveillance. Sa famille, c'était ce qui comptait le plus pour elle. Surtout après ces quelques années à vivre dans le déni comme si rien n'avait d'importance. « Je m'inquiète El. C'est normal, je suis ta grande sœur. Et j'ai aussi tendance à trop m'inquiéter, je sais, mais, ton bonheur compte dans le mien. Alors si tu veux parler, n'oublie pas que je suis là. Mon trou du cul préféré ! » Ajouta-t-elle en riant, lui donnant un petit coup de coude dans la hanche, elle s'était dit que ça rendrait peut-être la conversation un peu plus légère. Elle sentait bien qu'Elias ne voulait pas s'étaler sur le sujet, mais bien sûr, elle voulait toujours réparer l'irréparable. Ce schéma de sauveur comme dirait sa psy, comme si ça lui donnait un but dans la vie, comme si enfin, elle était utile à quelque chose. Elle attrapa la main de son frère avant de repartir sur la piste. Nevaeh prit un peu de risque et fit un tour sur elle-même. Elle se sentait vivante à ce moment-là, comme si elle pouvait enfin faire quelque chose comme les grands. Et ses petits bras en l'air témoignaient de sa fierté. Hélas, bien sûr, ce genre la déséquilibra, mais elle ne s'était pas étalée sur le sol. Pour être honnête, elle regrettait déjà son idée de patinoire. « Ok, la patinoire ce n'était pas la meilleure des idées.. Et si on allait manger un truc à la place non ?  » Demanda-t-elle avec son plus beau sourire, comme si elle avait vraiment besoin de cela pour convaincre son frère. C'était peut-être plus prudent, en effet, de sortir de la piste. Elle s'était mise en tête de ne pas se casser quelque chose en ce moment alors, il fallait bien mettre toutes les chances de son côté. Et même si elle avait réussi à finalement tenir sur ses deux pieds, tourner en rond ça allait cinq minutes.  

En passant une après-midi avec ma grand soeur, je devais me douter qu’elle m’étudierait sous toutes les coutures pour s’assurer que tout allait bien pour moi. Sauf que ce n’était pas exactement le cas. En soi, rien de grave, quelques soucis et préoccupation ça et là, comme mon déménagement précipité, la sortie de grotte de Woody…la reprise de contact avec notre frère s’était mal passé pour moi. Notre mère avait voulu nous rapproché et nous avait convié, l’un et l’autre, sans nous le dire. Les choses ne s’étaient pas exactement déroulées comme elle l’espérait. Je souris à Nev qui caresse doucement mon arcade abimée. Ma soeur a hérité de la douceur de notre mère, tant dans ses gestes qu’à travers la bienveillance naturelle qui se dégage d’elle.
— Ca va, je gère…pour de vrai.
J’espère être suffisamment convaincant, car en réalité, il n’y avait pas grand chose qu’elle puisse faire. Je devais gérer ça moi-même. Je hoche la tête lorsque ma soeur décrète que nous en avons fini avec la patinoire.
— Je vote pour ! Manquerait plus qu’on s’pète le poignet !