it's not my nature to pretend that any one road leads to any one end (gladice)

C’était un miracle que le vieil ordinateur d’étudiant paumé d’Elmo ait encore un lecteur de disque et que ce truc-là puisse encore graver quoi que ce soit. Il n’avait jamais touché à ça, à l’époque c’était sa mère qui lui gravait ses chansons préférées de kid qu’elle téléchargeait illégalement sur Limewire – ça date, il n’était qu’un petit gamin et il s’agissait sans doute de chansons bien gênantes. Mais il trouvait ça plus significatif de faire ça que de juste envoyer une liste de lecture, c’était nul et surtout, puisque Gladice bossait dans une boutique de disque, ça lui semblait plus approprié. Bref, vous aurez donc sans doute compris qu’Elmo avait gravé des chansons sur un disque, un disque qu’il s’apprêtait à donner à une fille. C’était plutôt out of character, lui qui était plus du type trou de cul que grand romantique. Mais c’est qu’avec Gladice, il échangeait toujours sur des artistes qu’ils aimaient et qu’ils se faisaient découvrir. C’était une relation tellement chill, tellement rafraîchissante, qu’il s’était permis ce petit écart de conduite. En marchant dans la rue vers la boutique de disque cependant, il tergiversa sans cesse, se demandant comment Gladice allait interpréter le geste. Il n’était pas amoureux d’elle, il voulait juste qu’elle puisse mettre le disque pendant qu’elle bossait et écouter les chansons que l’italien avait sélectionné pour elle. Damn, c’était cucul. C’est lorsqu’il marcha sur un billet de 100$ qui s’envolait au vent en roulant sur le trottoir qu’il sortit de ses pensées. Il ramassa le billet coincé par son pied, le cœur battant un peu plus vite puisqu’il venait quand même de trouver un montant d’argent qui représentait son pourboire pour deux semaines à son job. « Holy shit. » Il regarda autour de lui, s’assura que personne n’était en train de chercher ce billet envolé au vent, et il le fourra dans son portefeuille comme un radin voleur. Il accéléra le pas jusqu’à la boutique où bossait Gladice, ne se posant plus aucune question. Ce billet de 100$ était un signe : il ne fallait plus qu’il doute, il fallait juste laisser la vie faire les choses. Il ouvrit la porte de la boutique et trouva rapidement Gladice derrière le comptoir, oubliant le disque dans sa main. « Yoooo, tu devineras jamais ce qui vient de m’arriver ! » C’était Noël à la mi-année, quoi.

Sans même songer au fait que des clients auraient pu être en train d’être servis par Gladice, Elmo était rentré dans la boutique de disques comme la tornade ambulante qu’il avait l’habitude d’être. De toute façon, pour l’italien, il était une personne qui passait souvent devant les autres, son égo démesuré parlait plus fort que celui des autres alors pour cette raison, il méritait l’attention. Heureusement pour les hypothétiques clients dans cette réflexion qui n’eut pas lieu, Gladice était seule en train de ranger les CDs. La jeune femme leva la tête vers lui alors qu’il lui faisait sa grande devinette, déclarant forfait à sa place avant même de laisser un seul indice tomber. Il écouta à moitié la réponse de la vendeuse avant de sortir le billet de 100$ de son portefeuille et de le brandir devant elle. « J’ai trouvé ça par terre, t’imagines !? QUI TRAÎNE 100$ DANS SES POCHES, FOR REAL ? Et l’échappe en plus ? » Il s’esclaffa, hilare, définitivement sur le high d’avoir l’impression d’être devenu riche en un claquement de doigts alors que bien malheureusement, ce pauvre billet de cent dollars australiens allait être claqué le soir même sur une bouteille un peu trop chère dans une boîte de nuit. Toujours là pour impressionner au-dessus de ses moyens, Elmo. Il laissa aller un soupir de contentement, de soulagement, se laissant finalement tomber sur la chaise qui se trouvait derrière le comptoir de vente. Il faisait un peu trop comme chez lui. « Du coup j’peux bien me permettre un ou deux nouveaux CDs, t’as quelque chose qui vient d’sortir à me recommander ? » Demanda-t-il à Gladice en baissant les yeux vers le disque gravé qu’il tenait dans une main. Tout d’un coup il perdit un petit peu de son assurance.

Rarement se balader avec 50 dollars, pour Elmo c’était du jamais vu, ça aussi. Il avait rarement plus que vingt dollars et encore, la plupart du temps il n’avait même pas un sous sur lui. On aurait pu croire que c’était parce que son compte en banque était plein et qu’il n’avait qu’à sortir ses cartes mais même pour ça, les chiffres n’étaient pas bien élevés. Il n’y avait qu’à la fin de la semaine, quand il allait déposer tous les pourboires répartis dans l’équipe du café, qu’il pouvait avoir un certain montant sur lui. Mais aussitôt reçu, aussitôt dépensé, c’est un peu comme ça que fonctionnait Elmo. « Grave ! Ou alors c’est le 100$ de Perry Peach que je viens de trouver ! Je lui demanderai même pas, il doit pas trop s’en ennuyer … » Tandis que lui, il aurait embrassé ce billet s’il n’avait pas déjà vu un reportage sur tous les microbes se trouvant sur l’argent. L’italien prit place sur le banc que Gladice occupait sans doute quand il n’y avait rien à faire à la boutique. Il questionna la jeune femme sur les nouvelles sorties d’albums. En entendant parler de musique française il grimaça, avant de s’intéresser un peu plus aux noms de Foals et des Black Keys. Ça c’était davantage dans son style. « On se met un peu de Foals pendant qu’on discute ? » Proposa Elmo qui aimait bien aussi flâner ici en écoutant les suggestions de Gladice. Pendant qu’elle lui parlait, la vendeuse s’était approchée du barista et avait remarqué le CD qu’il tenait dans ses mains. Ses petites joues semblèrent rougir un tout petit peu, surtout parce qu’il avait un peu honte, là. « Nan, au contraire c’est tout plein de trucs que j’aime bien. » Il leva les yeux vers Gladice, avec un regard qui disait ouais je me sens un peu con. « J’voulais pas que tu le reprennes mais plutôt te l’offrir, j’ai gravé des trucs que j’ai découvert récemment et que j’trouve pas mal. Tant qu’à t’offrir les albums de chacun des groupes et pas pouvoir manger pour le mois, j’ai gravé celles que je préfère. » Et alors il lui tendit le CD, un peu hésitant.

« Non là-dessus, on est d’accord. » Répondit Elmo en riant, à propos du cent dollars perdus si le billet appartenait à Perry Peach. Il avait cette réputation, son ami. La réputation d’avoir le compte en banque plein. Enfin, pas tant une réputation. C’était un fait, voilà tout. Mais disons que Perry ne s’en cachait pas vraiment et qu’il avait tendance à dépenser de tous bords tous côtés. Bref. Gladice alla mettre le disque de Foals et Elmo pencha la tête vers l’arrière quand les premiers beats de Life Is Your, la première track de l’album, débutèrent. D’avant vers l’arrière, le barista se faisait aller le cou au rythme de la musique un peu techno-rock. Pendant ce temps-là, Gladice revenait vers lui et remarquait le CD dans les mains de l’italien. Après une assez grande hésitation, soulignée par la couleur honteuse de ses joues, Elmo expliqua qu’il lui avait gravé un album avec ses découvertes récentes préférées. Ouais, c’était hyper niais, et aussi très illégal. Pour le second, il s’en foutait, mais pour le premier, c’est ça qui le mettait aussi mal à l’aise. À quoi avait-il pensé ? Il releva les yeux vers Gladice pour se rendre compte avec surprise qu’elle avait les larmes aux yeux, et les larmes qui roulaient le long de ses joues. Oh shit. Oh fuck. Panique générale chez Elmo dont les craintes prenaient vie devant lui. Elle interprétait ça bien plus grandement que ça ne devait l’être. Elle prit le CD en silence, toujours les yeux brillants d’émotions, lisant les titres écrits derrière sans réagir davantage. « J’sais que c’est ringard, hein. Mais bon j’trouvais ça plus facile. Et puis, même si ça ne vaut plus grand-chose de nos jours, j’avais quand même pas les moyens d’acheter un vieux Ipod ou même un MP3 pour te les enregistrer dessus. C’est discontinué pour la plupart alors, ça devient rare. » Expliquait-il d’un trait. « Et ouais j’aurais pu t’envoyer les titres sur Insta mais tu m’aurais peut-être trouvé harcelant de t’envoyer vingt-deux messages un après l’autre. » Mais bordel pourquoi il agissait comme un nerd qui n’a jamais parlé à une fille ? Bella l’avait vraiment brisé, ça y est, il était incapable de parler à des femmes de son âge. « Bref. Tu m’en donneras des nouvelles. » Il haussa les épaules, pour essayer d’avoir l’air cool et détaché.

La mine un peu déconfite, Elmo regarda Gladice se lever pour ranger le CD. Ouais, c’était un cadeau assez rapidement éclipsé, ça. Il pensait qu’elle prendrait le temps de mieux analyser, mieux encore il pensait qu’elle aurait été le faire jouer, même si l’album de Foals venait à peine d’être entamé. Il avait imaginé un peu son excitation, son bonheur de découvrir de nouvelles musiques. C’était ça, entre eux. La découverte, la curiosité musicale, la même longueur d’ondes à propos de tellement d’artistes et de sons. Mais Elmo n’avait pas réfléchi plus loin que ça alors que Gladice elle, s’était projetée dans ce geste. Se projeter, l’italien était incapable de ça, surtout depuis que Bella lui avait brisé le cœur l’année dernière, et une seconde fois en quittant Bowen au début de l’année. Il n’avait plus envie de penser à l’amour, ‘Mo, parce qu’il avait bien vu qu’au fond ça ne donnait rien de bon. Ce qu’il avait avec Gladice c’était bien, c’était cool, il n’avait pas envie que ça change. Mais ce foutu CD venait sans doute de faire merder tout ça. Shit. Après s’être attardée à son sac, dos au barista, la vendeuse revint finalement vers lui, le remerciant pour son cadeau. « Y’a pas d’quoi. Mais j’me doute que tu l’aurais rapidement retrouvé avec sa couverture pas très stylée, blanche. J’voulais faire un montage débile mais j’ai manqué de temps. » Admit Elmo, tentant de mettre un peu d’humour dans cette ambiance sous tension. Gladice aussi tenta de détendre l’atmosphère, lui envoyant une petite pique sur ses goûts musicaux. Il esquissa un sourire, avant de garder le silence un moment, toisant son amie. « Hum … t’es sûre que ça va ? » Il était con mais pas sans-cœur, Elmo, il voyait bien que son geste avait été maladroit. Son objectif était de faire plaisir à Gladice, pas de la rendre triste. Il l’aimait bien, c’était pas ça le truc. Le truc c’était lui, juste ça, lui et sa débilité.

S’ils avaient à faire une compétition du plus désordonné, Elmo gagnerait probablement haut la main. Il suffisait de demander à Vega : elle lui reprochait si souvent de laisser traîner ses chaussettes sales dans la salle de bain, de ne pas ramasser ses poils après s’être rasé, de laisser traîner la vaisselle un peu partout dans l’appartement, de laisser ses lettres pas ouvertes sur la table du salon et de ne jamais garder ses papiers importants. Elmo c’était un peu l’emblème de la désorganisation. À voir à quel point la boutique de musique était toujours très clean et les disques toujours bien ordonnés, Elmo avait un peu de mal à croire que Gladice en soit à son niveau. « Si t’es désordonnée j’veux même pas savoir comment on peut m’définir, le mot doit pas exister. » Lâcha-t-il en riant avant d’hocher la tête à propos de la pureté. « Ça te va bien en tout cas. » Avait-il conclut sans trop réfléchir non plus. Il disait les choses telles qu’elles étaient, ‘Mo. Telles qu’elles lui venaient. Gladice représentait pour lui la quiétude, la douceur, la sécurité peut-être. En tout cas, en sa présence, il se sentait toujours plutôt calme et posé, ce qui n’était pas toujours le cas du barista. Mais Gladice avait raison de croire qu’en laissant la pochette blanche, ce n’était pas à ça qu’il avait songé. Il n’avait juste pas pensé, c’est tout. Il l’avait laissé telle qu’il l’avait acheté, faute de temps pour y écrire ou y dessiner des âneries. Sentant que la vendeuse avait encore un truc qui la chicotait, sentant qu’il avait un peu merdé avec ce mixtape qui voulait tout dire et rien dire à la fois, l’italien demanda à la jeune femme si ça allait. « Tant mieux. » Répondit Elmo. « C’est juste, que … enfin, j’sais que … d’hab offrir une compilation c’est … ben, c’est un classic move, t’sais. » Il haussa les épaules, visiblement pas très à l’aise dans ce genre de conversation. « Et c’est pas que je te vois pas comme ça. J’veux dire, obviously t’es canon, intéressante, tout ça quoi. Mais avec ce qui s’est passé avec Bella, j’suis … pas là. » Et là c’était peut-être le moment durant lequel Gladice fronçait les sourcils, lui disait qu’il s’imaginait des trucs, qu’il se prenait un peu pour le nombril du monde alors qu’il n’était pas si intéressant que ça. C’était possible ça aussi mais c’est vrai qu’Elmo avait tendance à penser qu’il plaisait facilement aux filles.